EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Interdiction de l'utilisation et du stockage des produits phytosanitaires dans les zones de protection des aires d'alimentation des captages

Cet article vise à reconquérir la qualité des eaux brutes au niveau des points de captage en diminuant les pressions d'origine agricole, afin de limiter les traitements onéreux et énergivores de dépollution et de potabilisation par les services publics d'eau et d'assainissement.

À cette fin, il prévoit, d'ici au 1er janvier 2031, l'interdiction de l'utilisation et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages et des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates. Une trajectoire de réduction progressive des usages et du stockage au sein de ces zones est fixée par décret afin d'échelonner les efforts dans le temps.

La commission n'a pas adopté l'article 1er, estimant qu'il n'était pas opportun d'instaurer une contrainte nouvelle s'appliquant aux agriculteurs sans puissant mécanisme d'accompagnement dédié et que cette initiative législative était susceptible d'interférer avec les travaux en cours lancés depuis mars dernier par le Gouvernement dans le cadre de la feuille de route en faveur de l'amélioration de la qualité de l'eau par la protection de nos captages.

I. Les mesures en faveur de la protection des aires de captage ont échoué à préserver la qualité des eaux brutes destinées à la consommation humaine

A. Les captages d'alimentation en eau potable, un patrimoine essentiel à la résilience hydrique qui se réduit chaque année

Il existe deux modalités principales de production des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) : le prélèvement par captage dans une nappe souterraine et le prélèvement par pompage dans une ressource superficielle d'eau douce2(*). Plus marginalement, dans certains territoires ultramarins ou insulaires, l'eau destinée à la consommation humaine peut également être produite par désalinisation de l'eau de mer. À ce jour, environ deux tiers des volumes d'eau prélevés pour l'alimentation en eau potable proviennent des eaux souterraines.

En 2024, la France compte 37 795 captages actifs destinés à la production d'eau potable3(*), dont 36 230 prélèvent l'eau dans les eaux souterraines. Environ 18 millions de mètres cubes d'eau sont prélevés par jour, à 96 % en eaux souterraines, soit 66 % des volumes prélevés, et 4 % en eaux superficielles, pour 34 % des volumes prélevés. Chaque année, ce patrimoine se réduit du fait de l'abandon de certains équipements : sur la période 1980-2024, près de 14 300 captages ont été fermés. La première cause de fermeture des captages est imputable à la dégradation de la qualité de la ressource en eau, pour 32 % des situations4(*).

Parmi les captages abandonnés en raison de la dégradation de la qualité de la ressource sur la période 1980-2024, 41 % le sont du fait de teneurs excessives en nitrates et/ou pesticides, 23,5 % pour des raisons de microbiologie, 7 % du fait de présence d'arsenic, 6,5 % pour des excès de turbidité de l'eau et 22 % à cause d'autres paramètres en excès5(*).

Le rapport inter-inspections Prévenir et maîtriser les risques liés à la présence de pesticides et de leurs métabolites dans l'eau destinée à la consommation humaine, réalisé par l'Igas, l'IGEDD et le CGAER en juin 2024, fait état de l'échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides, malgré quelques progrès localisés souvent très lents, ainsi qu'une « gestion des non-conformités qui pose de sérieuses difficultés aux acteurs de terrain ». Les auteurs de ce rapport dressent un constat d'insuffisance des politiques de protection des captages et alertent sur le fait que sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire : « la préservation de la qualité des ressources en eau brute est un impératif afin de pouvoir continuer à les utiliser pour produire des EDCH et éviter des coûts de traitement élevés. »

Selon les indications fournies par la Direction générale de la santé au rapporteur, depuis 2019, quelques centaines de captages sont fermés tous les ans, soit environ 1 % de l'ensemble des captages. Parmi les captages fermés, environ 20 % le sont pour des raisons de contamination microbiologique ou chimique. La contamination par les nitrates et les pesticides explique la fermeture de 10 % à 15 % des captages tous les ans, soit quelques dizaines de captages abandonnés pour ce motif. Ces chiffres sont relativement stables d'une année sur l'autre depuis 2019.

Nombre de fermetures de captages

 

2019

2020

2021

2022

2023

 

410

275

320

307

254

dont fermetures pour cause de pollution par les nitrates ou les pesticides

45

36

28

32

40

Source : Direction générale de la santé

Si l'on se réfère à la qualité de l'eau brute extraite, la Direction générale de la santé a indiqué au rapporteur que 3 265 unités de distribution d'eau potable6(*) étaient en 2023 en situation de non-conformité vis-à-vis des pesticides et leurs métabolites. La configuration des réseaux d'adduction publique étant complexe et susceptible d'être alimentée par plusieurs captages, il est malaisé de faire correspondre au niveau national le nombre d'UDI non conformes à un nombre de captages.

Les indicateurs agrégés de conformité de l'eau du robinet vis-à-vis des pesticides montrent qu'en 2023, près de 75 % de la population a été alimentée en permanence par de l'eau respectant les limites de qualité réglementaires pour les pesticides et leurs métabolites. Ce chiffre masque cependant de très fortes disparités selon les régions : à titre d'illustration, en 2023, en Normandie, seulement 36 % de la population a été alimentée en permanence par des eaux conformes.

Toutefois, pour la quasi-totalité de la population alimentée par une eau non conforme, les dépassements des limites de qualité ont été contenus en concentration et dans le temps, ne nécessitant pas une restriction de l'usage de l'eau du robinet pour la boisson, avec seulement 7 situations de restriction d'usage en 2023. Il convient également de relever que l'amélioration de la surveillance et la hausse du nombre de substances recherchées ont permis de mettre en évidence des molécules probablement présentes dans les eaux depuis de nombreuses années.

Selon la qualité de l'eau brute prélevée, différentes étapes de traitement peuvent ainsi être nécessaires pour rendre l'eau potable et maintenir sa qualité dans les installations de stockage - réservoirs, châteaux d'eau, etc. - et dans les réseaux de distribution jusqu' au robinet. Ces exigences fortes de qualité découlent des prescriptions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, selon lequel « la gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, [...] et de l'alimentation en eau potable de la population. » Rappelons également qu'au titre du code de la santé publique, les exigences de qualité au captage et au robinet diffèrent. Ainsi, un captage contaminé mais conforme pour les eaux brutes pourra faire l'objet d'une dilution ou d'un traitement avant distribution aux consommateurs.

En d'autres termes, lorsque la ressource issue d'un captage n'est pas conforme aux normes de potabilité des eaux, la personne responsable de la production ou de la distribution de l'eau (PRPDE) doit prendre toute mesure technique appropriée pour modifier la nature ou la propriété des eaux avant qu'elles ne soient fournies, afin de réduire ou d'éliminer le risque de non-respect des normes sanitaires, lorsqu'il est imputable au service de production ou de distribution d'eau. Ces traitements engendrent naturellement des surcoûts pour les gestionnaires des services publics d'eau et d'assainissement.

Au cours de leur audition, les agences de l'eau ont indiqué au rapporteur qu'un surcoût de l'ordre d'un à deux milliards d'euros par an représente une fourchette réaliste : cet ordre de grandeur, consolidé à l'échelle France entière, est attesté par différents rapports publics7(*) et académiques. Cette estimation intègre à la fois les coûts directs de traitements et d'analyses ainsi qu'une fraction des coûts indirects : perte de captages, transfert d'eau, gestion de crise, etc.

Comme l'a rappelé la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) lors de son audition, la mise en oeuvre des traitements pour débarrasser l'eau des pesticides et de leurs métabolites substances pèse tout particulièrement sur les services des collectivités de petite et moyenne taille, qui peuvent se traduire par des augmentations comprises entre 0,3 à 0,4 € par mètre cube d'eau consommée dans les départements les plus touchés8(*). Si la tendance de dégradation de la qualité de l'eau se poursuit, cela pourrait à terme conduire à une rupture d'égalité territoriale vis-à-vis de l'accès à l'eau. Ces constats illustrent la pertinence et les bénéfices des interventions visant à limiter les pollutions diffuses dans le cadre d'une logique préventive, afin de diminuer les coûts liés à la seule approche curative.

La gestion des pollutions à la source et la protection des captages d'eau potable constituent à cet égard une solution pertinente et efficace sur le plan économique, d'autant plus que le coût du traitement des eaux brutes pour les rendre potables ne cesse d'augmenter, en raison de la hausse des coûts de réactifs et de l'énergie, mais aussi du fait de la nécessité d'éliminer un nombre croissant de polluants présents dans les nappes souterraines9(*).

B. Un cadre normatif foisonnant visant à protéger à la source les eaux souterraines qui n'a pas atteint son objectif de reconquête de qualité

1) Le droit européen fixe les objectifs à atteindre et les échéances à respecter par les États membres

Le cadre européen, issu de la directive européenne 2020/2184 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite « Eau potable », vise à protéger la santé humaine des effets néfastes de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine en garantissant la salubrité et la propreté de celles-ci, ainsi qu'à améliorer l'accès aux eaux destinées à la consommation humaine.

Le droit européen promeut une approche basée sur les risques en matière de sécurité sanitaire de l'eau, impliquant pour les États membres l'obligation de veiller « à ce que l'approvisionnement, le traitement et la distribution des eaux destinées à la consommation humaine fassent l'objet d'une approche fondée sur les risques qui englobe toute la chaîne d'approvisionnement depuis la zone de captage jusqu'au point de conformité [...], en passant par le prélèvement, le traitement, le stockage et la distribution des eaux10(*). »

L'ordonnance de transposition de la directive « Eau potable »11(*) a introduit l'obligation, pour toute personne publique ou privée responsable d'une production ou d'une distribution au public d'eau destinée à la consommation humaine, d'élaborer, mettre en oeuvre, évaluer et mettre à jour un plan de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE), de la zone de captage jusqu'au robinet. Cette obligation est codifiée à l'article L. 1321-4 du code de la santé publique.

Cette approche vise à identifier les dangers et événements dangereux susceptibles de se produire sur l'ensemble du système de production et de distribution d'eau et de mettre en place un plan de mesures de maîtrise des risques. L'objectif recherché est d'assurer en permanence la sécurité sanitaire de l'eau. Le PGSSE, document interne au service et à ce titre non opposable, doit comprendre une évaluation des risques et les mesures de gestion associées. Toutefois, la mise en oeuvre de ce plan ne sera obligatoire qu'à compter du 12 juillet 2027 pour la zone de captage et à compter du 12 janvier 2029 pour les plans liés à la production et à la distribution de l'eau12(*).

Il n'est dès lors pas possible de procéder à l'évaluation de ces plans de gestion, même si l'on peut d'ores et déjà émettre des doutes quant à leur efficacité s'ils ne sont pas mis en cohérence avec d'autres dispositifs de protection contre les pollutions diffuses associant la profession agricole et combinant des mesures d'accompagnement ambitieuses.

D'autres textes européens déclinent également des objectifs programmatiques de qualité des eaux à atteindre par les États membres, notamment à travers la directive-cadre sur l'eau13(*) qui vise à « assurer la réduction progressive de la pollution des eaux souterraines et prévenir l'aggravation de leur pollution », et la directive Nitrates14(*) qui vise à « réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles et prévenir toute nouvelle pollution de ce type. »

2) Un arsenal de mesures législatives et règlementaires disparates et mal calibrées pour répondre aux enjeux des pollutions diffuses

La protection des captages vis-à-vis des pollutions de toute nature constitue une préoccupation ancienne des pouvoirs publics, fondée sur la limitation des pressions s'exerçant au sein d'un périmètre géographiquement et hydrologiquement pertinent. Au début du siècle dernier, la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique prévoyait déjà l'acquisition en pleine propriété des terrains où se trouve le point de captage et l'établissement d'un périmètre de protection contre les pollutions15(*).

La loi sur l'eau de 196416(*) introduit quant à elle l'obligation d'instaurer des périmètres de protection des captages par déclaration d'utilité publique (DUP), dont l'application n'est cependant pas rétroactive et se limite aux nouveaux captages. Elle renvoie également à un décret en Conseil d'État le soin de « déterminer les conditions dans lesquelles peuvent être réglementés ou interdits [...] les déversements, écoulements, jets, dépôts directs ou indirects d'eau ou de matières, et plus généralement tout fait susceptible d'altérer la qualité de l'eau superficielle ou souterraine ».

La deuxième loi sur l'eau de 199217(*) renforce cette obligation en étendant la mise en place des périmètres dans un délai de 5 ans à l'ensemble des ouvrages, notamment aux captages antérieurs à 1964 qui ne bénéficient pas d'une protection permettant d'assurer la qualité des eaux. Depuis lors, l'instauration de périmètres de protection des points de prélèvement d'eau pour l'alimentation est obligatoire. La création d'un captage d'eau potable s'accompagne dans tous les cas d'un périmètre immédiat et, le cas échéant, d'un périmètre rapproché, pouvant être complété par un périmètre éloigné.

Source : Agence de l'eau Rhin-Meuse

Cet outil, prévu à l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, permet d'assurer la protection de la ressource en eau contre les pollutions de nature à la rendre impropre à la consommation, via la mise en oeuvre d'une déclaration d'utilité publique (DUP) instituant les périmètres de protection. Il appartient à la collectivité, maître d'ouvrage, d'engager la procédure, qui se conclut par la prise d'un arrêté préfectoral de DUP.

Les périmètres de protection des captages

Au 1er janvier 2025, on recense 32 547 captages utilisés pour la production d'eau destinée à la consommation humaine en France18(*). Parmi ceux-ci, 27 393 captages sont protégés par une déclaration d'utilité publique, avec assignation de périmètres de protection (soit 84,2 %), correspondant à 87,7 % de l'ensemble du débit des captages utilisés pour la production d'eau potable.

Les 15,8 % de captages non encore pourvus d'une DUP instituant les périmètres de protection sont majoritairement des petits captages situés en zone montagneuse. Pour faciliter la mise en oeuvre de la procédure sur ces captages naturellement protégés en raison de leur situation géographique et leur difficulté d'accès, une simplification a été introduite par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (OTSS), permettant d'instaurer un simple périmètre de protection immédiate autour des captages d'eau d'origine souterraine dont le débit exploité est inférieur, en moyenne annuelle, à 100 mètres cubes par jour. Cette procédure, encadrée par un arrêté du 6 août 2020, n'a cependant pas permis une progression significative du nombre de captages protégés.

Dans les autres cas, les captages ne font pas l'objet de protection de cette nature en raison de conflits entre la collectivité et les usagers situés dans le périmètre de protection envisagé.

La direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique, qui assure le suivi et dresse le bilan de la mise en oeuvre de la politique de protection des captages prioritaires, a indiqué au rapporteur qu'à fin 2024, 87 % des captages prioritaires ont une AAC délimitée, 85 % avec un plan d'actions adopté ou en cours d'élaboration (15 % n'ont pas engagé la réalisation de leur plan d'action, 21 % sont en cours d'élaboration de leur plan d'action et 64 % ont un plan d'action adopté) et seulement 8 % sont couverts par un programme d'actions ZSCE volontaire.

Source : Direction générale de la santé

Toutefois, la seule mise en oeuvre de ces périmètres ne suffit pas à protéger efficacement les captages contre les pollutions diffuses. En effet, si certaines prescriptions permettent de contribuer à l'amélioration de la qualité vis-à-vis des pesticides, leur principal objectif est de lutter contre la pollution accidentelle et ponctuelle. Leur emprise géographique ne constitue pas un périmètre pertinent au regard de l'aire d'alimentation des captages, c'est-à-dire la zone en surface où l'eau s'infiltre ou ruisselle pour alimenter un captage d'eau, soit l'ensemble des surfaces où toute goutte d'eau tombée au sol est susceptible de parvenir jusqu'au captage.

Les prescriptions contenues dans les arrêtés de DUP, qu'il s'agisse de changement de pratiques ou d'interdictions, sont indemnisées par la collectivité. En l'absence d'accord entre les parties, c'est au juge de l'expropriation qu'il revient de statuer sur le montant de l'indemnisation, ce qui peut induire un coût potentiellement plus important pour la collectivité et ajourner la finalisation de la procédure.

Comme indiqué, l'on constate que la délimitation de ces périmètres de protection des captages ne suffit pas à protéger efficacement les captages contre les pollutions diffuses. Ces derniers ont vocation à être complétés, notamment pour les captages particulièrement sensibles aux pollutions anthropiques, par la définition de programmes d'actions ambitieux, qui peuvent être complétés depuis 2007, en cas d'échec des mesures prévues dans ce cadre, par la mise en oeuvre d'une zone soumise à contrainte environnementale (ZSCE), afin d'agir au sein du secteur le plus contributif à la qualité de la ressource en eau potable, à l'échelle des aires d'alimentation des captages présentant un enjeu particulier pour l'approvisionnement actuel ou futur. Cet outil est cependant peu utilisé, car complexe à mobiliser au niveau local.

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) du 30 décembre 2006 est venue quant à elle rappeler l'obligation de la mise en place des périmètres de protection des captages non protégés naturellement et utilisés par les collectivités pour l'alimentation en eau. Elle ouvre également la possibilité, sur le fondement du code de l'environnement, de délimiter des aires d'alimentation des captages (AAC), notion reposant sur une approche hydrologique ou hydrogéologique correspond aux surfaces sur lesquelles l'eau qui s'infiltre ou ruisselle participe à l'alimentation de la ressource en eau dans laquelle se fait le prélèvement.

Au sein de ces périmètres, des zones de protection (ZP-AAC) peuvent être délimitées, au sein desquelles il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement actuel ou futur. La zone de protection résulte généralement du croisement entre le zonage cartographique de la vulnérabilité intrinsèque et le zonage des pressions agricoles. Dans le cas des captages en eaux superficielles, la définition d'une zone de protection, au sein du bassin versant situé en amont des prises d'eau, repose sur le repérage des flux19(*) et sur l'identification, par diagnostic territorial, des pressions agricoles et des zones susceptibles de jouer le rôle le plus important dans la dégradation de la ressource en eau.

La définition des aires d'alimentation des captages n'est cependant pas obligatoire et relève de l'initiative des préfets, incités par instruction interministérielle du 1er juillet 2024 relative à la mise en oeuvre des mesures du Plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau à délimiter les aires d'alimentation autour des points de prélèvement sensible.

En complément de ces dispositifs, les collectivités territoriales peuvent, de leur propre initiative, intégrer des prescriptions de protection des captages dans leur plan local d'urbanisme (PLU), à travers le mécanisme des servitudes de protection, l'interdiction de certaines activités sur des terrains privés ou l'acquisition des terrains autour des captages pour assurer leur protection. La loi « engagement et proximité » de 201920(*) a instauré un droit de préemption à la demande des communes et EPCI des surfaces agricoles sur un territoire délimité en tout ou partie dans l'aire d'alimentation de captages utilisés pour l'alimentation en eau destinée à la consommation humaine.

Le maire a également un rôle à jouer en matière de préservation des pollutions susceptibles d'affecter la qualité des eaux, en vertu des pouvoirs de police générale qu'il détient : il est notamment tenu de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires [...], les pollutions de toute nature21(*) ».

Les dispositifs de protection susceptibles d'être institués
en faveur des captages d'eau potable

Source : Agences de l'eau et Dreal Rhône-Alpes

Le caractère foisonnant et l'empilement de ces dispositifs constituent, comme l'a relevé le rapport inter-inspections précité, « un facteur indiscutable d'illisibilité et de complexité, notamment pour établir et mettre en oeuvre les actions de prévention de la dégradation de la qualité des ressources en eau. Elle entraîne aussi une dispersion des moyens humains des services de l'État. » Les dispositions encadrant la protection des captages d'eau destinée à la consommation humaine relèvent en effet de quatre codes différents : le code général des collectivités territoriales, le code de la santé publique, le code de l'environnement et le code rural et de la pêche maritime, entraînant de possibles superpositions de périmètres et de la confusion à propos des plans d'actions instaurant des mesures de protection des captages.

Ainsi, un unique captage peut faire l'objet d'au moins quatre procédures administratives initiées par la même autorité préfectorale compétente : une autorisation de prélèvement et de traitement, qui peut comporter une autorisation exceptionnelle en cas de non-conformité des eaux brutes, un arrêté de déclaration d'utilité publique, un arrêté ZSCE et un arrêté de dérogation en cas de non-conformité des eaux traitées.

Cette multiplicité d'instruments réglementaires susceptibles d'être mobilisés pour protéger les captages d'eau potable, qu'ils soient obligatoires ou facultatifs, interroge la cohérence des mesures mises en oeuvre et brouille la lisibilité du cadre normatif pour les acteurs de l'eau, les agriculteurs et les industriels. La définition et la mise en oeuvre de mesures de protection adaptées aux pressions et aux enjeux du territoire impliquent un dialogue territorial et une disposition des acteurs à travailler ensemble qui ne va pas de soi.

En outre, les mesures d'action s'inscrivent bien souvent dans le cadre d'une approche surfacique qui correspond rarement à la réalité hydrographique des aires d'alimentation des captages et ne permet pas de réduire significativement les pressions sur ceux-ci. À ceci, il faut ajouter que les aires d'alimentation peuvent couvrir de vastes périmètres qui rendent complexe la démonstration de la corrélation entre une action de réduction au sein de l'aire d'alimentation et son efficacité au point de captage, en raison notamment de l'hétérogénéité des sols et des systèmes hydrogéologiques, mais également de la réactivité des nappes souterraines.

3) Les stratégies nationales visant à préserver la qualité des eaux brutes, des initiatives fédératrices participant à la prise de conscience des enjeux qui peinent à atteindre leurs objectifs

Depuis le milieu des années 2000, les captages d'eau potable sont devenus un enjeu récurrent des politiques de préservation de la qualité de la ressource en eau, avec toutefois des résultats mitigés comme le démontre le nombre d'abandons de captages pour des raisons liées aux pesticides et aux nitrates, qui ne décroît pas malgré les efforts et les montants financiers significatifs engagés.

a) Les « captages prioritaires » issus du Grenelle de l'environnement

En premier lieu, à l'issue de la séquence de concertation du Grenelle de l'environnement en 2009, une liste de 507 captages dits « prioritaires » a été établie au niveau national, pour lesquels une démarche spécifique de protection doit être initiée. Les Conférences environnementales pour la transition écologique de 2013 ont porté ce nombre à 1 100 « captages prioritaires », correspondant aux points de prélèvement des eaux destinées à la consommation humaine les plus menacés par les pollutions diffuses.

Ces captages, désignés au terme d'une démarche de concertation locale, ont vocation à bénéficier d'un programme d'actions préventives, à destination des exploitants agricoles et propriétaires fonciers, visant à reconquérir la qualité de leurs eaux.

Cependant, le constat d'une difficulté à mettre en oeuvre les programmes d'actions s'est rapidement imposé, avec des retards par rapport à l'ambition originelle et des questionnements quant aux programmes d'actions22(*). Ainsi, en 2015, une part importante des AAC Grenelle ne mobilisait pas le dispositif ZSCE, malgré son caractère recommandé : à cette date, seuls 21 % de ces AAC disposaient d'un arrêté mobilisant un programme d'actions.

b) Les plans Écophyto

En complément de cette approche fondée sur la protection d'un périmètre regardé comme pertinent, le Gouvernement a mis en oeuvre une stratégie fondée sur la réduction des usages. Depuis son introduction en 2008, le Plan Écophyto a constitué le principal outil d'action et d'accompagnement visant à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires dans l'agriculture.

Le premier plan Écophyto s'était fixé l'objectif de réduire l'usage de ces produits de 50 % d'ici 2018. Face à des résultats qui ne correspondaient pas à la trajectoire esquissée, le Plan Écophyto 2, présenté en 2015, a repoussé l'objectif de réduction à 2025, avec une cible intermédiaire de 25 % d'ici 2020. Ce plan a ensuite évolué en Écophyto 2+, complétant le plan initial avec des mesures visant à réduire la dépendance aux pesticides. La Stratégie Écophyto 2030, publiée le 6 mai 2024, se fixe comme objectif une diminution de 50 % de l'utilisation et des risques des produits phytopharmaceutiques à l'horizon 2030 par rapport à la période 2011-2013. Elle réaffirme notamment la réduction des usages et des risques des produits phytopharmaceutiques sur les aires d'alimentation des captages d'eau potable. À ce jour, la stratégie Écophyto ne priorise cependant aucune action spécifique dédiée à la protection des captages d'eau potable.

Ces réajustements successifs d'objectifs et de calendrier illustrent la difficulté de réduire les usages sans changement d'approche des systèmes agricoles ni accompagnement de la collectivité vers de nouvelles pratiques et cultures, qui constituent pour l'agriculteur des prises de risques en termes de rendement et de revenu. Les plans Écophyto ont fait l'objet d'une évaluation exhaustive par une mission interministérielle23(*), qui a notamment relevé que « les ressources mobilisées pour le plan Écophyto (643 millions d'euros en 2019) sont bien supérieures à celles du seul programme financé par la redevance pour pollutions diffuses (41 millions d'euros au niveau national et 30 millions d'euros au niveau régional), mais ne peuvent à elles seules contrebalancer certaines orientations des politiques agricoles nationales et européennes. La gouvernance stratégique du plan n'est pas suffisamment concentrée sur la mise en cohérence des politiques publiques et pèche encore par l'insuffisance d'évaluations validées par un conseil scientifique ».

Les plans Écophyto reposent en effet principalement sur des outils de communication, de formation et de promotion des bonnes pratiques agricoles. Cette approche d'ensemble a été complétée par le retrait de certaines substances dangereuses et des mesures réglementaires au niveau européen et national. Les plans Écophyto démontrent qu'il est difficile, mais possible, de réduire l'utilisation des produits phytosanitaires tout en maintenant les revenus agricoles, en particulier à travers le développement de l'agriculture biologique.

Cependant, ainsi que l'a souligné l'association Amorce en réponse au questionnaire du rapporteur, la massification de ces pratiques et des démarches de substitution aux produits phytosanitaires reste un défi majeur. Les dispositifs d'accompagnement des agriculteurs ont montré des solutions viables, mais n'ont pas toujours atteint les objectifs de réduction fixés. C'est pourquoi il apparaît essentiel de consacrer une attention particulière à la gouvernance des programmes, à la mise en oeuvre opérationnelle et à la gestion financière. La FNCCR, de son côté, a estimé que les plans Écophyto constituent une initiative louable mais qui reste en marge de l'organisation de l'activité agricole française : ils ne sont en effet pas intégrés dans la sélection et la planification des cultures, les modes de production et la qualité du produit final.

c) Le « Plan eau »

Le plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau, dit « Plan eau », présenté le 30 mars 2023 prévoit quant à lui deux mesures spécifiques aux captages d'eau potable : la mesure 23, qui vise à ce que tous les captages soient dotés d'un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE) et la mesure 28, qui prévoit de systématiser, en cas de dépassement des exigences de qualité fixées pour les eaux destinées à la consommation humaine par un pesticide toujours utilisé, la prise par le préfet de mesures d'application obligatoires permettant de juguler le risque, complémentaires au plan de gestion déjà établi.

d) La feuille de route en faveur de l'amélioration de la qualité de l'eau par la protection de nos captages

La dernière stratégie en date visant à agir sur la qualité des eaux brutes pour protéger la qualité de la ressource est la Feuille de route 2025 en faveur de l'amélioration de la qualité de l'eau par la protection de nos captages, copilotée par les ministères chargés de l'environnement, de l'agriculture et de la santé.

Cette stratégie, présentée en mars dernier24(*), vise trois objectifs principaux : identifier avec précision les aires de captage sensibles sur lesquels cibler les efforts ; sécuriser en priorité ces captages menacés, en agissant là où l'impact est le plus significatif ; accompagner collectivités, agriculteurs et industriels avec des solutions adaptées et graduées, pour leur permettre d'adopter des pratiques plus durables.

C'est au groupe national captage25(*) qu'il revient de préciser les modalités opérationnelles de mise en oeuvre de la stratégie, devant aboutir à la rédaction d'un guide de gestion des risques établissant les lignes directrices de l'action de protection, à destination des préfets. Cette approche, déjà prévue par la stratégie Écophyto et le Plan Eau, vise à garantir une gestion cohérente, efficace et adaptée aux réalités locales. Le groupe national captage, qui a commencé ses travaux le 23 mai dernier, a vocation à définir les critères permettant d'apprécier la situation captage par captage (niveau de contamination, historique, etc.), les mesures de gestion associées et l'accompagnement possible des agriculteurs et des collectivités.

La ministre de la transition écologique a indiqué qu'un financement de 6,5 millions d'euros, issus de la stratégie Écophyto 2030, serait dédié à la délimitation des aires d'alimentations des captages. Les montants à mobiliser sont en effet significatifs : le coût de l'opération de délimitation, qui nécessite l'expertise d'un hydrogéologue, est estimé à 50 000 euros par captage.

Un arrêté Captages sensibles, déterminant les paramètres et seuils pour la définition des points de prélèvement considérés comme sensibles, a vocation à être publié d'ici la fin d'année. Il clôturera la séquence de concertation et d'identification, avant la phase de mise en oeuvre des mesures à compter de 2026.

En conclusion, force est de reconnaître que la lutte efficace et transformatrice contre les pollutions diffuses est encore devant nous. Lors de l'audition des agences de l'eau par le rapporteur, les directrices générales d'Artois-Picardie et d'Adour-Garonne ont avancé plusieurs raisons susceptibles d'expliquer l'insuffisance des mesures législatives et des stratégies initiées, qui doivent nourrir la réflexion du législateur et des pouvoirs publics pour surmonter cet échec collectif, dont le coût repose sur l'ensemble de la société :

- les pressions agricoles, domestiques et industrielles ne sont pas correctement suivies et leurs évolutions restent donc largement inconnues ;

- le décalage entre le temps de réponse des nappes et la durée des plans d'actions invisibilise l'atteinte des résultats ;

- l'évolution et le nombre de substances actives utilisées comme pesticides complexifient le suivi et le traitement par les services publics de l'eau ;

- l'insuffisante prise en compte d'une dimension « filière » contraint l'échelle d'action pertinente ;

- le réseau d'acteurs publics et privés intervenant en matière de conseil agricole est dense et les discours ne sont pas toujours harmonisés ;

- la difficulté de mobiliser les acteurs sur la seule base du volontariat rend complexe l'atteinte des seuils d'action transformatrice.

II. La promotion d'une logique préventive pour réduire la contamination de l'eau par les pollutions diffuses et limiter les traitements de potabilisation

Face aux difficultés récurrentes et à l'absence de résultats tangibles des politiques publiques relatives à la protection des aires de captage, la présente proposition de loi envisage d'initier un tournant préventif plus marqué, en partant du constat qu'une approche s'appuyant exclusivement sur une démarche curative est vouée à l'échec.

Les filières de traitement sont en effet énergivores et coûteuses à l'installation comme à l'entretien, d'autant plus que de nouvelles substances, que l'on mesure de mieux en mieux grâce aux progrès de la connaissance scientifique, peuvent ne pas être neutralisées par les technologies mises en place et renchérir des coûts de traitement déjà élevés.

Conformément aux obligations européennes sur le fondement de la directive-cadre sur l'eau, la directive Nitrates et la stratégie sur l'usage raisonné des pesticides, une politique ambitieuse de protection de la ressource en eau à la source, plus économe en moyens, est souhaitable : il est donc pertinent que les pouvoirs publics s'efforcent systématiquement de promouvoir une approche et des mesures qui s'inspirent de cette logique préventive.

C'est la raison pour laquelle l'article 1er de la présente proposition de loi instaure, au sein de l'article L. 211-2 du code de l'environnement consacré aux règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles et souterraines, une interdiction de l'utilisation et du stockage des produits phytosanitaires au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages et la même interdiction pour les engrais minéraux au sein des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates, à compter du 1er janvier 2031.

La mise en oeuvre de mesures préventives et de restriction à la source, les plus rationnelles au regard de leurs effets et de leur coût, nécessite cependant un changement d'échelle et d'approche. Les services publics d'eau et d'assainissement ainsi que les acteurs de la lutte contre les pollutions diffuses devront faire preuve de pédagogie, car il faut bien souvent une dizaine d'années avant d'observer des résultats concrets sur la qualité de l'eau.

Les mesures préventives n'ont en effet pas un effet immédiat d'amélioration de la qualité de l'eau : citons à titre d'exemple le cas de l'atrazine, interdite d'utilisation en 2003, dont on commence seulement à ne plus retrouver la molécule ou ses métabolites dans les eaux souterraines. En effet, si certaines nappes présentent des temps de réaction rapides, avec un renouvellement sur une dizaine d'années, pour d'autres le renouvellement peut être supérieur à une trentaine d'années, voire plus, ce qui accroît d'autant la durée nécessaire à l'élimination des substances présentes dans les nappes.

Le rapporteur fait également le constat que le nombre de captages à protéger, la répartition des compétences entre les multiples acteurs de l'eau, l'expertise et les moyens humains nécessaires ainsi que les blocages territoriaux rencontrés rendent l'objectif de protection des captages d'eau potable particulièrement complexe à atteindre.

C'est la raison pour laquelle l'auteure de cette proposition de loi, Mme Florence Blatrix Contat, a estimé qu'une interdiction programmée et séquencée selon une trajectoire déterminée par décret était la seule à même d'atteindre l'objectif, maintes fois annoncé et sans cesse différé, de reconquête de la qualité des eaux brutes destinées à la consommation humaine.

III. La position de la commission

La commission partage l'objectif porté par ce texte d'une action ambitieuse en faveur de la protection des aires de captage d'eau potable. Elle ne souscrit cependant pas à la méthode répressive proposée et estime que l'effort de reconquête de la qualité des eaux souterraines ne saurait reposer uniquement sur la profession agricole. Interdire sans accompagnement ni programme de transition des pratiques et des usages n'est ni souhaitable ni réaliste, d'autant que la surface agricole utile concernée par ces mesures est potentiellement très vaste.

L'approche doit être territorialement concertée, proportionnée aux risques identifiés, graduée et adaptée en fonction des situations locales et des contextes de pression sur la ressource en eau. Les actions à mettre en oeuvre par les pouvoirs publics doivent couvrir tout le champ depuis l'information et l'animation territoriale jusqu'à des actions plus coercitives, incontournables face à certains risques, mais circonscrites aux territoires à enjeux.

En outre, si les pollutions diffuses agricoles représentent aujourd'hui la majeure partie des pollutions diffuses, il ne faut pas occulter le fait qu'elles ne sont pas les seules et que les enjeux des PFAS26(*) et pollutions industrielles deviennent de plus en sensibles, comme l'ont montré les travaux de la commission lors de l'examen de la loi visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées27(*).

En dépit des efforts du rapporteur pour circonscrire le périmètre d'application de l'interdiction aux zones les plus sensibles et sa volonté d'instaurer des mécanismes contractuels et volontaristes associant les gestionnaires de l'eau et les agriculteurs, la commission a considéré que la répression n'était pas la voie à privilégier et qu'il était prématuré de légiférer au moment où le Gouvernement engageait le chantier de la protection des captages, dans le cadre du groupe national captages qui réunit l'ensemble des acteurs de l'eau.

La commission souligne que ce sont la pédagogie, l'anticipation et surtout l'accompagnement, notamment financier grâce à des outils comme les paiements pour services environnementaux (PSE) et les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), qui doivent contribuer à l'évolution des pratiques et à la transformation des modèles agricoles afin de permettre de mieux protéger les ressources en eau, même si les moyens dédiés à ces mécanismes financiers sont aujourd'hui largement insuffisants.

Pour ces raisons, la commission n'a pas adopté l'article 1er.

Article 2
Régime des sanctions pour violation de l'interdiction de stocker
et d'utiliser des produits phytosanitaires au sein de certaines zones

Cet article prévoit une sanction spécifique en cas de non-respect de l'interdiction d'utilisation et de stockage des produits phytosanitaires au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages, ainsi que des engrais minéraux dans les zones vulnérables aux pollutions par les nitrates : une amende de 75 000 euros et une peine d'emprisonnement n'excédant pas deux ans.

Par cohérence avec la position qu'elle a exprimée à l'article 1er, la commission n'a pas adopté l'article 2, dans la mesure où cet article ne fait que prévoir un régime de sanction en cas de violation de l'interdiction prévue à l'article 1er.

I. Les captages d'eau potable sont protégés par des dispositions relevant de la police aussi bien administrative que judiciaire

Le respect des règles relatives au stockage et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques est contrôlé par les services régionaux de l'alimentation (SRAL), qui effectuent les contrôles phytosanitaires au sein des exploitations agricoles. Quant aux installations industrielles de fabrication et de stockage d'engrais, amendements et supports de culture à partir de matières organiques, elles sont contrôlées par les inspecteurs des installations classées.

En cas de non-respect des servitudes instaurées dans le cadre des périmètres de protection, il est loisible au préfet de prononcer des sanctions administratives, de différentes natures : mise en demeure, consignation, exécution d'office, suspension ou suppression de l'activité ainsi qu'amende administrative assortie d'une astreinte journalière.

Des sanctions pénales sont également susceptibles d'être prononcées en cas de commission des infractions suivantes à proximité des points de captage d'eau potable :

- toute infraction aux dispositions prévues dans un périmètre de protection est sanctionnée par une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (article L. 1324-3 du code de la santé publique) ;

- la dégradation des installations et la pollution des eaux captées sont passibles d'une amende de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (article L. 1324-4 du code de la santé publique).

II. L'établissement d'un régime de sanction pénale en cas de non-respect de l'interdiction nouvelle prévue par la proposition de loi

Cet article prévoit de rattacher la peine venant sanctionner la violation de l'interdiction instaurée à l'article 1er, prohibant l'utilisation et le stockage de produits phytosanitaires et d'engrais minéraux au sein de certaines zones, à la sanction prévue à l'article L. 216-6 du code de l'environnement.

Cet article traite des peines encourues par le fait de jeter, déverser ou laisser s'écouler dans les eaux superficielles et souterraines, une ou des substances dont l'action ou les réactions entraînent, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune, ou des modifications significatives du régime normal d'alimentation en eau ou des limitations d'usage des zones de baignade : celles-ci s'élèvent à deux ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende.

Ce même quantum des peines est prévu en cas de violation de l'interdiction et de non-respect de la trajectoire de réduction de l'utilisation et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux fixée par décret.

III. La position de la commission

Malgré la dépénalisation des sanctions et la forte diminution du montant de l'amende proposées par le rapporteur, la commission estime que ce quantum des peines pose un problème de cohérence dans l'échelle des sanctions et pourrait potentiellement constituer une source d'exaspération, et ce alors que la crise agricole n'est pas surmontée et que les motifs de la colère des agriculteurs n'ont pas disparu.

En cohérence avec les recommandations qu'elle a formulées dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation de la loi de 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité28(*), la commission plaide pour l'établissement d'une panoplie de sanctions administratives mieux proportionnées aux atteintes à l'environnement en fonction de leur gravité. À ce titre, la peine d'emprisonnement de deux ans lui a semblé manifestement excessive, même s'il s'agit d'un plafond qui n'est presque jamais prononcé par le juge.

Le Gouvernement a récemment annoncé le lancement d'une mission de revue des normes et des échelles des peines afin d'adapter les réponses pénales aux enjeux, tout en améliorant la lisibilité et la compréhension des normes au sein du code de l'environnement, sous l'égide du Premier ministre. Dès lors, toute création de nouvelle infraction environnementale susceptible de sanctionner des pratiques agricoles sans accompagnement dédié serait prématurée.

Pour ces raisons, la commission n'a pas adopté l'article 2.


* 2 Fleuves, rivières, canaux, lacs et barrages.

* 3 Chiffre extrait du « Bilan environnemental de la France - Édition 2024 » publié par le ministère de la transition écologique. Les usages des 37 795 captages actifs se décomposent de la façon suivante : adduction collective publique : 32 549, adduction collective privée : 3 369 ; activité agroalimentaire : 1 373, eau conditionnée : 275 ; usage thermal : 229.

https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/la-pollution-des-eaux-superficielles-et-souterraines-en-france-extrait-du-bilan-environnemental

* 4 Les autres motifs concernent la rationalisation des réseaux de production et de distribution (23,9 %), des problématiques administratives (15 %), des débits de production trop faibles (8,7 %), des dégradations ou une vétusté trop importante des équipements (7 %) ou l'impossibilité d'assurer la protection de la ressource (5,4 %). La cause de l'abandon n'est pas connue pour 4,6 % des cas.

* 5 Hydrocarbures, sulfates, solvants, fer, manganèse, sélénium, fluorures et fluor, etc.

* 6 Il s'agit d'un réseau de distribution dans lequel la qualité de l'eau est réputée homogène.

* 7 Par exemple dans le rapport n° 928 (XVIIe législature) de Jean-Claude Raux, au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, sur la proposition de loi visant à protéger durablement la qualité de l'eau potable (12 février 2025) : « En France, les coûts de traitement liés à la pollution de l'eau potable par les pesticides et les engrais azotés minéraux sont estimés entre 750 millions et 1,3 milliard d'euros par an. »

L'instruction du Gouvernement du 5 février 2020 relative à la protection des ressources en eau des captages prioritaires utilisés pour la production d'eau destinée à la consommation humaine, dans sa partie enjeux, évoque ainsi que « Fermer des captages contaminés ou traiter l'eau ne constituent pas des solutions pertinentes. Le coût estimé du traitement induit par ces pollutions pour rendre l'eau potable est en effet compris entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros par an. La priorité doit donc être donnée à la protection des captages. »

Une étude du CGDD de 2015 évalue les coûts moyens à 50 000 euros pour l'étude préalable, 200 à 500 k€ par kilomètre de canalisation pour des travaux d'interconnexion et 250 k€ pour la mise en oeuvre d'un dispositif de traitement de l'eau, auquel il faut ajouter le coût d'exploitation et le coût d'évacuation des éluats.

* 8 Soit un coût supplémentaire sur la facture d'eau entre 36 à 48 € par an pour un foyer moyen dont la consommation annuelle est de 120 m3.

* 9 Ainsi que l'a relevé la Cour des comptes dans son rapport public thématique de juillet 2023, La gestion quantitative de l'eau en période de changement climatique, page 37.

* 10 Article 7 de la directive (UE) 2020/2184 du Parlement européen et du conseil du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (refonte).

* 11 La directive a été transposée en droit interne par l'ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

* 12 Conformément à l'article 6 de l'arrêté du 3 janvier 2023 relatif au plan de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau réalisé de la zone de captage jusqu'en amont des installations privées de distribution.

* 13 Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.

* 14 Directive du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (91/676/CEE).

* 15 Article 10 : « Le décret déclarant d'utilité publique le captage d'une source pour le service d'une commune déterminera, s'il y a lieu, en même temps que les terrains à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection contre la pollution de ladite source. Il est interdit d'épandre sur les terrains compris dans ce périmètre des engrais humains et d'y forer des puits sans l'autorisation du préfet. »

* 16 Loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.

* 17 Loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau.

* 18 Le rapporteur déplore l'incohérence des chiffres relatifs au nombre de captages, qui varient sensiblement entre les différents ministères et directions centrales chargées, à un titre ou un autre, du suivi de mesures de protection des captages. Dans l'impossibilité de se livrer à un travail de consolidation des données, il réutilise les indications qui lui ont été fournies en réponse aux questionnaires qu'il a envoyés, en formant le voeu que les ordres de grandeur soient corrects.

* 19 Ruissellement, drainage, fossés d'écoulement, échanges entre nappes alluviales et cours d'eau.

* 20 Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Le droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine est créé par son article 118.

* 21 Article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.

* 22 M. Ménard, X. Poux, S. Lumbroso, D. Zakeossian, J.-P. Housse , L. Guichard, P. Steyaert, C. Billy et C.Gascuel-Odoux. Captages Grenelle : où en est-on de la protection contre les pollutions diffuses ? Comment aller plus loin ? Onema, 2015, Collection Comprendre pour agir.

* 23 IGEDD, CGAAER et IGF, rapport sur l'évaluation des actions financières du programme Écophyto mars 2021, publié en octobre 2022, consultable à l'adresse suivante :

https://agriculture.gouv.fr/telecharger/137 766

* 24 Le dossier de presse est consultable à l'adresse suivante :

https://www.ecologie.gouv.fr/presse/ameliorer-qualite-leau-protection-nos-captages

* 25 Le groupe national captage est une instance nationale interministérielle, chargé du suivi et du partage des démarches nationales de protection des captages d'eau potable. Il est composé des acteurs impliqués dans cette thématique : représentants des collectivités, des producteurs d'eau, du monde agricole, des associations de préservation de l'environnement, des services de l'État et de ses établissements publics, etc.

* 26 Substances per- et polyfluoroalkylées.

* 27 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-514.html

* 28 https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-777-notice.html

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