B. LE PARADOXE DES « CONSOMMATIONS NÉGATIVES » MET EN LUMIÈRE L'UTILISATION DE PROCÉDURES BUDGÉTAIRES INACCEPTABLES
Les conséquences de l'utilisation de méthodes budgétaires inacceptables ont atteint leur comble en 2024.
Le montant des crédits consommés sur l'aide à la rénovation énergétique des logements privés est ainsi, en 2024, négative à hauteur de - 38,2 millions d'euros, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, alors qu'aucun décaissement n'était prévu7(*).
Cette « consommation négative » est une fiction comptable résultant du versement en une seule fois, en 2023, de la totalité du reliquat de crédits de paiement dus sur la base des engagements effectivement consommés sur le budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) dans le cadre du plan de relance. Or il est apparu, a posteriori, que ce versement avait été trop élevé, certaines opérations ayant été annulées, d'où un rétablissement de crédits de 38,2 millions d'euros effectué par l'Agence sur le programme 362.
De même, l'Agence de services et de paiement (ASP) a rétabli 82,7 millions d'euros de crédits versés en excédent par le programme 364 au titre de dispositifs relevant du ministère du travail et de l'emploi.
Les « consommations négatives » sont nombreuses sur d'autres lignes budgétaires, généralement en autorisations d'engagement à cause de retraits d'engagement, pour des montants parfois très élevés.
Les retraits d'engagement juridique et les rétablissements de crédits
Le recueil des règles de comptabilité budgétaire de l'État indique qu'« un retrait d'engagement peut être réalisé pour ajuster l'engagement à la réalité de la dépense »8(*). La Cour des comptes recense trois situations pouvant entraîner un retrait d'engagement9(*) :
- un projet ayant réalisé le soutien de l'État via le plan de relance peut avoir connu une réalisation incomplète, comme c'est le cas du dispositif « Industrie du futur » ;
- des crédits excédentaires peuvent avoir été versés à un opérateur par rapport aux besoins : il y a dans ce cas rétablissement de crédits sur les programmes de la mission ;
- les règles d'engagement spécifiques à certains dispositifs peuvent postuler un niveau d'engagement juridique structurellement supérieur à celui constaté en pratique.
Source : commission des finances
Sur le dispositif « Industries du futur », porté par le programme 363 « Compétitivité », 200 millions d'euros d'engagement ont été retirés en raison d'un taux de chute de 23 %, soit parce que les projets ont été abandonnés ou n'ont pas respecté les conditions de la subvention (nature de l'investissement ou délais de réalisation), soit parce que la subvention à octroyer était moins importante que prévu car le projet n'était que partiellement éligible.
Un tel taux de chute devrait attirer l'attention de l'administration sur la manière dont l'aide a été conçue. Le comité d'évaluation du plan de relance avait déjà porté une appréciation mitigée sur ce dispositif, considérant qu'il avait davantage financé la modernisation d'équipements que le passage à une véritable rupture technologique. En outre, les bénéficiaires étaient des entreprises déjà avancées technologiquement avant le lancement du plan de relance.
Les consommations négatives les plus importantes concernent l'action 02 « Jeunes » du programme 364 « Cohésion », où elles s'élèvent à 1 015 millions d'euros en autorisations d'engagement et 138 millions d'euros en crédits de paiement. Ce montant provient de ce que le rapport annuel de performances appelle des « opérations de nettoyage » conduites auprès de l'ASP, opérateur en charge d'aides portées par cette action, qui a abouti à des désengagements massifs portant principalement sur le dispositif d'aide exceptionnelle à l'apprentissage.
Ces consommations négatives résultent donc d'un surfinancement initial, mais aussi du mécanisme financier retenu pour la mise en oeuvre du plan de relance : non seulement l'instruction des demandes d'aide, mais aussi leur paiement a été délégué à des opérateurs, ce qui oblige l'État à verser a priori un certain montant estimatif qui doit ensuite être ajusté en fonction du besoin réel. Un paiement direct depuis le budget de l'État n'aurait certainement pas présenté une même complexité pour le suivi budgétaire.
Enfin, une autorisation d'engagement d'une année précédente, si elle est retirée, ne permet pas au gestionnaire de programme de la réutiliser au titre de l'année en cours10(*).
Toutefois, la Cour des comptes note un cas où des crédits auraient dû être rétablis sur le programme 363. Le Centre national du cinéma (CNC) a bénéficié, en 2021, d'une enveloppe de 165 millions d'euros au titre de ce programme, mais les versements opérés par l'État dans le cadre de la crise sanitaire se sont révélés largement supérieurs aux prévisions de dépenses et ont contribué à un accroissement de sa trésorerie. La Cour estime qu'un rétablissement de crédits d'un montant de 48,5 millions d'euros devrait dès lors être réalisé sans délai, indépendamment du prélèvement de 500 millions d'euros effectué par la loi de finances initiale pour 2025 sur le fonds de roulement du CNC11(*), lequel tendait à reprendre les excédents de trésorerie accumulés par l'opérateur depuis 2017.
Ces consommations négatives sont probablement beaucoup plus visibles du fait que les consommations « positives », surtout en autorisations d'engagement, sont absentes sur la plupart des lignes budgétaires et qu'il ne peut donc y avoir de compensation des unes par les autres.
Ces exemples montrent combien la présentation des crédits de cette mission échoue à informer réellement le Parlement et des citoyens.
Cet échec ne provient pas d'un non-respect des règles de la comptabilité budgétaire, mais de la nature même de la mission et des modalités de gestion des crédits retenus dès l'origine. Il est donc temps d'en tirer les conséquences et de mettre enfin un terme à la mission « Plan de relance ».
* 7 Projet annuel de performances relatif à la mission « Plan de relance », annexé au projet de loi de finances pour 2024.
* 8 Direction du budget, Recueil des règles de comptabilité budgétaire de l'État, section IV. A.2.3.3, janvier 2023.
* 9 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire relative à la mission « Plan de relance », annexée au projet de loi de règlement pour 2024.
* 10 Article 160 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP).
* 11 VII de l' article 125 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.