EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi. - Cette proposition de loi porte sur un sujet important, celui des inéligibilités. Elle propose de créer un registre relatif à quatre types d'inéligibilité : l'inéligibilité pénale, prononcée par le juge pénal dans le cadre d'une peine complémentaire et qui est inscrite au casier judiciaire ; l'inéligibilité prononcée par le juge administratif, qui est notifiée aux services du ministère de l'intérieur ; l'inéligibilité prononcée par le Conseil constitutionnel en tant que juge électoral - on note une hausse croissante du nombre de contentieux concernant les comptes de campagne - ; et l'inéligibilité liée à l'absence de capacité juridique pour les personnes placées sous tutelle ou sous curatelle. Le texte ne vise pas ici l'inéligibilité fonctionnelle, qui doit être traitée à part.
Environ 80 000 personnes par an sont déclarées inéligibles, la majeure partie d'entre elles étant placées sous tutelle ou sous curatelle. En 2024, 16 000 peines complémentaires d'inéligibilité ont été prononcées par le juge pénal.
L'objet de ce texte est de centraliser toutes ces informations éparses pour faciliter le contrôle des inéligibilités par les services qui enregistrent les candidatures aux différentes élections. Pour les prochaines élections municipales, le ministère de l'intérieur estime à 900 000 le nombre de candidats. Or les services préfectoraux indiquent qu'il est impossible d'obtenir, pour l'intégralité des candidats, le bulletin n° 2 dans le délai séparant le dépôt de la candidature de la délivrance du récépissé.
Je vous rappelle qu'une élection législative partielle a été annulée il y a quelques mois dans la deuxième circonscription du Jura entre le premier et le second tour, car l'un des candidats était sous curatelle renforcée. Sans compter les coûts supplémentaires engendrés par l'organisation d'une nouvelle élection, nos concitoyens ne sauraient comprendre cette faille administrative. C'est un mauvais coup porté à la confiance dans la vie démocratique. Voilà pourquoi il convient de renforcer la sincérité du scrutin.
Permettez-moi en conclusion de remercier le rapporteur pour la qualité de notre collaboration.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Je remercie Sophie Briante Guillemont d'avoir bien voulu nous présenter la proposition de loi qu'elle a déposée au début du mois de septembre dernier. Je tiens également à la remercier pour la qualité de nos échanges tout au long de nos travaux. Les amendements que je vous présenterai tout à l'heure ont ainsi reçu son approbation, conformément à la règle en vigueur pour l'examen des textes inscrits à l'espace réservé d'un groupe politique ; ils contribueront à assurer la pleine effectivité du dispositif qu'elle a élaboré.
Notre collègue a bien rappelé le contexte de cette proposition de loi, notamment le caractère difficilement acceptable, sur le plan démocratique, des annulations d'élections par le juge électoral pour des motifs d'inéligibilité qui auraient dû être identifiés lors du dépôt des candidatures. Il peut en effet sembler difficilement compréhensible aux yeux des citoyens qu'une personne qui a été déclarée inéligible par le juge pénal, ou bien qui l'est en conséquence d'une décision du juge des tutelles, puisse se porter candidate à une élection.
Mais, en pratique, il n'existe aujourd'hui pas d'instrument de contrôle systématique et automatique permettant de vérifier, dans les délais contraints d'enregistrement incombant aux préfectures, à savoir quatre jours pour remettre le récépissé définitif de candidature, qu'aucun candidat ne se trouve dans une situation d'inéligibilité.
Si le contrôle de l'éligibilité des candidats paraît fiable et maîtrisé - les services préfectoraux vérifient les documents fournis par les candidats -, il en va différemment du contrôle de l'absence d'inéligibilité, qui se heurte à des obstacles de nature essentiellement matérielle, mais également juridique ; j'y reviendrai ultérieurement. La logique à l'oeuvre à ce titre est celle du primat donné à la liberté de candidature, si bien que le contrôle est confié, pour l'essentiel, au juge des élections qui l'exerce donc a posteriori.
L'auteure de la proposition de loi a rappelé les quatre principaux motifs d'inéligibilité : celle résultant d'une condamnation pénale ; celle qui est prononcée par le juge électoral ; celle qui est liée à l'absence de capacité juridique ; et, enfin, l'inéligibilité fonctionnelle, qui, à la différence des trois autres motifs, est subjective et relative, et doit donc être traitée à part.
Dans l'ensemble, le contrôle a priori de l'absence d'inéligibilité demeure aujourd'hui restreint, en dépit de l'existence de quelques outils.
En ce qui concerne les inéligibilités judiciaires, le casier judiciaire national n'est pas équipé pour assurer une transmission automatisée des bulletins n° 2 (B2), qui mentionnent la peine d'inéligibilité, aux préfectures. Celles-ci sont donc obligées de les demander expressément et pour chaque candidat. Ainsi, sur plus de 900 000 candidatures aux élections municipales de 2020, seules 62 000 ont fait l'objet d'une demande de délivrance du B2 pour ne détecter, en fin de compte, qu'une seule inéligibilité. Le système actuel paraît donc très lourd et inadapté aux volumes à traiter, au regard à la fois du nombre de candidats et de la tendance à la hausse du nombre de peines complémentaires d'inéligibilité depuis la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, avec environ 16 000 condamnations en 2024.
L'administration tente, dans une certaine mesure, d'apporter des améliorations : la nouvelle application « B2 + », qui sera déployée par le ministère de la justice d'ici à la fin de l'année, devrait permettre aux préfectures d'obtenir plus facilement le B2. Toutefois, le contrôle ne sera ni systématique ni intégral ; les préfectures devront continuer à faire des requêtes distinctes, candidat par candidat.
C'est notamment cette situation qui a conduit la Cour des comptes à recommander, dans un rapport publié l'automne dernier, la mise en oeuvre d'un « répertoire » des personnes inéligibles construit à partir du casier judiciaire national, auquel auraient accès les autorités chargées d'examiner la recevabilité des candidatures aux élections.
Par ailleurs, il n'existe pas davantage de système d'information centralisé répertoriant les décisions de placement sous tutelle ou curatelle : le registre des mesures de protection des majeurs protégés, prévu par la loi du 8 avril 2024 dite loi « Bien vieillir », n'a en effet pas encore vu le jour.
Dans ce contexte, la proposition de Sophie Briante Guillemont de créer un fichier national des personnes inéligibles présente un intérêt évident, en tout premier lieu pour les services chargés d'enregistrer les candidatures : leur mission de contrôle de l'absence d'inéligibilité serait en effet grandement facilitée s'ils disposaient d'une base unique centralisant les données provenant de l'ensemble des juridictions à l'origine des décisions d'inéligibilité.
Je partage donc entièrement l'objectif poursuivi au travers de cette proposition de loi, et vous proposerai simplement des modifications visant à assurer l'efficacité, l'opérationnalité et la lisibilité du dispositif.
Comme l'a rappelé l'auteure du texte, le futur fichier aurait pour objet de recenser l'identité de l'ensemble des personnes ayant été déclarées inéligibles en conséquence d'une condamnation pénale ; d'une décision du juge électoral ; d'une décision du juge judiciaire prononçant une mesure de protection juridique d'une personne majeure à l'origine de la perte du droit d'éligibilité.
Ce périmètre apparaît pertinent dans la mesure où il se concentre sur les inéligibilités objectives dont l'absence peut être contrôlée de façon absolue. Je propose donc de le conserver.
S'agissant de la liste des informations qui figureraient dans le fichier pour chaque personne inéligible, il me semble qu'elle peut être modifiée sur deux points.
D'une part, certaines données - la nationalité, le domicile et le motif d'inéligibilité - sont sans lien avec la finalité du traitement. C'est pourquoi je propose de les supprimer, conformément aux principes de minimisation et de proportionnalité des données posés par le règlement général sur la protection des données (RGPD), ainsi que par la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
D'autre part, la liste actuelle ne permet pas de garantir l'identification univoque de la personne concernée : il convient de rajouter l'ensemble des prénoms ainsi que le lieu de naissance.
Comme je le soulignais, on ne peut qu'approuver le principe de la création d'une base de données relatives aux personnes inéligibles. Pour autant, la question des modalités techniques et budgétaires de sa mise en oeuvre se pose indéniablement.
À ce titre, le texte prévoit de confier la gestion du nouveau fichier au ministère de l'intérieur, tandis que son alimentation incomberait à d'autres juridictions. Le texte précise également la liste des personnes ou services autorisés à consulter le nouveau fichier.
Il me semble toutefois que l'ensemble de ces dispositions relatives aux modalités de gestion, d'alimentation et de consultation, relèvent davantage du règlement que de la loi. En particulier, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la détermination de l'autorité administrative compétente au sein de l'État pour exercer une attribution relève du pouvoir réglementaire. En l'espèce, il reviendra donc au Gouvernement de décider si la gestion du fichier doit être confiée au ministère de l'intérieur, au ministère de la justice, ou encore à l'Insee. C'est pourquoi je vous proposerai de resserrer les dispositions de la proposition de loi sur celles qui relèvent du champ strict de la loi.
Les auditions que nous avons menées ont mis en évidence la nécessité de développements informatiques conséquents ainsi que de moyens budgétaires supplémentaires pour mettre en place un tel fichier. Il serait hautement irréaliste de penser que le fichier pourrait être opérationnel dès les prochaines élections municipales, par exemple, ce qui n'a, du reste, jamais été l'intention de l'auteure de la proposition de loi. Il me semble néanmoins souhaitable de donner un horizon temporel à la mise en oeuvre de ce nouvel outil. Je vous propose de retenir la date du 31 décembre 2029, en vous rappelant que le répertoire électoral unique a vu le jour près de trois ans après la loi qui a prévu sa création.
Ces modifications me paraissent de nature à renforcer l'efficacité et l'opérationnalité du dispositif.
Je voudrais également aborder à ce sujet une question importante, celle de la portée des obligations législatives faites aux préfets s'agissant du contrôle a priori de l'éligibilité. Il s'agit de rendre obligatoire la consultation du fichier ainsi créé par les préfectures afin qu'elles ne puissent pas s'exonérer de leur obligation de contrôle.
Enfin, dans une optique de lisibilité du droit, je proposerai pour finir deux modifications de forme.
S'agissant du choix d'insertion dans le code électoral retenu par le texte, la création d'un nouveau chapitre spécifique à cette nouvelle base ne semble pas nécessaire : les dispositions pourraient plutôt être regroupées au sein d'un nouvel article L. 45-2 du code électoral.
S'agissant du nom choisi pour ce nouvel outil, il paraît préférable de parler de « répertoire » national des personnes inéligibles, plutôt que de « fichier », par cohérence avec l'appellation déjà retenue en matière électorale pour le répertoire électoral unique et le répertoire national des élus.
En conséquence, je vous propose d'adopter cette proposition de loi avec les modifications que je vous ai présentées.
M. Pierre-Alain Roiron. - Nous soutenons pleinement cette proposition de loi, qui répond à un besoin, comme l'a expliqué l'auteure de cette proposition de loi et comme l'illustre l'annulation de l'élection législative dans le Jura.
L'article unique apporte des garanties nécessaires à la création de ce fichier, qui constitue une réponse adaptée aux problèmes rencontrés par les services préfectoraux.
Néanmoins, il s'agit là d'un chantier d'envergure : la coordination entre le ministère de l'intérieur, celui de la justice, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel ainsi que les autorités chargées de l'autorité juridique des majeurs représente un certain défi.
Vous nous proposez, Monsieur le rapporteur, de différer la mise en oeuvre du dispositif en 2029. Pourquoi ne pas avoir retenu 2028, avec l'organisation des élections régionales et départementales ?
Enfin, quid de la mise à jour permanente de ce fichier, afin d'éviter de graves erreurs ou des privations de droits ? La fiabilité du dispositif reposera sur un flux parfaitement continu et automatisé.
Si les moyens humains et techniques de coordination sont au rendez-vous, ce fichier pourra devenir un outil structurant, au service de la sécurité juridique et de la confiance démocratique.
Mme Olivia Richard. - Je remercie l'auteure de la proposition de loi et le rapporteur pour leur travail.
Vous avez évoqué, Monsieur le rapporteur, des défis budgétaires. Avez-vous une idée du budget nécessaire à la mise en oeuvre d'un tel dispositif ?
Ma deuxième interrogation a trait au caractère pragmatique de la jurisprudence électorale. Concernant les scrutins de liste, il arrive que des personnes inéligibles figurent en fin de liste. Le juge électoral estime alors que la sincérité du scrutin n'avait pas été altérée, si bien que t l'inéligibilité de ces candidats n'entraîne pas l'annulation de l'élection. Avec ce nouveau répertoire, comment cela se passera-t-il ? Si les services refusent l'enregistrement de la liste au motif que l'un des candidats est inéligible, de quel laps de temps disposeront les candidats pour compléter leur liste ?
Enfin, quel est l'impact de ce dispositif pour l'élection des conseillers des Français de l'étranger, qui est organisée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ?
Une décision de 2004 du Conseil constitutionnel prévoit que ne sont applicables pour les sénateurs des Français de l'étranger que les dispositions auxquelles il est fait directement référence. Est-ce à dire que ce répertoire ne les concernerait pas ? Or le même impératif de confiance dans la vie démocratique devrait s'appliquer.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - La création, mais également la gestion du répertoire, Monsieur Roiron, constitue effectivement un défi. La gestion devra être précisée par décret ; il importe qu'il soit tenu à jour.
Concernant le budget nécessaire pour développer un tel dispositif, le ministère de la justice a évoqué une fourchette comprise entre 4 et 5 millions d'euros. Vous connaissez le contexte financier contraint actuel.
On ne change rien à l'état du droit, Madame Richard. La liste des candidats doit comprendre des personnes éligibles. Un candidat qui déposerait une liste comprenant une personne inéligible se verrait donc opposer un refus. Charge à lui de redéposer une liste conforme dans le délai imparti. Nous voulons sécuriser le dispositif pour éviter une annulation a posteriori. Nous ne saurions nous satisfaire du pragmatisme du juge concernant l'inéligibilité d'un candidat inscrit en fin de liste. Nous souhaitons limiter a priori les candidatures de personnes inéligibles.
Concernant les élections des conseillers des Français de l'étranger, il est possible que des amendements soient déposés en vue de la séance publique. Nous menons une réflexion sur la manière dont les consulats pourraient être associés à ce dispositif. N'oublions pas que ce texte n'a pas vocation à régler tous les problèmes. Des ressortissants européens candidats à des élections municipales peuvent aussi être frappés d'une incapacité dans leur pays d'origine. Or le nouveau fichier ne pourra pas en avoir connaissance.
M. Pierre-Alain Roiron. - Pourriez-vous répondre à ma question concernant la possibilité d'une mise en application en 2028 ?
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Le ministère de la justice estime qu'une mise en oeuvre en 2029 représente déjà un délai extrêmement court au regard des développements informatiques qui en découlent.
Le Gouvernement devra désigner une administration pilote pour créer ce répertoire, trouver les crédits et s'ensuivra une phase de développements informatiques. C'est pourquoi il nous semble raisonnable de proposer l'échéance du 31 décembre 2029.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Pour répondre à l'interrogation d'Olivia Richard, le texte initial précise que les conseillers des Français de l'étranger sont aussi concernés par le fichier. Il importe donc que les services consulaires y aient accès au moment du dépôt des candidatures.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la création d'un répertoire national des personnes inéligibles ; aux modalités de gestion et de consultation de ce fichier ; et aux informations devant alimenter ce fichier.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Olivier Bitz, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à renommer « répertoire » la nouvelle base de données et à regrouper l'ensemble des dispositions au sein d'un seul nouvel article L. 45-2 du code électoral. Il tend également à supprimer certaines mentions superfétatoires et à garantir l'identification univoque des personnes concernées. Il prévoit d'instaurer l'obligation de consultation du nouveau répertoire par les autorités concernées et à supprimer du texte les dispositions relevant du domaine réglementaire. Enfin, il fixe une date limite d'entrée en vigueur du 31 décembre 2029.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'appellation « répertoire » ne saurait nous exonérer des procédures liées à la création d'un fichier !
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Évidemment. Nous avons consulté la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) dans le cadre de nos travaux, qui ne voit pas d'opposition de principe à la création de ce répertoire. Le décret en Conseil d'État sera pris après avis de la Cnil pour respecter les conditions de mise en oeuvre.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Intitulé de la proposition de loi
M. Olivier Bitz, rapporteur. - L'amendement COM-2 modifie, en cohérence avec l'adoption de l'amendement précédent, l'intitulé de la proposition de loi.
L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
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 Auteur  | 
 N°  | 
 Objet  | 
 Sort de l'amendement  | 
| 
 Article unique  | 
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 M. BITZ, rapporteur  | 
 1  | 
 Modification de l'article unique  | 
 Adopté  | 
| 
 Intitulé de la proposition de loi  | 
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| 
 M. BITZ, rapporteur  | 
 2  | 
 Modification de l'intitulé  | 
 Adopté  |