CHAPITRE
II
TERRITORIALISER LE TROISIÈME CYCLE
DES ÉTUDES DE
MÉDECINE
Article 4
Territorialisation des procédures de
répartition des postes d'internat
et d'affectation des internes
Cet article vise à améliorer la procédure de fixation du nombre de postes d'internat, par spécialité et par subdivision territoriale, en hiérarchisant les critères applicables et en prévoyant l'existence d'une procédure de concertation préalable destinée à évaluer, notamment, les besoins de santé des territoires et les besoins prévisionnels du système de santé. Il vise également à territorialiser l'internat en prévoyant que la procédure d'affectation des étudiants doit permettre aux deux tiers d'entre eux d'accéder au troisième cycle dans la région dans laquelle ils ont validé le deuxième cycle.
La commission a adopté cet article modifié par deux amendements.
I - Le dispositif proposé
A. Les procédures d'affectation des internes et de fixation du nombre de postes à pouvoir
1. Les procédures de fixation du nombre de postes et d'affectation des internes
· Le caractère national de la procédure d'affectation en troisième cycle de médecine est ancien.
La loi de 2002 de modernisation sociale85(*) et un décret de 200486(*) ont substitué à l'ancien concours de l'internat de spécialité, qui coexistait avec le résidanat de médecine générale, des épreuves classantes nationales (ECN) applicables à l'ensemble des étudiants.
L'affectation de ces derniers en qualité d'interne, dans chacune des disciplines et dans chacun des centres hospitaliers universitaires (CHU), dépendait de leur choix et de leur rang de classement à ces épreuves nationales.
· Ce dispositif a, depuis, été profondément réformé sans, toutefois, remettre en cause le principe d'une affectation des internes à l'échelle nationale.
La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (OTSS) de 201987(*) et un décret de 202188(*) ont, ainsi, substitué aux ECN une procédure nationale d'appariement dématérialisée, fondée sur trois éléments dont la pondération peut varier en fonction des spécialités choisies89(*) :
- des épreuves nationales, anonymes et dématérialisées d'évaluation des connaissances90(*) ;
- des examens cliniques objectifs structurés (ECOS), ayant vocation à vérifier que l'étudiant a acquis un niveau clinique suffisant91(*) ;
- le parcours de formation et le projet professionnel des intéressés.
· La procédure de fixation du nombre de postes d'internes à pourvoir a, dans le même temps, été progressivement renforcée. Le nombre d'étudiants de troisième cycle susceptibles d'être affectés par spécialité et par subdivision est, désormais, fixé annuellement par arrêté en fonction de la situation de la démographie médicale, des besoins de santé des territoires et des besoins prévisionnels du système de santé ainsi que des capacités de formation92(*). La liste des 28 subdivisions territoriales, qui peuvent comprendre un ou plusieurs centres hospitaliers universitaires (CHU)93(*), est fixée par un arrêté de septembre 201794(*).
Un arrêté de juillet 202595(*) a, ainsi, réparti pour l'année universitaire 2025-2026 les 8 607 postes d'internat ouverts - hors contrat d'engagement de service public - entre les 44 spécialités médicales et 28 subdivisions territoriales.
Ce nombre est fixé sur la base des propositions de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), établies à l'issue de concertations régionales96(*). D'après le ministère, « Le nombre de postes d'internes tient ainsi compte des besoins exprimés par les ARS, des caractéristiques démographiques nationales et régionales et du nombre de candidats ayant validé le 2e cycle des études de médecine et étant classés à l'issue des ECN »97(*).
2. La question de la « territorialisation » de l'internat et de l'adaptation du nombre de postes aux besoins de santé
· Intervenant à la fin des études de médecine, à un âge où les étudiants construisent les bases de leur vie future, le lieu d'internat figure parmi les principaux déterminants du choix du lieu d'exercice.
La Cour des comptes relève ainsi que 72 % des médecins généralistes et 69 % des médecins des autres spécialités décideraient de s'installer là où ils ont suivi leur troisième cycle de formation98(*).
L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a mesuré, de son côté, que la moitié des médecins généralistes libéraux ayant débuté leur internat entre 2004 et 2007 exercent en 2019 à moins de 43 kilomètres à vol d'oiseau de l'université dans laquelle ils ont effectué leur internat99(*).
L'Insee a également étudié les effets respectifs du lieu de naissance et du lieu d'internat sur le lieu d'exercice. Il relève que, dans la mesure où le choix de l'université d'internat et de la spécialité se font par ordre de classement aux épreuves nationales, cela « contraint certains médecins à une mobilité géographique vers une région dans laquelle ils ne souhaitent pas initialement s'installer. » Toutefois, l'Insee observe que « la période de l'internat est structurante dans la vie d'un médecin » : « âgé entre 25 et 30 ans, l'interne tisse son premier réseau professionnel, reçoit ses premiers salaires et est susceptible de nouer des liens affectifs dans sa région de l'internat. »
En conséquence, selon l'Insee, l'expérience de l'internat est « susceptible de modifier [les] préférences initiales et de mener l'étudiant à choisir de finalement exercer dans sa région d'affectation. » Autrement dit, un étudiant désirant initialement exercer dans sa région d'origine peut être amené à changer d'avis lorsque, contraint de changer de région au stade du troisième cycle, il a construit ailleurs le début de sa vie professionnelle et personnelle.
Il a, ainsi, été mesuré qu'une augmentation d'un point de pourcentage de la part des internes en médecine générale affectés à une université serait associée, en moyenne, à une augmentation de 0,4 point de pourcentage de la part de généralistes libéraux issus de ces promotions installés douze ans plus tard dans la zone de l'université100(*).
· En conséquence, la question d'une déconcentration, ou d'une « territorialisation » de la procédure d'affectation des internes de médecine, pour fidéliser les étudiants à leur territoire de formation, apparaît de manière récurrente dans le débat public.
Dès 2010, le rapport dit « Hubert » sur la médecine de proximité, remis au Président de la République, propose d'instituer un examen classant interrégional pour favoriser l'enracinement des étudiants dans leur région et lutter ainsi contre les déserts médicaux. Élisabeth Hubert observe qu'il « est aisé de constater l'attachement des étudiants à leur région dès lors que leur famille y est installée, et qu'ils y ont effectué toutes leurs études secondaires et universitaires. »101(*)
En 2013, afin de tenir compte de la « propension des médecins à s'installer dans la région où ils ont fait leurs études », le Sénat a adopté, lors de la première lecture du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur, un amendement d'Hervé Maurey transformant les ECN en épreuves classantes interrégionales102(*). Cette initiative a suscité, toutefois, une vive opposition des organisations étudiantes. L'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) a notamment déclaré craindre « l'inefficacité de ce mode de répartition des internes », ainsi qu'une « perte d'égalité des chances »103(*).
Si cette réticence est affirmée avec constance par les associations étudiantes, plusieurs organisations médicales se sont, ces dernières années, prononcées en faveur d'une territorialisation du troisième cycle. Dans sa contribution à la Grande conférence de santé de 2016, la Conférence des doyens de faculté de médecine plaidait ainsi « pour une régionalisation de tout ou partie des ECN dont le programme comme les modalités d'évaluation seraient définis au plan national »104(*).
Dans un rapport récent sur la formation médicale initiale, l'Académie nationale de médecine se prononce pour une « proportion de régionalisation de l'internat ». Elle observe que, dans le système actuel, les étudiants choisissent en priorité la spécialité qui a leur préférence, acceptant de se former « dans une subdivision par défaut avec généralement l'intention de la quitter dès le terme de leur formation ». En conséquence, l'Académie souligne que « Pour contribuer à résoudre la question des déserts médicaux, il apparaît souhaitable de favoriser la possibilité pour un interne de se former à la spécialité de son choix, dans sa région de coeur, celle au sein de laquelle il a grandi (...) et a débuté ses études de médecine », sans « supprimer la prime au mérite qui conditionne en grande partie le maintien d'une élite médicale qui contribue au progrès ». Elle propose de faire bénéficier aux étudiants d'un « coefficient de pondération » destiné à favoriser leur affectation locale105(*).
B. L'article 4 vise à améliorer les procédures de fixation du nombre de postes et de répartition des internes pour mieux répondre aux besoins de santé
L'article 4 apporte plusieurs modifications aux procédures de fixation du nombre de postes d'internat et d'affectation des internes, afin de mieux répondre aux besoins de santé et de favoriser la fidélisation des étudiants à leur territoire.
1. Sur la procédure de fixation du nombre de postes d'internat
L'article 4 vise, d'abord, à préciser et renforcer la procédure de fixation du nombre de postes d'internat. Il modifie, pour ce faire, l'article L. 632-2 du code de l'éducation relatif au troisième cycle des études de médecine.
Le 1° complète, d'abord, l'article L. 632-2 du code de l'éducation en élevant au niveau législatif des dispositions aujourd'hui portées par le code de l'éducation au niveau réglementaire106(*), prévoyant que le nombre de postes d'internat, par spécialité et par subdivision territoriale, est arrêté en fonction de la situation de la démographie médicale dans les différentes spécialités, des besoins de santé des territoires, des besoins prévisionnels du système de santé et des capacités de formation en stage et hors stage. Les critères de fixation des capacités d'accueil en deuxième et troisième année de premier cycle sont, en comparaison, définis par la loi107(*).
En cohérence avec la solution retenue par le législateur pour le numerus apertus, le 1° de l'article 4 hiérarchise ces critères en précisant que les trois premiers doivent être pris en compte prioritairement.
Enfin, le a du 2° de l'article précise que la fixation du nombre de postes, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, doit intervenir au terme d'une procédure de concertation destinée à évaluer, notamment, les besoins de santé des territoires et les besoins prévisionnels du système de santé.
2. Sur la procédure d'affectation des internes
Le 1° de l'article 4 complète également l'article L. 632-2 du code de l'éducation pour prévoir que la procédure d'affectation des étudiants ayant satisfait aux exigences des épreuves nationales doit permettre aux deux tiers d'entre eux d'accéder au troisième cycle dans la région dans laquelle ils ont validé le deuxième cycle des études de médecine.
Le 1° de l'article et le b du 2° apportent, par ailleurs, diverses améliorations rédactionnelles aux dispositions de l'article L. 632-2 relatives à cette procédure d'affectation.
II - La position de la commission
· La commission soutient la volonté de la proposition de loi de préciser et renforcer la procédure de fixation du nombre de postes d'internat.
Affirmer la priorité de la prise en compte de la démographie médicale et des besoins territoriaux répond à la nécessité de lutter contre les inégalités territoriales et sociales d'accès aux soins et de mieux anticiper les besoins du système de santé.
Comme le relève le conseil national de l'ordre des médecins, qui salue cette hiérarchisation, cela implique de renforcer les capacités de formation et d'accueil en stage des étudiants, afin de préserver la qualité de formation et d'encadrement des internes.
La commission se félicite que l'existence d'une procédure de concertation soit confirmée au niveau législatif. Plusieurs acteurs demandent à être mieux associés à cette concertation.
Ainsi, la Fédération hospitalière française (FHF) appelle à « associer davantage les hôpitaux, les ARS et les territoires, afin que le nombre de postes répondent davantage aux enjeux de santé publique dans les territoires »108(*).
De même, la conférence nationale des présidents de commissions médicales d'établissement de centres hospitaliers (CMECH) souhaite être intégrée de façon systématique au processus, estimant que « les CME de centres hospitaliers sont insuffisamment associés aux décisions, alors qu'elles connaissent les besoins réels des territoires »109(*).
La commission juge indispensable la mise en place d'une procédure de concertation solide, permettant d'établir une estimation partagée des besoins dans les territoires.
· La commission est également favorable à une territorialisation partielle de l'internat à travers l'instauration d'un objectif national de deux tiers d'étudiants accédant au troisième cycle dans la région dans laquelle ils ont validé leur deuxième cycle.
Aujourd'hui, environ la moitié des étudiants choisit d'effectuer son internat dans la même région que son deuxième cycle, tandis que l'autre moitié l'effectue dans une autre région, soit par choix, soit par défaut, faute de places disponibles dans sa région d'origine. L'ONDPS indique ainsi qu'en 2023, 44 % des étudiants de deuxième cycle sont restés dans leur subdivision territoriale, 6 % sont partis de leur subdivision mais restés dans leur région, et 50 % ont changé de région110(*). La conférence des doyens de facultés de médecine précise que la majeure partie des changements de régions entre le deuxième et le troisième cycle est la conséquence d'un rang de classement insuffisant pour que l'étudiant obtienne la spécialité de son choix dans sa ville d'origine111(*).
Instaurer un objectif visant à augmenter aux deux tiers la proportion d'étudiants restant dans leur région d'origine favorisera la fidélisation des étudiants à leur territoire et permettra à un plus grand nombre d'étudiants souhaitant se maintenir dans leur région d'origine de le faire.
Compte tenu des études soulignant le lien entre la zone d'installation et le lieu de formation en deuxième et troisième cycles, cette disposition participera à la lutte contre les inégalités territoriales d'accès aux soins tout en préservant la liberté d'installation des médecins.
Cette mesure est notamment soutenue par les agences régionales de santé (ARS) interrogées par les rapporteurs et par France Université.
L'objectif national proposé par la proposition de loi laisse une grande marge de manoeuvre dans la définition des modalités de classement et d'affectation des étudiants. Celles-ci devront être définies par voie réglementaire, en tenant compte du fait que, pour certaines spécialités, des postes ne sont pas offerts annuellement dans l'ensemble des subdivisions territoriales. L'Académie nationale de médecine a, par exemple, récemment proposé de faire bénéficier les étudiants d'un « coefficient de pondération » destiné à favoriser leur affectation locale112(*). Si cette solution était retenue, l'existence et l'importance d'un tel coefficient dans le classement des étudiants pourrait dépendre de la spécialité ou du groupe de spécialités visés.
Afin de donner sa pleine portée à cette mesure, il importera de réduire le taux d'inadéquation entre le nombre d'internes et le nombre de postes mis à leur disposition mais aussi de territorialiser davantage les stages de second cycle, notamment au sein de centres hospitaliers périphériques, afin de faire découvrir aux étudiants l'ensemble des territoires et des modalités d'exercice.
En parallèle, la commission soutient également la valorisation du contrat d'engagement de service public (CESP) qui permet, au travers d'une allocation mensuelle, d'un accompagnement au cours de la formation et d'un soutien au moment de l'installation ou de la prise de fonctions, d'encourager de jeunes médecins à s'installer dans des lieux qui souffrent d'une offre de soins insuffisante ou de difficultés d'accès aux soins.
· Afin de laisser au Gouvernement et aux universités le temps de définir de nouvelles modalités d'affectation des internes par spécialité et par subdivision territoriale, la commission a adopté, à l'initiative des rapporteurs, un amendement COM-19 reportant à une date prévue par décret en Conseil d'État et, au plus tard, au 1er septembre 2027 l'entrée en vigueur des dispositions du présent article.
Par ailleurs, la commission a adopté un amendement COM-18 des rapporteurs procédant à des coordinations juridiques.
La commission a adopté cet article ainsi modifié
* 85 Article 60 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.
* 86 Décret n° 2004-67 du 16 janvier 2004 relatif à l'organisation du troisième cycle des études médicales.
* 87 Article 2 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.
* 88 Décret n° 2021-1156 du 7 septembre 2021 relatif à l'accès au troisième cycle des études de médecine.
* 89 Article R. 632-2-7 du code de l'éducation.
* 90 Article R. 632-2-1 du code de l'éducation.
* 91 Article R. 632-2-2 du code de l'éducation.
* 92 Article R. 632-2-6 du code de l'éducation.
* 93 Article R. 632-12 du code de l'éducation.
* 94 Arrêté du 18 septembre 2017 portant détermination des régions et subdivisions du troisième cycle des études de médecine et du diplôme d'études spécialisées de biologie médicale.
* 95 Arrêté du 30 juillet 2025 fixant le nombre d'étudiants de troisième cycle des études de médecine susceptibles d'être affectés, par spécialité et par subdivision territoriale, au titre de l'année universitaire 2025-2026.
* 96 Décret n° 2010-804 du 13 juillet 2010 relatif aux missions de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé.
* 97 Réponse du ministère de la santé et de la prévention à la question écrite n° 4672 de M. Fabrice Brun, publiée au Journal officiel du 26 septembre 2023.
* 98 Cour des comptes, L'accès aux études de santé : quatre ans après la réforme, une simplification indispensable. Communication à la commission des affaires sociales du Sénat, décembre 2024, p. 53.
* 99 Insee, « Les médecins généralistes libéraux s'installent souvent à proximité de leurs lieux de naissance ou d'internat », Insee Première, n° 2024, 12 novembre 2024.
* 100 Julien Silhol, « La répartition géographique des internes en médecine générale : un outil de régulation des lieux d'installation ? »
* 101 Élisabeth Hubert, mission de concertation sur la médecine de proximité, rapport remis au Président de la République le 26 novembre 2010, pp. 39 et 40.
* 102 Amendement n° 265 rect. bis de M. Hervé Maurey sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur, adopté par le Sénat en première lecture le 19 juin 2013.
* 103 « L'Anemf ne veut pas d'un internat interrégional », Le Quotidien du médecin, 24 juin 2013.
* 104 Propositions de la Conférence des doyens de faculté de médecine pour la Grande conférence de santé de 2016.
* 105 Académie nationale de médecine, La formation médicale initiale, 25 février 2025, p. 12.
* 106 Article R. 632-2-6 du code de l'éducation.
* 107 Article L. 631-1 du code de l'éducation.
* 108 Réponses écrites de la FHF au questionnaire transmis par les rapporteurs.
* 109 Réponses écrites de la CMECH au questionnaire transmis par les rapporteurs.
* 110 Réponses écrites de l'ONDPS au questionnaire transmis par les rapporteurs.
* 111 Réponses écrites de la conférence des doyens de facultés de médecine au questionnaire transmis par les rapporteurs.
* 112 Académie nationale de médecine, La formation médicale initiale, rapport adopté le mardi 25 février 2025, p. 12.