II. SOUSCRIVANT À LA NÉCESSITÉ DE REPORTER LES ÉLECTIONS AUX ASSEMBLÉES DE PROVINCE ET AU CONGRÈS DE NOUVELLE-CALÉDONIE AFIN DE PERMETTRE AUX DISCUSSIONS DE SE POURSUIVRE SUR LA BASE DE L'ACCORD DE BOUGIVAL ET SOULIGNANT LE RESPECT DES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES, LA COMMISSION A ADOPTÉ LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
A. LE REPORT DES ÉLECTIONS AUX ASSEMBLÉES DE PROVINCE ET AU CONGRÈS DE NOUVELLE-CALÉDONIE : UNE DÉROGATION AUX PRINCIPES DÉMOCRATIQUES RENDUE NÉCESSAIRE PAR LE CONTEXTE DE LA SIGNATURE DE L'ACCORD DE BOUGIVAL
Reporter un scrutin - et a fortiori pour la troisième fois de suite - est assurément une décision lourde de conséquences sur le plan démocratique : la légitimité des élus dont le mandat est prolongé s'en trouve en effet affectée.
Pour autant, la commission s'est montrée favorable au report proposé, le jugeant justifié par un but d'intérêt général, d'une part, et conforme aux exigences constitutionnelles, d'autre part.
Dès lors que l'accord signé à Bougival prévoit une nouvelle composition du Congrès et des assemblées de province, ainsi qu'un élargissement du corps électoral spécial pour leur élection, et que ces évolutions institutionnelles - nécessitant une révision constitutionnelle - ne pourront être effectives avant la date prévue en l'état du droit pour les élections aux assemblées de province et au Congrès, soit le 30 novembre 2025 au plus tard, il est nécessaire, afin de permettre la mise en oeuvre de l'accord, de reporter les élections en question. Comme l'a estimé le Conseil d'État dans son avis rendu le 4 septembre 2025 sur la proposition de loi organique, un tel report est ainsi justifié par un but d'intérêt général12(*).
Le projet de loi constitutionnelle devant traduire ces évolutions a été adopté en conseil des ministres le jour même de la réunion de la commission13(*).
Une telle réforme est indispensable pour parvenir au dégel du corps électoral, comme l'a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC du 19 septembre 2025.
Le gel du corps électoral spécial : une disposition jugée conforme à la Constitution, « sans préjudice » de modifications ultérieures
Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevant l'inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi organique du 19 mars 1999 relatives au corps électoral « gelé » pour les élections provinciales, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision n° 25-1163/1167 QPC du 19 septembre 2025, que le gel du corps électoral résulte des dispositions transitoires inscrites dans la Constitution elle-même, au dernier alinéa de son article 77. En conséquence, les dispositions contestées ne sauraient être jugées contraires à la Constitution.
Cette décision est « sans préjudice des modifications qui pourront être apportées aux dispositions transitoires définissant ce corps électoral, dans le cadre du processus d'élaboration de la nouvelle organisation politique prévue au point 5 de l'accord de Nouméa, pour tenir compte des évolutions de la situation démographique de la Nouvelle-Calédonie et atténuer ainsi l'ampleur qu'auront prises avec l'écoulement du temps les dérogations aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage ».
Surtout, les rapporteurs soulignent que l'accord signé à Bougival peut assurément être qualifié d'historique en ce qu'il offre enfin à l'ensemble de la population calédonienne, après quatre années d'impasse institutionnelle provoquée par le dernier référendum du 12 décembre 2021, la perspective de la concorde civile par l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel pour la Nouvelle-Calédonie. De l'avis majoritaire des représentants politiques entendus par les rapporteurs en audition, il redonne espoir et confiance en l'avenir aux habitants de Nouvelle-Calédonie.
C'est pourquoi, selon les rapporteurs, l'accord de Bougival constitue une base précieuse de discussion qu'il s'agit à présent d'approfondir et de préciser, en poursuivant les échanges avec l'ensemble des parties prenantes, y compris - et surtout - avec celles qui ont pu prendre, depuis le 12 juillet dernier, leurs distances par rapport au document signé ce jour-là. Convaincues que le consensus doit être au fondement de tout accord, les rapporteurs soulignent la nécessité de poursuivre les négociations. À cet égard, le report des élections permettra également de donner davantage de temps pour compléter, préciser et amender, si nécessaire, l'accord signé à Bougival.
Par ailleurs, les rapporteurs estiment que le report proposé respecterait l'exigence constitutionnelle d'exercice, par les électeurs, de leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable. Il est vrai que la durée cumulée de report des élections de vingt-cinq mois constituerait un précédent en matière de report d'élections.
Toutefois, les rapporteurs partagent l'analyse du Conseil d'État selon laquelle, « dans [c]es circonstances très particulières », liées notamment à la signature de l'accord de Bougival, la présente proposition de loi organique « ne paraît pas manifestement inappropriée à l'objectif qu'elle vise » 14(*).
Suivant l'avis des rapporteurs, la commission a par conséquent jugé que le report des élections poursuivait un but d'intérêt général et ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle.
* 12 Notant que la proposition de loi organique « vise à permettre la mise en oeuvre de l'" accord sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie " signé à Bougival le 12 juillet 2025, lequel prévoit notamment une nouvelle composition du Congrès et des assemblées de province ainsi qu'un élargissement du corps électoral spécial pour leur élection », le Conseil d'État a en effet estimé « qu'en proposant un nouveau report des élections provinciales, la proposition de loi organique poursuit un but d'intérêt général » (avis n° 409959 du 4 septembre 2025).
* 13 Transmis le 2 septembre au Conseil d'État, le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie devait initialement être présenté en conseil des ministres le 17 septembre 2025.
* 14 Point 5 de l'avis n° 409959 du 4 septembre 2025.