- L'ESSENTIEL
- I. UN TEXTE MAL PRÉPARÉ, MASSIVEMENT
REJETÉ PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE
- II. UNE NAVETTE QUI SE POURSUIT, MALGRÉ
L'IMPOSSIBILITÉ DE PARVENIR À UN ACCORD ENTRE L'ASSEMBLÉE
NATIONALE ET LE SÉNAT ET EN DÉPIT DES ENGAGEMENTS PRIS PAR
LE GOUVERNEMENT
- III. LA POSITION DE LA COMMISSION : REJETER
À NOUVEAU UNE PROPOSITION DE LOI PROBLÉMATIQUE ET
ÉLABORÉE DANS LA PRÉCIPITATION
- I. UN TEXTE MAL PRÉPARÉ, MASSIVEMENT
REJETÉ PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE
- EXAMEN EN COMMISSION
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 836
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juillet 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) sur la proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant
à réformer le
mode d'élection des
membres du conseil de
Paris et des conseils
municipaux de Lyon
et de
Marseille,
Par Mme Lauriane JOSENDE,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Première lecture : 451, 1247 rect. et T.A. 98
Commission mixte paritaire : 1618
Nouvelle lecture : 1487, 1656 et T.A. 161 |
Première lecture : 532, 648, 649 et T.A. 132 (2024-2025)
Commission mixte paritaire : 769 et 770 (2024-2025)
Nouvelle lecture : 829 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Lors de son examen en première lecture, la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, déposée par le député Sylvain Maillard et plusieurs de ses collègues, avait été massivement rejetée par le Sénat, avec 218 voix contre la réforme envisagée.
Les travaux menés par la rapporteure ainsi que le dialogue conduit avec les élus locaux concernés par la proposition de réforme avaient en effet mis en lumière les nombreuses difficultés que présentait le texte, tant constitutionnelles que pratiques ou financières, ainsi que les lourdes carences du dispositif proposé. Limité à la seule question du mode de scrutin, il n'abordait pas le sujet pourtant fondamental des compétences.
Pour toutes ces raisons, le texte ne pouvait être amélioré et avait donc été rejeté, en commission comme en séance publique.
À la suite de l'échec de la commission mixte paritaire convoquée par le Gouvernement et de la nouvelle lecture intervenue à l'Assemblée nationale, la commission a constaté qu'aucune des difficultés soulevées par la rapporteure lors de l'examen en première lecture n'avait été résolue - un seul amendement substantiel ayant été adopté à l'initiative du Gouvernement, lors de l'examen en séance publique, pour aligner la prime majoritaire applicable à l'élection des conseillers communautaires sur celle prévue pour l'élection des conseillers municipaux ou de Paris.
Compte tenu du caractère toujours contestable de la réforme proposée et des difficultés que celle-ci provoquerait, la commission a par conséquent rejeté cette proposition de loi.
I. UN TEXTE MAL PRÉPARÉ, MASSIVEMENT REJETÉ PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE
A. UNE RÉFORME DU MODE DE SCRUTIN EN VIGUEUR À PARIS, LYON ET MARSEILLE, QUI PRÉSENTE DE TROP NOMBREUSES DIFFICULTÉS
La réforme proposée du mode de scrutin en vigueur à Paris, Lyon et Marseille, qui conduirait à l'organisation de deux scrutins distincts pour l'élection, d'une part, des conseillers d'arrondissement, et d'autre part, des conseillers municipaux (ou conseillers de Paris) apparaît problématique à tous égards, comme l'a jugé la commission des lois du Sénat en première lecture.
Le dispositif proposé présente d'abord un risque constitutionnel réel, en ce que la prime majoritaire de 25 %, dérogatoire au droit commun, créerait une rupture d'égalité avec les autres communes, sans qu'aucune raison objective ne vienne justifier la différence de traitement. Par ailleurs, l'organisation simultanée de deux voire trois scrutins différents - l'un d'arrondissement, l'autre municipal, auquel s'ajoutent les élections métropolitaines à Lyon - risquerait de porter atteinte à l'intelligibilité voire à la sincérité du scrutin.
Sur un plan pratique, la réforme envisagée se révèlerait presque impossible à mettre en oeuvre, tant d'un point de vue matériel (bureaux de vote supplémentaires, achat d'urnes et de panneaux d'affichage, distribution de la propagande électorale etc.) qu'au regard des moyens humains nécessaires, alors qu'il est de plus en plus difficile de mobiliser suffisamment d'assesseurs et de présidents de bureaux de vote.
Le caractère tardif de la réforme - alors que la période pré-électorale débutera en septembre - est susceptible de causer d'importantes difficultés, comme l'ont reconnu, lors de leur audition par la rapporteure, les services du ministère de l'intérieur. De tels délais ainsi raccourcis « sont de nature à fragiliser la capacité des pouvoirs publics à organiser ces scrutins dans des conditions matérielles satisfaisantes ».
La réforme irait ensuite à l'encontre de la volonté des électeurs, attachés à l'échelon de proximité, puisque la dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d'arrondissement pourrait conduire à une absence totale de représentation de certains arrondissements au conseil central.
Enfin, la proposition de loi serait coûteuse pour les finances publiques (plus de 15 millions d'euros), alors que la situation budgétaire apparaît particulièrement dégradée. Par ailleurs, compte tenu de la proximité des prochaines échéances électorales, elle s'accompagnerait d'importantes difficultés de mise en oeuvre, notamment pour la gestion des comptes de campagne.
B. UNE RÉFORME MASSIVEMENT REJETÉE PAR LE SÉNAT
Les nombreuses difficultés soulevées par la réforme envisagée ont conduit le Sénat à la rejeter massivement lors de son examen en première lecture.
Ainsi, la proposition de loi a d'abord été rejetée à l'unanimité par la commission des lois, suivant ainsi l'avis de la rapporteure, qui a dénoncé à cette occasion une réforme « mal préparée, sans aucune concertation, [qui] pose des difficultés multiples, tant sur le plan juridique que d'un point de vue pratique, financier et politique » et appelé à la constitution d'une mission d'information visant à élaborer, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes, une réforme globale du statut de ces trois villes.
De même, lors de l'examen en séance publique, le scrutin public organisé sur l'article 6 de la proposition de loi et valant vote d'ensemble sur le texte a donné lieu à un rejet massif, avec 218 voix contre et seulement 97 voix pour.
II. UNE NAVETTE QUI SE POURSUIT, MALGRÉ L'IMPOSSIBILITÉ DE PARVENIR À UN ACCORD ENTRE L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE SÉNAT ET EN DÉPIT DES ENGAGEMENTS PRIS PAR LE GOUVERNEMENT
A. L'IMPOSSIBILITÉ DE PARVENIR À UN ACCORD ENTRE LES DEUX CHAMBRES
Convoquée le mardi 24 juin 2025, la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à élaborer un texte de compromis sur la réforme du mode de scrutin applicable à Paris, Lyon et Marseille.
Les échanges entre les deux rapporteurs à cette occasion, qui se sont tenus dans un état d'esprit constructif, ont permis d'évoquer plusieurs propositions d'évolution pour répondre aux objections formulées par le Sénat, avec en particulier l'exclusion de Lyon du champ de la réforme et la désignation des maires d'arrondissement comme membres de droit des conseils municipaux des trois villes, afin d'y garantir la représentation de chaque arrondissement.
Ces suggestions ne sont toutefois pas apparues de nature à emporter l'adhésion du Sénat, compte tenu des multiples difficultés qui perdureraient et de la fragilité des solutions proposées.
En particulier, l'intégration des maires d'arrondissement comme membres de droit des conseils municipaux, seule proposition concrète transmise à la rapporteure, aurait pour effet d'intégrer des membres désignés automatiquement - et non pas des membres élus - au conseil municipal, ce qui semble aller à l'encontre du principe de la libre administration des collectivités territoriales. Ce principe implique en effet que les collectivités territoriales s'administrent par un conseil élu au suffrage universel direct ou indirect. Comme précisé à cet égard par le professeur de droit public André Roux, « si la Constitution n'exige pas que l'élection soit assurée au suffrage universel direct, elle interdit évidemment l'institution d'organes délibérants composés en partie de membres élus et en partie de membres nommés1(*) ».
De plus, la mise en oeuvre de cette proposition pourrait poser des difficultés opérationnelles en ce qu'elle conduirait à l'introduction d'un effectif variable au sein des conseils municipaux.
Certains maires d'arrondissement pourraient en effet être élus directement conseillers municipaux, dans le cas où ils figureraient à la fois sur une liste pour le conseil d'arrondissement et sur une liste pour le conseil municipal. Dans ce cas, ils siégeraient au conseil municipal en tant que conseiller municipal et ne seraient donc pas nommés en tant que « membre de droit » dans ce conseil.
Les autres maires d'arrondissement, qui n'auraient pas souhaité se présenter parallèlement sur une liste pour le conseil central ou qui n'auraient pas été élus, seraient quant à eux nommés « membres de droit ». Leur nombre, qui varierait en fonction du nombre de maires d'arrondissement déjà élus conseillers municipaux, s'ajouterait donc à l'effectif initial du conseil municipal.
La mise en oeuvre de cette proposition conduirait en outre à faire coexister plusieurs sources de légitimité au sein d'un même organe délibérant. Certains membres seraient en effet élus à l'échelle de la commune, tandis que les membres de droit seraient élus au sein de chaque arrondissement. La coexistence de ces différentes sources de légitimité serait susceptible de créer des difficultés - comme l'avait du reste déjà estimé la commission des lois en 2019, lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires, en notant, à propos d'un dispositif qui aurait conduit à faire coexister au sein des conseils communautaires plusieurs catégories de délégués de communes, « les difficultés que pourrait occasionner un tel système où les différents membres du conseil communautaire puiseraient leur légitimité à des sources différentes2(*) ».
Enfin, cette solution ne résoudrait pas l'ensemble des autres difficultés posées par la proposition de loi et exposées précédemment3(*), ni la question de la représentativité des arrondissements les plus peuplés au conseil municipal.
Toutes ces raisons ont par conséquent empêché la commission mixte paritaire d'aboutir à un compromis sur l'évolution du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille.
B. PASSANT OUTRE LA VOLONTÉ DU SÉNAT, LE GOUVERNEMENT A PRIS LA DÉCISION, DE POURSUIVRE LA NAVETTE PARLEMENTAIRE, EN DÉPIT DE SES ENGAGEMENTS RÉITÉRÉS
Malgré l'impossibilité pour la commission mixte paritaire de parvenir à un accord sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, le Gouvernement a décidé de poursuivre la navette et d'inscrire le texte en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, puis au Sénat.
Ce faisant, le Premier ministre François Bayrou a renié les engagements pris précédemment. Comme la présidente de la commission des lois du Sénat l'a rappelé le 25 juin dernier, lors de la séance des questions au Gouvernement, il s'était en effet engagé à ne pas passer outre l'avis de la chambre des territoires, et avait indiqué que « seul le Parlement sera souverain - pas le Gouvernement ! Je n'imagine pas qu'un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu'un accord soit trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat4(*) ».
Cet engagement avait été réitéré par le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, Patrick Mignola, le 3 juin dernier, lors de l'examen de la proposition de loi en séance publique. Il avait en effet déclaré, à cette occasion, s'agissant d'une éventuelle poursuite de la navette parlementaire, que « le Gouvernement va prendre une décision en concertation avec les deux assemblées et les groupes parlementaires qui les composent. C'est forcément une décision collective5(*) ».
Toutefois, reniant ses engagements, le Gouvernement a décidé de poursuivre l'examen de la proposition de loi.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION : REJETER À NOUVEAU UNE PROPOSITION DE LOI PROBLÉMATIQUE ET ÉLABORÉE DANS LA PRÉCIPITATION
A. L'EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI EN NOUVELLE LECTURE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE N'A RÉSOLU AUCUNE DES DIFFICULTÉS POSÉES PAR LE DISPOSITIF PROPOSÉ
Examinée en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale le 2 juillet 2025 en commission et le 7 juillet 2025 en séance publique, la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille n'a fait l'objet que d'une seule modification substantielle adoptée à l'initiative du Gouvernement, afin d'aligner la prime majoritaire applicable à l'élection des conseillers communautaires sur celle prévue pour l'élection des conseillers municipaux ou conseillers de Paris.
Aucune des difficultés posées par la réforme envisagée et pourtant rappelées à plusieurs reprises par la rapporteure, au cours de ses échanges avec son homologue député, n'a donc été résolue en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.
B. UNE RÉFORME QUI NE PEUT QU'ÊTRE À NOUVEAU FERMEMENT REJETÉE PAR LA COMMISSION DES LOIS
Par cohérence avec la position déjà exprimée en première lecture et constatant la persistance des innombrables écueils déjà identifiés à cette occasion, la commission n'a pu que rejeter la proposition de loi.
Réitérant ses observations précédentes, la rapporteure a à nouveau appelé à la conduite préalable d'une réflexion de fond sur le fonctionnement institutionnel de ces trois villes, en concertation avec les élus locaux, afin d'élaborer une réforme globale et réfléchie, abordant la question du mode de scrutin mais également celle de la répartition des compétences.
Dans un contexte de crise des vocations électorales, il ne peut être envisagé de procéder, à la va-vite, à une réforme touchant aux collectivités territoriales, sans consultation ni prise en compte des attentes exprimées par les élus locaux - sous peine d'aggraver le malaise grandissant ressenti par une large majorité des élus locaux.
*
* *
La commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons le rapport de notre collègue Lauriane Josende sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, en nouvelle lecture.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Il y a un peu plus d'un mois, le Sénat rejetait massivement la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, par 218 voix contre et seulement 97 voix pour, en raison des nombreuses difficultés posées par la réforme envisagée, qui a été élaborée sans concertation avec les élus locaux concernés et que certains ici ont qualifié de réforme « ni faite ni à faire ».
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des problèmes présentés par cette proposition de loi, car je les ai déjà longuement exposés lors de nos débats, au cours de la première lecture.
À la suite du rejet pourtant très net du texte par le Sénat, le Gouvernement a annoncé son souhait de convoquer une commission mixte paritaire (CMP), dans l'espoir que le Sénat et l'Assemblée nationale parviennent à un accord.
À cette occasion, j'ai longuement échangé avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, dans un esprit plutôt constructif. Face aux nombreuses difficultés mises en lumière par le Sénat durant l'examen du texte en première lecture, mon homologue député a formulé plusieurs propositions visant à résoudre certaines d'entre elles. Il a ainsi proposé, d'une part, d'écarter Lyon du champ de la réforme, compte tenu des difficultés particulièrement importantes qu'y poserait son application - en raison des élections métropolitaines et donc de l'organisation de trois scrutins simultanés -, et, d'autre part, de prévoir que les maires d'arrondissement soient membres de droit du conseil municipal, afin d'éviter que certains arrondissements n'y soient pas représentés et soient privés de la possibilité de relayer les difficultés rencontrées sur leur territoire auprès de l'instance décisionnaire de la collectivité.
Ces propositions ne m'ont toutefois pas parues de nature à emporter l'adhésion du Sénat. Elles ne résolvaient pas, en effet, l'ensemble des difficultés posées par la proposition de loi, loin s'en faut, qu'il s'agisse du problème de la rupture d'égalité avec les autres communes, en raison de l'application d'une prime majoritaire dérogatoire de 25 %, du risque d'atteinte à la lisibilité du scrutin, du coût financier ou encore des problèmes pratiques d'organisation de plusieurs élections en même temps.
En outre, ces propositions m'apparaissaient particulièrement fragiles juridiquement. Je pense notamment à l'intégration de droit des maires d'arrondissement au sein des conseils municipaux. L'objet de cette proposition était certes louable - éviter une déconnexion entre la mairie centrale et les arrondissements -, mais elle est de nature à faire coexister, au sein de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale, des membres élus à l'échelle des communes et des membres désignés - même s'ils sont élus à l'échelle de leur arrondissement -, ce qui paraît particulièrement sensible au regard de la libre administration des collectivités territoriales. Les conflits de légitimité qui auraient pu découler de la coexistence de deux catégories de membres auraient également pu créer de nouvelles difficultés.
Dans ces conditions, il ne nous a pas été possible de proposer un texte de compromis aux membres de la CMP, laquelle n'a donc pas pu trouver d'accord sur ce texte.
À la suite de cette CMP non conclusive, le Gouvernement a annoncé son souhait de poursuivre la navette parlementaire et d'inscrire le texte en nouvelle lecture, avant la fin de la session extraordinaire.
Je regrette profondément ce que l'on peut qualifier de passage en force, alors même que le Gouvernement s'était engagé à ne pas persévérer dans cette voie en cas de désaccord entre les deux assemblées.
Interrogé en séance à ce sujet par Mathieu Darnaud le 19 février dernier, lors d'une séance de questions au Gouvernement, le Premier ministre François Bayrou s'était en effet engagé à ne pas passer outre l'avis de la chambre des territoires et avait répondu : « [...] seul le Parlement sera souverain - pas le Gouvernement ! Je n'imagine pas qu'un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu'un accord soit trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat. »
Cet engagement avait été par la suite réitéré par Patrick Mignola, ministre chargé des relations avec le Parlement, lors de l'examen au Sénat en première lecture de la présente proposition de loi. Interrogé sur la question d'une éventuelle poursuite de la navette parlementaire, celui-ci avait indiqué que le Gouvernement prendrait une décision « en concertation avec les deux assemblées et les groupes parlementaires qui les composent » et qu'il s'agirait « forcément [d']une décision collective ».
Force est aujourd'hui de constater qu'aucun de ces engagements n'a été tenu, puisque le Gouvernement a décidé de convoquer une CMP sans aucune concertation avec le Sénat, et qu'il a ensuite décidé d'inscrire cette proposition de loi en nouvelle lecture, malgré l'absence d'accord trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat !
Au vu de ces éléments, je ne peux que vous inviter à rejeter à nouveau la proposition de loi que nous examinons ce jour.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, aucune des difficultés évoquées dans mon rapport n'a été résolue depuis la première lecture et la réforme demeure donc toujours contestable à tous égards.
Seul un amendement substantiel a été adopté à l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, afin d'aligner la prime majoritaire pour l'élection des conseillers communautaires sur celle qui est prévue pour l'élection des conseillers municipaux, ce qui laisse les autres problèmes évoqués sans réponse.
De plus, les élus locaux concernés, qui sont quasi unanimement opposés à la réforme envisagée n'ont, en dépit de mon alerte, toujours pas été consultés par ceux qui soutiennent cette proposition de loi et qui sont aujourd'hui tentés de passer outre le rejet pourtant massif du Sénat.
En conséquence, il ne me semble toujours pas acceptable, pour la chambre des territoires, d'accepter une réforme qui touche les collectivités territoriales, mais qui a été construite sans consulter les élus locaux ni prendre en compte leurs attentes.
Compte tenu de ces éléments, je vous invite donc à rejeter la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour ce rapport, qui n'est pas surprenant puisqu'il s'inscrit dans la droite ligne de celui que nous avons adopté en première lecture.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cet épisode parlementaire restera un modèle de dysfonctionnement et de bricolage : un texte écrit à la va-vite, sans concertation, sans avis juridique, sans étude d'impact. La rédaction du texte a évolué au fur et à mesure, au gré de rédactions improvisées, qui n'ont cessé de changer. Les propositions du rapporteur de l'Assemblée nationale ont varié dans le temps ; certaines ont été avancées, puis retirées, voire contestées par ceux-là mêmes qui les avaient adoptées.
Or, il s'agit d'un texte important puisqu'il concerne 3,5 millions de Français. Certains estimaient, de manière très péjorative, que notre position était uniquement motivée par des calculs électoraux, mais si tel était le cas, tous les maires d'arrondissement, de droite comme de gauche, à Paris, ne seraient pas opposés à cette proposition de loi !
Ce texte est mal conçu ; son examen a mal commencé, et il a été débattu dans de mauvaises conditions, mais finalement il sera adopté par l'Assemblée nationale. Voilà qui suscite des interrogations sur la place dévolue au Sénat.
Il est troublant de constater que la parole du Premier ministre ne vaut rien : les propos qu'il a tenus dans l'hémicycle, lors de la séance des questions au Gouvernement, en répondant au président du groupe majoritaire au Sénat, Mathieu Darnaud, n'ont pas de valeur. Tout cela est totalement incompréhensible. Est-ce parce que le Gouvernement ne se prête qu'une durée de vie assez courte ?
Comme notre rapporteure l'a rappelé, les versions du texte n'ont cessé de changer.
Durant la CMP, le rapporteur de l'Assemblée nationale avait proposé d'instaurer une nouvelle catégorie de membres au sein du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, qui aurait été constitué de membres de droit. Cette proposition n'a pas été retenue par la CMP. Curieusement, elle n'a pas été renouvelée par le rapporteur lors de l'examen du texte en nouvelle lecture en commission, à l'Assemblée nationale. Cependant, un amendement en ce sens a été déposé par le Gouvernement en séance, lequel a été déclaré irrecevable pour des raisons de procédure... Le ministre chargé des relations avec le Parlement s'est trompé dans la procédure parlementaire. C'est un comble ! Voilà qui résume tout ce qui s'est passé lors de l'examen de ce texte.
Dans la version adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, il n'est donc pas prévu que les maires d'arrondissement soient membres de droit du conseil municipal. Une évolution toutefois a eu lieu : la prime majoritaire appliquée pour l'élection des conseillers de Paris et des conseillers municipaux de Lyon et Marseille a été ramenée à 25 %. Cela change tout le temps, il faut suivre le feuilleton ! Voilà en tout cas qui nous éloigne encore un peu plus du droit commun, dont il fallait pourtant, nous disait-on, se rapprocher. Au conseil de Paris et dans les conseils municipaux de Lyon et de Marseille, des conseillers communautaires, qui auront été désignés d'une certaine manière, coexisteront donc avec d'autres conseillers, qui auront été désignés d'une autre manière...
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) fait preuve de constance. Nous avons ainsi déposé trois amendements, afin d'exclure Paris et Lyon du champ de la réforme, et de ramener la prime majoritaire à 50 % pour l'élection des conseillers municipaux ainsi que pour celle des conseillers communautaires.
J'ai par ailleurs été choquée d'entendre dire, notamment de la part de certains membres du Gouvernement, que le Sénat avait « torpillé » la CMP. Ce n'est pas du tout vrai ! Alors que notre présidente Muriel Jourda avait ouvert la discussion, nul n'a souhaité prendre la parole. Dès lors, faute de combattants, Muriel Jourda a clôturé la réunion. Il n'y a donc pas eu de torpillage de la CMP.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale a aussi indiqué, lors de la CMP, qu'après avoir mené des consultations, il avait constaté que l'organisation de trois scrutins simultanés à Lyon, en raison de la tenue des élections métropolitaines le même jour que les élections municipales, ne serait finalement pas un problème. J'ai vérifié auprès des élus concernés. Le maire de Lyon et le président de la métropole de Lyon, m'ont confirmé qu'ils n'avaient absolument pas changé d'avis sur ce point.
Le groupe SER votera le texte si ses amendements sont adoptés, sinon, nous voterons contre.
Mme Isabelle Florennes. - Le groupe Union Centriste est également constant. Dans leur grande majorité, ses membres voteront ce texte.
M. Francis Szpiner. - Il est sidérant qu'un Premier ministre puisse mentir sciemment à la représentation nationale. Si les extrêmes progressent, c'est bien parce que les politiques ne tiennent pas parole et que la parole publique ne vaut plus rien.
Je déplore la volonté du Gouvernement de vouloir forcer les choses sur une réforme qui n'était pas d'actualité et que ni les Parisiens, ni les Lyonnais, ni les Marseillais ne réclamaient. Certains affirment que 91 % des Français sont favorables à cette proposition de loi, mais c'est parce qu'on leur a dit, de manière tout à fait mensongère, que les Parisiens, les Lyonnais et les Marseillais allaient pouvoir enfin élire directement leur maire. Or c'est faux !
Politique ne doit pas rimer avec mensonge. Je suis écoeuré par ce qui s'est passé à l'occasion de l'examen de ce texte. L'auteur de la proposition de loi n'a pas tenu compte des demandes de la présidente de l'Assemblée nationale et du président du Sénat de saisir pour avis le Conseil d'État. Ce n'est pas une bonne manière de faire. On ne peut pas légiférer comme cela.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à exclure Paris et Lyon du champ de la réforme. J'émets un avis défavorable. Les difficultés que soulève le texte sont également valables pour Marseille. Comme je l'ai indiqué en première lecture, une telle réforme ne peut s'envisager que dans le cadre d'une révision globale du statut de ces trois villes, qui aborderait non seulement la question du mode de scrutin, mais également celle des compétences.
M. Francis Szpiner. - Lorsque la loi du 31 décembre 1982 portant modification de certaines dispositions du code électoral relatives à l'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille a été adoptée, les circonstances permettaient de traiter les trois villes ensemble. Aujourd'hui, ces trois villes n'ont plus rien de commun ni en ce qui concerne leur gouvernance ni en ce qui concerne leur évolution institutionnelle : Lyon a le statut de métropole ; Marseille est une métropole de fait ; et Paris est également un département. Il n'est donc pas absurde que chaque ville dispose d'un statut particulier.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'amendement COM-2 prévoit l'application d'une prime majoritaire de 50 % pour l'élection des conseillers municipaux. L'application d'une prime majoritaire dérogatoire de 25 % est certes problématique, mais il ne s'agit pas de la seule difficulté existante. Le Sénat a rejeté le texte dans son ensemble, compte tenu des innombrables difficultés qu'il soulève. Avis défavorable.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
L'article 1er n'est pas adopté.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à rétablir une prime majoritaire de 50 % pour l'élection des conseillers communautaires. Pour les mêmes raisons que précédemment, j'émets un avis défavorable.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
L'article 1er bis n'est pas adopté.
Article 1er ter, 2, 3, 4, 5 et 6
Les articles 1er ter, 2, 3, 4, 5 et 6 ne sont pas adoptés.
M. Olivier Bitz. - Jean-Michel Arnaud m'a indiqué qu'il souhaitait voter pour l'adoption de cette proposition de loi.
À titre personnel, je m'abstiendrai. Je demeure réservé sur ce texte, dont on parle finalement assez peu dans l'Orne...
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
Mme de LA GONTRIE |
1 |
Exclusion de Paris et de Lyon du champ de la réforme |
Rejeté |
Mme de LA GONTRIE |
2 |
Prime majoritaire de 50 % pour l'élection des conseillers municipaux |
Rejeté |
Article 1er bis |
|||
Mme de LA GONTRIE |
3 |
Prime majoritaire de 50 % pour l'élection des conseillers communautaires |
Rejeté |
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-532.html
* 1 André Roux, « Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales », Revue française de droit administratif, 1992, n° 3, pp. 435-452.
* 2 Rapport n° 470 (2018-2019) du 30 avril 2019 de Dany Wattebled sur la proposition de loi tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires.
* 3 Rapport n° 648 (2024-2025) du 21 mai 2025 de Lauriane Josende sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.
* 4 Sénat, Compte rendu intégral, Séance du mercredi 19 février 2025, JORF n° 24 S. du 20 février 2025, pp. 3049-3050.
* 5 Sénat, Compte rendu intégral, Séance du 3 juin 2025, JORF n° 62 S. du 4 juin 2025, p. 6169.