LEXIQUE DES PRINCIPAUX SIGLES

Acoss

Agence centrale des organismes de sécurité sociale (également Urssaf Caisse nationale)

Agirc

Association générale des institutions de retraite des cadres

APU

Administrations publiques

Arrco

Association des régimes de retraite complémentaire

Asso

Administrations de sécurité sociale

Cades

Caisse d'amortissement de la dette sociale

CCNSA

Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie

CCSS

Commission des comptes de la sécurité sociale

Cnaf

Caisse nationale des allocations familiales

Cnam

Caisse nationale d'assurance maladie

Cnav

Caisse nationale d'assurance vieillesse

CSG

Contribution sociale généralisée

CRDS

Contribution au remboursement de la dette sociale

DSS

Direction de la sécurité sociale

FRR

Fonds de réserve des retraites

FSV

Fonds de solidarité vieillesse

HCFP

Haut Conseil des finances publiques

Insee

Institut national de la statistique et des études économiques

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

Lolf

Loi organique relative aux lois de finances

Lolfss

Loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale

LPFP

Loi de programmation des finances publiques

M€

Million d'euros

Md€

Milliard d'euros

Mecss

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale
(au sein de chacune des deux commissions des affaires sociales)

Ondam

Objectif national de dépenses d'assurance maladie

PIB

Produit intérieur brut

Placss

Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale

PLF

Projet de loi de finances

PLFSS

Projet de loi de financement de la sécurité sociale

PSMT

Plan budgétaire et structurel à moyen terme

Ralfss

Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (rapport annuel de la Cour des comptes)

Resf

Rapport économique, social et financier (annexé au PLF)

Robss

Régimes obligatoires de base de sécurité sociale

Unédic

Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce

Urssaf

Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales

TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITIONS

M. Jean-René Lecerf, président, et Mme Aude Muscatelli, directrice adjointe, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)

Réunie le mercredi 22 octobre 2025, sous la présidence de M. Jean Sol, vice-président, la commission procède à l'audition de M. Jean-René Lecerf, président, et Mme Aude Muscatelli, directrice adjointe, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

M. Jean Sol, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons ce matin M. Jean-René Lecerf, président, et Mme Aude Muscatelli, directrice adjointe, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Le PLFSS pour 2026, dans sa version initiale, compte plusieurs mesures qui concernent la branche autonomie, en particulier l'adaptation du financement des établissements et services accompagnant des enfants et des jeunes en situation de handicap dans le cadre de la réforme dite « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées (Serafin-PH) » ; la définition de la contribution de la CNSA à la prise en charge du coût de l'accord du 4 juin 2024 pour les départements sur les revalorisations du Ségur ; et la déduction des indemnisations versées par les assurances et les fonds d'indemnisation du montant de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH).

M. Jean-René Lecerf, président de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. - J'ai plaisir à retrouver le Sénat, où j'ai passé près de quinze ans. Je reconnais beaucoup de visages.

Le conseil de la CNSA s'est réuni jeudi dernier, soit deux jours après le dépôt du PLFSS. Compte tenu des délais, il ne pourra se prononcer que dans les prochains jours, mais il s'est largement exprimé sur les orientations du texte et s'est montré inquiet.

Commençons par les points positifs - ce sera bref. Les membres du conseil ont pris acte de la relative préservation de la branche autonomie par rapport aux autres branches, qui montre l'importance accordée à la protection des plus vulnérables. Les dépenses progressent de 3,5 % par rapport à l'an dernier, tandis que l'objectif global de dépenses (OGD) augmente de 2,5 %, contre 1,6 % pour l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). La hausse régulière des moyens financiers de la cinquième branche de sécurité sociale pourrait, par temps calme, apparaître comme satisfaisante. Mais nous sommes dans la tempête, face au défi démographique.

L'alignement de l'espérance de vie des personnes en situation de handicap sur celle de la population générale, qui est une excellente nouvelle, nous impose des responsabilités lourdes qui ne peuvent pas être assumées par une politique au fil de l'eau. De plus, cette progression financière s'avère bien légère par rapport à certaines prévisions. Alors que 50 000 postes équivalents temps plein (ETP) en Ehpad sont prévus pour 2030, seuls 4 500 postes pourront être financés en 2026. Ce n'est pas un renoncement, mais un ralentissement. Il en va de même pour l'objectif de 25 000 places de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) : 70 millions d'euros seulement sont prévus, à la fois pour les Ssiad et pour les centres de ressources territoriaux (CRT) autour des Ehpad et des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad). Or, nous y accordons beaucoup d'importance puisque ces centres territoriaux devraient, selon nous, être utilisés pour diffuser la logique domiciliaire. En outre, le fonds d'urgence n'est pas renouvelé. Nous l'avons souvent critiqué, car nous souhaitions des réformes structurelles, mais le supprimer sans avoir préalablement réglé les problèmes engendre un risque de détérioration des conditions de vie dans les Ehpad, voire d'effondrement d'un grand nombre de structures cette année. Certains membres du conseil appellent, en conséquence, à utiliser davantage les tarifs différenciés pour tenter de retrouver un équilibre compromis. Je suis favorable à cette différenciation, que j'avais mise en place dès 2015 lorsque j'étais président du département du Nord, après avoir quitté mes fonctions de sénateur, mais la différenciation en fonction des revenus ne peut s'envisager partout, et seulement avec tact et mesure.

Les membres du conseil pointent encore le manque de solutions en établissement pour les personnes en situation de handicap. Le président de l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), vice-président de la CNSA, a déploré récemment, avec émotion, que dans de nombreux cas, il faille attendre un décès pour obtenir une place. Ce n'est pas une situation digne de notre pays. Conserver la dynamique du plan de création de « 50 000 solutions » prévu par la Conférence nationale du handicap (CNH) de 2023 apparaît comme un impératif.

La réforme Serafin-PH, vaste chantier qui dure depuis plus de dix ans, porte sur la tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) intervenant auprès des personnes handicapées. Ses objectifs sont loués, qu'il s'agisse de renforcer l'équité de l'allocation des ressources, d'introduire, dans la tarification, des incitations très claires à transformer l'offre médico-sociale ou de garantir la stabilité du modèle de financement. Mais cette première étape de la réforme du financement des établissements pour enfants n'entrera en vigueur qu'en 2027. Nous sommes néanmoins satisfaits de l'annonce du déblocage de 360 millions d'euros sur quatre ans, soit 90 millions d'euros par an de 2027 à 2030.

Vous avez évoqué, monsieur le président, la volonté de mettre fin au double financement en prévoyant la déduction des indemnisations versées par les assurances et les fonds d'indemnisation de l'APA et de la PCH. Cela semble logique : on peut estimer qu'il faut rembourser le préjudice, tout le préjudice, rien que le préjudice. Néanmoins, un certain nombre de membres du conseil insistent sur la nécessité d'une plus grande concertation avec les personnes concernées, le sujet étant sensible et complexe.

Concernant les départements, les membres du conseil soutiennent la première étape de la réforme des concours, qui a conduit à un changement profond : le concours de la CNSA est désormais calculé à partir du taux de couverture des dépenses d'APA et de PCH et non à partir des recettes, ce qui apporte bien plus de sérénité aux départements. Désormais, ils sont assurés que si leurs dépenses augmentent, les contributions de la sécurité sociale augmenteront à due proportion. Nous sommes également heureux de la simplification engendrée par la fusion de quatre des concours. C'est un changement majeur que l'on doit à Paul Christophe, ministre météore.

La moyenne de financement de l'APA et de la PCH de la part de la CNSA est de 43 %. La discussion entre les pouvoirs publics et Départements de France porte sur un passage à 50 %. Reste un point sensible : est-ce 50 % pour tout le monde, aussi bien les Hauts-de-Seine que la Seine-Saint-Denis, la Haute-Savoie que la Lozère, ou pourrait-il y avoir une péréquation verticale qui transformerait ces 50 % en 40 % pour certains et en 70 % pour d'autres ? J'ajoute qu'il n'est pas question, avec cette réforme, de diminuer les participations de la CNSA au bloc APA-PCH pour les départements en réelle difficulté qui reçoivent actuellement un financement de plus de 50 %.

Les départements ont fait valoir leur désaccord quant au montant de la compensation du Ségur. Les 85 millions d'euros fléchés de manière pérenne ne couvrent pas les professionnels de la protection de l'enfance, ce qui, au regard du périmètre de la branche autonomie, est difficile à concevoir. Ce sera certainement débattu au Parlement.

Une large majorité des membres du conseil se sont, par ailleurs, fortement inquiétés de l'article 20 du PLFSS, qui vise à imposer la vaccination contre la grippe saisonnière aux résidents d'Ehpad. Sans remettre en cause l'intérêt de la vaccination, nous souhaitons que ces personnes conservent leur libre arbitre. Il s'agit d'un sujet éthique de préservation des droits. Il ne faut pas que le refus de vaccination des uns entraîne des risques pour les autres - des modalités techniques seront à rechercher -, mais nous sommes tous d'accord pour dire que le refus de la vaccination ne saurait entraîner une exclusion de l'Ehpad.

L'habitat intermédiaire, aussi dénommé habitat partagé ou habitat inclusif, offre aux personnes âgées ou en situation de handicap un domicile dans lequel elles se sentent chez elles, l'insécurité et l'isolement en moins - je vole cette formule à Denis Piveteau. Nous souhaitons son développement. Le PLFSS prévoit un investissement de 50 millions d'euros en faveur de l'habitat intermédiaire et autant pour renforcer la prévention et la coordination des soins en résidence autonomie. C'est une première étape bienvenue, mais insuffisante. Le conseil de la CNSA, qui a travaillé pendant plusieurs mois sur une contribution à un avis sur l'habitat intermédiaire, a identifié le besoin de créer 500 000 places en habitat intermédiaire d'ici à 2050. Mme El Khomri, en 2019, prônait, à raison, 350 000 postes supplémentaires dans l'accompagnement et le soin pour 2025 - nous en sommes loin.

L'offre en Ehpad évoluera peu. Certes, ils seront de plus en plus médicalisés et le taux d'encadrement s'améliorera. Lorsque M. de Villepin était premier ministre - il y en a eu onze depuis - la promesse était de 0,9 professionnel pour 1 résident, ce qui est encore loin d'être le cas. Mais le nombre de places ne s'accroîtra guère. J'aurais aimé une grande loi sur l'autonomie qui dispose clairement que les Ehpad n'accueillent que des personnes en extrême fin de vie ou en extrême dépendance, et qui, par conséquent, prenne en compte la nécessité de créer massivement des offres intermédiaires, qu'elles se nomment habitat inclusif, résidence autonomie, résidence service, habitat intergénérationnel ou accueil familial. Je vous recommande l'avis du Conseil d'État sur ce sujet. On ne peut cibler les crédits sur les seules résidences autonomie, comme c'est le cas. Elles comptent environ 100 000 places, soit autant que les résidences services seniors et, demain, l'accueil familial nouvelle version, c'est-à-dire des maisons nouvelles construites spécifiquement par de grands bailleurs. D'autres pratiques sont peu coûteuses pour la collectivité, comme l'habitat intergénérationnel, au sein duquel des personnes de plus de 60 ans en accueillent d'autres de moins de 30 ans. Le seul effort sera de former intelligemment les binômes et d'intervenir rapidement en cas de problème.

L'avis du Conseil d'État évoque aussi le big bang nécessaire des aides à l'habitat intermédiaire. L'aide à la vie partagée (AVP) ne concerne actuellement qu'une toute petite partie de l'habitat inclusif, inscrite dans les politiques départementales. Le Conseil d'État appelle à transformer l'AVP en dispositif national obligatoire dont la gestion serait confiée aux départements. Idem pour l'aide sociale à l'hébergement (ASH). Les présidents de département - mes anciens collègues - n'y sont pas toujours d'emblée favorables. L'aide sociale à l'hébergement porte sur les Ehpad, les résidences autonomie et l'accueil familial, mais pas sur les résidences services seniors. Pourquoi ? Ces dernières se sont fortement développées ces dernières années. Désormais, elles logent autant de personnes que les résidences autonomie. Les porteurs de projet sont volontaires pour accueillir de futurs locataires aux moyens financiers limités, si seulement les pouvoirs publics leur accordent la même aide qu'aux Ehpad et aux résidences autonomie. Sans volonté politique en faveur d'une prise en charge publique, ces 500 000 places ne seront pas créées.

Il n'y a pas de temps à perdre. Le dernier rapport des Petits Frères des Pauvres montre une explosion du nombre de personnes en situation de mort sociale. Même en Ehpad, la vie sociale n'est pas toujours riche. Je me souviens qu'une résidente que j'avais embrassée pour la fête des mères, lorsque j'étais maire, m'avait dit que personne ne l'avait embrassée depuis ma venue l'année d'avant. La vie sociale doit exister partout. Notre volonté n'est pas d'opposer les diverses formes d'accueil, mais de créer un partenariat intense entre elles.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - L'article 20 du PLFSS impose aux résidents d'Ehpad de se faire vacciner contre la grippe. J'entends l'importance du libre arbitre, mais la grippe entraîne très souvent des complications chez ces personnes fragiles, ce qui représente un coût.

Je suis interpellée par les écarts de prévisions entre la LFSS pour 2025 et le PLFSS pour 2026. L'an dernier, un déficit de 2,8 milliards d'euros était anticipé pour l'année 2028 ; cette année, il n'est plus que de 1,7 milliard d'euros pour 2028. D'où vient cette amélioration importante des perspectives financières de la branche ? Doit-on la relier aux mesures de maîtrise de dépenses d'APA et de PCH annoncées ?

L'article 36 porte sur la réforme dite Serafin-PH. Pouvez-vous préciser quels seront les éléments valorisés pour déterminer le montant de la part variable ? Quel sera l'impact sur les départements ?

Vous avez évoqué 4 500 recrutements en Ehpad. Pouvez-vous préciser où nous en sommes vis-à-vis de l'objectif fixé à 50 000 recrutements à horizon 2030 ? Pouvez-vous enfin revenir sur le plan « 50 000 solutions » pour le handicap ?

M. Jean-René Lecerf. - Je partage votre opinion sur l'article 20. Tout est dans la manière. Ceux qui ne se font pas vacciner, dans un environnement collectif, font courir un danger aux autres. Mais peut-on vacciner de force, sous peine d'exclusion ? Cela me paraît impossible. Pendant le covid, certains établissements avaient aménagé une aile pour y rassembler les personnes qui refusaient toute vaccination. Il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie.

Mme Aude Muscatelli, directrice adjointe de la CNSA. - La branche autonomie s'inscrit dans le contexte plus général de la sécurité sociale. Selon le PLFSS, sans réforme, son déficit atteint environ 40 milliards d'euros.

Les dépenses de la branche connaissent une progression non négligeable, de l'ordre d'un milliard d'euros, tandis que l'OGD progresse plus que l'Ondam, s'établissant à 3,5 % pour l'ensemble des dépenses de la branche et à 2,4 % pour le financement des ESSMS. Certes, c'est une progression deux fois moins importante que l'an dernier.

On constate en effet des modifications du solde. La branche est financée à 90 % par la contribution sociale généralisée (CSG), or celle-ci a évolué. La croissance assez faible des dépenses est liée à la réforme des cotisations des travailleurs indépendants, qui a entraîné une perte de recettes. Face à la progression affaiblie des recettes, nous avons mené des efforts de réduction des dépenses, ce qui permet d'atteindre un déficit stabilisé de 1,7 milliard d'euros pour 2028. Nous ne sommes pas pessimistes, mais précautionneux. Grâce à l'amélioration constatée, nous pouvons participer à l'effort global de réduction du déficit.

C'est un jeu d'équilibre entre recettes et dépenses.

M. Jean-René Lecerf. - Les départements attendent les mesures de la réforme Serafin-PH, qu'ils considèrent comme une avancée.

Mme Aude Muscatelli. - La réforme Serafin-PH entrera bien en vigueur à partir du 1er janvier 2027. Son inscription dans le PLFSS nous donne la possibilité de préciser le modèle, de prévoir sa montée en charge et ses effets sur les ESSMS. Nous souhaitons que les ESSMS gagnants soient ceux qui mettent en oeuvre une transformation de l'offre, c'est-à-dire qui modulent leur accueil, au fur et à mesure de la vie des enfants et qui s'inscrivent dans la prise en charge globale de ces derniers, au-delà du médico-social. Il faudra tenir compte des transports, dont le besoin augmente conjointement à la désinstitutionalisation.

M. Jean-René Lecerf. - Les crédits sont prévus en année pleine pour les 23 départements expérimentateurs de la fusion des sections au sein des Ehpad. Une très forte majorité souhaite aller vers une généralisation de l'expérimentation, mais aucune date n'est pas encore définie.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - J'ai bien pris connaissance de la stratégie nationale pour les maladies neurodégénératives. Répondra-t-elle aux attentes des familles ? Certaines nous alertent, après un appel de l'hôpital qui leur demande de trouver pour le lendemain un établissement qui accueille leur parent atteint de la maladie d'Alzheimer, alors que le seul choix est un établissement privé dont elles ne peuvent payer les frais. Notre rôle est d'étudier globalement le budget de la branche autonomie, mais aussi de trouver des solutions aux situations catastrophiques constatées sur le terrain.

La fin de vie de personnes atteintes de maladies neurodégénératives peut durer plusieurs années. Comment une famille peut-elle financer une telle prise en charge ? Certes, il existe des associations ou de l'aide à domicile, mais l'offre est en deçà des besoins. Quel est le rôle de la CNSA en la matière ? Il faut renforcer bien davantage l'accompagnement des familles. De plus en plus de personnes sont atteintes de ces maladies et le nombre de solutions n'a pas augmenté en conséquence.

M. Jean-René Lecerf. - Vous avez tout à fait raison. Des solutions existent, mais certaines coûtent très cher. Parfois, on prolonge l'hospitalisation d'une personne faute de savoir qu'en faire.

La recherche progresse. Je me rendrai bientôt dans le fameux Village Landais Alzheimer, dont les résultats seront bientôt évalués. Il semble que l'on puisse freiner, voire interrompre l'évolution de la maladie. Il existe des modes de soins vertueux, médicalement, et pas seulement en termes de conditions de vie.

On constate aussi la multiplication des habitats partagés pour les personnes souffrant de ce type de maladie, dont les résultats sont très convaincants, à des coûts bien moindres que ceux d'un établissement spécialisé. L'habitat intermédiaire concerne autant les personnes en situation de handicap que les personnes âgées. Son développement sera fondamental.

La recherche médicale révélera aussi si les modalités d'accueil, d'accompagnement, d'insertion dans la vie sociale que nous pratiquons actuellement sont les meilleures.

Le problème des maladies neurodégénératives sera de plus en plus crucial, car elles se développent parallèlement à l'augmentation de l'espérance de vie. Mais il existe aussi des cas de maladie d'Alzheimer dès 60 ans. Ces patients peuvent connaître le pire, dans des structures publiques de type Ehpad avec des centres d'activités naturelles tirées d'occupations utiles (Cantou) à l'ancienne, et le meilleur, dans des habitats partagés très fortement dotés en bénévoles. Le rôle de ces derniers, aux côtés des professionnels, est essentiel. Le Village Landais obéit à la règle des trois tiers : un tiers de personnes qui souffrent de cette dégénérescence, un tiers de soignants, un tiers de bénévoles. Le chantier relatif à la maladie d'Alzheimer n'est pas à la hauteur de notre grande nation.

Je regrette l'absence d'une grande loi sur l'autonomie qui soit un phare des politiques futures. Le travail de la CNSA sur l'habitat intermédiaire est un ersatz de grande loi, et surtout, nous n'avons pas de légitimité sur ce point. Cette grande loi manque terriblement, tant pour connaître les souhaits de la population française que pour sécuriser les porteurs de projet.

Mme Laurence Muller-Bronn. - La loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d'autres maladies évolutives graves, autrement dit la maladie de Charcot, a été promulguée en février 2025. Notre collègue Gilbert Bouchet, qui souffrait de cette maladie et qui était à l'origine de cette loi, s'est éteint lundi. En qualité de rapporteure sur ce texte, je souhaite appeler votre attention sur la compensation financière pour les départements, qui est estimée à 30 millions d'euros par an. Elle ne semble pas prévue dans les textes budgétaires pour 2026. Qu'en est-il ? Sans inscription budgétaire claire, les départements risquent de devoir supporter cette charge supplémentaire, contrairement à ce que la loi prévoit.

Mme Jocelyne Guidez. - L'article 38 du PLFSS instaure un principe de subsidiarité entre l'APA, la PCH et les indemnisations versées par les personnes responsables et les assureurs à la suite de dommages corporels. Cette mesure soulève une vraie question de bon sens. En effet, les indemnités et les prestations sociales ne sont pas de même nature. Les premières réparent un dommage tandis que les secondes compensent une perte d'autonomie. Confondre ces deux logiques revient à faire supporter aux victimes la charge d'un déséquilibre budgétaire. La CNSA a-t-elle été consultée sur cette disposition ?

La création de MaPrimeAdapt' avait pour but de simplifier les aides à l'adaptation du logement à la perte d'autonomie, mais ce dispositif concerne principalement les ménages modestes. Or, le crédit d'impôt autonomie, dont les classes moyennes bénéficiaient, arrive à échéance à la fin de cette année, sans que l'on sache s'il sera reconduit. Qu'en est-il ? La CNSA le défend-il ?

M. Olivier Henno. - Merci de vos propos francs. Vous n'avez pas évoqué le virage domiciliaire, et tant mieux ! Faute d'effort en faveur de l'habitat intermédiaire, de l'habitat inclusif ou des résidences services seniors, de plus en plus de personnes âgées sont isolées et vivent seules. C'est préoccupant. Qu'en pensez-vous ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - À l'inverse d'Olivier Henno, je voudrais évoquer le virage domiciliaire.

Je me félicite de l'article 37 du PLFSS, qui porte sur la compensation aux départements du coût de l'accord du 4 juin 2024 sur une des branches oubliées du Ségur, et qui traduit l'accord d'avril dernier entre les départements et l'État. Il prévoit le versement par la CNSA d'une aide forfaitaire de 85 millions d'euros aux départements, auxquels il incombera de verser la contribution aux établissements concernés. En 2025, seule une trentaine de départements verseraient intégralement les fonds prévus par le Ségur. Avez-vous la garantie que cet article assure ce paiement par l'ensemble des départements ? De plus, si le montant semble prendre en compte les manques de 2025, il oublie les sommes non versées en 2024. Un rattrapage est-il prévu ?

Une branche entière reste exclue du Ségur : la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD). En outre, on lui a récemment refusé l'agrément de l'avenant 68 à sa convention collective. Cet agrément représentait 67 millions d'euros. Comment comptez-vous déployer la nécessaire réforme des services autonomie à domicile (SAD), que nous soutenons, compte tenu des 20 % d'effectifs manquants dans cette branche ? Les patients restent trop longtemps à l'hôpital faute de personnel pour les accueillir à domicile.

L'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) s'étonne de l'absence de mention, dans le PLFSS, de la reconduction de l'aide à destination des établissements, qui n'était, il est vrai, qu'un mauvais substitut à des réformes de structures que l'on attend toujours.

Pour la troisième année consécutive, le PLFSS est également muet sur le secteur de l'aide à domicile, alors que la réforme entre en vigueur en 2026.

J'en viens à l'article 36 du PLFSS. Le collectif Handicaps, comme l'Uniopss, déplore un manque de concertation. Cette critique est-elle valide ? L'année 2026 ouvrira-t-elle une vaste période de concertation ?

On attend depuis vingt ans une grande loi sur l'autonomie, mais la loi relative au bien-vieillir impose l'obligation d'une loi pluriannuelle.

Dans notre rapport Sécurité sociale : la boîte à outils du Sénat, Élisabeth Doineau et moi-même avons montré qu'il fallait prendre des mesures nouvelles en recettes pour accompagner la transition démographique et se rapprocher des normes européennes de prise en charge des personnes en situation de handicap. Or il n'en est rien dans ce PLFSS. Pourtant, moult rapports formulent des propositions.

Mme Brigitte Bourguignon. - Même si les efforts restent insuffisants, on peut se satisfaire de la société du bien-vieillir qui se bâtit. Derrière ces mots, il y a des visages : une personne âgée qui veut continuer à vivre chez elle, un aidant qui s'épuise, un parent d'enfant handicapé qui attend des réponses rapides, et tous les professionnels qui travaillent.

J'aimerais pouvoir leur dire que le PLFSS répondra à leurs attentes, mais j'en doute, malgré des avancées réelles. Dans le Pas-de-Calais, les dépenses d'APA et de PCH progressent bien plus rapidement que les recettes. Les restes à charge pèsent sur les familles et les recrutements sont toujours aussi compliqués, malgré les efforts de revalorisation de ces dernières années.

Comment la CNSA entend-elle traduire cette promesse d'autonomie ? Je crois fortement à l'habitat intermédiaire, dans un continuum. Pourtant, sur le terrain, il manque toujours un acteur, une case à remplir. Quid des bailleurs sociaux ? Comment comptez-vous nous aider à réduire ces inégalités territoriales très importantes dans l'accès à l'aide à domicile ?

M. Jean-René Lecerf. - La logique domiciliaire est toujours extrêmement présente. La personne qui loge en habitat intermédiaire reçoit qui elle veut, conserve son animal favori, prépare ses repas si elle le souhaite... Quand on visite l'un de ces habitats, on est bien plus optimiste que quand on sort de beaucoup d'Ehpad.

L'habitat intermédiaire n'est pas un miracle, mais il peut améliorer considérablement le travail des professionnels des services à domicile, qui passent beaucoup de temps dans leur véhicule. Des mesures ont déjà été prises, comme les 75 millions d'euros en faveur de la mobilité. Ainsi, la Mayenne, par exemple, propose une flotte de véhicules, ce qui constitue une aide et une revalorisation du travail.

L'habitat intermédiaire est un petit habitat, accueillant généralement trois à neuf personnes, ce qui modifie considérablement le rapport de l'auxiliaire de vie à ceux qu'elle accompagne. Puisqu'elle s'occupe de l'ensemble des personnes présentes, des liens se créent, de personne à personne et non plus de soignant à soigné. L'habitat intermédiaire est un moyen de redonner du sens au travail des auxiliaires de vie.

En revanche, nous ne cherchons nullement à opposer les uns aux autres. Je sais que les grandes fédérations de services à domicile s'inquiètent du développement de l'habitat intermédiaire. Toutefois, les représentants des SAD sont très présents à la CNSA et si nous avons voté le rapport sur ce sujet à l'unanimité, c'est parce que nous avons réussi à nous réunir.

Notre volonté est de faire déteindre la conception domiciliaire sur les Ehpad. Certains, rarissimes, ont transformé les chambres en mini-appartements, le contrat en bail. Dès lors, la relation se transforme. Mais ce n'est pas possible partout.

L'Ehpad a un rôle essentiel à jouer. Il doit aller hors les murs, sortir de son territoire resserré pour entrer dans les habitats intermédiaires et au domicile. Nous tentons, dans le logement historique, de travailler sur la vie sociale et la prévention, avec la présence d'aides à domicile ou de travailleurs sociaux.

Certains ont évoqué l'inégalité entre les politiques des différents territoires. J'en viens à craindre que des personnes choisissent leur domicile en fonction des politiques départementales, ce qui n'est pas tolérable. Il ne s'agit pas d'exiger l'uniformité des politiques, mais la réponse aux besoins exprimés doit être étroitement comparable. On se heurte là au principe d'autonomie des collectivités. Certains présidents de départements rejettent l'AVP quand d'autres me demandent de leur verser davantage. Ce n'est pas sain.

Nous demandons un pilotage national de l'habitat intermédiaire, conforté à l'échelon territorial. Les départements n'ont pas tous les mêmes moyens financiers, mais ne sont pas non plus tous exposés aux mêmes difficultés liées au grand âge. Les projets financés par de l'argent public doivent tenir compte d'une programmation.

Un taux de financement de la part de la CNSA sur l'APA et la PCH de 50 % pour tout le monde ne me paraît pas la meilleure solution. Le principe d'égalité n'est-il pas de traiter de la même manière ceux qui se trouvent dans la même situation, et de manière différente ceux qui se trouvent dans des situations différentes ? Lorsque j'étais président de la commission des finances de l'Assemblée des départements de France (ADF), j'avais mis en place la mutualisation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ce qui avait été très compliqué. De nos jours, plus personne ne songerait à la remettre en cause. Je disais à mon collègue Patrick Devedjian - Dieu ait son âme - que ce n'est pas parce qu'il était génial qu'il percevait des DMTO considérables, mais parce qu'il profitait d'un effet d'aubaine.

Cette péréquation horizontale entre départements doit être confortée par une péréquation verticale de l'État vers les départements.

Mme Aude Muscatelli. - Soyez rassurée, la loi relative à la maladie de Charcot sera appliquée. Nous y travaillons. Nous nous interrogeons sur la pertinence d'un nouveau concours, mais la compensation intégrale sera bien assurée.

La mesure relative à la subsidiarité règle une anomalie. En effet, le mécanisme est déjà prévu pour toutes les prestations de sécurité sociale, sauf l'APA et la PCH. Des dépenses identiques sont couvertes deux fois par les assurances d'une part, et l'APA et la PCH d'autre part. Les départements demandent cette subsidiarité pour éviter les contentieux relatifs aux doubles financements. Le mécanisme de subrogation sera mis en place. Nous veillerons à ce que les départements n'aient pas à verser l'aide lorsque celle-ci est déjà apportée, dans le cadre d'un accident par un tiers par exemple, comme cela existe déjà pour d'autres prestations.

Nous serons attentifs à éviter toute difficulté pour les personnes qui ne sont plus éligibles à MaPrimeAdapt', même si nous menons un travail de resserrement budgétaire.

La fusion des Ssiad et des Saad, réforme importante, arrivera à terme à la fin de l'année. Dans ce contexte, la question de l'attractivité des métiers se pose. Nous espérons déployer prochainement sur l'ensemble du territoire des plateformes qui visent la synergie de l'ensemble des acteurs, pour favoriser la recherche de personnes ayant vocation à rejoindre ces métiers. Nous souhaitons que France Travail participe activement, avec l'ensemble des fédérations du secteur, à pourvoir ces métiers. Les évolutions salariales récentes vont dans le même sens. La branche a financé des hausses de salaire en faveur des ESSMS, pour un montant de 5 milliards d'euros depuis 2020.

A-t-on la garantie que les départements verseront les 85 millions d'euros qui leur sont dédiés ? Plus on les aide à financer les revalorisations salariales, plus on a de chance qu'elles soient effectives.

L'agrément pose problème parce qu'il est coûteux pour les départements, en mauvaise santé financière.

Selon l'Insee et la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), il faudra prendre en charge 500 000 personnes âgées dépendantes supplémentaires à horizon 2030 et 2040. Le pic devrait être atteint en 2050. Même si l'espérance de vie en bonne santé augmente, jusqu'à 26 années à 60 ans, ce qui est un immense progrès depuis 2015, le nombre de personnes âgées en perte d'autonomie a vocation à s'accroître et nous devrons trouver des ressources supplémentaires.

La réforme Serafin-PH est mise en oeuvre dans la plus grande transparence et la plus grande concertation. Des groupes de travail sont régulièrement réunis, malgré les aléas politiques récents. C'est néanmoins une réforme lourde ; il est normal que certaines fédérations témoignent de leur inquiétude.

J'en viens à l'émergence des solutions d'habitat intermédiaire. Le directeur de la CNSA a été missionné, en lien avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pour construire une gouvernance avec l'ensemble des acteurs. Il y a des moyens : nous prévoyons 100 millions d'euros supplémentaires. Le directeur de la CNSA et la CDC verront comment mettre en mouvement l'ensemble des acteurs, y compris les bailleurs sociaux. Cette question qui mêle logement, habitat et urbanisme mérite peut-être davantage de dynamisme.

Des inégalités territoriales demeurent. Il faudra mettre en oeuvre une planification de l'offre à horizon 2040-2050, en Ehpad, en habitat intermédiaire, en services à domicile. Nous appelons de nos voeux une loi de programmation.

M. Daniel Chasseing. - Alors que la dépendance augmente, en Ehpad, le taux d'encadrement est de 0,6 professionnel par pensionnaire. Il faudrait rapidement atteindre 0,8, soit 40 000 emplois supplémentaires, sur quatre ou cinq ans, et non dix ans. Ne faut-il pas, en outre, remettre en place des unités d'hébergement renforcé (UHR) pour les personnes atteintes de troubles cognitifs dans les Ehpad ?

Ne faut-il pas aussi inciter les employés à se faire vacciner contre la grippe saisonnière ? Ils ne sont que 25 % à l'être.

Le rapport Libault recommande l'habitat intermédiaire. Des personnes dépendantes pourraient en bénéficier. Mme Muscatelli a évoqué la fusion entre Ssiad et Saad, mais pourquoi ne pas conserver ce qui a été proposé, c'est-à-dire des conventions, dès lors que cela se passe bien ?

Enfin, pourquoi les Ehpad ne pourraient-ils pas intervenir dans l'habitat intermédiaire ?

Mme Florence Lassarade. - Pourquoi, dans un pays où l'on oblige les nourrissons à être vaccinés pour entrer en collectivité, ne pas faire de même pour les personnes âgées, qui ne subissent plus aucun effet secondaire des vaccins contre la grippe ?

Au Danemark, nous avons visité des clubs d'activités largement soutenus par les autorités, où tous les habitants se rassemblent. Pourquoi ne pas mettre l'accent sur ce qui rassemble les gens plutôt que d'agir en aval, lorsque la dépression s'est déclarée ?

Il existe un espoir de stabilisation de la maladie d'Alzheimer grâce au traitement par le lécanémab lorsqu'il sera autorisé en France. A-t-on espoir de voir cette pathologie disparaître ?

Mme Corinne Imbert. - Les résidences intermédiaires doivent-elles toutes relever du code de l'action sociale et des familles ? L'agrément des accueillants familiaux porte sur quatre personnes âgées lorsqu'il y a un couple. Êtes-vous favorable à l'extension de l'agrément à quatre personnes, qu'il y ait un couple ou non ?

Mme Annie Le Houérou. - Je vous rejoins sur la nécessité d'une grande loi. Ce ne sont pas les 3,5 % d'augmentation des dépenses de la branche qui nous permettront de répondre à toutes les questions posées ce matin.

Vous indiquez un ralentissement des créations de postes par rapport à la trajectoire prévue. Les projets se tarissent, car les départements et les associations à but non lucratif ne sont plus capables de les porter. Que pensez-vous de la situation critique de ces nombreux établissements qui fonctionnent, pour beaucoup, avec des crédits non reconductibles ? Le nombre important d'arrêts de travail est lié à l'incertitude des financements.

Quel est le bilan de la fusion des sections dépendance et soins réalisée par une vingtaine de départements à titre expérimental ?

Le manque d'attractivité des métiers de l'aide à domicile pose problème. La CNSA mène-t-elle une réflexion sur la formation initiale et continue, ainsi que sur la revalorisation de ces métiers auxquels les accords issus du Ségur ne s'appliquent pas ?

Mme Anne-Sophie Romagny. - Disposez-vous d'indicateurs de suivi précis sur le taux de maintien à domicile, sa qualité et la satisfaction induite ? Comment la CNSA évalue-t-elle la répartition territoriale des financements ? Existe-t-il des inégalités dans les services à domicile ou les Ehpad d'un département à un autre et si oui, se creusent-elles ? Comment la CNSA assure-t-elle la coordination entre l'État, les conseils départementaux et les agences régionales de santé (ARS), dont vous avez très peu parlé, pour la mise en oeuvre des schémas régionaux de santé ?

Mme Monique Lubin. - Je vous remercie pour vos propos sur le Village Landais Alzheimer, étant moi-même des Landes, ainsi que pour le soutien permanent de la CNSA à nos projets. J'espère que vous continuerez à jouer de votre influence pour que ces établissements - le Village Landais et la résidence de répit partagé que nous souhaitons implanter - jouissent d'un statut bien particulier, afin que leurs financements soient pérennisés !

Mme Anne Souyris. - Quel est le nombre actualisé d'Ehpad en difficulté susceptibles de fermer ? Pouvez-vous nous confirmer que l'APA et la PCH font partie de la liste des prestations sociales gelées en 2026 ? Vous avez évoqué la mort sociale des personnes en perte d'autonomie. Quelles sont vos préconisations pour le domicile ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le sujet nous passionne, toutes et tous. Comme quelques-uns de mes collègues, je regrette que nous n'ayons jamais pu examiner la grande loi sur l'autonomie promise depuis des années. Les besoins explosent, mais pas les moyens. Le personnel manque de reconnaissance sociale et salariale. Monsieur Lecerf, vous avez évoqué 4 500 recrutements en Ehpad. Ceux-ci sont 7 500 en France. On atteint donc 0,5 recrutement par Ehpad. Cela ne suffit absolument pas.

J'aurais aimé parler des départements, mis en difficulté par l'APA et la PCH. L'État devait compenser le transfert de charges à l'euro près, ce qui est loin d'être le cas.

Mme Solanges Nadille. - Comment analysez-vous la prise en charge du vieillissement en outre-mer, qui souffre d'un manque de structures publiques tandis que les structures privées à but lucratif se développent ? Outre-mer, 30 % de la population a plus de 60 ans.

Vous avez regretté que les financements actuels soient fléchés presque uniquement vers les Ehpad. Nous sommes, dans les territoires ultramarins, davantage intéressés par le maintien à domicile. L'absence de prise en charge du vieillissement en outre-mer préfigure une autre problématique, celle de la santé mentale des aidants. Comment analysez-vous la situation ?

M. Jean-René Lecerf. - Je suis assez réticent vis-à-vis des unités d'hébergement renforcé dans les Ehpad. Je ne veux pas que l'on revienne aux centres d'activités naturelles tirées d'occupation utiles (Cantou).

Parmi les personnes qui souffrent de maladies neurodégénératives, certaines peuvent être convenablement accompagnées dans les Ehpad, mais mon expérience m'a montré qu'elles le sont désormais bien mieux en habitat partagé. Il faudrait simplement que les conditions financières soient identiques.

Vous avez raison, la vaccination des personnes âgées n'a de sens que si l'on oblige les personnes salariées à être elles aussi vaccinées. Lorsque les salariés sont au contact régulier de personnes en grande fragilité, il faudrait les forcer à choisir entre la poursuite de leur travail, à condition d'avoir été préalablement vaccinés, et le transfert vers une autre activité.

Le Danemark est à la pointe sur de très nombreux sujets, mais les approches qui s'y développent peuvent parfois heurter. Ainsi, au Danemark, lorsqu'une personne demande de l'aide, on commence par lui expliquer ce qu'il faut faire pour pouvoir s'en passer avant de lui offrir cette aide. Pourtant, la part de PIB que ce pays consacre aux personnes âgées est considérable. L'approche que je viens de décrire n'est pas dénuée de sens : soutenir les gens dans un premier temps pour qu'ils trouvent les moyens de s'aider eux-mêmes est dans l'intérêt de tous.

Pour ce qui est de la multiplication des statuts, la résidence intermédiaire relève du code de l'action sociale et des familles, tandis que les résidences seniors relèvent du code de la construction et de l'habitat. L'un des problèmes de l'habitat intermédiaire est l'anarchie qui règne au niveau juridique entre des structures qui rendent un service de même nature, la seule différence fondamentale étant que certains habitats sont accessibles à tous grâce à l'aide à la vie partagée ou à l'aide sociale à l'hébergement, tandis que d'autres ne le sont pas, car les entreprises se montrent très dynamiques dans ce secteur. Certes, certaines d'entre elles ont un esprit de service chevillé au corps, mais les tarifs ne sont pas les mêmes, surtout s'il n'y a pas d'aide de la part des pouvoirs publics. L'objectif serait donc d'avoir une appréhension et une programmation qui soient identiques d'un côté et de l'autre.

Parmi ceux qui agissent en tant que personnes morales de droit privé à but commercial, certains font très bien leur travail. C'est le cas, par exemple, d'entreprises comme CetteFamille ou MonSenior qui interviennent dans le développement de l'accueil familial. Elles construisent des structures neuves pour les personnes âgées ou en situation de handicap qui, parce qu'elles sont très peu consommatrices et dotées de toitures végétalisées, trouvent immédiatement et sans difficulté un bailleur social pour les reprendre.

De même, dans certains départements, la présence du bailleur social comme propriétaire vient conforter l'accessibilité de chacun à la structure d'habitat partagé.

Je ne suis pas favorable à ce que l'on modifie le nombre de personnes qui peuvent être accueillies dans le cadre d'un accueil familial. En général, les personnes morales, qu'elles soient de droit privé ou de droit public, ne construisent pas qu'une seule maison mais plusieurs, bâtissant ainsi une sorte de petit village avec un jardin partagé. La vie sociale s'y met en place plus facilement parce que les personnes, plus nombreuses, y vivent très largement en commun et entretiennent, en milieu rural et semi-rural, des relations idylliques avec les mairies.

En effet, ces structures sont souvent dotées d'une sorte d'orangerie, c'est-à-dire d'un lieu qui permet que les réunions familiales se tiennent ailleurs que dans une petite chambre où l'on se retrouve à dix, et qui permet aussi d'organiser des animations. Les maires peuvent ainsi y installer l'école de musique, ou bien y organiser des représentations théâtrales, dont les personnes âgées ou handicapées sont les premiers spectateurs.

De plus, ces structures embauchent des accueillants familiaux qui sont beaucoup mieux payés que les aides à domicile, leur salaire pouvant atteindre 2 700 euros, soit bien plus que les 800 euros que touchent, en moyenne, les aides à domicile dans le département du Nord.

Ces structures embauchent également des accueillants familiaux de remplacement, c'est-à-dire des personnes un peu plus âgées que les autres, qui ne souhaitent pas avoir un travail à temps complet mais faire des remplacements le week-end ou pendant les grandes vacances. On évite ainsi de faire déménager les personnes accueillies dans un Ehpad ou dans une autre structure collective, pendant cette période, alors qu'il s'agit de leur domicile et qu'elles ont le droit d'y rester. Cette pratique mérite d'être encouragée.

Au cours des auditions, j'ai été agréablement surpris de constater que de grandes structures appréciées de tous, y compris à l'Uniopss, se disaient prêtes à ouvrir un équipement par semaine à partir de janvier 2026, c'est-à-dire cinquante-deux équipements sur l'année. C'est le cas de MonSenior, mais aussi de plusieurs autres entreprises qui n'auront pas besoin de beaucoup d'aide de la part des collectivités publiques pour y parvenir.

Mme Aude Muscatelli. - Les difficultés que connaissent les Ehpad sont bien réelles. En 2023, la situation était très dégradée, le déficit atteignant plus d'un milliard d'euros pour les Ehpad publics. En 2024, la situation s'est légèrement améliorée. Nous n'avons pas reçu d'alerte concernant le cas d'Ehpad qui auraient été contraints de cesser leur activité par manque de trésorerie. L'absence de fonds d'urgence cette année peut être un sujet d'inquiétude, mais des crédits continuent d'être injectés dans les Ehpad, à travers la fusion des sections, notamment pour les établissements qui sont expérimentateurs et la perspective de sa généralisation.

Nous voulons également favoriser le regroupement des Ehpad via des groupements territoriaux afin qu'ils puissent mutualiser des fonctions aujourd'hui dispersées, par exemple les achats.

Certes, de nombreux Ehpad sont en difficulté, mais la situation s'améliore légèrement de même que leur taux d'occupation. Toutefois, vous avez raison, la perspective n'est pas non plus réjouissante.

Pour ce qui est de la fusion des sections, elle se passe bien, notamment entre les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux pour les opérations de tarification sur l'année. Cela a permis une dotation de 110 millions d'euros supplémentaires pour les Ehpad des vingt conseils départementaux expérimentateurs. Le bilan est donc positif, d'autant que le processus a abouti à uniformiser le forfait et le financement de la section dépendance, qui était très variable selon les départements. En effet, certains départements avaient sous-financé la section dépendance alors que la section soins était surfinancée et participait donc à éponger une partie du déficit des Ehpad.

Désormais, nous travaillons sur la généralisation de cette fusion. Combien cela va-t-il coûter à la branche ? Dans quelles conditions procéder à cette généralisation ? Devons-nous reproduire ce qui a été fait dans l'expérimentation ou procéder de manière différente ? Tels sont les sujets qui nous préoccupent.

Sur la formation initiale et continue, nous travaillons beaucoup avec les opérateurs de compétences (Opco). Nous versons plus de 300 millions d'euros chaque année pour renforcer les dispositifs qu'ils mettent en place. La difficulté reste toutefois de parvenir à flécher leurs financements sur les métiers qui concernent la prise en charge de la perte d'autonomie, notamment celui d'aide-soignant en Ehpad ou dans les services d'aide à domicile. En effet, les Opco sont de grosses structures qui ont du mal à orienter précisément leurs financements sur la validation des acquis de l'expérience (VAE) et sur les qualifications dans notre secteur.

Nous voudrions donc renforcer nos actions en ce sens, notamment au niveau local, par le biais des plateformes. Ainsi, plutôt que de fonctionner dans le cadre d'actions menées au niveau national par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) au travers des des structures Opco, nous souhaiterions faire en sorte que les plateformes des métiers puissent utiliser une partie des financements pour les flécher sur des actions concrètes de formation initiale et continue des professionnels.

La coordination des ARS et des conseils départementaux pose une vraie question. En effet, cette branche n'a pas de réseau propre et repose entièrement sur la coordination entre les départements et les ARS au niveau local, grâce au travail quotidien que mène la CNSA. Des rencontres territoriales sont organisées chaque année dans l'ensemble du territoire, dans toutes les régions et en choisissant un département différent chaque année. De plus, des conventions tripartites seront signées en 2026 dans l'ensemble des départements. Elles regrouperont l'ensemble des actions mises en oeuvre conjointement par les ARS, les départements et la CNSA dans un territoire.

Enfin, l'APA et la PCH ne sont pas concernées par le gel des prestations. Une seule prestation de la branche est concernée, à savoir l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH). L'allocation aux adultes handicapés (AAH) l'est aussi, mais elle n'est pas une prestation de la branche.

M. Jean-René Lecerf. - S'agissant de l'outre-mer, des politiques spécifiques sont d'ores et déjà prévues pour combler un retard relativement important. Financièrement, nous avons davantage ciblé l'outre-mer que le territoire métropolitain. Certaines modalités pour les personnes âgées, comme l'accueil familial, semblent particulièrement prisées en outre-mer. Le département de La Réunion arrive d'ailleurs en première position pour l'accueil familial et nous envisageons de démultiplier cela en outre-mer.

Enfin, je suis en désaccord avec ceux d'entre vous qui souhaitent que l'État finance intégralement l'APA, la PCH et - pourquoi pas ? - le revenu de solidarité active (RSA), soit l'ensemble des allocations individuelles de solidarité. Même les départements ne le demandent pas. S'ils le demandaient et si on le leur accordait, ils auraient, à mon sens, signé leur acte de mort. Je rappelle que j'étais encore sénateur lorsque la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a commencé à être examinée par le Parlement, ici au Sénat. Dans cette loi, étaient inscrits clairement non seulement la disparition du département, mais aussi la date de son enterrement, si je puis m'exprimer ainsi, fixée à 2020 ou 2021. Ce type de revendication ne peut qu'accélérer l'avènement du conseiller territorial.

M. Jean Sol, président. - Nous vous remercions pour cette audition.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur général,
de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)

Réunie le mercredi 22 octobre 2025, sous la présidence de M. Jean Sol, vice-président, la commission procède à l'audition de Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur général, de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

M. Jean Sol, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons à présent Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur général, de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Madame la présidente, monsieur le directeur général, le PLFSS pour 2026 prévoit que la branche famille reste la seule branche excédentaire au cours des prochaines années.

Pour ce qui est du contenu, deux mesures sont à mettre en avant dans la version initiale du texte : tout d'abord, la faculté donnée à l'Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires (Aripa) de recouvrer les sommes dont le recouvrement est abandonné du fait du délai maximal de deux ans propre à la procédure de paiement direct et d'harmoniser les procédures de recouvrement avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) ; ensuite, la création d'un congé supplémentaire de naissance en donnant l'opportunité à chacun des deux parents de bénéficier, en plus du congé de maternité et de paternité, d'un congé pouvant durer jusqu'à deux mois, à hauteur de 70 % du salaire net pour le premier mois, et à hauteur de 60 % du salaire net antérieur pour le second mois.

Je vous laisserai, dans un propos liminaire, nous livrer votre vision de ce PLFSS 2026 et, plus largement, des grands enjeux qui concernent la branche famille. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger.

Mme Isabelle Sancerni, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales. - Tout d'abord, je tiens à rappeler que le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales, lors de sa séance exceptionnelle du 21 octobre - hier matin -, a émis un vote majoritairement négatif sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui lui a été présenté. Les représentants de l'ensemble des tendances ont signalé leur forte préoccupation relative à l'état des finances de la sécurité sociale et l'impérieuse nécessité de préserver cette dernière. Ils ont également fait part de leur désaccord sur plusieurs mesures, notamment celle qui est relative au décalage de la majoration des allocations familiales de 14 ans à 18 ans, ainsi que sur les transferts de recettes opérés au détriment de la branche famille.

Le conseil d'administration a cependant souhaité saluer l'instauration, à l'article 42, du congé de naissance, qu'il appelait de ses voeux. Si nous serons vigilants quant aux modalités de mise en oeuvre de ce dispositif, notamment sur les conditions d'indemnisation des parents, nous reconnaissons un premier pas en vue de l'accompagnement de la parentalité dans une période cruciale pour la construction de la famille. Il ne s'agit toutefois pas de la véritable réforme du congé parental qui nous semble nécessaire au regard de la faible mobilisation de cette dernière.

Nous regrettons que n'ait pas été portée dans ce PLFSS une mesure que nous demandons depuis 2023, qui vise à faciliter l'accès à l'allocation de soutien familial des personnes concernées par l'intermédiation des pensions alimentaires. Cette mesure serait une étape cruciale dans l'accès aux droits des familles monoparentales, dont nous savons qu'elles sont parmi les plus précaires.

Ensuite, je souhaite saluer le travail remarquable accompli tout au long de l'année 2025 par le conseil d'administration et les services de la Cnaf et, dans les territoires, par les caisses d'allocations familiales (CAF) afin de poursuivre le déploiement des mesures portées dans notre convention d'objectifs et de gestion (COG). Cette démarche volontariste a été développée alors même que, dans l'ensemble de notre périmètre, notre branche se heurte indirectement aux problématiques financières rencontrées par les cofinanceurs des projets, au premier titre desquels les collectivités territoriales, mais aussi le secteur associatif. Ce contexte a un impact sur le fort degré de mobilisation de nos aides financières. Je songe notamment aux dispositifs relatifs à l'enfance et à la jeunesse, sur lesquels il a fallu que nous adoptions des mesures de freinage, ou à la situation des structures d'animation de la vie sociale, cheville ouvrière du vivre-ensemble, pour lesquelles nous avons été amenés à reconduire le fonds d'aide d'urgence.

Malgré ces difficultés, nous avons su, cette année encore, améliorer le service que nous rendons aux familles et aux plus vulnérables. L'exhaustivité n'étant pas possible ici, tant la branche famille s'est mobilisée sur l'ensemble de son périmètre, je citerai simplement la mise en oeuvre du service public de la petite enfance depuis le 1er janvier dernier et le travail d'accompagnement de grande qualité réalisé par les CAF auprès des porteurs de projets. Je parlerai également de l'incroyable essor du bonus inclusion handicap dans les accueils de loisirs sans hébergement (ALSH) qui, fin 2024, avait déjà atteint - en termes de public touché et de fonds consommés - sa cible de 2027 et pour lequel les demandes demeurent à un niveau considérable.

Toute cette action sociale est déployée sans relâche alors que, parallèlement, la branche famille continue de mener les réformes dans lesquelles elle est engagée, que ces dernières soient prévues dans notre convention d'objectifs et de gestion ou non. À ce titre, 2025, année de mi-COG, apparaît comme une année très dense. Depuis le 1er mars dernier, nous avons généralisé la solidarité à la source, et ce, sans problème informatique majeur. Derrière cette réforme structurante, c'est bien l'objectif du versement du juste droit et de l'accès aux droits qui est visé. Depuis le mois de septembre, nous mettons en oeuvre la réforme du complément de mode de garde, une évolution qui vise à garantir une plus grande équité entre les familles, quel que soit le mode de garde choisi, en tenant compte des revenus des foyers.

Bien entendu, nous avons poursuivi le versement de l'aide aux victimes de violences conjugales, créée en décembre 2023 et allouée à près de 50 000 bénéficiaires depuis lors, et nous avons, avant le mois dernier, lancé l'extension du nombre de départements expérimentant le « pack nouveau départ » qui y est associé.

Cette année encore a donc été extrêmement chargée et la branche famille a su montrer sa capacité à bien faire et à faire dans les temps. Cela n'est qu'une brève synthèse des projets que notre branche soutient. Elle nous rappelle combien la branche famille agit quotidiennement comme un acteur majeur de la solidarité nationale. Je tiens ici à remercier les 35 000 collaborateurs de la branche famille qui, chaque jour, s'emploient à assurer les fondements de notre activité, tout en s'adaptant aux besoins de la société et aux réformes qui visent à mieux y répondre.

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Sur le congé parental, mon avis est mitigé. En effet, il s'agit encore d'un dispositif supplémentaire, complexe à envisager pour les parents sur une durée extrêmement courte. Nous sommes loin du congé d'un an, rémunéré à hauteur de 75 % du revenu professionnel, qui se pratique dans les pays qui veulent relancer la natalité, comme le Portugal. Pourquoi donc, malgré le solde excédentaire de la branche famille, ne pas avoir engagé la refonte des congés parentaux tant attendue par les familles, avec notamment un congé parental unique ?

Ma deuxième question concerne l'Aripa et le recouvrement des pensions alimentaires dont le délai pourrait passer de deux à cinq ans. Comment ce nouveau dispositif va-t-il s'articuler ? Quels moyens seront déployés ? Combien de postes seront créés ? Utiliserez-vous l'intelligence artificielle ? Quelle sera l'articulation entre l'ancien et le nouveau régime ? Je n'aborde pas la question de l'intermédiation, puisque vous l'avez déjà traitée, mais c'est un sujet qui nous préoccupe également.

S'agissant de la fraude sociale, dont le montant est estimé à près de 3,9 milliards d'euros pour la branche famille, la Cnaf gère le régime de protection sociale le plus concerné. Comment expliquez-vous que, de manière assez contradictoire, il n'existe en réalité que peu de projets relatifs à la fraude concernant la Cnaf ? N'y a-t-il aucun obstacle juridique à la détection ou au recouvrement des indus que vous pourriez aider à lever, et ne faudrait-il pas aller plus loin pour lutter contre ce type de fraude ? Comment répondre, notamment, à la question de l'homogénéité des pratiques des CAF, celles-ci variant d'une caisse à une autre ?

Enfin, à l'horizon 2029, quel sera, selon vous, le solde de la branche famille ? D'après nos estimations, l'excédent pourrait dépasser les 2 milliards d'euros. Avez-vous le même chiffrage et, dans cette perspective, quelles politiques familiales envisagez-vous de développer, notamment pour relancer la natalité ?

M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales. - Le congé de naissance ne s'inscrit pas dans une réforme globale du congé parental - ce sujet a été longuement discuté. Le dispositif est assez différent de celui de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE), qui est plutôt longue et assez peu rémunérée, mais qui correspond aux besoins d'un certain public. À l'inverse, l'objectif d'un congé plus court et mieux rémunéré impliquait un coût pour les finances publiques dans un contexte difficile. Les arbitrages sont ceux du Gouvernement. Toutefois, il est certain qu'un congé pouvant aller jusqu'à quatre mois si les deux parents le prennent, au niveau de prise en charge annoncé - soit 70 % le premier mois et 60 % le deuxième mois -, est plus favorable que le dispositif qui avait été un temps envisagé, c'est-à-dire un congé un peu plus long pris en charge à 50 %. L'arbitrage à faire porte sur la longueur du congé et sur le taux d'indemnisation, compte tenu de la situation des finances publiques, car tout cela a forcément un coût. Tous les paramètres sont discutables et vous pourrez en débattre avec le Gouvernement.

Il paraît difficile de remettre en cause la PreParE, qui ne répond pas forcément aux mêmes besoins et ne cible pas les mêmes populations. Ce que le conseil d'administration de la Cnaf appelle de ses voeux, c'est une reprise de la réflexion dès lors que le congé de naissance aura été créé et mis en oeuvre. En effet, il faut un certain recul pour pouvoir estimer le taux de recours au nouveau dispositif. Mais plus le niveau d'indemnisation est important, plus le taux de recours sera élevé et plus le financement nécessaire sera important. Il faudra trouver le bon dosage.

Nous sommes montés en puissance sur le dispositif de l'intermédiation financière, ce qui est positif. Des leviers d'amélioration existent et l'un d'entre eux figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui vous est soumis : il s'agit de ce que nous appelons le « paiement direct » qui consiste à solliciter auprès de l'employeur, ou des personnes qui versent de l'argent au débiteur, d'être payé directement. C'est donc une procédure forcée.

Pour l'instant, par une sorte de dichotomie des textes, nous sommes autorisés à le faire dans un délai de deux ans, alors que, dans le droit commun, le délai pour la prescription des créances est de cinq ans. Après notre intervention, nos collègues de la direction des finances publiques peuvent faire jouer les créances alimentaires, entre autres. Il y a donc moins de force et de cohérence dans le dispositif tel qu'il existe. Il nous paraît donc logique d'allonger le délai jusqu'à cinq ans pour que nous puissions intervenir d'emblée. Ce ne serait pas plus lourd ni plus embolisant pour nos services et nos collègues de la direction générale des finances publiques seraient déchargés d'une procédure complémentaire potentielle. Cette mesure serait simplificatrice et plus forte pour ce qui est de l'accès aux droits.

D'autres possibilités de facilitation, de simplification ou d'accélération existent dans le cadre de l'Aripa, que nous pourrons vous détailler.

En matière de fraude, nous ne sommes pas le régime social le plus concerné. En effet, la fraude aux prélèvements fiscaux et sociaux représente la masse financière la plus importante. Nos collègues de l'Urssaf sont en première ligne sur ces sujets.

Dans les prestations que nous allouons, que ce soit pour le compte de la sécurité sociale ou pour le compte de tiers, des situations de fraude existent, que nous connaissons et dont nous estimons le montant. L'arsenal juridique et opérationnel dont nous disposons pour traiter ce sujet a beaucoup progressé durant les dernières années, notamment pour ce qui est de la fraude organisée et de la fraude à enjeux. Nous avons créé un service national structuré dans le cadre duquel nous faisons appel à des compétences extérieures et internes pour renforcer notre capacité à détecter et à traiter ce type de fraude.

Pouvons-nous améliorer encore un certain nombre de supports juridiques ? C'est un sujet sur lequel nous travaillons. Parmi les obstacles que nous identifions, il y a ceux qui concernent la fraude à la résidence. En effet, pour lutter contre ce type de fraude, nous cherchons par tous les canaux possibles à connaître les lieux de séjour des personnes soupçonnées ; or l'accès aux informations des compagnies aériennes, par exemple, reste difficile. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Quoi qu'il en soit, l'arsenal juridique dont nous disposons s'est déjà beaucoup renforcé par rapport aux moyens dont nous disposions il y a cinq ou dix ans.

Concernant l'homogénéité des pratiques entre les CAF, des initiatives existent qui sont très cohérentes et pilotées. Nous pouvons toujours progresser, mais le sujet n'a rien de massif.

Enfin, sur les questions financières, le solde prévisionnel annoncé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale est de 2,4 milliards d'euros, à l'échéance de la période, après le partage des ressources entre les branches de la sécurité sociale. Les débats d'ordre financier seront évidemment très politiques et renverront aussi à la préparation de la convention d'objectifs et de gestion suivante, à l'échéance 2029-2030, dans un environnement contraint et globalement très déficitaire.

Mme Isabelle Sancerni. - Le conseil d'administration de la Cnaf préconise de verser les allocations familiales dès le premier enfant, sachant que les dépenses engagées sont importantes dès ce moment. C'est un élément qui nous semble de nature à favoriser la politique familiale.

Pour les familles monoparentales, l'allocation de soutien familial (ASF) consiste en une avance sur pension alimentaire ou en un complément de celle-ci. Avec l'intermédiation financière des pensions alimentaires, les CAF peuvent détecter le droit à l'ASF ; il nous semblerait utile de verser de façon automatique cette allocation, sachant que, selon la situation du parent créancier, il peut aussi y avoir récupération.

Par ailleurs, il faut regarder ce que cela coûterait de manière plus globale. En effet, le versement de l'ASF pourrait justifier de diminuer d'autres prestations, que ce soit le revenu de solidarité active (RSA), la prime d'activité ou l'allocation logement. Cela permettrait de gagner en efficacité opérationnelle et en qualité de service vis-à-vis des familles monoparentales.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Je souhaiterais vous interroger en ma qualité de rapporteur pour la branche vieillesse sur l'article 44 du PLFSS pour 2026, qui prévoit, d'une part, pour l'année 2026, de ne pas revaloriser sur l'inflation certaines prestations sociales ainsi que les plafonds de ressource conditionnant l'ouverture du droit à ces prestations, et d'autre part, pour les années 2027 à 2030, de minorer à 0,4 % le coefficient de revalorisation prévu à l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale. Cette mesure concernerait notamment la prestation d'accueil du jeune enfant, les allocations familiales, le complément familial, l'allocation de soutien familial, l'allocation de rentrée scolaire et l'allocation forfaitaire versée en cas de décès d'un enfant. L'étude d'impact évalue l'économie produite en 2026 à 0,3 milliard d'euros, dont 0,1 milliard d'euros pour les seules allocations familiales. Confirmez-vous cet ordre de grandeur ? Quels éléments d'impact supplémentaires pouvez-vous nous apporter, notamment quant au nombre de foyers touchés ? Cette mesure appelle-t-elle des observations de votre part ?

Mme Laurence Rossignol. - Dans le cadre du congé de naissance, le taux de prise en charge est de 70 %, le premier mois, pour le premier parent, et de 60 % le second mois ; il est de 70 % le premier mois pour le deuxième parent et de 60 % le deuxième mois. Et cela sans plafond, quel que soit le salaire des parents. C'est du moins ce que j'ai entendu dire lors d'une communication sur le congé de naissance. Cela m'étonne et, si tel était réellement le cas, je ne serais pas loin d'être choquée, alors que je suis favorable à ce congé de naissance. Mais s'il y a un plafond, il faut le dire. J'aimerais avoir une réponse claire.

Le report de la majoration des allocations familiales de 14 ans à 18 ans est un autre sujet préoccupant. C'est une mesure comme seul Bercy en a le secret ! Et je le sais pour avoir « fait » 2015... L'impact sera très douloureux pour les familles, car ce n'est pas à 18 ans que les enfants coûtent cher. Déjà, 14 ans, c'est trop tard, car c'est plutôt à 12 ans ou 13 ans que le coût augmente. Une telle mesure n'est pas acceptable.

J'aimerais savoir s'il est toujours prévu que les indemnités journalières versées pour les congés de maternité soient imputées sur la branche famille ou si l'assurance maladie les reprend à sa charge. Sur ce sujet, ce budget rompra-t-il avec les précédents ? C'est une charge indue qui pèse sur la caisse d'allocations familiales.

Quant à l'ASF, ce n'est pas simplement une avance sur pension alimentaire ; c'est une allocation qui est due y compris aux femmes qui ne perçoivent pas de pension alimentaire. Il est important de le rappeler, car les femmes ne le savent pas toujours, l'ASF étant incluse dans le mécanisme Aripa.

Sur les pensions alimentaires, nous savons tous que la bonne solution technique, c'est le prélèvement direct sur salaire, comme le font les Québécois. Le montant est prélevé directement sur le salaire du père et versé directement sur le compte bancaire de la mère. Cela réduit considérablement le volume des contentieux. Je souhaiterais savoir si la Cnaf défend cette proposition ; pour ma part, j'y avais échoué. Cela permettrait de transmettre le problème à Bercy, ce qui serait une très bonne chose pour les intermédiations.

Enfin, comme exemple de l'hétérogénéité des pratiques des CAF, je citerai le versement de l'allocation de rentrée scolaire des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) sur les comptes de la Caisse des dépôts et consignations. En effet, certaines CAF refusent de le faire ! Cela dit, cette information est peut-être obsolète. Toutefois, travaillez-vous avec la Caisse des dépôts et consignations pour identifier les départements dans lesquels l'allocation de rentrée scolaire lui est bien versée et ceux où ce n'est pas le cas ? Quels sont les départements dans lesquels les enfants demandent à récupérer leur allocation, ou pécule ? Avez-vous lancé un travail de recensement et d'analyse sur ce sujet et pourriez-vous nous fournir, dans les quinze jours ou trois semaines à venir, un état des lieux précis sur les comportements des CAF et des départements ainsi que sur les problèmes de transmission d'informations.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je voudrais revenir sur la solidarité à la source, qui occasionne, selon vous, la juste prestation et qui permet des économies. La première année, le gain avait été estimé à 800 millions d'euros. Avez-vous pu évaluer, cette année encore, les économies permises par ce dispositif ? Dans le rapport d'information que nous avions rédigé en 2023, avec René-Paul Savary, nous avions précisé que les économies permises devaient être affectées à la lutte contre le non-recours. J'aimerais donc que vous nous disiez si cette recommandation a bien été suivie.

Par ailleurs, vous avez indiqué que le conseil d'administration était en désaccord avec l'article 12 sur les transferts. Que le produit de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de retraite soit affecté à une branche plutôt qu'à une autre est tout aussi pertinent : il s'agit in fine de financer la protection sociale en général par cette fiscalité qui est universelle et qui a donc vocation à être répartie. Le problème reste qu'il n'y a pas de mesures nouvelles en recettes, mais uniquement des mesures de réduction de la dépense.

Le report de la majoration des allocations familiales de 14 ans à 18 ans est vraiment inacceptable. Le gain est estimé à 0,2 milliard d'euros. Pour le deuxième enfant d'une famille au revenu inférieur à 78 000 euros par an net imposable, c'est une perte de 906 euros chaque année ; pour le troisième enfant d'une famille percevant un revenu inférieur à 85 000 euros par an net imposable, c'est une perte de 2 700 euros.

Quant au gel des allocations pour 2026... Nous sommes dans une année où la pauvreté monétaire est au plus haut depuis trente ans. Je le rappelle, 10 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté et plus de 650 000 personnes ont basculé l'année dernière sous ce seuil. Il s'agit aussi d'un enfant sur cinq qui vit dans une famille pauvre et qui est donc un enfant pauvre. Je ne peux qu'être d'accord avec la position de votre conseil d'administration et nous agirons pour la défendre.

En ce qui concerne le congé de naissance, c'est une bonne chose que nous sortions d'un système de forfait en nous alignant sur ce que font les autres pays. Le forfait était une trappe pour les femmes, notamment dans les métiers féminisés du soin, où les femmes étaient les seules, en fin de compte, à prendre ce congé. Mais y aura-t-il un plafond, comme l'a demandé ma collègue ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Quels sont le calendrier et les modalités de mise en oeuvre de ce congé supplémentaire de naissance ? Comment s'articulera-t-il concrètement avec les congés de maternité, de paternité et parental qui existent déjà ?

En décalant l'âge d'ouverture des droits de 14 ans à 18 ans, on supprime de fait l'octroi de la majoration des allocations familiales. Or nous savons que le coût réel d'un adolescent pour une famille commence à être élevé à cet âge. La majoration des allocations familiales relève d'une logique de soutien continu à l'éducation des enfants. La mesure envisagée est un mauvais signal dans le contexte que connaît la natalité, qui reste un enjeu national. Ce sont surtout les familles de la classe moyenne qui seront touchées. Une famille qui a deux enfants au lycée sera privée de 300 euros par mois. La mesure ne peut qu'avoir un impact négatif sur notre pays.

Mme Marion Canalès. - Tout d'abord, concernant le pécule dont a parlé Mme Rossignol, une campagne devait être lancée et elle va l'être. Sera-t-elle suivie d'une coordination avec les départements ? Tout cela est-il bien organisé ? En effet, il ne s'agit pas seulement de lancer la campagne, mais aussi de mobiliser les caisses d'allocations familiales et l'ensemble des départements.

Ensuite, le crédit d'impôt famille semble créer un effet d'aubaine pour les plateformes d'intermédiation pour les crèches. On constate, en effet, que ces plateformes se rémunèrent en prélevant à leur profit une partie du prix de la réservation. Ces activités d'intermédiation posent question, dans la mesure où les marges dégagées sont financées à hauteur de 75 % par l'argent public. On constate une certaine opacité et il ne me paraît pas acceptable qu'elles se rémunèrent comme un service de commercialisation, car les familles ne sont plus informées du coût réel. Comment progresser sur ce sujet ?

Enfin, toujours au sujet du contrôle des crèches, vous semble-t-il opportun de permettre aux contrôleurs en action sociale des CAF de pouvoir qualifier directement de frauduleux les comportements constatés et de bénéficier d'une assermentation dans le cadre de leur contrôle ? Est-ce faisable ? En tout cas, c'est l'une des préconisations que nous avions formulées.

M. Daniel Chasseing. - Tout d'abord, je me réjouis du financement des crèches par la CAF, à des taux importants, notamment en milieu rural, qui ont permis leur réalisation. Pour le congé de maternité, le taux actuel de prise en charge des indemnités journalières me paraît satisfaisant. À quel niveau se situera-t-il ?

Ensuite, pour la récupération de la pension alimentaire, le délai de deux ans n'est en effet pas suffisant. L'avance de la CAF est très importante pour les familles, souvent monoparentales, et la Caisse apporte des sommes indispensables en attendant que le débiteur s'acquitte de son obligation. Le nouveau projet de dispositif pour faciliter la récupération, à savoir le prélèvement sur salaire, vous paraît-il efficace ?

M. Khalifé Khalifé. - Ma première question est d'ordre technique. Vous avez évoqué un travail sur les fraudes. Je mène une réflexion sur le sujet depuis quelques mois : l'arrivée de l'intelligence artificielle et l'usage du data streaming donnent lieu à des expériences plutôt positives à l'étranger. Cependant, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) semble être un frein important. Partagez-vous ce constat ?

Deuxièmement, quels sont les obstacles à la récupération des indus ou, plus précisément, quels problèmes rencontrez-vous pour les recouvrer ?

M. Nicolas Grivel. - Madame Gruny, votre question sur l'article 44 soulève en réalité le sujet de l'année blanche sur toutes les prestations que l'on retrouve dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme on les retrouvera dans le projet de loi de finances. L'impact est assez net : aucune prestation qui a vocation à être revalorisée ne le serait dans le cadre de cette année blanche, ce qui a un impact financier, prestation par prestation. Le montant que vous citiez est, à mon sens, un peu minoré par rapport à l'impact qu'une telle mesure pourrait avoir. Nous avons un chiffre global sur les prestations familiales, de 0,4 milliard ou 0,5 milliard d'euros, mais il faudrait que je vérifie ce point. Le chiffre figurera certainement dans l'étude d'impact.

Toutefois, cela concernera aussi les prestations que nous versons pour le compte de tiers, qu'il s'agisse des aides au logement, du RSA ou de la prime d'activité, etc. L'aspect global est évidemment important dans les sujets d'ajustement et d'économie qui sont posés.

Il ne devrait pas y avoir de problème d'articulation des dispositifs puisque, en réalité, nous continuerions de verser les prestations telles qu'elles le sont cette année. Ce type de problème aurait pu surgir s'il y avait eu des choix « de dentelle », consistant à calibrer différemment, à faire une année blanche pour une partie des bénéficiaires et pas pour d'autres, etc. Mais globalement, nous continuerons à verser les prestations de manière inchangée.

Sur le report de la majoration des allocations familiales de 14 ans à 18 ans, Isabelle Sancerni a donné l'avis assez net du conseil d'administration. C'est une mesure réglementaire qui est positionnée et annoncée au sein d'une trajectoire globale et qui n'est pas portée en tant que telle par le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Elle s'inscrit aussi en contrepartie de la création du congé de naissance.

Toutefois, cette économie est discutée. Une étude menée il y a quelques années par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a montré qu'il y avait un surcoût assez net à 18 ans, ou du moins qu'il n'y avait pas de caractérisation d'un surcoût particulier entre 13 ans et 14 ans. Le débat est évidemment plus large.

Je confirme que les modalités du congé de naissance seront précisées par voie réglementaire, y compris le taux de prise en charge. Je ne peux pas répondre à votre question sur le plafonnement. Vous pourrez poser la question au ministère sur ce qui est envisagé à ce stade.

Mme Laurence Rossignol. - On ne peut pas voter une mesure sans connaître le plafond.

M. Nicolas Grivel. - L'étude d'impact pose les modalités en indiquant que le taux de prise en charge sera de 70 % et 60 %. Elles seront précisées par voie réglementaire. En outre, l'étude d'impact mentionne l'existence d'un plafond sans préciser le montant, mais un plafond est bien prévu.

Je confirme qu'il n'y aura pas de changement sur la prise en charge des indemnités journalières de congé de maternité. Nous conserverons les modalités antérieures.

Sur le vaste sujet du recouvrement de la pension alimentaire, le choix de l'intermédiation plutôt que du prélèvement sur salaire a été fait il y a quelques années. Je ne reviendrai pas sur le sujet, mais je note que nous observons une montée en puissance très forte de l'intermédiation, compte tenu de sa systématisation dans tous les jugements de divorce qui sont prononcés. La situation du versement par intermédiation sans impayés est désormais majoritaire dans nos procédures. Nous continuons évidemment à gérer des impayés et à recouvrer des arriérés de pension, mais nous avons en quelque sorte banalisé l'intermédiation, qui fonctionne normalement sans difficulté et qui est ici placée dans une logique de prévention.

En effet, nous savons qu'il y a 30 % de situations d'impayés, mais nous ne savons pas à l'avance quelles sont les situations qui vont générer ce taux. Par conséquent, en plaçant un service public en intermédiation, nous obtenons un effet évidemment préventif.

De plus, nous constatons que les montants moyens d'impayés que nous avons à gérer et le nombre de mois qui génèrent ces impayés sont en chute constante. Nous intervenons donc de manière plus précoce sur ces situations et sur des cas moins problématiques, car il vaut mieux, même en cas d'impayé, intervenir plus tôt. Par l'intermédiation, nous pouvons donc faciliter les choses et limiter la conflictualité sur ces sujets. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus de problème, car il reste le « stock » des situations anciennes qui peuvent donner lieu à des impayés.

Ce dispositif permet d'obtenir des résultats. Nous avons considérablement amélioré le recouvrement des impayés, puisque nous sommes passés d'un taux de l'ordre de 55 % à 80 %. Notre efficacité s'est donc renforcée.

La mesure proposée vise à aller encore plus loin : si nous remontons le délai à cinq ans plutôt qu'à deux ans, nous aurons de meilleurs résultats sur les paiements directs et sur les recouvrements « forcés » que nous obtenons. Cela vient corroborer l'intérêt du dispositif d'intermédiation et la force qu'il a su trouver, même si des améliorations restent encore possibles.

Plusieurs questions ont porté sur le pécule d'allocation de rentrée scolaire versée aux enfants placés à l'ASE. Je n'ai pas connaissance de situations où les CAF ne verseraient pas les sommes dues, en tout cas récemment. En revanche, le problème est surtout de savoir ce que devient l'argent une fois qu'il a été versé à la Caisse des dépôts et consignations et comment il est restitué aux sortants de l'ASE. Autrement dit, la concentration collective de nos efforts consiste à savoir comment faire pour que des personnes qui ont de l'argent à la Caisse des dépôts et consignations récupèrent cet argent. En effet, la part de ceux qui le retrouvent est faible par rapport à ce que l'on pourrait souhaiter. La Caisse des dépôts et consignations a du mal à interagir avec les départements pour avoir des informations exactes sur les personnes concernées de sorte qu'elle ne les retrouve pas forcément.

Nous avons accepté de prêter notre concours à une opération qui consiste à systématiser une campagne de contact auprès de ces personnes, en croisant les informations de la Caisse des dépôts et consignations avec celles de l'assurance maladie et en adressant un courriel à l'ensemble des personnes dont nous avons le contact pour leur indiquer comment récupérer leur argent.

Cette campagne est en cours. Le taux de réception des courriels est plutôt satisfaisant à ce stade. Nous ferons le bilan de cette opération pour voir s'il faut la pérenniser, en lien avec les départements. En effet, cette campagne doit pouvoir déclencher un suivi plus fin des sorties de l'ASE.

Concernant la solidarité à la source, la réforme a pris son envol pleinement avec la généralisation du dispositif en mars dernier. Elle fonctionne globalement de manière satisfaisante, même s'il reste des points d'amélioration. Nous avons simplifié la vie de millions d'allocataires qui disposent désormais d'une déclaration préremplie pour déclarer leurs ressources au titre du RSA et de la prime d'activité. Les effets financiers peuvent jouer dans les deux sens. L'effet instantané est le plus fort ; il est évidemment plutôt à l'économie, puisque nous allons générer moins d'indus que nous ne parvenons pas forcément à détecter et à récupérer par la suite. Ce faisant, nous versons le juste droit d'emblée.

Cela représente aussi un intérêt très fort pour les personnes qui reçoivent les prestations, car nous sécurisons leurs droits. Lorsque nous discutons avec les allocataires, ils nous disent préférer recevoir la bonne somme dès le départ et savoir qu'ils peuvent compter sur ce montant, plutôt que de percevoir un peu plus et de devoir en restituer une partie après, ce qui est très déstabilisant. Il y a donc un intérêt collectif à cette démarche. C'est d'ailleurs pour cette raison que les associations de lutte contre la pauvreté soutiennent cette réforme et y trouvent un intérêt très fort.

L'effet est plus limité sur le RSA que sur la prime d'activité, car, très souvent, les bénéficiaires de cette prestation n'ont pas de ressources du tout et ne sont donc pas concernés par la réforme.

Ce qui est intéressant, c'est de mesurer l'effet sur l'accès aux droits. Cet effet peut être spontané, mais progressif, en raison d'un moindre découragement des personnes qui ont vécu des situations difficiles, notamment concernant la prime d'activité : parce que le système est plus simple, ces personnes accèdent plus facilement à leurs droits.

Mais il y a aussi un effet organisé qui consiste en des campagnes d'accès aux droits, notamment pour la prime d'activité, qui est la prestation sans doute la moins connue et pour laquelle le taux de non-recours est le plus net. Nous continuerons de mener ce type de campagne que nous pouvons désormais mieux cibler parce que nous connaissons les ressources des personnes concernées.

Nous avons également beaucoup progressé en matière de détection des fraudes grâce à l'utilisation du data mining : il ne s'agit pas d'intelligence artificielle, mais du ciblage statistique des situations qui se prêtent le plus à un indu. Il ne s'agit donc pas de fraude, mais d'indus dont une partie peut être frauduleuse, mais pas la totalité. La solidarité à la source a permis de réduire les indus résultant d'erreurs, de sorte que nous pouvons désormais nous concentrer sur la lutte contre la fraude.

Notre taux de récupération des indus est assez colossal puisque nous récupérons environ 80 % des indus de manière générale et près de 70 % des indus frauduleux. Cependant, plus nous nous heurtons à la fraude organisée, plus la récupération est difficile, car l'organisation va jusqu'à effacer les personnes auprès desquelles nous devons récupérer ces sommes. Néanmoins, nous avons globalement de bons résultats sur ce sujet.

Je ne considère pas la Cnil comme un frein, mais il s'agit de placer les bons curseurs entre le respect des droits, qui est fondamental, et l'intérêt général qui s'attache aussi à la lutte contre la fraude. De ce point de vue, nous avons des échanges toujours fructueux et intéressants avec la Cnil. Nous avons structuré en notre sein un comité d'éthique sur l'usage des données, qui était parfois contesté, notamment en matière de contrôle. Nous menons des débats très intéressants au sein de ce comité d'éthique avec des associations de lutte contre la pauvreté, des experts de ces sujets et nos administrateurs, et cela nous permet d'avancer dans la rénovation de nos modèles de data mining et de ciblage. Ces sujets devraient évoluer profondément avec la mise en oeuvre de la solidarité à la source, car nous aurons moins besoin de cibler les risques d'indus par erreur et nous pourrons nous concentrer sur d'autres problématiques, dont la fraude.

Nos financements ont été jugés décisifs pour le maintien et le développement de l'offre de crèches, dans un contexte compliqué. L'enjeu est pour nous de faire évoluer ce modèle en passant par tous les canaux financiers qui alimentent le secteur de la petite enfance. Alors que le crédit d'impôt est parfois remis en question, nous considérons qu'il joue un rôle important en incitant les entreprises à financer l'accueil des jeunes enfants. Si nous le supprimions sans rien prévoir d'autre pour garantir ce financement, nous aurions globalement moins de ressources pour la petite enfance. Nous préconisons donc une certaine prudence sur ce sujet en l'absence d'une réforme plus globale.

Nous pourrions sans doute envisager de nouvelles mesures sur le ciblage ou le plafonnement de certaines prises en charge financières, dans le cadre du débat parlementaire. L'Assemblée nationale se penche d'ailleurs sur ce sujet.

Le contrôle et la déclaration de la fraude sont des sujets que nous examinons. L'enjeu pour nous est d'être le plus efficace possible en la matière. Se pose la question de la caractérisation presque pénale du sujet, à savoir la capacité de proposer des sanctions d'ordre administratif qui soient plus directes. Nous faisons évoluer nos modèles en ce sens. Le dispositif montera en charge progressivement, au gré du renouvellement de nos conventions, l'objectif étant de pouvoir appliquer une sanction administrative directe dans des cas de fraude à l'action sociale, indépendamment des procédures pénales que nous pouvons diligenter pour les cas les plus significatifs. Cette voie nous paraît plus prometteuse que le recours systématique au pénal. Nous n'avons aucune difficulté à appliquer la sanction administrative prévue par les textes à des allocataires qui fraudent ; il n'y a pas de raison que ce ne soit pas le cas pour des structures qui fraudent.

M. Jean Sol, président. - Nous vous remercions pour votre participation.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

M. Thomas Fatôme, directeur général
de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)

Réunie le mercredi 22 octobre 2025, sous la présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président, la commission procède à l'audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Mme Pascale Gruny, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Monsieur le directeur général, nous soulignons depuis plusieurs années que la situation financière de la branche maladie est préoccupante, les déficits nés à l'occasion de la crise du covid-19 étant désormais devenus structurels. Le déficit prévu pour 2025 s'élève ainsi à 17,2 milliards d'euros, ce qui est évidemment considérable en dehors d'une période de crise.

Dans sa version initiale, le PLFSS pour 2026 prévoit de fortes mesures d'économies, dont le montant cumulé atteindrait 7,1 milliards d'euros. Ainsi, la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) serait limitée à 1,6 %, ce qui reste supérieur à l'inflation, mais correspond au niveau le plus faible depuis une dizaine d'années. J'observe que ces annonces ont déjà suscité de vives réactions de la part des publics concernés.

Je vais à présent vous laisser commencer cette audition par un propos liminaire dans lequel vous nous détaillerez ces mesures et nous donnerez la vision de la Cnam sur ce PLFSS.

Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant bien sûr par notre rapporteure de la branche maladie, Corinne Imbert.

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie. - En guise d'introduction, je commencerai par évoquer le cadrage macroéconomique de ce PLFSS, pour souligner la gravité de la situation financière de l'assurance maladie. Le déficit pour 2025 serait même légèrement supérieur aux prévisions de la commission des comptes du printemps dernier, atteignant un peu plus de 17 milliards d'euros, un chiffre très important hors période de crise sanitaire ou financière.

Pour autant, ce PLFSS porte l'ambition d'une diminution significative de ce déficit, puisque l'objectif de déficit est fixé par le Gouvernement à 12,5 milliards d'euros pour 2026, alors même que la conjoncture économique, et donc les hypothèses de croissance et de recettes, ne sont pas favorables.

Si ce cadrage est respecté, cela marquera la fin de la dégradation post-covid et engagera une marche de redressement importante. Deux leviers y contribueront : un effort de maîtrise des dépenses, avec un Ondam pour 2026 en augmentation de 1,6 % et un quantum d'économies très significatif de 7 milliards d'euros, ainsi qu'une progression des recettes de l'assurance maladie de l'ordre de 10 milliards d'euros entre les prévisions pour 2025 et les objectifs pour 2026. L'article 12 du PLFSS, qui porte sur les affectations financières entre l'État et la sécurité sociale et sur la répartition des recettes entre les branches, opère des choix qui favorisent l'assurance maladie et contribuent ainsi à la réduction de son déficit, ce dont je ne peux que me féliciter.

Vous ne serez pas surpris que je reparte des propositions que nous avons formulées cet été dans le cadre du rapport Charges et produits, plusieurs articles de ce projet de loi les portent et vont, du point de vue de l'assurance maladie, dans le bon sens.

Ces propositions, au nombre de soixante, s'articulent autour de trois axes : la prévention, l'organisation du parcours de soins, et ce que nous avions appelé « le juste soin au juste prix ».

Sur la prévention, deux sujets sont mis en avant. D'une part, l'article 19 construit un dispositif en amont de l'entrée en affection de longue durée (ALD), que nous avions qualifié d'identification d'un risque chronique. Le texte de l'article évoque un parcours de prévention, mais l'idée est la même : identifier en amont des situations de risque, comme l'obésité ou l'hypertension artérielle, afin de déclencher un suivi rapproché par le médecin, la mise en place de programmes de prévention, voire d'un panier de soins dédié. Il s'agit d'une réforme structurelle qui nous paraît pertinente.

D'autre part, l'article 20 traduit une ambition sur la vaccination, un sujet sensible. Il s'agit de renforcer son soutien, voire d'étendre son obligation, en lien avec les avis de la Haute Autorité de santé (HAS).

Le deuxième axe concerne l'organisation et le parcours de soins. Bien que ce domaine ne relève pas entièrement du domaine législatif, les mesures que nous avions préconisées dans notre rapport sur une meilleure organisation des soins de ville, notamment des soins non programmés, trouvent une réponse à l'article 21, lequel définit un cahier des charges pour les structures de soins non programmés, afin que celles-ci soient mieux reliées à l'organisation territoriale, à l'hôpital et au service d'accès aux soins (SAS). Elles s'inscriraient ainsi davantage dans une continuité de prise en charge, ce qui nous semble positif au regard du déploiement parfois chaotique de solutions qui, si elles répondent à des besoins localement, le font de manière peu coordonnée avec les autres acteurs du territoire qu'ils soient hospitaliers ou de la médecine de ville.

Le troisième axe est donc le juste soin au juste prix. Plusieurs articles rejoignent nos propositions à ce titre. L'article 24 vise ainsi à lutter contre les rentes dans le système de santé. Nous avions identifié des secteurs d'activité - imagerie, radiothérapie, dialyse - dans lesquels, sans les stigmatiser, car ces prises en charge sont nécessaires, les niveaux de tarifs et de rentabilité sont très élevés. Cet article met en place des outils pour répondre à ces situations, ce qui semble indispensable dans le contexte financier actuel, même si je rappelle combien nous sommes attachés au dialogue conventionnel.

Le deuxième volet de cet axe touche à l'utilisation du numérique en santé. Le PLFSS propose d'aller plus loin dans l'utilisation systématique du dossier médical partagé (DMP) et de « Mon espace santé », avec des sanctions possibles en cas de non-consultation ou de non-alimentation. Il s'agit de poser un cadre pour que, au regard des investissements réalisés et dans la mesure où près d'un tiers des assurés ont activé leur espace numérique et où un document de santé sur deux y est déposé, l'usage de ces outils devienne systématique, voire obligatoire, au bénéfice du juste soin.

Un troisième volet porte sur l'efficience des prescriptions hospitalières. Nous avions proposé la mise en place d'un dispositif simplifié d'intéressement de l'hôpital aux justes prescriptions ; c'est ce que vise l'article 27. Ce cadre nous semble intéressant à déployer avec les agences régionales de santé (ARS) et les hôpitaux.

Enfin, le dernier élément de cet axe a trait aux médicaments. Nous observons une rupture depuis la crise de la covid-19, avec une accélération de la dépense de médicaments remboursés, laquelle progresse plus vite que l'Ondam et a atteint 8 % en 2024 par rapport à 2023, un niveau inédit. Ce PLFSS apporte des outils de régulation plus transparents, notamment sur la clause de sauvegarde et sur les avances de trésorerie. J'insiste surtout, à ce titre, sur l'article 33 et sur le soutien au déploiement des médicaments biosimilaires, pour lesquels les marges de manoeuvre nous semblent importantes.

Un sujet important, qui peine à entrer dans ces trois catégories, concerne les arrêts de travail, lesquels représentent environ 16 milliards d'euros de dépenses et progressent de plus de 6 % par an en moyenne, soit 1 milliard d'euros supplémentaires chaque année.

Ce PLFSS reprend deux de nos propositions. L'article 28 vise ainsi à limiter la durée de prescription des arrêts de travail, souvent trop longue au regard des référentiels établis par les sociétés savantes. L'article 29, quant à lui, apporte une réponse à la problématique des arrêts de longue durée relevant des ALD non exonérantes, assortis d'un suivi médical souvent insuffisant. Il nous semble légitime de supprimer ce dispositif pour revenir à un système de droit commun, qui permettra de mieux prévenir la désinsertion professionnelle.

Je termine en précisant qu'un projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales ayant été déposé par le Gouvernement, le présent PLFSS est assez peu fourni sur ce thème. Il convient donc de prendre en considération l'ensemble du tableau.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Le PLFSS pour 2026 prévoit de contenir la hausse de l'Ondam à 1,6 %. Cette prévision, qui repose sur 7,1 milliards d'euros d'économies, marquerait une rupture radicale avec la progression moyenne de 4,8 % observée hors covid entre 2019 et 2025.

La crédibilité de ce taux affiché est sujette à caution, l'Ondam étant systématiquement sous-évalué, même s'il a été exceptionnellement maintenu cette année grâce aux alertes formulées lors de sa construction. Dans ce contexte, estimez-vous crédibles les projections d'économies affichées ? Cette question ne porte pas sur le pilotage de l'Ondam, mais bien sur sa crédibilité.

L'article 24, qui suscite de vives réactions parmi les professionnels libéraux, prévoit un mécanisme de prévention des rentes applicable potentiellement à tous les secteurs. Ce dispositif vous autoriserait, en l'absence d'accord conventionnel, à décider unilatéralement de baisses de tarifs. Cet article prévoit également que les forfaits techniques en imagerie versés aux structures détentrices d'équipements en matériel lourd soient désormais fixés unilatéralement par le directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam).

Vous connaissez l'attachement de notre commission à la négociation conventionnelle ; bien que plus lourde, celle-ci ne doit-elle pas être préférée chaque fois que cela est possible ? Peut-on encore espérer la coopération des syndicats dans la maîtrise des dépenses, si la loi prévoit la possibilité de réduire les tarifs sans leur accord ? Enfin, si vous me permettez de vous taquiner, quelle est votre définition d'une rente, monsieur le directeur général ?

L'article 29 du PLFSS prévoit la suppression du régime des ALD non exonérantes. Toutefois, cette évolution ne s'accompagne d'aucun mécanisme de développement du temps partiel thérapeutique, d'aucun accroissement des garanties de prévoyance, ni d'aucune autre mesure d'accompagnement pour les assurés concernés. Ces derniers sont majoritairement touchés par des pathologies psychiques ou par des troubles musculosquelettiques qui répondent rarement aux critères d'invalidité. En l'état, la suppression de ce régime ne risque-t-elle pas de précariser des assurés déjà fragiles ? Si tel devait être le cas, envisagez-vous des mesures d'accompagnement de ces patients ? Lesquelles vous semblent prioritaires ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Le rapport Charges et produits, publié en juillet, préconisait de « programmer un nouveau partage de prise en charge de certains soins avec les organismes complémentaires et les patients à hauteur de 3 milliards d'euros » à l'horizon 2030. Or le PLFSS prévoit dès 2026 d'augmenter les franchises et les participations forfaitaires pour un montant de 2,3 milliards d'euros. Quelle appréciation portez-vous sur cette augmentation rapide ? Des mesures sur les dépenses autres que celles actuellement prévues vous semblent-elles envisageables pour 2026 ?

Dans ce même rapport, vous sembliez suggérer qu'il n'était pas possible de ramener la branche maladie à l'équilibre d'ici à 2030 sans une augmentation substantielle des recettes. Est-ce toujours votre analyse ? Quelle appréciation portez-vous sur la répartition de l'effort entre recettes et dépenses envisagée pour 2026 ?

Le rapport préconise également d'améliorer de 3 milliards d'euros le solde de la seule branche maladie d'ici à 2030 grâce à la lutte contre la fraude. Pourtant, le projet d'annexe à la LFSS indique que la projection pluriannuelle pour l'ensemble des branches n'anticipe qu'une hausse du rendement des efforts de lutte contre la fraude d'un peu plus de 1 milliard d'euros à l'horizon 2029. Comment expliquer cet écart ? Faudrait-il prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre la fraude ? La Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) retient-elle une estimation du stock de fraude plus élevée que celle du Gouvernement ?

La réforme du service médical suscite toujours des inquiétudes. La suppression des échelons régionaux et la nouvelle organisation centrée sur les caisses départementales fait craindre une désorganisation, une perte de solidarité entre les différentes caisses et une atteinte à l'indépendance des médecins-conseils. Pouvez-vous nous préciser comment vous comptez garantir le maintien d'un service médical de qualité, équitable et indépendant, et nous indiquer où en sont vos travaux sur ce point ?

L'article 18 instaure un plafond dédié de franchise pour les transports sanitaires. Dans les territoires ruraux, où une offre de transport suffisante est nécessaire ; des protocoles expérimentaux, notamment dans le cadre de l'article 51, visent à inciter les taxis conventionnés à basculer vers le statut de véhicules sanitaires légers (VSL). Pouvez-vous nous en dire plus sur ces expérimentations, ainsi que sur l'avancement des travaux de la Caisse concernant les outils de facturation et de géolocalisation ? Cette offre semble se concrétiser sur certains territoires et je souhaite savoir où vous en êtes à ce sujet.

Enfin, ma dernière question porte sur les dispositifs médicaux reconditionnés. De nombreuses entreprises en mettent sur le marché - j'ai notamment à l'esprit une entreprise de Nantes spécialisé dans le matériel orthopédique -, mais ceux-ci ne sont pas remboursés, ce qui les rend plus coûteux pour l'hôpital que des produits à usage unique. Cette situation est paradoxale au regard de la vertu environnementale de ces dispositifs, qui permettent de réduire les déchets. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Thomas Fatôme. - L'Ondam 2026 se situe à un niveau historiquement faible, en effet, mais il convient de lier cela au contexte de baisse de l'inflation. Le Gouvernement justifie ce taux dans l'annexe 5 par un ensemble d'économies de 7,1 milliards d'euros, dont une part importante, près de 3,4 milliards d'euros, provient de mesures paramétriques, notamment de l'augmentation des franchises et des participations forfaitaires. Cet élément contribue très significativement à la faiblesse du taux de l'Ondam. Si l'on neutralisait l'effet mécanique de ces mesures, ce taux serait beaucoup plus élevé. D'autres mesures ambitieuses concernent la maîtrise médicalisée des dépenses et le juste prix, mais ce premier facteur est déterminant.

Sur le sujet de la lutte contre les rentes, et de l'imagerie, je suis bien placé pour rappeler l'importance du dialogue conventionnel. Depuis 2020, j'ai signé des conventions ou des avenants avec la totalité des professions de santé : médecins, professions paramédicales comme transporteurs sanitaires. J'ai la conviction que cet outil est vertueux.

Toutefois, pour prendre l'exemple le plus récent, le Parlement nous a demandé de négocier avec les syndicats médicaux un protocole sur l'imagerie médicale, fixant un objectif de 300 millions d'euros d'économies. Nous nous sommes pleinement engagés dans cette négociation entre mars et juillet 2025, au travers de nombreuses réunions et propositions. Nous avons notamment tenté de construire avec les syndicats un cadre plus ambitieux et plus opérationnel sur la pertinence des examens d'imagerie, sujet complexe qui met en jeu la responsabilité du médecin prescripteur comme celle de l'imageur. En juillet, j'ai proposé un protocole pluriannuel mêlant des économies sur la pertinence et des baisses de tarifs. La réponse des syndicats médicaux a été : « pas un euro de baisse de tarif ! ». Je regrette cette position.

Deux rapports de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF), l'un sur la radiologie, l'autre sur la financiarisation, ont montré très clairement que le niveau de valorisation de ces activités et la rentabilité de la radiologie étaient élevés. Le ratio d'excédent brut d'exploitation sur chiffre d'affaires des sociétés de radiologie a est passée de 10 % à 13 % entre 2019 et 2023. Il est donc légitime que l'assurance maladie adapte ses tarifs pour ne pas laisser se développer ce que j'appelle des rentes, c'est-à-dire une rentabilité excessive au regard d'une situation économique normale.

Des ratios d'excédent brut d'exploitation sur chiffre d'affaires de 13 %, 15 %, voire 25 %, sont extrêmement rares dans l'économie, hormis dans des secteurs comme le luxe. Il est légitime d'adapter ces tarifs, a fortiori quand le financement provient de l'argent public.

Je privilégie toujours la négociation, mais lorsque le Parlement considère que, faute d'accord, la décision doit être unilatérale, je dois malheureusement procéder à des baisses de tarifs, que j'ai enclenchées la semaine dernière, non sans regret. Je les ai étalées afin que la discussion puisse être ouverte à nouveau au-delà des premières baisses qui interviendront le 5 novembre.

Certains affirment que ces décisions pourraient mettre en péril l'économie de la radiologie et de l'imagerie ; je n'y crois pas un instant. Nous avons besoin de technologies modernes et d'imagerie ; le nombre de machines a augmenté de 30 % en cinq ans, ce qui facilite l'accès aux soins ; notre parc est l'un des plus modernes d'Europe et l'intensité d'utilisation de nos équipements nous place parmi les trois premiers pays au monde. Nous pourrons continuer à financer une imagerie de qualité au bénéfice des patients. Je suis navré des commentaires qui ont pu être émis en dehors de cette commission sur cette décision, qui me paraît être parfaitement responsable.

L'article en question est très encadré : ces procédures ne se déclencheront que dans des situations particulières dans lesquelles des observatoires auront démontré l'existence de rentes. À titre d'exemple, les rapports de l'Igas et de l'IGF estiment que les forfaits techniques sont survalorisés de près de 70 %, ce qui représente 500 à 600 millions d'euros. Je propose quant à moi une baisse de 12 %, étalée sur trois ans.

La négociation conventionnelle, que nous avons fait aboutir dans de très nombreux cas, y compris avec les médecins, dans des conditions difficiles, doit toujours être privilégiée.

Sur le sujet des ALD non exonérantes, nous avons établi le diagnostic selon lequel ce régime expliquait en très grande partie la dynamique des arrêts de travail de longue durée, avec des situations souvent caractérisées par un recours aux soins et par un suivi médical limités. Il ne semble pas légitime de conserver un droit à un arrêt de travail analogue à l'ALD pour une personne qui n'est pas en ALD. Il est difficile de mieux réguler le système des arrêts de travail, ainsi qu'on nous le demande si nous n'abordons pas des sujets structurels comme celui-ci.

Lorsque nous effectuons des contrôles sur les arrêts de travail longs, nous observons un nombre important de cas dans lesquels la situation de l'intéressé relève soit de l'invalidité - la personne n'est plus en état de travailler et doit basculer dans ce régime -, soit d'une capacité à reprendre le travail.

Cette disposition, si elle est votée, justifiera un investissement renforcé sur la prévention de la désinsertion professionnelle, à laquelle nous travaillons avec les services de santé au travail. Nous avons d'ailleurs expérimenté, dans le cadre de la convention médicale, un dispositif appelé SOS IJ - pour indemnités journalières - consistant à mettre à la disposition des médecins des relais du service social, du service médical et des services administratifs de l'assurance maladie pour mieux accompagner praticiens et patients lors des arrêts longs. Nous entendons généraliser progressivement ce dispositif en 2026.

Nous ne régulerons pas les 10 millions d'arrêts de travail annuels par le seul contrôle. L'immense majorité d'entre eux sont justifiés, mais nous ne parviendrons pas à maîtriser une dépense qui augmente de plus de 1 milliard d'euros chaque année, et dont nous avons démontré que près de 40 % de la dynamique n'était pas justifiée, si nous ne mettons pas en oeuvre des réformes structurelles comme celles que le Gouvernement propose.

Dans le rapport Charges et produits, nous avons proposé de piloter dans la durée les dépenses d'assurance maladie au même rythme que le PIB, c'est-à-dire que la croissance de la richesse nationale, et de faire de même pour les recettes, qui progressent tendanciellement un peu moins vite.

Cet objectif est doublement difficile à atteindre : d'une part, il est complexe de contenir les dépenses au même rythme que la croissance générale, en raison de puissants facteurs structurels d'augmentation ; d'autre part, un effort sur les recettes est également nécessaire.

Si nous nous en tenions à cette seule mesure, nous ne ferions que stopper l'hémorragie en stabilisant le déficit à son niveau actuel. Or ce déficit est en grande partie conjoncturellement lié au Ségur de la santé, dont les 13 milliards d'euros de dépenses n'ont pas été financés, ce qui explique le solde négatif de 17 milliards d'euros. Maintenir la progression des dépenses et des recettes au niveau de celle du PIB reviendrait donc à reconduire ce déficit de 17 milliards d'euros chaque année.

Pour autant, l'assurance maladie a considéré que le débat sur la manière de faire plus pour résorber ce déficit - par des économies supplémentaires ou par de nouvelles recettes - relevait de la responsabilité du Parlement et du Gouvernement. Des arguments solides militent dans les deux sens : réaliser davantage d'économies est ardu, car les dépenses augmentent structurellement vite ; obtenir plus de recettes est également difficile, compte tenu du niveau élevé des prélèvements obligatoires dans notre pays. Nous avons donc laissé cette question à la sagesse du Gouvernement et du Parlement, laquelle est particulièrement sollicitée en ce moment !

En l'espèce, le Gouvernement a fait les deux choix simultanément. Il propose un Ondam qui progresse moins vite que le PIB en valeur, ce qui est un choix ambitieux, mais il prévoit aussi une affectation de recettes favorable à l'assurance maladie, lui assurant ainsi une croissance plus rapide que le PIB. Je ne peux que me féliciter de ces deux orientations, lesquelles doivent conduire à une diminution significative et absolument nécessaire du déficit de l'assurance maladie. Le PLFSS porte le plafond de trésorerie de l'Urssaf Caisse nationale à un niveau inédit de 83 milliards d'euros. Si nous n'engageons pas ce redressement, nous nous trouverons donc en grande difficulté.

Concernant la fraude, je répondrai avec prudence, car les annexes au projet de loi de financement sont produites par les ministères de la santé et des comptes publics, et non par l'assurance maladie ; il revient donc à leurs services de vous apporter une réponse plus précise.

Le milliard d'euros que vous évoquez concerne des fraudes qui ne concernent pas l'assurance maladie. On distingue le préjudice subi et le préjudice évité, et seul le second emporte un effet sur l'Ondam. Ce milliard d'euros n'a donc rien à voir avec l'assurance maladie.

Nos évaluations, portées également par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), estiment le montant de la fraude entre 1,3 et 2 milliards d'euros, ce qui constitue sans doute une fourchette basse. Nous avons obtenu des résultats records en la matière en 2024, à hauteur de 640 millions d'euros, et nous avons bon espoir de faire mieux en 2025, grâce aux leviers supplémentaires que nous apportera le projet de loi du Gouvernement. Ces résultats proviennent avant tout du déploiement opérationnel des contrôles et des sanctions, ainsi que de réformes structurelles, comme le Cerfa sécurisé pour les arrêts de travail ou l'ordonnance numérique, qui visent à fermer les zones à risque.

La réforme du service médical avance, elle est même largement engagée. Depuis le 1er octobre, sur la base du décret en Conseil d'État du 30 juin 2025 relatif à l'organisation du service du contrôle médical, les 7 300 agents du service médical ont rejoint les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Un dialogue social très riche a conduit à l'organisation d'un référendum, à la demande de deux organisations syndicales, sur la validation de l'accord de transition définissant le cadre social du passage à la nouvelle organisation. Avec une participation de 87 %, 82 % des personnels ont répondu oui à la question posée.

Cette réforme, désormais très fortement lancée, se déploie dans le respect de la totale indépendance technique des praticiens-conseils et des infirmiers du service médical, garantie par la loi comme par le règlement. Des instructions ont été adressées à l'ensemble du réseau pour qu'elle soit pleinement préservée. Il ne s'agit aucunement de supprimer le service médical, mais bien de faire en sorte que ses agents rejoignent le réseau de l'assurance maladie au sein des caisses primaires. L'objectif est de former des équipes conjointes pour améliorer la prévention, l'accompagnement des professionnels de santé, le contrôle et la lutte contre la fraude. Les collectifs de travail qui se créent depuis le 1er octobre me donnent la conviction que cette réforme permettra de mettre en oeuvre efficacement les politiques publiques qui relèvent de notre responsabilité.

En ce qui concerne les transports sanitaires, l'article 51 permet la transformation de taxis en véhicules sanitaires légers (VSL). Les premières évaluations étant plutôt prometteuses, ce levier pourrait être mobilisé, y compris pour répondre à des besoins dans les territoires et rendre la dépense plus efficiente. Nous continuons donc à soutenir cette expérimentation.

Je signale également que nous avons récemment signé un protocole avec les transporteurs sanitaires afin de répondre à la demande du Parlement visant à réaliser des économies sur ce poste. De plus, la nouvelle convention avec les taxis sera mise en oeuvre à partir du 1er novembre. Ce texte a fait l'objet de nombreux travaux et de discussions, au niveau local, entre les caisses et les représentants locaux des taxis.

Je rejoins, madame la rapporteure, votre préoccupation relative aux dispositifs médicaux non utilisés. L'article 32 du PLFSS permet d'expérimenter la dispensation de médicaments non utilisés pour une durée de trois ans, et il me semble que devons encore prendre une série de textes d'application pour les dispositifs médicaux.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Quel bilan faites-vous de la limitation à sept jours de la délivrance des prescriptions de sortie hospitalière, et qui concerne notamment des dispositifs médicaux ?

M. Thomas Fatôme. - Nous observons des résultats intermédiaires tout à fait intéressants : depuis la mise en oeuvre de cette mesure, notamment concernant les pansements, une chute des remboursements est intervenue, ce qui laisse penser que les comportements sont en train d'évoluer.

Ce type de mesures pourrait être envisagé dans d'autres domaines et nous pourrons vous communiquer les chiffres des six premiers mois de 2025, qui sont très encourageants.

M. Olivier Henno. - Je tiens à saluer vos efforts de régulation, le taux de rentabilité faisant office de juge de paix. À cet égard, et pour poursuivre le débat de ce matin, il faut accepter de ne plus être « sympathique » si l'on entend réguler sérieusement, notamment en matière d'arrêts de travail.

Quel est le coût de l'hyper-prescription, qui est liée aux plateformes de téléconsultation - mais pas uniquement ? Comment pourrions-nous mieux la réguler tout en respectant la liberté de prescription des professionnels de santé ? Quelles actions menez-vous dans ce domaine ?

S'agissant des taxis et des transports sanitaires, l'enjeu de la géolocalisation appelle des précisions : où en est la discussion avec les entreprises de taxis par rapport à cette obligation, qui avait été défendue par la rapporteure Corinne Imbert lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ?

Pour ce qui est des fraudes à forts enjeux, quel montant espérez-vous recouvrer grâce au projet de loi ? Existe-t-il des freins juridiques que nous pourrions vous aider à lever ?

Toujours au sujet des fraudes, on s'aperçoit que des conventions entre la CPAM et les organismes complémentaires sont nécessaires afin de mener une lutte efficace. Avez-vous d'ores et déjà prévu des conventions de ce type, ainsi que des plans d'action communs pour travailler de concert contre la fraude aux prestations ?

J'ajoute, enfin, que les patients sont souvent absents de ce débat : comment pourrions-nous les sensibiliser et les inciter à vérifier les montants facturés, même en cas de tiers payant et de remboursement intégral ?

M. Alain Milon. - J'ai présidé la semaine dernière les journées de la Fédération hospitalière de France (FHF) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), et le PLFSS tel qu'il est présenté inquiète énormément les établissements hospitaliers publics.

Pourquoi avez-vous fait le choix de diminuer l'ensemble des forfaits techniques et pas uniquement les forfaits techniques réduits, en particulier pour les scanners et les imageries par résonnance magnétique (IRM) ? En faisant le choix d'une diminution globale de tous les forfaits, vous incitez à l'hyperactivité, avec le risque d'aboutir à un résultat inverse à celui que vous recherchez, à savoir une réduction des dépenses d'imagerie médicale. La diminution des seuls forfaits techniques réduits permettrait, au contraire, une régulation pertinente de l'activité.

Par ailleurs, pourquoi ne suspendez-vous pas la réforme des autorisations de scanner et d'IRM, qui permet aux sites comptant un ou deux équipements lourds en radiologie de passer à trois équipements, sans aucune contrainte administrative ? Il semblerait bien plus logique de délivrer des autorisations dans des territoires isolés qui connaissent des problèmes d'accès aux scanners et aux IRM. 

Mme Chantal Deseyne. - La prise en charge intégrale des fauteuils roulants sera mise en place à partir du 1er décembre 2025 : quel sera son impact financier en 2026 ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous avez indiqué être attaché à une baisse des prix et à la pertinence des actes afin de lutter contre les rentes dans le système de santé. Quel est le rendement attendu de l'article 24 ? Si l'effet prix est plus facile à mettre en place et doit effectivement être utilisé, qu'avez-vous entrepris sur le second aspect, à savoir l'effet volume, concernant la pertinence des actes ?

Je souhaite surtout revenir sur l'Ondam, en remarquant que les prévisions macroéconomiques tablent sur une inflation de 1,3 % et sur une croissance de 1 %. Seul un Ondam d'au moins 2,3 % permettrait de maintenir la part des dépenses maladie dans le PIB : en le fixant à 1,6 %, sa part dans le PIB diminue, ce que je déplore.

Je rappelle que les tentatives de contenir l'Ondam autour de 2 % dans les années 2010 ont eu des effets différés, aboutissant au Ségur de la santé.

Par ailleurs, quelles sont les mesures prévues concernant la dette des hôpitaux, appelée à s'accroître avec un tel niveau d'Ondam ? D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), ladite dette s'élève déjà à 30 milliards d'euros, sans oublier les interrogations sur le financement du Ségur.

Je tiens également à revenir sur l'article 28, qui rend facultatif, pour un salarié en arrêt pendant plus d'un mois ou une femme de retour de grossesse, l'examen par un médecin du travail avant une reprise d'activité. Vous avez évoqué une pénurie de médecins de travail, qui est incontestable, mais j'attire votre attention sur le fait que seuls ces professionnels peuvent évaluer la pertinence d'une reprise d'activité par rapport au poste de travail considéré. Il y a là un recul manifeste de la prévention !

Concernant la protection sociale complémentaire (PSC) des agents hospitaliers, la CFDT et la CGT critiquent une action dilatoire : une négociation rapide, en l'espace de deux ou trois mois, pourrait permettre de parvenir un accord, et il est bien malvenu que ce secteur soit le dernier à bénéficier de cette protection.

Pour en revenir aux mesures d'économies, le PLFSS exige un effort de 7 milliards d'euros, mais je tiens à souligner qu'il s'agit en réalité de transferts de charges sur les ménages et les complémentaires. L'augmentation des franchises n'est pas une économie, mais bien un transfert de charges sur les ménages, qui ne se penche pas sur la question de la qualité de la dépense. Concernant les complémentaires, la taxe prévue risque d'entraîner de nouveau une hausse des tarifs. Quelles sont donc les économies qui ont réellement un sens et un contenu ?

En conclusion, je juge la prévision d'Ondam insincère, sauf à envisager de voir se reproduire l'effet boomerang que j'évoquais précédemment à propos des tentatives de contenir cet objectif dans les années 2010.

Mme Anne Souyris. - Particulièrement attachée à la prévention et à la santé environnementale, je souhaiterais connaître les actions et mesures envisagées dans ces domaines. De telles mesures ont des répercussions sur les coûts supportés par la sécurité sociale : ainsi, des taxes comportementales telles que celles portant sur l'alcool ou les jeux permettent à la fois de rapporter de l'argent et d'encourager les comportements vertueux en matière de santé publique, débouchant in fine sur des économies de dépenses de santé.

Vous avez soulevé l'enjeu des rentes et de la baisse des taux de remboursement sur les secteurs très rentables. Si des professionnels abusent de certains actes, pourquoi ne pas tâcher de les cibler et plafonner les dépenses au lieu de baisser les remboursements ? Nos concitoyens sont confrontés à des restes à charge, et une diminution du remboursement des actes devra être assumée soit par les mutuelles, soit par les patients eux-mêmes, sans que nous soyons assurés de faire reculer les abus.

Très concrètement, la radiothérapie fait défaut dans un certain nombre de services, cette activité étant largement assumée par le secteur lucratif.

Cela m'amène à faire le lien avec la financiarisation du système de santé : les patients ne s'aperçoivent parfois pas de l'existence de certains actes et montants, qui peuvent être réglés directement par la sécurité sociale. Ne pourrions-nous pas imaginer des moyens numériques et interactifs de renforcer l'implication des patients dans la lutte contre les abus d'actes, pratiqués par les professionnels, que l'on évoque trop peu souvent par rapport à la fraude ? Cette autonomisation du patient a-t-il fait l'objet d'une réflexion ?

M. Bernard Jomier. - S'il est nécessaire de ramener les comptes de la sécurité sociale à l'équilibre, je rappelle que les versements à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ajoutés aux 5 milliards d'euros d'exonérations non compensées représentent chaque année un effort de 18 milliards d'euros : ce cadre, qui nous a été imposé, dégrade considérablement les comptes de la sécurité sociale.

Pour ce qui est de la prévention, le tabac, premier facteur de mortalité, est absent du texte. En revanche, l'article 23 du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit la mise en place d'une taxe sur le vapotage, qui risque de s'avérer contre-productif pour la santé. Quel est votre avis sur ce point ?

De la même manière, l'alcool, deuxième facteur de mortalité, est absent du PLFSS, tout comme l'alimentation. In fine, le virage de la prévention n'apparaît guère hormis l'article 19 qui comporte des dispositions relatives à l'activité physique, ce qui reste très timide.

Les parcours de soins, quant à eux, jouent un rôle important pour rationaliser les dépenses et éviter des hospitalisations inutiles. Si nous souhaitons les développer, ne faudrait-il pas les aborder de manière plus territorialisée, et donc dans un autre cadre que ce texte ?

Pour ce qui est de la recherche de l'équilibre budgétaire : des déremboursements sont prévus, qui devraient représenter 2,3 milliards d'euros ; des mesures réglementaires échappant au Parlement viendront-elles compléter ce PLFSS ?

Je tiens également à alerter sur un risque d'« effets secondaires » des mesures prévues en matière de médicaments. Prenons l'exemple de trois produits, disons un antihypertenseur, un antibiotique et un antidépresseur.

Dans le cas d'un antihypertenseur très utilisé, le prix de la boîte est de 4,77 euros, laquelle est remboursée actuellement à hauteur de 65 %, soit 3,10 euros : avec une franchise de 2 euros par boîte, vous ne rembourserez donc plus que 1,10 euro.

Passons à la paroxétine, un antidépresseur couramment utilisé : le prix de la boîte s'élève à 3,42 euros, avec un remboursement de 2,22 euros : après application de la même franchise, vous rembourserez seulement 22 centimes.

Je prendrai enfin l'exemple de l'amoxicilline, qui est encore plus parlant. Le prix de la boîte de six comprimés d'un gramme est de 3,03 euros, avec un remboursement de 1,97 euro. Si l'on retire 2 euros, le patient devra donc payer 3 centimes... Ce sont les médicaments matures les plus utilisés par les Français qui vont être totalement déremboursés.

Est-ce bien une stratégie soutenable et intelligente que de frapper des médicaments matures qui ont fait leurs preuves, qui sont très utilisés par les Français et dont il faudrait au contraire encourager la consommation ?

En contrepoint, je salue votre volonté de pourchasser les dépenses inutiles, qui sont notamment le fait d'acteurs financiers ou d'acteurs qui considèrent la sécurité sociale comme un open bar. Les leviers qui sont à votre disposition dans le cadre du PLFSS, qu'il s'agisse des baisses de tarifs ou des régulations de volumes, sont insuffisants pour mener cette lutte. Il faudra recourir à un ensemble de dispositifs plus large. Si le Gouvernement s'en tient aux outils du PLFSS, il risque de provoquer une levée de boucliers d'un certain nombre d'acteurs professionnels, sans arriver à atteindre complètement la cible.

Pour autant, je me félicite de la présence, pour la première fois dans un budget de la sécurité sociale, d'une véritable volonté de réduire les dépenses inutiles. C'est assurément le combat qu'il faut mener, en se gardant d'aller faire les poches des malades et des assurés sociaux.

Enfin, le report de l'accord sur la protection sociale complémentaire prévu à l'article 23 me semble grave, car il met en péril l'implication des organisations syndicales et professionnelles dans notre budget social.

Mme Nadia Sollogoub. - Vous avez parlé des parcours d'accompagnement préventif pour les personnes afin d'éviter les ALD, l'objectif étant de travailler en amont des ALD pour réaliser des économies. Lesdits parcours constituent-ils une mesure à la hauteur de l'enjeu ? Si l'objectif consiste à favoriser l'accès à ces prestations préventives, pourquoi leur prise en charge est-elle subordonnée à un accord préalable de l'assurance maladie, avec des démarches qui pourraient décourager certains usagers ?

Par ailleurs, ce dispositif est-il le premier volet d'un resserrement des critères d'entrée dans le régime des ALD ?

Pour en revenir à l'imagerie et à la lutte contre des rentes jugées choquantes, j'estime pour ma part que les aspects les plus choquants tiennent à l'hyper-prescription et aux actes redondants. N'y a-t-il pas plus d'économies à réaliser en luttant contre ces derniers, en s'attaquant aux prescripteurs qui renouvellent des examens d'images superfétatoires ? Cette piste d'action me semblerait plus pertinente.

Concernant la convention signée avec les taxis, il semblerait que les petits trajets ne soient plus pris en charge, les professionnels refusant désormais de réaliser les trajets de courte distance au motif qu'ils perdraient de l'argent. J'ai ainsi été alertée sur le cas d'un enfant ayant besoin de séances d'orthophonie et pour lequel on peine à trouver un taxi. Dans un territoire rural, ce point représente une réelle difficulté.

Enfin, j'ai été alertée sur le décret relatif à l'intérim médical, qui intègre désormais dans le plafond de rémunération tous les frais liés à la venue du praticien, y compris les frais de transport. Or il est très difficile d'attirer des praticiens de proximité dans la « diagonale du vide », et ce décret pénalise lourdement l'hôpital de Nevers.

Mme Annie Le Houérou. - Je souhaite évoquer les difficultés des pharmacies, en particulier dans les petites communes. Le rapport Charges et produits proposait un soutien financier à 100 % des pharmacies fragiles lorsqu'il ne restait plus qu'une officine dans la commune : cette proposition figure t-elle dans le PLFSS ?

Sur un autre point, les personnes souffrant d'ALD constituent une cible dans ce PLFSS, alors qu'elles ne bénéficient d'une meilleure prise en charge que pour les médicaments, actes ou prestations en lien avec leur affection. Organiser leur sortie de ce dispositif au prétexte qu'elles ne sont plus concernées par l'affection ne devrait pas réduire substantiellement les dépenses : disposez-vous d'ailleurs d'une évaluation précise de celle-ci ?

Le même rapport Charges et produits liste une série de gisements d'économies, notamment en matière de prévention, justement pour ces patients en ALD. Afin d'améliorer l'efficience de la prise en charge, vous avez ainsi proposé une prévention systématique et des dépistages réguliers de diverses pathologies, dans la mesure où ces personnes présentent souvent des polypathologies. Que prévoit le PLFSS dans ce champ de la prévention afin de mieux prendre en charge les personnes souffrant d'ALD ?

En matière de reste à charge, vous ciblez là aussi, selon moi, les plus fragiles. D'après les évaluations, le reste à charge des assurés hors ALD s'élève à 572 euros par an et celui d'un patient en ALD à 1 055 euros. Si les personnes les plus fragiles - enfants, femmes enceintes et bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) - ne devraient pas être concernées par la mesure sur l'augmentation des participations forfaitaires et des franchises, je rappelle que 32 % des personnes éligibles à la CMU-C n'y ont pas recours. Est-il prévu de travailler sur ce non-recours ?

M. Daniel Chasseing. - Le déficit élevé de la sécurité sociale nécessite d'adopter des mesures de contrôle, sans pour autant fragiliser les personnes en ALD. Cependant, certaines actions concernant les ALD non exonérantes sont justifiées, car la situation antérieure, anormale, a été l'une des causes de l'augmentation de plus de 6 % des arrêts de travail depuis 2019.

Avez-vous dialogué avec les pharmaciens, très défavorables à la diminution des plafonds de remises sur les médicaments génériques ?

Enfin, vous n'avez pas abordé l'enjeu de la santé mentale, alors que le rapport d'information rédigé par Céline Brulin, Jean Sol et moi-même - intitulé Santé mentale et psychiatrie : pas de « grande cause » sans grands moyens - montre une dégradation de la santé mentale des Français et des conditions de sa prise en charge extrêmement importante, qui se traduit notamment par une baisse du nombre de pédopsychiatres de 40 % par rapport à 2010.

Parmi les solutions à envisager, la formation d'infirmiers en pratique avancée (IPA) spécialisés en psychiatrie et santé mentale peut constituer un réel atout dans les centres médico-psychologiques (CMP), afin de venir en aide aux psychiatres. Un financement est-il prévu sur ce point ?

M. Martin Lévrier. - Je suis étonné de ne voir aucune disposition concernant l'alcool, le tabac et l'alimentation.

Je souhaite également évoquer un « serpent de mer », à savoir l'idée d'autoriser la vente de médicaments à l'unité par les pharmaciens. J'ai été confronté à cette situation l'année dernière, puisque l'on m'avait prescrit une boîte de médicaments coûtant un millier d'euros, et dont aucune pharmacie ne disposait. J'ai donc été hospitalisé pendant deux jours, uniquement pour prendre ce médicament, ce qui a coûté extrêmement cher à l'assurance maladie ; de surcroît, j'ai dû repasser à la pharmacie pour acheter une boîte pour deux jours de traitement, rendant ensuite à l'officine les médicaments pour les trois jours restants, ces derniers ayant ensuite été détruits.

Ne pourrions-nous pas organiser un système qui permettrait de récupérer des médicaments en très bon état qui ne sont plus dans leur boîte ? Je n'ai toujours pas compris pourquoi cette solution serait plus onéreuse.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Menez-vous des travaux en lien avec la Haute Autorité de santé afin de valider des méthodologies permettant de mieux prendre en compte les données médico-économiques des médicaments, et ainsi de promouvoir un référentiel des caractéristiques non cliniques ? Les données cliniques sont systématiquement évoquées lorsqu'il est question de remboursement, mais il faudrait sans doute les compléter par ces autres éléments.

Ma seconde question concerne les stratégies de contournement : des prolongations artificielles de certains brevets sont fréquemment observées, dans le but de continuer à bénéficier des remboursements de l'assurance maladie. Alors que 200 millions d'euros d'économies sont envisagées sur les médicaments matures, la lutte contre les stratégies de contournement - sur les biosimilaires, par exemple - pourrait générer une économie de 800 millions d'euros.

Un travail est-il en cours à ce sujet ? Comment pourrions-nous travailler avec l'industrie pharmaceutique à éviter cette prolongation artificielle des brevets ?

M. Thomas Fatôme. - Je suis convaincu, comme nous l'avons préconisé dans le rapport Charges et produits, qu'il faut agir sur tous les plans pour remettre l'assurance maladie sur le long et difficile chemin de la soutenabilité. Aussi, je ne tiens pas à opposer le travail sur la baisse des prix - sur des médicaments ou des actes - à celui sur les critères de la pertinence. Il faut garantir un juste soin au juste prix, en accompagnant les professionnels dans une prescription qui doit être conforme à des référentiels ; en faisant évoluer les tarifs qui doivent refléter les coûts, ou, à défaut, être compensés par des incitations financières, et en agissant davantage en matière de prévention.

À ce titre, le ministre a rappelé que le PLFSS pour 2026 est un objet qui peut encore être enrichi et je souligne qu'une série de propositions figurant dans le rapport Charges et produits n'ont pas encore trouvé leur traduction dans ce projet de loi, qu'il s'agisse de la nutrition, de l'hypertension artérielle ou des dépistages. L'ambition préventive du texte pourrait donc encore être améliorée, par exemple en s'accordant sur des mesures difficiles telles que l'obligation de se faire vacciner contre la grippe. Vous pourriez ainsi faire oeuvre utile pour la santé publique de nos assurés.

Je reste par ailleurs intimement persuadé que nous devons continuer à agir de manière plus efficace et systématique contre l'alcool et le tabac ; je ne suis en revanche pas en mesure de vous répondre sur le vapotage, dont les effets sur la santé sont scientifiquement discutés.

Concernant les forfaits techniques, je reviens à nouveau sur les rapports de l'IGF et de l'Igas qui ont identifié une survalorisation de 54 % pour les IRM et de 72 % pour les scanners. Les forfaits techniques représentent une dépense de 1,6 milliard d'euros, qui est très dynamique : il est donc logique que nous baissions progressivement ces tarifs.

S'agissant des autorisations d'équipement, je suis prudent, car vous n'êtes pas sans savoir que les délais d'attente peuvent être très longs dans les territoires. Il est probable que la réforme mise en place, en allégeant considérablement les procédures, rende possibles des installations, dont il faut espérer qu'elles soient pertinentes.

Nous allons assister à une augmentation très significative de cette dépense dans les prochaines années, et je souscris à la proposition des inspecteurs de lancer une réflexion collective à ce sujet.

Monsieur Henno, l'hyper-prescription fait partie de nos chantiers et nous avons notamment observé les prescriptions de médicaments délivrées via les plateformes de téléconsultation. Les référentiels ne sont en effet pas toujours respectés : par exemple, la prescription d'antibiotiques en téléconsultation est équivalente à celle en consultation physique, ce qui interroge puisqu'un examen clinique est nécessaire dans un bon nombre de cas avant de prescrire ces produits. Nous nous sommes rapprochés de la HAS sur ce sujet, que nous continuons à creuser.

S'agissant de la géolocalisation, qui existe déjà pour les transports sanitaires, elle sera également obligatoire pour les taxis à compter du 1er janvier 2027, tandis que le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales inclut aussi ce point. Cela nous aidera à vérifier la qualité de la facturation et à lutter contre les fraudes.

Pour ce qui est des fraudes à enjeux, nous avons constitué six pôles interrégionaux d'enquêteurs judiciaires spécialisés dans les fraudes complexes, les fraudes à enjeux et les fraudes cyber, pôles qui associeront des gendarmes, des policiers, des statisticiens et des juristes. Ces derniers nous aideront à identifier ces fraudes.

Quant à la coopération avec les complémentaires santé, l'un des articles du projet de loi devrait nous permettre de mieux partager nos informations. Nous avions déjà lancé des expérimentations communes, par exemple en matière de contrôle des arrêts de travail.

J'en viens à la place du patient, en vous informant d'une nouveauté : depuis environ trois semaines, nous avons déployé un dispositif très simple consistant à envoyer un courriel à tous les assurés bénéficiant d'un remboursement de soins ou d'un soin en tiers payant, afin de les informer de ce remboursement et de les inviter à consulter leur compte Ameli.

Au-delà de cette démarche de pédagogie et d'information, nous leur permettons également d'effectuer de signaler un éventuel acte fictif, ce qui peut malheureusement arriver. Nous disposons donc d'un système de notification que nous allons continuer à améliorer et qui fait partie de la panoplie que nous souhaitons mettre à la disposition de nos assurés.

Madame Deseyne, la première marche de l'impact de la prise en charge intégrale des fauteuils roulants est estimée par le Gouvernement à 100 millions d'euros. Nous nous sommes préparés à assurer la montée en charge de ce dispositif et j'estime que nous serons prêts au 1er décembre pour mettre en oeuvre cette réforme, qui facilitera l'accès à ces équipements.

Concernant l'Ondam, madame Poncet-Monge, je partage votre souhait de voir le niveau de dépenses évoluer en même temps que la richesse nationale, mais il faudrait alors accroître durablement - et de manière répétée - les recettes de l'assurance maladie pour réduire le déficit actuel, ce qui relève d'un choix collectif.

Je souhaite également que le déficit hospitalier puisse être réduit : l'activité redémarre et l'Ondam hospitalier, même s'il est jugé insuffisant par les acteurs, atteint 2,4 %, ce qui permet d'espérer que la situation financière des établissements cesse de se dégrader.

En matière d'arrêt de travail et de reprise de l'activité après une grossesse, je note que le projet de loi conserve la possibilité d'une visite facultative auprès de la médecine du travail. Repartons du constat : dans un certain nombre de cas, l'arrêt de travail est uniquement maintenu - avec donc une dépense pour l'assurance maladie - en raison de difficultés à organiser la visite de reprise.

Vous m'excuserez de botter en touche sur la PSC à l'hôpital, qui n'est pas de mon ressort : j'estime toutefois qu'il est uniquement question d'un décalage dans le temps, cette réforme ayant vocation à être déployée pour la fonction publique hospitalière.

Madame Souyris, nous nous sommes engagés en matière de transition écologique - même si cet également est relativement récent - et avons ainsi publié notre schéma de transition écologique pluriannuel. Nous souhaitons nous investir davantage sur l'aspect santé-environnement, sur lequel portent plusieurs propositions du rapport Charges et produits, dont l'instauration d'un Nutri-Score obligatoire pour tous les produits sous emballage.

En outre, l'assurance maladie se mobilise au sujet des perturbateurs endocriniens, avec des visites auprès des professionnels de santé visant à mieux faire connaître ces enjeux sanitaires.

S'agissant de la financiarisation, qui a été évoquée à plusieurs reprises, le secteur de l'imagerie reste relativement peu concerné, le phénomène n'en étant qu'à ses débuts. De manière générale, il me semble que la financiarisation naît d'abord de situations qui offrent des taux de rentabilité élevés, susceptibles d'attirer des investisseurs en quête de retours.

Or si nous abaissons un certain nombre de niveaux de rentabilité, je suis à peu près convaincu que nous écarterons ce risque de financiarisation. Nous sommes attachés à ce que les professionnels de santé restent maîtres de leur outil de production de soins et puissent agir en toute indépendance.

Concernant les franchises et les participations forfaitaires, qui sont toujours un sujet sensible, un certain nombre de mesures figurent dans le PLFSS, mais d'autres peuvent être de nature réglementaire. Néanmoins, je note que la franchise s'élève à 5 euros par boîte de médicaments en Allemagne et que le reste à charge en France reste l'un des plus faibles au monde.

Madame Sollogoub, la convention passée avec les taxis prévoit un forfait minimum de 13 euros qui couvre les quatre premiers kilomètres, auquel s'ajoute, pour tous les trajets vers les établissements de santé des douze grandes villes listées dans l'accord, un forfait de 15 euros. Ce dispositif concerne un grand nombre de courses et ce nouveau modèle est gagnant pour les taxis dans un nombre important de départements.

Dans d'autres territoires, il est cependant exact de constater que le niveau de valorisation des petites courses était extrêmement élevé, et même déraisonnable par rapport à ce qui peut se pratiquer dans le secteur commercial : l'assurance maladie n'a pas vocation à financer des petites courses dont le prix peut atteindre 28 euros, car nous n'en avons pas les moyens.

Vous m'avez également interrogé sur le parcours de prévention pour le risque chronique, qui reste largement à construire, le projet de loi posant simplement un cadre. Nous souhaitons bâtir ce parcours de concert avec les médecins, les patients et la HAS, afin de mettre en place un dispositif simple et efficace.

Pour ce qui est des pharmacies, le soutien aux officines en zone fragile commence à se déployer, plus d'une centaine d'établissements ayant déjà été identifiés. Nous souhaitons aller plus loin dans la lutte contre les déserts pharmaceutiques, et avons également salué la suspension de la baisse des plafonds sur les remises de médicaments génériques, car elle va nous permettre d'avancer sereinement.

J'en viens au difficile sujet de la vente de médicaments à l'unité, ou du conditionnement à l'unité. Selon la Cour des comptes, la démarche est complexe et risque d'être difficile à mettre en oeuvre. Si je vous rejoins sur la nécessité de continuer à travailler à un conditionnement strictement adapté à la prescription et aux besoins des patients, je constate que ce problème semble insoluble, car il implique de modifier à la fois des chaînes de production et des habitudes. Obliger les pharmaciens à déconditionner les produits, en leur faisant perdre du temps, ne me paraît pas pertinent, ou du moins ne me semble pas de nature à faire avancer la cause de la juste prescription.

Enfin, nous utilisons de plus en plus les études médico-économiques et je partage votre souci de lutter contre les stratégies de contournement. Il conviendrait peut-être de modifier les modalités de fixation du prix dans un certain nombre de situations, afin d'éviter de continuer à rembourser certaines molécules alors qu'il existe un biosimilaire ou un médicament générique. Ces éléments figurent également parmi les propositions de notre rapport annuel.

Mme Pascale Gruny, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics

Réunie le jeudi 23 octobre 2025, sous la présidence de M. Olivier Henno, vice-président, la commission procède à l'audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics.

M. Olivier Henno, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons ce matin Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics.

Madame la ministre, vous sortez tout juste de l'Élysée, où le conseil des ministres devait adopter la lettre rectificative du PLFSS pour 2026. Vous pourrez donc nous présenter le contenu définitif du texte.

Au-delà des modalités précises de la suspension de la réforme des retraites qu'avait annoncée le Premier ministre, vous pourrez également nous préciser les conséquences que le Gouvernement en tire, d'une part, pour les comptes de la sécurité sociale en 2026 et, d'autre part, sur la révision de la trajectoire financière jusqu'en 2029. Cette année 2029 constitue-t-elle encore un horizon réaliste pour un retour à l'équilibre des comptes sociaux, envisagé avec confiance par le précédent gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. - Nous sommes aujourd'hui dans un moment à la fois habituel et particulier. Habituel, puisqu'il s'agit du lancement des travaux sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Particulier, car il se tient alors que le Gouvernement n'a pas de majorité absolue et que le Premier ministre a annoncé ne pas souhaiter recourir à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.

Au fond, il s'agit d'un passage de relais entre une proposition du Gouvernement et ce qui deviendra le budget de la Nation. D'ailleurs, les mots ont un sens : nous parlons bien d'un projet de loi. À ce titre, nous avons matière à travailler ensemble, le Gouvernement jouant davantage le rôle d'un intermédiaire que celui d'un négociateur. Ce sont bien les parlementaires qui ont le pouvoir de définir les équilibres, avec des objectifs dépassant nos différences partisanes : donner de la stabilité à notre pays, sortir d'une forme d'incertitude et reprendre en main nos comptes publics, non pas par obsession des chiffres, mais parce qu'il y a là un enjeu de souveraineté et de durabilité de notre système social et économique, donc de nos équilibres nationaux.

Deux éléments sont centraux dans ma position. Le premier est l'humilité, puisque, comme je le disais, l'exercice de cette année différera des précédents. J'entends vous présenter nos propositions, et non vous convaincre : le Gouvernement a fait des choix, nous posons des options sur la table, mais il peut y en avoir d'autres. D'ailleurs, nous pourrions avancer à partir de nouvelles idées ou de nouveaux équilibres.

Le second élément est la responsabilité. La situation des comptes sociaux nous place dans une situation très fragile, avec un déficit de 23 milliards d'euros pour la sécurité sociale en 2025, c'est-à-dire plus que les 15 milliards d'euros de l'année dernière et que les 10 milliards d'euros de 2023. Or historiquement, nous n'avons jamais connu une telle dégradation des comptes sociaux, hors covid ou crise macroéconomique mondiale des années 2008 à 2010.

La part de la dette publique dans le PIB atteindrait 116 % en 2025, tandis que la charge de la dette, en 2026, devrait s'élever à 74 milliards d'euros, soit plus que les dépenses de la branche famille et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) réunies.

S'agissant de la sécurité sociale, outre le déficit de 23 milliards d'euros que j'ai mentionné, nous avons déjà reconstitué une forme de dette sociale, malgré la reprise de dette effectuée après le covid, c'est-à-dire la « remise à zéro » des compteurs à la fin de l'année 2023. Aujourd'hui, Urssaf Caisse nationale - l'ancienne Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) - finira l'année avec près de 65 milliards d'euros de dette. Pour 2026 le plafond d'encours serait relevé à 83 milliards d'euros, corollaire du déficit que nous prévoyons, dans ce projet, à 17 milliards d'euros. Ainsi, à chaque fois que le déficit augmentera, il nous faudra revoir ce plafond à la hausse, et inversement en cas de baisse.

Néanmoins, je ne veux faire preuve ni de catastrophisme ni de fatalisme. D'abord, parce que nous avons beaucoup d'outils pour reprendre en main nos comptes. La première preuve en est que, en 2025, pour la première fois depuis la crise sanitaire, nous sommes en passe de tenir nos objectifs. Ainsi, un déficit public global de 5,4 % du PIB en 2025 n'était pas la cible du seul Gouvernement, mais de nous tous, collectivement, puisque le budget 2025 est le fruit d'un compromis parlementaire trouvé lors des commissions mixtes paritaires. Le Gouvernement a essayé d'être, avec vous, le garant de ces objectifs.

La sécurité sociale contribue à cette maîtrise des comptes. Ainsi, la cible de recettes serait réalisée cette année à 0,2 % près, tandis que la cible de dépenses devrait être tenue, et que les dépenses pourraient même lui être légèrement inférieures. La raison en est que, pour la première fois depuis la crise sanitaire, nous sommes en passe de tenir le niveau de dépenses de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). L'Ondam avait été dépassé de 3,5 milliards d'euros en 2023, et de 1,5 milliard d'euros en 2024. Je rappelle néanmoins que l'Ondam respecté cette année est dynamique, puisqu'il a été voté en hausse de 3,4 %, et que l'Ondam exécuté correspond à une augmentation de 3,6 %. Il n'en reste pas moins que nous avons tenu nos comptes et montré que, si les montants de déficit sont certes très élevés, il n'y a pas eu de dérive supplémentaire.

Quels sont nos objectifs pour 2026 ? Comme vous l'avez très bien dit, monsieur Henno, la France ne va pas s'arrêter de tourner au 31 décembre 2026. Nous devons positionner ce budget dans le temps de l'année prochaine, mais aussi dans le temps plus long d'un retour à une forme d'équilibre de la sécurité sociale et, plus généralement, des finances publiques. Cela signifie que le déficit doit être équivalent au maximum à 3 % du PIB en 2029. Pour cela, il nous faut une sécurité sociale à l'équilibre. En effet, la sécurité sociale représentant presque 50 % de la dépense publique, les collectivités et l'État ne pourraient pas, avec leurs contraintes, compenser un déficit majeur.

Selon certains, le déficit de la sécurité sociale viendrait d'un manque de recettes. Cependant, en 2026, le projet que nous vous présentons prévoit une évolution des recettes de 2,5 %, soit 16 milliards d'euros de hausse, pour 11 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. On entend qu'il n'y aurait que des coupes : c'est faux. Ainsi, les dépenses augmentent de 4 milliards d'euros pour la branche santé, de 1,5 milliard d'euros pour l'autonomie, de 500 millions d'euros pour la branche AT-MP et d'à peu près 4 milliards d'euros pour la seule branche vieillesse. Les dépenses, dont nous entendons contenir la hausse, augmentent donc de 11 milliards d'euros supplémentaires pour les Français, pour notre modèle social, tout comme les recettes. Autrement dit, le retour à un déficit de 17,5 milliards d'euros est le fruit d'une limitation de la croissance des dépenses, mais aussi de recettes augmentant plus vite.

Pour arriver à remettre la sécurité sociale à l'équilibre en 2029, le paramètre clé est celui de la stabilisation de la part des dépenses de santé dans le PIB. L'Ondam 2024 représentait 8,8 % du PIB, contre 8,9 % en 2025. Ainsi les dépenses d'assurance maladie augmentent en 2025 deux fois plus vite que le PIB, à 3,6 %, contre une hausse du PIB de 1,8 %, avec 0,7 % de croissance et 1,1 % d'inflation.

Nous continuons donc à faire augmenter le poids de la santé dans le PIB, alors qu'en 2019, juste avant la covid, sa proportion s'élevait à 8,2 %. La clé est donc la stabilisation de la part de ces dépenses dans le PIB. Cela signifie, en creux, que plus de croissance, plus d'emplois, plus de richesses créées nous permettraient de dépenser plus pour la santé, dans un parallèle entre ce qu'était la sécurité sociale il y a quatre-vingts ans et ce que nous vivons aujourd'hui. Ainsi, c'est bien la richesse collective qui finance le modèle social. Stabiliser la dépense de santé à 8,8 % du PIB nous placerait toujours parmi les pays qui investissent le plus collectivement dans la santé.

En 2026, les collectivités, l'État et la sécurité sociale seront mis à contribution du rééquilibrage, mais leurs efforts seront différenciés. L'État, dans le projet que nous proposons, car c'est un projet, suivrait le principe du « zéro valeur », c'est-à-dire une stabilité des crédits en euros courants hors défense, avec une baisse des crédits des autres ministères de 1,5 milliard d'euros. Cela représente une baisse en valeur absolue. Pour les collectivités, nous proposons le « zéro volume », c'est-à-dire que les dépenses de fonctionnement des collectivités augmenteraient de 2,4 milliards d'euros l'année prochaine, donc au rythme de l'inflation. Pour la sécurité sociale, enfin, l'objectif serait celui de la stabilité en proportion du PIB, c'est-à-dire que ses dépenses augmenteraient à un rythme cumulant ceux de la croissance et de l'inflation. Ainsi, chacun contribue, mais de manière différenciée en ampleur et en taux d'effort.

Je souhaite conclure sur les principes nous ayant guidés dans la construction du PLFSS.

Le premier est qu'il n'y a pas de rabot généralisé, mais des efforts différenciés. Par exemple, le sous-objectif hospitalier de l'Ondam augmenterait de 2,4 %. Des débats auront lieu pour savoir s'il faut le rehausser davantage. En revanche, nous proposons 1,6 milliard d'euros de baisse de prix des médicaments et des dispositifs médicaux. De même, nous distinguons le champ médico-social - qui bénéficierait d'une hausse de 1 milliard d'euros, soit 2,4 % - de la régulation des arrêts de travail ou de lutte contre la fraude. Nous avons donc cherché à faire le choix des moyens pour les enjeux prioritaires et, inversement, à faire des économies sur d'autres éléments.

Le deuxième principe est de mieux cibler les incitations, par exemple pour les dépassements d'honoraires, que nous souhaitons réduire. De même, sur les ruptures conventionnelles, nous voulons reprendre une forme de contrôle sur des éléments très coûteux pour la puissance publique et pas forcément pertinents pour le marché du travail.

Le troisième principe est une contribution différenciée des acteurs de la santé, à commencer par les patients et citoyens que nous sommes, avec une hausse des forfaits de responsabilité. Je rappelle que 18 millions de Français en sont complètement exonérés, dont les mineurs, les femmes enceintes et les 8 millions de bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire, la C2S, dont de nombreux jeunes et personnes âgées, mais aussi les bénéficiaires des minima sociaux, comme le revenu de solidarité active (RSA) ou le minimum vieillesse. Nous proposons une hausse moyenne de 42 euros par Français de reste à payer pour leur santé, tout en prévoyant la protection absolue des 18 millions de Français exonérés. Faudrait-il augmenter le nombre de ces derniers ? C'est un sain débat. Cela étant, nous sommes nombreux, sur bien des bancs, à considérer que le tout gratuit est une illusion, voire un danger pour notre système.

Ensuite, même sans tenir compte de la lettre rectificative de ce jour, nous mettons à contribution les organismes complémentaires, ainsi que les professionnels et l'industrie du médicament. Pour ces derniers, l'effort, certes inédit, serait proportionné au regard de la hausse tendancielle de 7 % de croissance des dépenses en matière de médicament par an, bien plus que les 1 % de croissance et 1,3 % d'inflation prévus. Un tel rythme soulève un immense enjeu de soutenabilité.

Le dernier principe est celui de la prévention. Pendant des années, il m'a été dit que Bercy était contre la prévention, parce que cela coûtait cher et ne rapportait jamais. J'ai pris le parti inverse. Investir dans la prévention est utile au système, à court terme, par exemple avec la vaccination, mais surtout à moyen terme. Ainsi, la dynamique des affections de longue durée (ALD) reste forte, alors que, dans de très nombreux cas, des actions anticipées permettent d'éviter des maladies chroniques. Par conséquent, la prévention, de la préidentification de personnes à risque à l'accompagnement pour éviter la dégradation de situations chroniques, est pour moi un élément essentiel.

Je souhaite conclure sur les enjeux de fraude, qui préoccupent nombre d'entre vous. Voilà pourquoi, la semaine dernière, sur la table du Conseil des ministres, à côté du projet de loi de finances et du PLFSS, était présenté le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. En effet, le Conseil constitutionnel, depuis quelques années, censure comme cavaliers législatifs de nombreux dispositifs, proposés dans les textes financiers, de lutte contre la fraude. Nous avons donc repris de multiples éléments ainsi censurés, dont certains avaient été adoptés par le Sénat, en ayant trois objectifs.

Premièrement, il s'agit de mieux repérer la fraude, notamment autour des données. Deuxièmement, il faut mieux sanctionner. Par exemple, s'agissant de fraudes très organisées dans le champ social par des professionnels de santé ou des réseaux organisés, les sanctions sont assez faibles. Troisièmement, et surtout, il faut mieux recouvrer les sommes dues. Nous devons mettre en place dans la sphère sociale les mêmes outils de gel, de saisie et de flagrance pour éviter que les entreprises éphémères qui participant à la fraude ou au blanchiment n'organisent leur propre insolvabilité. En effet, il arrive que, au moment où les Urssaf interviennent, l'argent lié à la fraude détectée soit déjà à l'étranger.

J'exerce la tutelle de Tracfin, qui suit les flux financiers. Or il est désespérant de comparer les montants détectés, par exemple 1,6 milliard d'euros l'année dernière sur le travail dissimulé, et recouvrés, qui se chiffrent en centaines de millions d'euros. En effet, la procédure actuelle laisse largement aux fraudeurs le temps de comprendre qu'ils ont été repérés et d'envoyer l'argent très loin. Ainsi, le contrôleur n'a plus d'argent à saisir. Vous aurez, bien évidemment, à étudier ce projet de loi, pour lequel le Premier ministre a souhaité un examen concomitant à celui des textes financiers.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Vous l'avez bien précisé, le PLFSS est un projet. De notre côté, nous ferons des propositions, nous amenderons, nous voterons.

Je voudrais rappeler l'existence du rapport que nous avons réalisé avec Raymonde Poncet Monge sur les évolutions envisageables du financement de la protection sociale. Sans chercher à imposer ou à empêcher des mesures envisagées par tel ou tel groupe politique, il était très intéressant de travailler sur l'histoire, le présent et le devenir de cette sécurité sociale. Nous avions alors mis en évidence la nécessité de beaucoup travailler, notamment, sur la prévention et sur l'efficience. Or je me dois de reconnaître dans votre projet de loi un certain nombre d'éléments en ce sens, particulièrement sur l'efficience. Tout comme pour la fraude, nous devrions accorder une grande attention à l'inefficience, à l'instar de nombreux autres pays. L'OCDE estime à 20 % les dépenses que l'on pourrait ainsi économiser.

Le texte comprend quelques articles sur la prévention, mais reste lacunaire. Il est vrai que, au Sénat, l'année dernière, nous avions présenté quelques amendements sur ce sujet, par exemple sur les boissons sucrées. Nous pourrions donc nous pencher sur l'alimentation, notamment les produits transformés, mais aussi sur les allégements généraux. En effet, ces derniers ne pourraient-ils pas être retirés à certaines entreprises, qui en bénéficient largement, car employant de nombreux salariés peu payés, à l'origine de produits nocifs à la santé ?

Pour en revenir aux comptes de la sécurité sociale, j'ai trois questions.

Premièrement, dans son avis sur le PLF et le PLFSS, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) considère que la prévision de croissance de 1 % du Gouvernement pour 2026 est optimiste, car il « retient une orientation plus restrictive des finances publiques, qui pèserait donc davantage à court terme sur l'activité ». Quelle appréciation portez-vous sur cette analyse ?

Deuxièmement, il ressortait de notre rapport l'impression d'une politique d'à-coups, qui rend plus nécessaire encore une programmation pluriannuelle. Or les lois de programmation des finances publiques étant dépassées à peine votées, il n'existe de fait pas de programmation des finances sociales. En particulier, contrairement aux anciens programmes de stabilité, le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) ne comprend pas de programmation dans le cas des administrations de sécurité sociale, tandis que les tableaux pluriannuels annexés aux LFSS ne sont que des prévisions à droit constant, et en supposant que l'Ondam est respecté. Paradoxalement, l'objectif de retour de la sécurité sociale à l'équilibre n'est donc pas clairement affiché.

Faut-il, selon vous, se doter d'une programmation explicite pour la sécurité sociale, ou pour les administrations de sécurité sociale dans leur ensemble ? Si oui, quel serait le bon véhicule ? À tout le moins, pourrait-on par exemple, mentionner l'objectif de retour à l'équilibre de la sécurité sociale à moyen terme dans l'annexe à la LFSS pour 2026, le cas échéant en indiquant le montant des mesures de redressement prévu chaque année ?

Troisièmement, dans le cadre de la LFSS pour 2025, nous avions réduit les allégements généraux de cotisations sociales patronales de 2 milliards d'euros, les recettes supplémentaires ayant bénéficié pour 1,6 milliard d'euros à la sécurité sociale. Or le Gouvernement prévoirait de réduire ces allégements, par voie réglementaire, de 1,9 milliard d'euros de plus en 2026, tout en réduisant la TVA transférée à la sécurité sociale, à l'Agirc-Arrco et à l'Unédic de 3,5 milliards d'euros. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Notre prévision de croissance s'élève à 1 % pour 2026, quand le consensus est à 0,9 %. Néanmoins, sur l'inflation, nous prévoyons 1,3 %, alors que le consensus est à 1,5 %. Or c'est la somme des deux qui compte pour les finances publiques. Par conséquent, nous pouvons considérer que nous sommes globalement cohérents.

La principale observation du HCFP porte sur le coût de l'incertitude et sur les effets de ce budget sur un retour de la stabilité. Un élément majeur est le taux d'épargne, qui atteint 19 % dans notre pays, au plus haut depuis les années 1970. Cela veut dire que les Français doutent, donc que nous devons arriver à nous mettre d'accord, collectivement, car ce doute a des conséquences très concrètes sur l'économie.

Nous avons, dans ce projet, imaginé que le taux d'épargne pourrait descendre à 17,4 %. Or 1,5 point d'épargne de moins correspond à 1,5 point de plus de consommation. Le taux ainsi atteint resterait encore très élevé par rapport à une moyenne historique de 14 %. Il est donc évident que tous les économistes de France et d'Europe se demandent comment va évoluer l'épargne, elle-même très liée à l'incertitude. Ce facteur n'est donc pas seulement macroéconomique, puisqu'il se base sur les signaux que nous envoyons au pays, au-delà même des mesures que nous pourrions prendre.

À la page 160 du PLFSS pour 2026, les paragraphes 27, 28 et 29 sont très explicites quant à la nécessité du retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, en des termes assez inédits. Le tableau du paragraphe 26 détaille l'estimation de l'effort annuel supplémentaire nécessaire. Le chiffre à retenir est 18 milliards d'euros : d'ici à 2029, il nous faut prendre des mesures de cet ordre pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre.

Je suis très favorable à des amendements au PLFSS prévoyant des mesures de résorption de cet écart dangereux. Nous pouvons y travailler ensemble. Même si ces mesures ne sont pas votées dans les prochaines semaines, il n'est pas inintéressant pour nos successeurs que nous ayons déjà réfléchi au type de décisions à prendre pour retrouver l'équilibre.

En 2025, une économie sur les allégements généraux de 2 milliards d'euros brut, soit 1,6 milliards d'euros net a été proposée, tout comme une modification de la courbe pour la rendre plus viable économiquement. C'est ce qui a été fait. En 2026, le Gouvernement propose une économie de 1,9 milliard d'euros brut, soit 1,5 milliard d'euros net. Cette année blanche sur les allégements généraux a pour but de stabiliser leur volume à 80 milliards d'euros. C'est un souhait émanant du Sénat. Certains demandent pourquoi cette économie ne revient pas à la sécurité sociale. Mais les allégements généraux sont compensés par un transfert de TVA de l'État vers la sécurité sociale. Par conséquent, s'il y a moins d'allégements généraux, il y a moins de compensation.

Ces soldes relèvent de normes comptables. Pour nos concitoyens, l'essentiel est bien de savoir ce que nous voulons dépenser. Les soldes des différents secteurs de la sécurité sociale dépendent d'éléments sur lesquels nous pouvons agir. Il est assez facile de rendre la branche famille déficitaire ou la branche AT-MP super-excédentaire.

Cessons de considérer la sécurité sociale comme totalement autonome financièrement. En effet, plus de 20 % de la branche maladie est actuellement financée par la TVA et la fiscalité.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - La situation de la branche maladie est extrêmement préoccupante. Elle pèse, en 2025, plus de 260 milliards d'euros de dépenses contre 200 milliards d'euros en 2019. Elle représente l'essentiel du déficit des comptes de la sécurité sociale, à hauteur de 17,2 milliards d'euros en 2025. Elle assumera donc une large part des économies envisagées.

Vous prévoyez de maintenir la hausse de l'Ondam à 1,6 % en 2026, et faites reposer cette projection sur des économies significatives, évaluées à 7,1 milliards d'euros. Comment pouvez-vous vous engager sur la crédibilité de ces projections alors que depuis 2019 l'Ondam, hors covid, a augmenté de 4,8 % en moyenne chaque année ? D'autre part, l'atteinte d'un Ondam aussi contenu permettrait-elle de répondre aux besoins effectifs de notre système de santé, notamment aux besoins d'investissement des hôpitaux publics, dont la situation financière est très dégradée aujourd'hui ?

J'aimerais parler de la dette sociale et fiscale des hôpitaux que vous aviez évoquée, en juin dernier, lors de votre audition à la suite de l'avis du comité d'alerte sur les dépenses de l'assurance maladie. Vous aviez mentionné 2,2 milliards d'euros pour la dette sociale et 800 millions d'euros pour la dette fiscale. Disposez-vous désormais, comme vous l'avez demandé, d'un panorama plus précis et conforme à la réalité de l'état financier de nos hôpitaux sur cette question ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?

Comme chaque année, l'Ondam est uniquement subdivisé en six sous-objectifs, dont les deux principaux - soins de ville et établissements de santé - représentent chacun plus de 110 milliards d'euros de dépenses. Comment pouvons-nous effectuer un réel contrôle de l'autorisation des dépenses publiques dans ces conditions ? Pourrions-nous disposer d'une vision plus fine des dépenses de santé ? Cela manque de lisibilité.

Nous nous rappelons tous que le montant des franchises et des participations forfaitaires a déjà doublé à la suite de la LFSS pour 2024, mais leur plafond était resté, au total, à 100 euros afin de préserver les assurés en affections de longue durée. Le Gouvernement entend maintenant, par décret, doubler à nouveau les montants concernés en 2026, mais également les plafonds et, par la loi, étendre le champ de ces contributions et créer un nouveau plafond spécifique au transport sanitaire.

À l'échelle collective, le rendement attendu quadruplerait en trois ans, passant de 1,2 milliard d'euros en 2023 à 4,9 milliards d'euros en 2026. Sur la période, près de 3 milliards d'euros de hausse proviendraient de mesures réglementaires. À cette enseigne, les participations et franchises sont-elles toujours, comme à leurs débuts, un mécanisme de responsabilisation des assurés ou bien ne seraient-elles pas en train de devenir un levier de rendement bien utile pour le Gouvernement ? Hier, on nous expliquait que la hausse de l'Ondam pouvait être limitée à 1,6 % en raison des transferts de charges, notamment la hausse des franchises et participations forfaitaires.

À l'échelle individuelle, le coût maximal supporté par un assuré pour les participations et franchises passerait de 100 euros à 250 euros voire 300 euros d'ici à 2027. Comment calculez-vous la hausse moyenne de 42 euros par personne ? Le coût, pour des patients en ALD parfois précaires, ne sera pas simple à assumer. Il devra pourtant l'être, parce que la loi exclut toute prise en charge par les complémentaires santé dans le cadre d'un contrat responsable. N'est-il pas temps de revenir sur cette interdiction ? Sans rendre obligatoire la prise en charge de ces montants, il pourrait être opportun de la rendre possible pour les complémentaires santé qui le souhaiteraient, le cas échéant sous conditions.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 contient des mesures d'ampleur sur les retraites. Je me félicite de l'article 43 qui prévoit de réformer le cumul emploi-retraite selon certaines préconisations de la Cour des comptes, et de l'article 45 qui inclut les trimestres majorés pour enfants en tant que périodes cotisées pour réduire les inégalités de pension entre les hommes et les femmes, préoccupation de longue date. Je pense également qu'il est juste de ne pas revaloriser les pensions de retraite sur l'inflation au titre de l'année 2026 et de réduire le coefficient de revalorisation à 0,4 % au titre de l'année 2027, après que les pensions de retraite ont été revalorisées de 5,3 % au 1er janvier 2024, comme le permettrait l'article 44. Cette dernière mesure améliore nettement les prévisions d'évolution du solde de la branche vieillesse d'ici à 2028.

Disposez-vous du chiffrage de l'impact de la suspension des effets de la réforme des retraites, autres que ceux annoncés par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale ?

Sans mesures correctrices, le déficit de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) devait atteindre, selon le rapport de mai 2024 de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF), 11 milliards d'euros en 2030. La LFSS pour 2025 a entériné le principe d'une hausse de trois points par an pendant quatre ans du taux de cotisations vieillesse des employeurs à la CNRACL. L'annexe au PLFSS 2026 fait état des économies engendrées par la hausse du taux de cotisations employeur à la CNRACL à 40,65 % en 2027, et à 43,65 % en 2028. Pouvez-vous nous apporter des éléments complémentaires ?

Nous limitons actuellement les dépenses du système de retraites en utilisant des leviers conjoncturels, comme la non-revalorisation sur l'inflation et la hausse des taux de contribution employeur, mais comment réduire à long terme le déficit du système de retraites, qui devrait s'élever, selon la Cour des comptes, à 15 milliards d'euros en 2035 et à 30 milliards d'euros en 2045 ? Je précise que ces chiffres ne prennent pas en compte une éventuelle suspension de la réforme des retraites. Quid de la solidarité intergénérationnelle et du maintien de notre système par répartition ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'Ondam est une construction étrange au sein de laquelle tout est entremêlé.

Prenons l'exemple du médicament, sur lequel les dépenses croissent de 7 % : une part de la dépense est incluse dans le sous-Ondam ville et une autre dans le sous-Ondam hôpital, dans lequel la partie médicaments rassemble à la fois les médicaments utilisés à l'hôpital et les médicaments prescrits à la sortie.

Autre exemple : les arrêts maladie sont en très forte augmentation, sans corrélation avec les observations sanitaires - il n'y a pas d'épidémie qui les explique. Les enjeux sont potentiellement davantage liés au monde du travail qu'au monde de la santé, pourtant, ces dépenses sont incluses dans l'Ondam. La réduction du nombre d'arrêts maladie fait baisser l'Ondam.

Mon intuition est qu'il faudrait modifier la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (Lolfss) afin de mieux distinguer un sous-Ondam ville relatif aux consultations, un sous-Ondam hôpital davantage consacré aux coûts de ressources humaines et de gestion des hôpitaux, un sous-Ondam médicaments qui inclue les médicaments de ville, les médicaments à l'hôpital et les prescriptions en sortie d'hospitalisation, un sous-Ondam indemnités journalières des arrêts maladie pour les exclure du sous-Ondam ville, et un sous-Ondam transport sanitaire, là encore pour l'exclure du sous-Ondam ville, d'autant que le transport sanitaire est massivement prescrit par des établissements de santé. Bref, l'Ondam, cette espèce de moyenne pondérée d'éléments dissemblables, où dépenses d'investissement et de fonctionnement sont mêlées, est illisible et rend le pilotage ainsi que le suivi démocratique très difficiles. Ma proposition pourrait faire consensus. Nous cacher derrière des constructions statistiques qui ne veulent rien dire ne résorbera pas le déficit et n'aidera pas les soignants à mieux travailler.

Vous avez évoqué les forfaits de responsabilité : on aimerait les nommer ainsi, bien qu'il ne s'agisse nullement de culpabiliser les patients. Actuellement, une visite chez un professionnel de santé coûte 2 euros. Le Gouvernement pense qu'elle pourrait coûter 4 euros, le plafond étant fixé à 100 euros. Actuellement, la participation de 2 euros va de pair avec un plafond annuel de 50 euros, soit 25 consultations par an. Si l'on augmente uniquement la participation forfaitaire, on divise par deux le nombre annuel de consultations. En doublant le plafond, la proportion est donc conservée.

Il faut également songer à l'extension du périmètre des franchises. Si, comme avant le covid, la part des dépenses financées par les patients eux-mêmes, le reste à payer, était restée constante, à 10 % des dépenses de la sécurité sociale et non 7,5 % comme actuellement, la branche maladie disposerait de 9 milliards d'euros de plus. Même en tenant compte de notre proposition, nous restons le pays de l'OCDE dans lequel le reste à payer demeure le plus bas. Cette déformation du reste à payer en cinq à six ans est due aux ALD, mais aussi à une dynamique assez forte des dépenses hors franchises.

L'enjeu, pour nos concitoyens, est que nous nous assurions que ceux qui n'ont pas du tout les moyens de payer ces forfaits en soient exonérés. En moyenne, pour les personnes en ALD, la hausse du reste à payer représenterait 70 euros par an. Pour un patient moyen, hors enfant, femme bénéficiant de l'assurance maternité et bénéficiaire de la complémentaire santé solidaire, la moyenne s'élèverait à 42 euros par an. Nous pouvons débattre des catégories de personnes à exonérer. Doit-on élargir l'accès à la C2S ? Peut-être. Actuellement, les bénéficiaires du RSA, de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et du minimum vieillesse y sont mécaniquement éligibles. À l'inverse, je suis parfois étonnée du haut niveau de remboursement proposé à des personnes aisées qui pourraient payer davantage.

Nous débattrons du niveau du sous-Ondam hôpital, dont la hausse est fixée à 2,4 %. Nous devons conserver un équilibre.

Je vous répondrai prochainement sur la dette fiscale et sociale.

Le Gouvernement s'est engagé à ce que le débat sur la branche vieillesse ait lieu, quelles que soient les conditions d'examen du PLFSS. Celui-ci traduit strictement la déclaration de politique générale du Premier ministre : nous stoppons les mesures d'âge et d'augmentation du nombre de trimestres requis pour obtenir le taux plein, jusqu'au 1er janvier 2028. Sont suspendues l'augmentation d'un trimestre par génération pour avoir le droit de partir à la retraite et la dynamique dite « Touraine ». Cela signifie que la génération 1964 pourra partir à la retraite à partir de 62 ans et 9 mois. Cet effet de décalage d'un trimestre touchera toutes les générations jusqu'à 1968 incluse, ce qui explique qu'il y ait 3,5 millions de bénéficiaires. La lettre rectificative propose de ralentir la progression vers l'âge de départ à 64 ans. C'est la génération 1966 qui sera concernée par les 172 trimestres et la génération 1969 qui le sera par les 64 ans, si, au 1er janvier 2028, il n'y a pas eu de réforme des retraites. En effet, on ne suspend pas pour suspendre. Ce n'est pas une pause, mais une occasion de discuter de ce sujet très profond, et c'est pourquoi le Premier ministre et le ministre Farandou ont annoncé une conférence sur le travail et les retraites. L'enjeu est d'aménager un système qui évite le déni démographique.

Pour la branche retraite, le coût s'élève à 100 millions d'euros pour 2026 et à 1,4 milliard d'euros pour 2027. L'effet annuel est d'environ 1,3 à 1,5 milliard d'euros net. Demeurent des éléments d'incertitude sur ce chiffrage, tels que les choix comportementaux des Français. Certains pourront choisir de partir un trimestre plus tôt que ce qu'ils avaient envisagé, quand d'autres préféreront travailler pendant ce trimestre pour obtenir une petite bonification de leur niveau de pension. Le coût pour la collectivité s'en trouverait renchéri, les chiffrages actuels étant basés sur des comportements inchangés.

Nous devons trouver la manière de financer cette nouvelle dépense. Le Gouvernement proposera une hausse marginale supplémentaire de la taxe sur les organismes complémentaires, et un renforcement de la proposition du conclave de sous-indexation des retraites sur l'inflation, c'est-à-dire de moindre revalorisation, à 0,4 % en 2027 au lieu de 1,3 %.

Comment résorber le déficit ? Le taux d'emploi des 55-64 ans est, au deuxième trimestre 2025, de 61,8 %. C'est un record absolu. On enregistre une augmentation de 1,7 point en un an, mais surtout de 30 points depuis l'an 2000. En 2000, moins de 30 % des 55-64 ans étaient actifs. En 25 ans, leur taux d'emploi a doublé. Nous voulons que les seniors soient plus nombreux à pouvoir rester en emploi, ce qui impose de mieux gérer les enjeux d'invalidité, d'usure au travail et de pénibilité. Plus il y a de cotisants, plus il y a de financements, dans un système par répartition. Le taux d'emploi des 55-64 ans doit pouvoir rejoindre celui de la population générale, qui est de 72 % environ.

De l'autre côté du spectre, malgré des progrès, le taux d'emploi des moins de 25 ans reste bien plus faible que chez nos voisins. L'insertion professionnelle est lente. Nous perdons une richesse collective : le financement d'un modèle social qui repose sur l'activité, c'est-à-dire les cotisations et les ressources fiscales.

La question clé est : comment créer des richesses, soutenir les entreprises et l'emploi et surtout permettre aux hommes et aux femmes qui le souhaitent de travailler en bonne santé ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Pour retrouver l'équilibre budgétaire, il faut combiner les mesures portant sur les recettes et sur les dépenses. Mais vos choix politiques ne sont pas les nôtres.

Il faut aussi augmenter la quantité de travail, mais plutôt en créant des emplois qu'en faisant travailler plus longtemps les actifs. En matière d'écologie, par exemple, si nous respections le périmètre de l'accord de Paris, nous pourrions créer beaucoup d'emplois, notamment pour les jeunes - s'ils ne travaillent pas, ce n'est pas pour toucher les prestations sociales, puisqu'ils n'ont pas droit au RSA.

En tant que spécialiste des finances publiques, j'aimerais que vous me disiez à combien vous estimez l'effet récessif des budgets de l'État, des collectivités et de la sécurité sociale, qui réduisent fortement les dépenses, et donc la consommation. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime en général le multiplicateur budgétaire à 0,4 ou 0,5 - certains disent qu'il peut même aller jusqu'à 0,8.

Vous vous alarmez que les dépenses de santé passent de 8,8 % à 8,9 % du PIB. Mais ce même dynamisme existe partout en Europe. Ce qui nous différencie, c'est notre modèle de socialisation des dépenses.

En l'absence de mesures, on sait que l'Ondam augmente mécaniquement de 4 % à 4,5 % par an. Vous fixez son augmentation à 1,6 %, alors que vos prévisions de croissance sont de 1 % et celles d'inflation de 1,3 %. Volontairement, vous faites donc baisser la part de des dépenses d'assurance maladie dans le PIB, alors que la tendance mécanique est à l'augmentation. Avec un tel Ondam, on peut commencer à prendre les paris sur la date à laquelle le comité d'alerte se manifestera en 2026...

Concernant les mesures sur les dépenses, vous disposez de très bons rapports de l'Igas sur la financiarisation de la santé et les gains d'efficience possibles. Si l'on veut respecter les objectifs sociaux et de solidarité de la sécurité sociale, on ne peut pas proposer n'importe quelle économie budgétaire.

Avez-vous calculé combien de personnes allaient basculer sous le seuil de pauvreté à cause du gel des prestations sociales ? La pauvreté monétaire est déjà au plus haut depuis trente ans : près de 10 millions de personnes sont concernées, et plus d'un enfant sur cinq vit dans un ménage pauvre.

Vous semblez vouloir augmenter la taxe sur les complémentaires santé pour compenser le décalage dans le temps de la réforme des retraites, mais quel est le rapport entre ces deux mesures ?

Un autre gel dont vous parlez peu est celui des seuils de revenus ouvrant droit à l'application des taux réduits de CSG, qui touchera les foyers les plus modestes. Combien seront concernés ?

Il s'agit bien de mesures politiques, car d'autres solutions étaient possibles. Vous auriez pu, par exemple, pour le même rendement, augmenter d'un point la CSG sur le patrimoine ou augmenter la taxation des revenus de placement. Pourquoi avoir évacué ces solutions, qui me semblent plus justes ?

Sur la TVA, ne craignez-vous pas, de nouveau, une surestimation des recettes, et donc une sous-compensation pour la sécurité sociale ? Selon la Cour des comptes, elle a coûté 18 milliards d'euros à la sécurité sociale depuis 2019.

La Cour pointe aussi l'explosion des compléments de salaire : les niches fiscales les concernant nous coûtent 8 milliards d'euros. Votre décision de diminuer les forfaits sociaux sur l'intéressement et la participation de 20 % à 16 % a grevé les comptes de la sécurité sociale. Pourquoi ne revenez-vous pas sur ces avantages plutôt que de vous attaquer aux tickets-restaurant, dont vous avez au préalable déformé le sens en les étendant aux achats en supermarché.

Les mesures que vous prenez par ailleurs sur les allégements généraux de charges sont minimales. Nous pourrions récupérer 8 milliards d'euros si nous les bloquions à deux Smic. Tout le monde s'accorde à dire qu'au-delà de ce seuil, ces allégements n'ont aucun effet sur l'emploi ou la compétitivité.

Mme Jocelyne Guidez. - Je souhaite vous poser deux questions.

Aujourd'hui, la psychanalyse est remboursée à 100 % pour traiter les troubles du neurodéveloppement, alors que la Haute Autorité de santé et le docteur Étienne Pot, délégué interministériel sur cette question, estiment qu'elle ne sert absolument à rien. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Les congés de naissance supplémentaires qui ont été accordés ont coûté environ 300 millions d'euros. Or les expériences étrangères montrent que l'allongement des congés parentaux de naissance, même bien indemnisés - en Italie, ils sont désormais de cinq mois -, n'a pas enrayé le déclin de la natalité. Est-ce une bonne solution de dépenser plus pour ce type de mesures ?

M. Martin Lévrier. - Je souhaite vous poser trois questions rapides.

La première porte sur l'apprentissage et la fameuse réforme portée par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a été un énorme succès et a permis la création de près d'un million de contrats nouveaux en 2024. Dans le rapport que j'ai rédigé avec mes collègues Corinne Imbert et Frédérique Puissat, nous notions une très forte augmentation des apprentis en post-bac, surtout au niveau master, mais une augmentation bien plus faible en pré-bac. Je ne voudrais surtout pas que l'apprentissage soit une variable d'ajustement, mais les aides accordées aux entreprises me semblent de plus en plus mal ciblées. Il serait plus pertinent de diminuer drastiquement les aides au-delà de bac+ 3, de les diminuer un peu pour les niveaux bac à bac+3, et de les augmenter significativement en pré-bac afin de développer des filières dont les entreprises françaises ont absolument besoin. Il me semble que nous pourrions ainsi réaliser d'importantes économies tout en réorientant cette réforme dans le bon sens. Je soumets cette question à votre sagacité.

La deuxième concerne les arrêts de travail. Ne pourrait-on pas imaginer un système de médecins agréés, qui auraient les mêmes responsabilités que les commissaires aux comptes ? Pénalement responsables selon un certain nombre de critères, ils pourraient être mandatés par les entreprises, là aussi selon certains critères, pour contrôler les arrêts lorsque la situation le justifie.

Enfin, la troisième porte sur l'Ondam. Pourriez-vous nous indiquer l'évolution en pourcentage et en volume de la masse salariale ?

Mme Anne Souyris. - Ma première question porte sur la mise à contribution des complémentaires santé. On ne peut pas dire que l'on n'augmente pas les taxes pour les assurés et, dans le même temps, augmenter la taxation des organismes complémentaires d'assurance maladie : cela aboutit de fait, au même résultat. La différence entre une cotisation de sécurité sociale et une cotisation de complémentaire santé, c'est que la première est indexée sur le salaire, tandis que la seconde ne l'est pas.

Ma deuxième question porte sur la financiarisation. Vous dites que les soins ne doivent pas être gratuits, afin que les gens réalisent qu'ils ont un coût. Mais, de fait, même sans les franchises, être malade n'est pas sans coût. Il y a des choses que l'on ne peut plus faire et que l'on doit faire faire ; parfois l'on ne peut plus travailler. On sait en outre que les franchises constituent un frein à l'accès aux soins. Même si les franchises ne s'appliquent pas aux assurés les plus précaires, bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire, ce mécanisme accentue le renoncement aux soins, bien au-delà des seuls bénéficiaires du RSA.

Avez-vous envisagé d'instaurer une taxe, sur le modèle de la clause de sauvegarde, sur les secteurs très rentables et financiarisés ? Car la baisse des remboursements des soins réalisés par les secteurs rentables ne garantit pas que des économies seront réalisées. La sécurité sociale en fera peut-être, mais certainement pas les patients, qui risquent simplement de voir leur reste à charge augmenter.

Ma dernière question concerne la prévention. Vous prétendez faire un effort en la matière, mais je ne vois rien sur l'alcool, le tabac, l'alimentation ou la réduction des risques. Par exemple, l'expérimentation sur les haltes soins addictions (HSA), qui se termine à la fin de l'année, n'est pas reconduite dans ce PLFSS. Pourquoi ?

Mme Nadia Sollogoub. - Est-il pertinent de maintenir les exonérations fiscales des professionnels de santé qui s'installent en zones de revitalisation rurale, désormais rebaptisées France Ruralités Revitalisation (FRR), sachant qu'un professionnel de santé qui s'installe n'importe où en France a son carnet de rendez-vous plein dès le premier jour ?

Aujourd'hui, ce système déséquilibre artificiellement les installations de professionnels de santé, car ils ne veulent plus s'installer qu'en FRR, et toute la France se bat pour être classée en FRR... Ne serait-il pas plus logique d'augmenter la tarification des actes en zones sous-dotées, mais de revenir sur les avantages fiscaux ? On demande des efforts à tout le monde, et le système est très injuste pour les médecins plus anciens qui n'en bénéficient pas.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je le signale depuis longtemps. C'est en effet aberrant !

Mme Nadia Sollogoub. - Je dépose un amendement chaque année sur le sujet, et Bercy m'avait parlé d'une économie potentielle de 700 millions d'euros. Ne faudrait-il pas exclure les professionnels de santé du dispositif FRR, au même titre que les assureurs ou les agences immobilières ?

M. Olivier Henno, président. - La commission a demandé un rapport à la Cour des comptes sur ce sujet ; il nous sera rendu le 12 novembre prochain.

Mme Annie Le Houérou. - Nous partageons l'objectif de maîtrise des déficits et le souhait de ramener la sécurité sociale à l'équilibre à l'horizon 2029-2030. Cela suppose de maîtriser la dynamique des dépenses et d'intervenir sur les recettes, où des efforts supplémentaires sont à accomplir.

Pour autant, ce PLFSS est absolument insupportable, car il met en péril le principe selon lequel chacun contribue selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins. En l'occurrence, ce sont surtout les malades qui sont mis à contribution.

Nous nous interrogeons aussi sur la sincérité d'une progression de 1,6 % de l'Ondam. Même si cette moyenne cache de fortes disparités selon les secteurs, cet objectif nous semble irréaliste.

Au lieu de faire culpabiliser les malades, notamment ceux qui sont en affection de longue durée, pourquoi ne pas réduire plus franchement les allégements généraux de charges ? Ne serait-il pas possible non plus de rendre la CSG plus progressive par rapport aux revenus ?

Concernant la fiscalité comportementale, il n'y a rien en effet dans le PLFSS sur les sucres ajoutés ou les publicités alimentaires. Pourquoi faire l'impasse sur ce sujet important ?

Les tarifs des complémentaires santé ont déjà connu des augmentations significatives au cours des dernières années, au point que de nombreuses personnes, notamment les retraités, ont des difficultés à les payer. Et vous voulez encore en remettre une couche cette année...

Il existe pourtant des leviers de maîtrise des dépenses de santé, notamment la prévention, sur laquelle ce PLFSS fait en grande partie l'impasse. Vous avez cité la systématisation des dépistages pour certaines pathologies ou polypathologies, mais, sauf erreur de ma part, je n'ai rien vu dans le texte. De la même manière, les rendez-vous de prévention, qui ont été créés pour prévenir et anticiper le développement des maladies chroniques, sont finalement très peu mis en oeuvre, faute de médecins disponibles pour les assurer.

Comme vous l'avez souligné, ce projet va donner lieu à discussion. Pour notre part, nous serons très attentifs à ce que les plus vulnérables ne soient pas les seuls à contribuer au rétablissement des comptes. Nous devons répartir les efforts de la manière la plus équitable et la plus juste possible.

Mme Corinne Féret. - Nos interventions respectives montrent que le débat sur le PLFSS sera nourri, car nous avons des approches et des sensibilités différentes, pour ne pas dire divergentes. Ce texte sera discuté alors que nous célébrons les 80 ans de la sécurité sociale, fondement de notre modèle social, pour lequel nos aînés se sont battus.

Or, pour nous, ce PLFSS contrevient aux principes fondamentaux de notre modèle social, qui s'articulent autour de l'égalité d'accès aux soins, de la qualité des soins et de la solidarité.

Les mesures relatives aux participations forfaitaires et aux franchises, que vous appelez forfait de responsabilité me choquent tout particulièrement, comme si les Français n'avaient pas conscience que notre système de santé est basé sur la solidarité et qu'il ne faut pas en abuser. Pour beaucoup de nos concitoyens, les franchises médicales ne sont pas négligeables. Passer de 1 à 2 euros sur une boîte de médicaments ou de 2 à 4 euros pour une consultation, ce n'est pas rien, d'autant que le montant du total des plafonds n'est pour l'instant pas précisé. De même, la limitation des arrêts maladie s'apparente à une double peine pour les malades. Et je ne parle pas des patients en ALD, dont le reste à charge pourrait augmenter de 70 euros en moyenne par an selon vos déclarations.

Il me semble également totalement inacceptable de considérer que les pensions et les prestations sociales ne devraient pas progresser sous prétexte que l'inflation est moins élevée. On peut trouver des recettes ailleurs, et nous aurons l'occasion d'y revenir lors du débat sur le PLFSS.

Mme Émilienne Poumirol. - Ma question porte sur le prix des médicaments. Les pharmaciens ont récemment protesté contre l'idée, il est vrai paradoxale, de diminuer leurs marges sur les médicaments génériques, alors qu'on les incite depuis plusieurs années à en délivrer le plus possible...

Dans le même temps, on ne peut pas discuter du prix des médicaments, le Comité économique des produits de santé (CEPS) mettant systématiquement en avant le secret des affaires. Le prix de certains médicaments reste exorbitant. C'est le cas des médicaments « innovants », qui ne le sont pas tous, car il suffit parfois de modifier à la marge la formule d'un ancien médicament pour qu'il devienne innovant. C'est le cas aussi, dans certaines disciplines comme la cancérologie, de médicaments amortis depuis longtemps, mais dont le prix ne diminue pas. Certains laboratoires connaissent certainement des difficultés, mais le rendement des plus grosses entreprises pharmaceutiques continue de tourner autour de 8 %.

J'aimerais que l'on puisse travailler sur ce sujet.

M. Olivier Henno, président. - Madame la ministre, vous attendez du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales un rendement de 1,5 milliard d'euros, ce que le Haut Conseil des finances publiques ne juge pas crédible. D'où vient cet optimisme ? Pourriez-vous également nous transmettre un chiffrage détaillé de chaque mesure du projet de loi ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vais essayer de répondre par thème et d'être exhaustive.

Si nous construisions ce PLFSS uniquement pour faire rentrer de l'argent dans les caisses, cela n'aurait aucun sens. Nous cherchons en corollaire à déployer une offre de soins adaptée aux besoins des Français sur tout le territoire.

Notre système de santé était centré sur le traitement des pathologies aiguës, avec des centres hospitaliers universitaires (CHU) de pointe et de très grands centres d'excellence, mais notre réseau territorial n'est plus adapté au vieillissement de la population, aux maladies chroniques et aux nouveaux enjeux de mobilité.

Il faut donc des investissements et une réforme en profondeur. La question est bien de savoir quel système de santé nous voulons déployer. Le précédent gouvernement a agi pour que des médecins quittent les CHU et s'installent dans les territoires. Il existe des exemples probants d'exercice mi-hôpital, mi-ville. Dans beaucoup de territoires, on assiste au déploiement de réseaux de médecins qui se déplacent à domicile. Tous ces projets coûtent de l'argent. Or cet argent, de facto, nous ne l'avons pas. On peut donc aussi voir l'augmentation des participations forfaitaires et des franchises comme une forme de compromis avec les Français, avec une participation supplémentaire moyenne de 42 euros par an, et 18 millions de nos concitoyens totalement exonérés.

L'idée de France Santé, c'est que chaque Français ait un premier accès aux soins à moins de trente minutes de chez lui. France Services, construit avec la même ambition, suscitait beaucoup de méfiance au départ, mais, aujourd'hui, le système fonctionne. C'est à peu près le même réseau qu'il nous faut déployer pour la santé. Ensuite, comment avoir un rendez-vous de suivi avec un médecin dans les 48 heures ? Nous devons travailler sur tous ces sujets. Évidemment, si nous tenons un discours exclusivement budgétaire, en oubliant de dire à quoi ces efforts peuvent servir, nous passons à côté de l'essentiel. Nous voulons continuer d'être le pays avec l'une des espérances de vie en bonne santé les plus longues au monde, et qui augmente encore, selon une enquête récente de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Concernant l'Ondam, beaucoup d'entre vous ont évoqué sa progression fixée à 1,6 %. Sans la mesure du « forfait de responsabilité », l'Ondam serait à 2,3 %, soit précisément la somme de la croissance et de l'inflation. L'Ondam constitue certes un totem, mais il s'agit d'une moyenne pondérée d'éléments disparates qui nous apprend peu de choses en réalité sur ce que nous faisons pour l'hôpital, les parcours de soins, l'accès aux soins, les établissements médico-sociaux ou les transports sanitaires.

Madame Poncet Monge, vous avez évoqué l'impact du gel et les enjeux de pauvreté. Je vous le dis sans détour : geler les barèmes de l'impôt sur le revenu et de la CSG fonctionne moins bien si vous ne gelez pas dans le même temps les prestations et les retraites. Si vous avez une stabilité de revenus, la stabilité des barèmes de l'impôt n'emportera pas de conséquences négatives pour les gens. Il faut donc bien voir ces deux mesures comme étant corrélées.

Si l'on revalorise la première tranche de l'impôt sur le revenu tout en gelant les prestations et les pensions, la conséquence est qu'il y aura moins de Français qui paieront cet impôt. Il peut certes s'agir d'un choix politique, mais il faut l'expliquer clairement.

Concernant la CSG sur les revenus du patrimoine, elle ne touche pas que les hauts patrimoines. Il ne faut pas faire croire que l'augmentation de certains impôts serait sans impact sur la vie des classes moyennes ou populaires. Nous pourrons vous communiquer la répartition du rendement d'une hausse d'un point de la CSG sur les revenus du capital. La fiscalité des plans d'épargne entreprise (PEE), des plans d'épargne logement (PEL), des plans d'épargne pour la retraite collectifs (Perco) et des comptes épargne logement (CEL), autant de dispositifs d'épargne plutôt sociaux, en serait affectée. En augmentant un impôt comme la CSG, dont la base est très large, on touche aussi les classes moyennes.

Sur la TVA, le Haut Conseil des finances publiques juge notre prévision cohérente avec notre estimation de croissance. Il n'en demeure pas moins que nous avons un vrai enjeu sur cet impôt, je ne vous le cache pas. Depuis plusieurs années, il y a un écart entre l'évolution des recettes de TVA et l'évolution du PIB. Il se passe quelque chose que nous n'arrivons pas à comprendre. Est-ce dû à une augmentation de l'économie parallèle, à une déformation de notre modèle économique entre les exportations et la production ? Rassurez-vous, nous ne parlons pas cette année de dizaines de milliards d'euros manquants, mais nous n'arrivons pas à obtenir les rentrées espérées. Ce n'est pas une question de surestimation des prévisions économiques, mais nous constatons que les rentrées de TVA ne sont plus parfaitement corrélées aux simulations faites par nos modèles à partir des observations économiques. Pour une consommation donnée, nous n'avons pas la TVA attendue. J'ai donc lancé une mission d'urgence, dont je vous ferai bien entendu part des résultats, la TVA étant aussi devenue une ressource pour les collectivités et la sécurité sociale.

Un grand débat portera aussi sur les compléments de salaires, dont les tickets-restaurant font partie. Jean-Pierre Farandou dit souvent que tous les revenus devraient porter une part de cotisation et de fiscalité, quitte à moduler ensuite leur application. Créer des revenus sans aucune fiscalité ni charge sociale peut en effet poser question. Entre les tickets-restaurant, qui sont devenus des tickets « caddie », et les chèques culture ou les chèques vacances, qui sont devenus une quasi-monnaie, il y a sans doute des choses que l'on peut moduler.

Vous avez été nombreux également à m'interroger sur la fiscalité comportementale. C'est en effet un élément que le Gouvernement ne verse pas au débat, mais rien ne vous interdit de déposer des amendements en la matière.

Madame la sénatrice Guidez, votre question sur ce que l'on rembourse est intéressante. Je ne suis pas ministre de la santé, mais je constate que beaucoup de recommandations de la Haute Autorité de santé ne sont pas suivies. Par exemple, près de la moitié des arrêts maladie sont prescrits pour des durées atteignant parfois le double de ses préconisations. Quand la Haute Autorité de santé émet des recommandations, nous pourrions considérer que c'est sur cette base que le remboursement s'applique.

Le fait que la durée des arrêts maladie ne corresponde pas aux préconisations pose problème. Les données de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) montrent que des patients en arrêt ne voient aucun médecin. Par exemple, 30 % à 40 % des personnes en arrêt pour des troubles musculosquelettiques ne voient pas de kinésithérapeute...

Mme Annie Le Houérou. - Il faut parfois attendre trois mois pour voir un kiné !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'arrêt ne va donc pas résoudre le problème, il va simplement le mettre en pause. Les médecins n'assurent pas toujours le suivi que l'on pourrait attendre, d'où notre préconisation que les arrêts initiaux soient de quinze jours, afin de vérifier que le parcours de soins nécessaire a bien eu lieu.

Ensuite, bien entendu, il faut que l'offre de soins soit disponible, et l'on en revient aux enjeux d'installation et de répartition. Car dans certains territoires, l'offre de soins existe.

Sur la démographie, vous avez parlé de l'Italie, madame Guidez, et je voudrais préciser ce que cela signifie pour un pays d'avoir 1,2 enfant par femme. Cela veut dire que chaque femme a en moyenne 0,6 fille. Si ces filles ont à leur tour 0,6 fille, en deux générations, la population italienne aura baissé de 60 %. Présentés ainsi, ces chiffres prennent une tout autre signification. C'est donc un enjeu qui va bien au-delà des questions budgétaires, et qui intéresse tous les démographes et sociologues.

Nous investissons beaucoup de moyens pour créer des places de crèche. La convention d'objectifs et de gestion de la Caisse nationale des allocations familiales prévoit jusqu'à 20 000 euros de soutien par place de crèche construite. Pourtant, nous avons toujours un problème de mode de garde, alors même qu'il y a de moins en moins d'enfants. Aujourd'hui encore, plus de 30 % des familles n'ont pas de solution de garde. Le congé de naissance est proposé tel quel et sera débattu. Son coût dépendra bien évidemment du taux de recours.

Monsieur Lévrier, la politique d'apprentissage a été un succès en favorisant l'insertion. Elle a cependant entraîné des dépenses d'un montant total de 19 milliards d'euros - 15 milliards d'euros de dépenses budgétaires et 4 milliards d'euros de réductions de cotisations et d'impôts - pour environ 900 000 jeunes en apprentissage. Il est vrai que 61 % des apprentis ont une qualification supérieure à bac+ 2, et je ne doute pas que Jean-Claude Farandou sera attentif à améliorer l'efficacité de cette politique.

Concernant les arrêts de travail, vous avez décrit un système qui existe déjà dans la mesure où des médecins agréés peuvent être mobilisés pour effectuer des contrôles à partir d'une certaine durée d'arrêt et décider si l'employeur doit continuer à octroyer un complément de salaire.

S'agissant de l'Ondam sous-jacent, une hausse de 2,3 % est prévue, avec un taux de chômage en légère hausse. Il convient de rappeler que 35 000 personnes entrent chaque trimestre sur le marché du travail du fait du baby-boom des années 2000.

Pour ce qui est d'une taxe sur les complémentaires santé, madame Souyris, je pense que Stéphanie Rist pourra mieux développer les enjeux liés à la répartition des remboursements d'assurance maladie et de l'accompagnement des assurés sociaux lors de son audition à venir.

Une remarque a aussi été formulée sur le coût de la maladie : c'est tout le sens du taux de CSG réduit qui s'applique aux revenus de remplacement, alors que le taux de CSG est de 9,2 % pour les revenus d'activité.

Pour ce qui concerne la financiarisation, le PLFSS contient des éléments qui, sans empêcher des secteurs utiles aux Français tels que la biologie et la radiothérapie de fonctionner, permettent d'instaurer une régulation, notamment en privilégiant des forfaits par rapport à la tarification à l'acte.

J'en viens au zonage et aux ZRR, débat qui, comme toute discussion portant sur les exonérations et les niches, est pertinent. Je n'ai pour ma part aucune opposition de principe aux niches, mais encore faut-il être certains de la manière dont nous voulons affecter les moyens publics. Le PLF et le PLFSS prévoient la suppression d'un certain nombre de niches fiscales et sociales, sur la base de différents rapports de la Cour des comptes et du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Je souhaite que nous menions le débat sur tous ces points et que nous fassions des choix, en toute transparence.

Madame Le Houérou, j'ai tendance à avoir la main tremblante dès lors qu'il est question de faire contribuer davantage les entreprises, car cela risque d'entraîner une hausse du chômage, notamment des seniors. Les exonérations de cotisations sont devenues une composante du coût du travail et les 80 milliards d'euros engagés à ce titre ont permis de créer des emplois.

Le taux d'emploi a ainsi augmenté très sensiblement en France ces dernières années, atteignant des niveaux qui n'avaient pas été connus depuis les années 1970. Cela résulte d'une série de décisions qui ont permis à un certain nombre de secteurs de créer des emplois. D'aucuns se sont d'ailleurs interrogés sur cette capacité de notre pays à créer des emplois en ne connaissant qu'une faible croissance : c'est très certainement parce que nous avons créé les conditions le permettant.

Certes, l'État paie les allégements généraux, mais ces derniers ont permis de réduire le chômage, qui n'est désormais plus la principale préoccupation des Français, avant tout soucieux de leur pouvoir d'achat. Ayons un regard juste sur les effets de ces exonérations, qui ont permis de sortir de décennies pendant lesquelles le chômage était vu comme une maladie incurable, même si nous n'avons certes pas tout résolu.

Concernant l'hypothèse d'une CSG plus progressive, je rappelle que le taux dépend des revenus du foyer de l'année n-2 : les revenus totaux et la composition du foyer sont pris en compte pour fixer le taux applicable aux retraités, qui est donc un taux différencié. La même méthode pourrait être appliquée aux actifs, mais cela reviendrait à figer la réalité de la situation familiale deux ans avant pour l'application de la fiscalité et de la cotisation du travail de l'année donnée : il s'agit d'une tâche relativement complexe, mais non pas impossible, ni inconstitutionnelle.

En revanche, il serait inconstitutionnel de lier un taux réduit à la situation d'une personne seule : notre système se base sur une évaluation de la globalité des foyers dans un objectif de justice sociale, et il me semble qu'il faut se montrer très précautionneux si l'on envisage un changement.

J'en arrive à la prévention : l'article 19 porte sur la prise en charge de prestations d'accompagnement préventif à destination des assurés souffrant d'une pathologie à risque d'évolution vers une ALD, afin d'éviter que les personnes atteignent un tel niveau de gravité de leur maladie chronique. Nous aurons donc ce débat que vous appelez de vos voeux.

Je rappelle, par ailleurs, que la révision de la convention médicale a prévu une meilleure rémunération des médecins pour un certain nombre de consultations, à la condition qu'ils pratiquent ces rendez-vous de prévention avec leur patientèle.

Nous avons beaucoup d'outils à notre disposition, mais il reste à savoir s'ils sont employés : chacun d'entre nous fait-il sa prise de sang annuellement, ainsi qu'un bilan général de manière régulière ?

Madame Féret, vous envisagez un débat animé, et c'est tant mieux, car il est question d'une vision et d'une répartition de l'effort au sujet d'un actif national est né il y a quatre-vingts ans grâce à un consensus historique entre les gaullistes et les communistes, dans le cadre du Conseil national de la Résistance (CNR). Nous devrions avoir le courage de nous montrer dignes de cet héritage, en parvenant à un compromis plus modeste en comparaison de ce que nos prédécesseurs ont accompli.

Pour en revenir aux forfaits, 16 000 patients ont vu plus de dix médecins généralistes différents l'année dernière. Je suis d'accord avec vous lorsque vous affirmez qu'il faut distinguer responsabilité et culpabilité...

Mme Annie Le Houérou. - Il faut alors cibler ces personnes, mais pas l'ensemble de la population !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - De la même manière, nous sommes le premier pays consommateur de paracétamol remboursé : vous savez très bien que de nombreux Français stockent des médicaments remboursés dans leurs armoires, sans forcément les utiliser, ce qui entraîne parfois des gaspillages.

Je fais le lien avec les pharmaciens, enfermés dans un modèle de rémunération « à la boîte », d'où l'impossibilité d'aller vers un modèle de délivrance des médicaments à l'unité, ce qui est un peu absurde compte tenu de la variété des boîtes, plus ou moins grandes et plus ou moins chères.

Des études économiques transparentes et indépendantes ont montré que la France est le deuxième pays au monde - après les États-Unis - en termes de soutien à l'innovation médicale. Néanmoins, nous, Européens, sommes très faibles sur le médicament, car nous nous faisons concurrence alors que nous devrions, compte tenu la taille de notre marché, songer à notre souveraineté médicamenteuse et pharmaceutique à l'échelle du continent.

Avec un marché ouvert tel que le nôtre, il n'y a aucun sens à ce que chacun des pays se batte pour obtenir une demi-usine qui n'est jamais rentable, alors que nous pourrions nous répartir les sujets, porter une vision du médicament et négocier collectivement avec les grands laboratoires. Cette mécanique de compétition entre pays européens est assez absurde, tant pour les patients que pour les industriels.

Monsieur Henno, la fraude représente un enjeu majeur. Si le HCFP a jugé notre copie optimiste, je rappelle que nous détectons 16 milliards d'euros de fraudes pour 11 milliards d'euros encaissés sur le plan fiscal ; sur le plan social, nous détectons 3 à 4 milliards d'euros pour 1 à 2 milliards d'euros encaissés : la marge de progression est donc considérable et s'explique par un cruel manque d'outils.

Les dispositions relatives aux gels, saisies et flagrances sont ainsi très précieuses, car elles fournissent aux agents publics - engagés pour faire respecter le pacte républicain - les outils adaptés pour agir immédiatement en cas de détection d'une fraude, en gelant le compte en banque, en menant l'enquête et en récupérant l'argent en cas de fraude avérée. Jusqu'à présent, les agents ne pouvaient qu'écrire une lettre, ce qui laissait toute latitude aux sociétés éphémères pour organiser leur insolvabilité et envoyer l'argent issu de la fraude à l'étranger, comme cela m'a été confirmé par Tracfin.

Dans le même ordre d'idées, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales prévoit un renforcement de la coopération entre les administrations, afin d'accélérer les procédures et de réduire le laps de temps séparant la détection de la fraude du recouvrement. Je soutiens avec ardeur, en lien avec le garde des sceaux, la politique de saisies et de ventes portée par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) : au lieu d'assumer des frais de gardiennage de biens - parfois de luxe -, nous procédons à la vente après la saisie.

En conclusion, la fraude est désormais très structurée, les mêmes réseaux de criminalité organisée étant à l'oeuvre derrière l'exportation de médicaments et d'ordonnances, avec des flux illicites d'argent en espèces provenant en grande partie du narcotrafic. Il faut donc que nous soyons très lucides et que nous écartions la « petite fraude des gens modestes » que certains évoquent parfois à l'Assemblée nationale.

Je suis résolument opposée à cette idée, car la fraude dont je vous parle est le fait de réseaux très organisés et internationalisés, qui ont déployé leurs activités tous azimuts et qui ont compris un élément essentiel : plus la politique publique considérée a l'air sociale, plus elle semble ciblée sur les classes populaires et moyennes, plus elle fait l'objet de fraudes.

La politique publique qui a connu le plus fort taux de fraude est ainsi MaPrimeAdapt', alors qu'elle porte l'aide à l'adaptation des logements des personnes en situation de handicap. Cela me révolte : plus nous déployons des outils publics qui ciblent les personnes fragiles que nous souhaitons accompagner, plus les réseaux criminels se disent qu'il existe, derrière le paravent de la solidarité, des failles permettant d'extorquer de l'argent public pour l'envoyer dans des pays exotiques où il n'est aucunement question de rénover des logements.

Il est donc nécessaire que nous tenions aux Français un discours de vérité au sujet de la fraude, en rappelant que nous ne ciblons pas les citoyens - c'est pourquoi nous avons instauré le droit à l'erreur -, mais l'extorsion, qui met à mal un système social et républicain auquel nous sommes tous attachés.

Dans le cadre des débats à venir, j'essaierai d'être la plus transparente possible sur les faits. Ensuite, vous, sénatrices et sénateurs, voterez aux côtés de vos collègues députés : le texte est entre vos mains.

M. Olivier Henno, président. - Merci, madame la ministre, de nous avoir consacré autant de temps.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités

Réunie le mardi 28 octobre 2025, sous la présidence de M. Jean Sol, vice-président, la commission procède à l'audition de M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités.

M. Jean Sol, président. - Nous accueillons M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités.

Monsieur le ministre, notre commission est impatiente de vous entendre sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 au regard des enjeux qui concernent vos champs d'action : les retraites, bien entendu, mais également la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Deux autres textes concernent aussi notre commission : le projet de loi de finances (PLF), en particulier la mission « Travail et emploi », et le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, dont la commission des affaires sociales est saisie au fond.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. - Je suis très honoré d'être devant vous. Dans mes précédentes fonctions, j'ai toujours apprécié les échanges avec les sénatrices et les sénateurs. La chambre haute aborde les sujets avec profondeur et sérénité.

Vous savez d'où je viens : de la SNCF, c'est-à-dire du monde de l'entreprise, où j'ai passé 45 années, dont les six dernières comme président. Le groupe SNCF est au carrefour de nombreuses entreprises publiques. C'est un bon baromètre des inquiétudes et des attentes des Français. On dit parfois que la SNCF est un bout de la France, avec ses 150 000 cheminots répartis sur tout le territoire. À la SNCF comme dans les autres entreprises, le dialogue social, l'attention portée aux conditions de travail, le développement des compétences, la valorisation du travail, l'usure professionnelle, les retraites sont des sujets de préoccupation légitimes des salariés et des organisations syndicales, tout comme le coût de l'emploi et la compétitivité sont des sujets de préoccupation légitimes des employeurs et des organisations patronales.

Les problématiques relatives au travail, à l'emploi et à la solidarité ont toujours un écho local fort, car c'est sur le terrain que les ajustements se réalisent. En rejoignant le Gouvernement, j'ai souhaité mettre mon expérience au service des Français dans un moment de grandes difficultés sociales, économiques, politiques et géopolitiques.

J'ai mené cette réflexion en quelques heures avant de décider et j'ai préféré être dans l'action, sur le terrain, plutôt que spectateur dans les tribunes. Mais je prends ces nouvelles responsabilités avec beaucoup d'humilité. Je sais les défis nombreux, bien au-delà de ce PLFSS compliqué.

Ma méthode reste l'écoute et le dialogue. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai souhaité rencontrer certains d'entre vous le plus vite possible. Ma porte reste ouverte : je suis disponible, pour que choses avancent.

J'en viens au projet de loi de financement de la sécurité sociale, en débutant par un constat. La France dispose de l'un des meilleurs systèmes de protection sociale du monde. Nous en sommes fiers. C'est un pacte entre les Français et la nation ; c'est aussi un pacte de solidarité entre les générations. Malheureusement, les soubassements économiques de ce pacte sont fragilisés par la situation démographique. Or, les tendances démographiques sont irrésistibles. La natalité baisse tandis que la population vieillit. On atteint un ratio de 1,8 actif pour 1 retraité. En 2070, il sera de 1,4 pour 1. L'équation devient compliquée. Le mode de financement, qui repose à 65 % sur le travail, atteint lui aussi ses limites, puisqu'une partie de la dépense est universelle et non assurancielle.

Nous faisons face à des déficits croissants et alarmants. Le plafond de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a été relevé à plus de 80 milliards d'euros, atteignant les limites en matière de trésorerie et de capacité à lever des fonds pour assurer le fonctionnement de nos organismes.

Le diagnostic est simple : si nous voulons préserver notre système social et le transmettre en bon état aux générations futures, nous devons trouver des solutions pour le maintenir à flot. La solidarité intergénérationnelle est essentielle : les jeunes seront un jour actifs ; les actifs seront retraités ; les retraités peuvent souffrir d'une perte d'autonomie. Chacun, dans sa vie, passe d'une branche de la sécurité sociale à l'autre.

Ce PLFSS n'a pas d'ambition structurelle. Ce n'est pas son objet : les textes budgétaires, PLF et PLFSS, n'ont qu'une portée annuelle. Aussi, il présente des réponses de court terme, tant sur le volet des recettes que sur celui des dépenses.

Réduire les dépenses n'est jamais très populaire. J'en suis conscient. Le Premier ministre l'a dit : ce PLFSS est un projet. Par conséquent, il mérite d'être amendé. Mon souhait est qu'il le soit dans le respect de notre cadre économique.

La mesure la plus forte de ce PLFSS est le gel, ou la stabilité en niveau, des prestations et des retraites. Cette année blanche nous paraît nécessaire d'un point de vue financier, parce que son rendement est de 3,6 milliards d'euros, et possible, puisque l'inflation est modérée. Nos compatriotes pourront supporter cet effort, dès lors qu'il est partagé. Je crois savoir que quelques-uns d'entre vous avaient déjà évoqué cette piste dans leurs travaux estivaux.

Cette logique d'année blanche vaut aussi pour le gel des montants des revenus utilisés pour déterminer l'application des taux réduits ou nuls de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de remplacement et par extension de l'assujettissement à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) et la cotisation d'assurance maladie sur les retraites complémentaires.

Venant de l'entreprise, je sais combien l'emploi est décisif. Or il est créé par les entreprises. Cela suppose qu'elles soient compétitives. Il faut faire attention à rester ajusté, pour que les mesures que nous envisageons soient supportables pour les entreprises. N'alourdissons pas trop la barque de nos entreprises, qui créent de l'emploi. Or l'emploi, c'est du travail, et donc des cotisations. Tout se tient. La France est le pays de l'OCDE où les cotisations sont les plus lourdes. Les entreprises pâtissent déjà structurellement d'un handicap qu'elles ne manquent pas de rappeler.

Du côté des recettes, nous nous penchons sur les niches fiscales. Celles-ci ont été créées parce qu'on a voulu, dans un secteur considéré, envoyer un signal prix, ou plutôt un signal exonération, pour encourager une pratique.

Alors que les temps sont durs, il ne nous paraît pas anormal, du moins sur le plan intellectuel, que l'on s'interroge sur ce que sont devenues ces niches fiscales et sur la manière dont elles ont évolué par rapport à l'intention originelle qui a prévalu à leur création. N'y a-t-il pas eu une extension incontrôlée ? Il convient d'y revenir.

Par ailleurs - je serai là un peu militant -, quelle est la ressource de la sécurité sociale ? Ce sont les cotisations. Par conséquent, chaque exonération de cotisations affaiblit la sécurité sociale. Il faut donc bien réfléchir avant de créer des niches, et être conscient de leurs conséquences.

Les niches sociales sont très larges dans notre pays. Nous sommes tout à fait ouverts au débat et aux propositions alternatives à celles que nous avons faites ; d'autres pistes sont possibles. Je rappelle que le rendement de ces niches sociales est d'à peu près 1,2 milliard d'euros. Cela mérite que l'on y prête attention.

L'idée d'équité est fondamentale. Tous les contributeurs, tous les acteurs du système de protection sociale et tous les bénéficiaires doivent participer à l'effort, qu'il s'agisse des actifs, des retraités ou des opérateurs. Je respecte les professionnels pour leur savoir et leurs compétences - nous en avons besoin -, mais, au fond, tous ceux qui font partie de cet écosystème à 666 milliards d'euros doivent être solidaires d'un effort d'ajustement et de maîtrise. Cela permettra de passer le cap avant que des réformes plus structurelles puissent voir le jour dans notre pays.

Monsieur le président, je saisis bien volontiers la perche que vous m'avez tendue en évoquant le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Ce n'est pas un hasard que ce texte arrive en même temps que les projets de loi financiers : les Français ne comprendraient pas, au moment où des efforts leur sont demandés, que nous paraissions laxistes et éloignés de cette préoccupation. Bien au contraire, via le projet de loi, qui sera examiné par le Sénat le 12 novembre prochain, nous nous emparons du sujet.

Dans notre pays, la lutte contre la fraude fiscale est assez bien équipée. La direction générale des finances publiques (DGFiP) est un instrument très efficace : il est compliqué de frauder, car ses agents savent tout de nous. Sur le plan social, la lutte contre la fraude n'est pas aussi outillée, pas aussi unifiée. Il y a un effort technique à faire, ce qui suppose une loi, parce qu'il faut aussi veiller au respect des libertés. Il faut donner à nos contrôleurs du champ social les moyens de mieux faire leur métier et de lutter contre les abus, les écarts, voire les fraudes qui existent un peu partout, sans stigmatiser quiconque.

Je rappelle que le Haut Conseil du financement de la protection sociale a estimé le montant de la fraude sociale à 13 milliards d'euros. Ce n'est pas rien : c'est la moitié du déficit de la sécurité sociale. L'enjeu est important. Nous ne récupérerons certes pas 13 milliards, mais, si nous pouvons en récupérer quelques-uns, il est de notre devoir de le faire.

La volonté d'être plus efficace en la matière, sous l'impulsion du Premier ministre, est très forte au sein de l'ensemble du Gouvernement. Ce n'est pas qu'une formule. Si l'écart à la loi doit bien évidemment être puni par des mécanismes légaux, la fraude sociale et la fraude fiscale sont également moralement répréhensibles dans le moment que traverse notre pays.

L'autre grand sujet de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est, bien sûr, celui des retraites. Le véhicule du PLFSS a déjà été choisi par le passé pour traiter du sujet : que l'on songe à la loi de 2023. Cela avait été validé par le Conseil constitutionnel. Dès lors, rien n'empêche de le faire.

Le débat est sensible, et cette audition vous donnera l'occasion de le nourrir...

La question de la suspension est importante - je développerai ce point si vous le souhaitez. Elle peut être débattue ; elle le sera. Elle a au moins le mérite de donner du temps. Le Premier ministre m'a demandé d'utiliser ce temps pour refaire le tour du débat travail-retraite, comprendre pourquoi notre construction n'a pas totalement fonctionné et ce par quoi elle a pu pécher.

Pour ce qui me concerne - cela tient peut-être aussi à ma nature optimiste -, j'ai la conviction qu'il y a un chemin pour un accord. De fait, si l'on observe la situation avec un peu de recul, nous n'avons pas été si loin de l'obtenir. Nous l'avons manqué, à deux reprises : lors du projet de réforme de 2019-2020 ; à la sortie du conclave. Nous connaissons les raisons du blocage. On peut se demander si celui-ci était pertinent, au vu des enjeux sous-jacents. Que faudrait-il ajouter pour que ce blocage soit levé ? La chose ne me paraît pas impossible.

Nous allons donc nous donner le temps du recul en intégrant la question du travail. Pour le dire très simplement, il s'agit de répondre à la question suivante : pourquoi autant de Français, quels que soient leurs métiers - ou presque -, ont-ils, à 60 ou 62 ans, une si grande envie de quitter le monde du travail ? J'ai le sentiment que nous n'avons pas eu « l'occasion » - pour employer un terme neutre - de traiter cette question. Or il est déterminant de comprendre pourquoi les Français résistent autant à l'idée de travailler deux ans de plus ; si tel n'était pas le cas, la question des retraites se poserait différemment. C'est pourquoi il est très important que la conférence sociale aborde autant le travail que la retraite.

Concernant les retraites, je le dis tout de suite, l'objectif est de mettre à plat les différents types de régimes. Au fond, il y a, sur le sujet, une espèce de guerre de religion. En toute honnêteté, je n'ai, pour ma part, aucune idée préconçue. Ce que je souhaite, c'est que nous définissions un système de retraite qui fasse largement consensus au sein des forces vives, politiques et syndicales, et de la population.

Il est important d'essayer d'apaiser le débat et, pour ce faire, de rester factuel. J'essaierai de décrire une nouvelle fois les grands systèmes que nous connaissons - la répartition, le système par points, la capitalisation. Que signifie chacun d'eux ? Des « mix » sont-ils possibles ? Si oui, lesquels ? J'ai la conviction que nous reparlerons de la pénibilité lorsque nous évoquerons la répartition. C'est peut-être un manque sur le sujet qui peut expliquer pourquoi nous avons finalement échoué il y a quelques mois, alors que nous avons failli réussir. Quoi qu'il en soit, nous allons nous donner cette chance.

Je vous ai dit l'essentiel et vous ai donné la couleur. Je suis sûr que les questions ne manqueront pas.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ma première question est relative au cadrage général des finances publiques, et non à la seule sécurité sociale.

Le 8 octobre dernier, dans le cadre des discussions avec les partis politiques, le Premier ministre a évoqué un objectif de déficit public pour 2026 « en dessous de 5 % » du PIB. Si l'on considère que cela correspond, par exemple, à un déficit maximal de 4,9 points de PIB, cela signifie que le déficit 2026 pourrait être augmenté d'environ 6 milliards d'euros par rapport au déficit de 4,7 points de PIB actuellement prévu. Faut-il comprendre les choses ainsi ? Si oui, cette « marge d'aggravation du déficit » a-t-elle été répartie entre État et sécurité sociale ?

Selon le texte résultant de la lettre rectificative, le coût de la suspension de la réforme des retraites est estimé, pour le système de retraite, à 100 millions d'euros en 2026 et à 1,4 milliard d'euros en 2027. Pourtant, lors de son discours de politique générale, le 14 octobre, le Premier ministre a indiqué que le coût de la mesure était « de 400 millions d'euros en 2026 et de 1,8 milliard d'euros en 2027 ». Nous comprenons qu'il s'agit, dans les deux cas, d'un chiffrage sur le seul champ du système de retraites. Comment expliquer l'écart entre, d'une part, les montants indiqués par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, et, d'autre part, le texte résultant de la lettre rectificative ?

Pour sa part, la presse a fait état de chiffrages nettement plus élevés du coût de la suspension de la réforme des retraites que ceux qui figurent dans l'exposé des motifs de l'article de la lettre rectificative. Le 8 octobre 2025, le Premier ministre a déclaré, sur France 2, que le coût de la suspension serait de « pas moins de 3 milliards d'euros » en 2027. Le même jour, Roland Lescure a annoncé que la mesure coûterait « des centaines de millions en 2026, des milliards en 2027 », et TF1-LCI a précisé que « Bercy chiffre une mise en pause de la réforme à 500 millions d'euros en 2026 et 3 milliards d'euros en 2027. » Dans ces conditions, nous comprenons que les Français soient perdus !

Nous comprenons que ces chiffrages à 3 milliards d'euros en 2027 concernent l'ensemble des administrations publiques, en prenant notamment en compte l'effet de la moindre croissance économique, et non le seul système de retraite. Pouvez-vous nous confirmer ce point ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Nous avons regretté que la réforme de 2023 ait pris place dans un texte purement financier et que nous n'ayons pu obtenir d'équilibres sur la pénibilité, les carrières longues et la retraite des femmes - sur ce dernier point, il y a une avancée. Nous attendons depuis 2023 la loi sur le travail que Mme Borne nous avait promise ; nous aurions pu y inscrire des dispositions qui auraient permis l'acceptabilité du report de l'âge.

Je veux d'abord rebondir sur la question de Mme la rapporteure générale. Je confirme que nous sommes un peu perdus dans les chiffres... Si l'on comprend bien, les estimations à 3 milliards d'euros en 2027 portent non sur le seul système de retraite, mais sur l'ensemble des administrations publiques. Si l'on fait un calcul rapide, l'écart d'environ 1,5 milliard d'euros pour 2027 - 1,4 milliard d'euros pour le seul système de retraite selon l'évaluation préalable ; 3 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques selon les autres déclarations - suggère que la suspension de la réforme des retraites réduirait le PIB d'environ 0,1 point en 2027. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?

Comme cela nous a été dit par vos services, nous avancerons, pour la première fois depuis 1982, l'âge d'ouverture des droits à la retraite en suspendant l'application de la réforme de 2023 pour les générations de 1964 et 1965. Avez-vous une idée du coût qu'une telle mesure va engendrer pour l'ensemble des caisses de retraite qui vont devoir recalculer des liquidations de pensions ?

L'article 43 du PLFSS pour 2026 prévoit de réformer le cumul emploi-retraite dans le sens des recommandations émises par la Cour des comptes, afin d'en limiter les effets d'aubaine et de réserver l'accès au cumul intégral aux seuls assurés ayant atteint l'âge de 67 ans. Cette mesure a pour objet d'encourager les seniors à rester plus longtemps sur le marché du travail. Or nous savons que le taux d'emploi des seniors en France est le plus faible d'Europe, malgré une légère progression. Quels outils les entreprises ont-elles à leur disposition pour continuer à former les seniors et à entretenir leur productivité ? Surtout, comme j'ai pu le demander en 2023, les entreprises vont-elles garder leurs seniors ?

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). - La branche AT-MP a longtemps été excédentaire, mais sa situation financière a aujourd'hui de quoi préoccuper : à compter de 2025, une situation de déficit structurel devrait s'installer, avec des taux de déficit prévisionnels allant jusqu'à 8 % pour 2027. Il s'agira très certainement du pire déficit de l'histoire de la branche. Ce constat amène deux questions.

Si nous déplorons la situation financière en elle-même, il est peut-être encore plus regrettable que la détérioration du solde de la branche soit le fruit d'un choix politique. En effet, bien plus que la dynamique des prestations, c'est la hausse conjointe du transfert à la branche maladie et du transfert de recettes à la branche vieillesse qui plonge la branche AT-MP dans le déficit. Si je ne conteste pas la pertinence du transfert pour la sous-déclaration, ce phénomène étant bien étayé, force est de constater que les estimations qui fondent son montant sont volatiles, du fait du manque de fiabilité des données. Elles placent désormais la branche AT-MP dans une situation financière difficile. Sans les transferts aux branches maladie et l'attribution du taux de cotisation AT-MP à la branche vieillesse, la branche AT-MP afficherait un excédent prévisionnel compris entre 0,9 milliard et 1,5 milliard d'euros entre 2025 et 2029. Pourquoi avoir fait le choix de « sacrifier » la santé financière de la branche AT-MP pour tenter de résorber le déficit d'autres branches ? Le Gouvernement entend-il maintenir cette politique ?

Ma seconde question porte sur l'annexe 3 du PLFSS pour 2026, qui annonce, sans davantage de détails, une amélioration des recettes de 0,4 milliard d'euros. Pourriez-vous préciser quelles mesures sont envisagées en ce sens et indiquer si les partenaires sociaux seront partie prenante dans la définition des modalités de retour à l'équilibre de la branche ?

En tout état de cause, je crois ne pas me tromper en disant que la commission s'opposerait fermement à toute augmentation uniforme des cotisations : il ne serait pas acceptable que des employeurs vertueux, investis dans la prévention des risques professionnels, aient à payer les conséquences d'un déficit qui procède, je le répète, d'un choix politique plutôt que d'une augmentation de la sinistralité.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Concernant le cadrage général, vous avez parfaitement posé les termes du débat. L'équation de départ est un déficit de 4,7 %, et la trajectoire vise à atteindre 3 % en 2029. La dynamique est donc la bonne, puisque le déficit était à 5,4 %, et cette baisse va continuer. Il faut le faire en soi, sans parler de la pression qu'exercent sur nous la Commission européenne, les marchés, etc. C'est un élément fondamental : c'est certainement l'armature du retour à la vertu dont notre pays a besoin en matière de finances publiques.

Effectivement, le Premier ministre, par une formule tout à fait ajustée, a parlé, pour le déficit, d'un chiffre « inférieur à 5 % ». Vous avez vous-même évoqué un déficit de 4,9 %. De fait, il s'agit précisément d'atteindre ce déficit à la fin : il importe, dans ce contexte mouvant, fait de discussions, d'échanges, d'ajustements, qu'il y ait une forme de clôture. Ce déficit de 4,9 % n'est donc pas un déficit de départ : il doit permettre, in fine, de constater que les conditions d'une stabilisation de l'action gouvernementale sont réunies, ce qui permettra d'avancer et de traiter les problèmes du pays. Vous m'accorderez que ce n'est pas complètement gagné à ce jour : le processus sera difficile. Mais tels sont les termes de l'équation.

Honnêtement, je pense qu'il appartient au Premier ministre d'apprécier la manière dont il convient d'ajuster les choses, en respectant les deux conditions que j'ai évoquées : il faut que ce soit juste et pertinent. Il faut vraiment que nous puissions, par exemple, amodier les éléments d'économie qui apparaîtraient trop difficiles à supporter pour les Français ; nous serons bien évidemment attentifs à ce critère. Autre critère : nous devons faire en sorte de créer de la convergence, et non de la divergence. Ce sont ces deux critères qui, me semble-t-il, seront utilisés par le Premier ministre pour ajuster les arbitrages - finaux ou successifs - qui permettront d'assurer l'objectif de redressement des comptes, auquel il me semble que nous sommes nombreux à souscrire.

Pour ce qui concerne la lettre rectificative, effectivement, les chiffres ont bougé. Comme vous, j'ai entendu, dans la déclaration de politique générale du Premier ministre, les chiffres de 400 millions d'euros et de 1,8 milliard d'euros - on ne savait pas encore la forme que cela prendrait d'un point de vue législatif. Les calculs ont ensuite été affinés. Une première estimation avait été faite par la direction de la sécurité sociale, mais l'assiette a bougé après que nous eûmes regardé de plus près ce qu'il y avait dedans.

Mon avis peut être discuté, mais ceux qui me connaissent savent l'importance que j'attache au bon sens. Or, en l'occurrence, le bon sens a consisté à considérer que la suspension ne devait toucher que ceux qui montaient vers 64 ans, autrement dit à interrompre, pour ces derniers, le processus du recul de l'âge de départ. C'est ce raisonnement, simple, qui a conduit à une assiette un peu plus resserrée. De fait, nous avons considéré qu'il n'était pas anormal d'exclure du calcul le sous-ensemble de salariés qui n'étaient pas concernés par la montée à 64 ans : les carrières longues, qui partent à la retraite avant cet âge, parce qu'elles ont commencé à travailler tôt ; les régimes spéciaux, qui, par nature - je connais bien celui de la SNCF -, partent aussi beaucoup plus tôt. En procédant ainsi, nous avons fait baisser le périmètre, et nous sommes tombés à 100 millions d'euros en 2026 et 1,4 milliard d'euros en année pleine.

Les chiffres dépendent aussi des hypothèses que l'on retient. Par exemple, il est difficile de savoir comment se comporteront les Français : vont-ils partir plus tôt ou, au contraire, pousser jusqu'à la date prévue pour bénéficier de mécanismes de surcote ou de cotisations supplémentaires ? Sur ce point, nous ne pouvons que formuler des hypothèses ; les faits parleront.

Vous avez raison de dire que ce sont des calculs aux bornes de la caisse : les effets plus larges que vous mentionnez, et qui donneraient lieu à un doublement du coût estimé de la suspension, n'ont pas été, à ce stade, pris en compte.

Or il ne faut pas oublier que l'effort de financement porte sur les effets sur la caisse. Deux éléments doivent être pris en compte.

Tout d'abord, considérons que le coût de la suspension est bien de 100 millions d'euros pour 2026. L'an dernier, les mutuelles ont profité d'un petit effet d'aubaine, puisqu'elles ont tenu compte d'une exonération qui n'a finalement pas eu lieu. Ainsi, leurs primes ont été augmentées sans qu'aucune dépense supplémentaire n'ait finalement été induite. Il ne serait donc pas anormal de les appeler à un effort complémentaire cette année.

Pour 2027, en revanche, le coût de la suspension s'élèverait à 1,4 milliard d'euros. Le principe assez orthodoxe qui a prévalu - et nous pourrons en débattre -, c'est que les retraites paient les retraites. Plusieurs leviers sont possibles : pour notre part, nous proposons d'amplifier le mécanisme de sous-indexation, en le fixant à 0,9 point, entre 2027 et 2029. Ce principe avait d'ailleurs été accepté par les partenaires sociaux à l'occasion du conclave, à hauteur de 0,4 point.

Madame le rapporteur de la branche vieillesse, vous regrettez que la question du travail n'ait pas été assez traitée. Vous avez raison : l'une des clés pour trouver un accord est de parler du travail. Au sein de la conférence sociale sur le travail et les retraites, ce sujet tiendra une place aussi importante que celle des retraites dans les réflexions. Nous avons une sincère volonté d'écoute sur les conditions et l'organisation du travail, sur la rémunération, sur la pénibilité ou encore sur la prévention - car mieux vaut prévenir que réparer des usures excessives. Tous ces sujets sont très importants. Et s'ils sont correctement traités, ils seront de nature, j'en suis convaincu, à créer les conditions d'une convergence.

J'en profite pour dire que cette conférence ne sera pas un conclave bis. Il ne s'agira pas d'un lieu de négociation fermé, dont on ne sortirait qu'à l'apparition d'une fumée blanche, mais d'un lieu de débat, ouvert, où des experts pourront s'exprimer. Ses conclusions seront structurées et organisées pour être partagées de la manière la plus rationnelle possible. Nous n'empêcherons personne d'adopter une position idéologique, mais nous pousserons chaque acteur à argumenter pour exposer concrètement ses solutions.

Nous espérons que les travaux de la conférence seront repris par les partenaires sociaux, à la fois sur les retraites, mais aussi sur le travail.

J'ai évoqué la promotion interne. Le parcours professionnel fait partie des éléments qui peuvent convaincre les salariés de se réaliser dans l'entreprise et d'y rester un peu plus longtemps. Il n'y a pas d'âge pour progresser - la preuve, on peut devenir ministre à 68 ans !

Nous avons donc bien l'intention de nous pencher sur ce sujet fondamental qu'est le travail.

J'en viens au cumul emploi-retraite. J'ai le sentiment que, dans les années à venir, de plus en plus de personnes seront à cheval entre les deux mondes : la retraite n'apparaît plus, autant qu'autrefois, comme une césure radicale. C'est tout l'intérêt des instruments permettant de mélanger travail et retraite, comme la retraite progressive ou le cumul emploi-retraite, à des niveaux variables, en fonction de la situation de chacun.

Le cumul emploi-retraite apparaît donc comme une nouvelle philosophie du passage du travail à la retraite. Nous avons voulu clarifier cet instrument.

Disons-le clairement : nous n'encourageons pas les salariés de moins de 64 ans à y recourir. C'est assez logique, puisque cela correspond à l'âge d'ouverture des droits à la retraite. Nous incitons plutôt ces salariés à travailler.

De même, à partir de 67 ans - âge d'annulation de la décote -, on considère que le travailleur est quitte vis-à-vis du système de retraite. Dès lors, tout est possible : prendre sa retraite sans décote, continuer à travailler, ou profiter de ce système intermédiaire. Ses paramètres peuvent être discutés : ce que nous proposons dans le PLFSS, c'est qu'au-delà d'un plafond de revenu de 7 000 euros, la pension de retraite soit écrêtée.

Étant donné que nous manquons de médecins, et que nous souhaitons les encourager à travailler plus longtemps, un système particulier est prévu pour cette profession.

Le système est donc simple. Nous restons ouverts à la discussion sur le curseur.

Concernant les accidents du travail, il me semble tout d'abord qu'il faut les distinguer des maladies professionnelles. Ensuite, en tant qu'ancien patron d'entreprise, je n'ai jamais pu me résoudre à accepter que des personnes se blessent, voire décèdent, en travaillant. C'est une situation insupportable, plus que pénalement, moralement. Le dirigeant d'entreprise a la responsabilité de créer les conditions pour empêcher de tels accidents. Sur ce sujet encore, les comparaisons européennes ne sont pas flatteuses, même si certaines entreprises françaises s'en sortent bien. Sans doute devons-nous réfléchir à la culture du travail et de l'entreprise pour mieux comprendre les phénomènes profonds qui aboutissent à de telles situations.

Je reçois régulièrement la liste des salariés qui décèdent au travail : il y en a plusieurs par jour. C'est toujours un drame, qui m'interroge sur les conditions qui y ont abouti. Il ne s'agit pas de culpabiliser les dirigeants. Mais n'oublions pas que la prévention des risques professionnels est un métier. Il existe des méthodes, que nous devons déployer avec détermination, pour parvenir à réduire drastiquement le nombre de personnes qui se blessent en exerçant leur travail.

Je reconnais avec humilité que je ne maîtrise pas encore très bien les sujets économiques que vous évoquez. Comme vous, je m'interroge sur les flux entre les différentes branches de la sécurité sociale. Je n'en connais pas les tenants et les aboutissants, mais ils m'interrogent. Je sais seulement que les paramètres du mécanisme de sous-déclaration sont ajustés par une commission qui se réunit tous les trois ans. Vous vous interrogez sur la rigueur de ses travaux : laissez-moi un peu de temps pour me faire un avis personnel sur la qualité de leurs délibérations.

J'en viens au CDI senior. Il fait partie des outils à notre main. Cependant, l'un des paramètres importants reste le taux d'emploi - des jeunes comme des seniors. En effet, quand les Français travaillent, ils travaillent assez bien. Toutefois, notons qu'après avoir beaucoup augmenté dans notre pays, la productivité décroît depuis quelques années, pour des raisons à la fois complexes et multifactorielles. Cette baisse est problématique, car la productivité est liée aux salaires et à la création de richesse.

La loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, récemment adoptée, permettra la création de dispositifs qui améliorent l'emploi des seniors. Je pense notamment à un contrat qui permet d'embaucher des seniors en précisant leur date de départ, ce qui clarifie la situation, tant pour l'employeur que pour le salarié.

Reconnaissons cependant que si les seniors travaillent davantage, c'est bien en raison de la réforme des retraites. C'est un effet mécanique - et vertueux. Cependant, nous devons nous pencher sur les conditions de travail dans les entreprises pour donner envie aux seniors de travailler plus longtemps et aux employeurs de jouer le jeu. Vous avez raison : il ne faut pas que les entreprises mènent une politique « anti-seniors ».

Le ministère ne peut pas se substituer aux entreprises, mais nous devons trouver un moyen de mieux surveiller la bonne mise en oeuvre de cette politique. C'est en effet un enjeu majeur : si notre taux d'emploi des seniors était identique à celui de l'Allemagne, notre système serait bien plus équilibré ! Et si les Allemands y arrivent, pourquoi pas nous ? C'est un sujet que je prendrai à bras-le-corps, car il est fondamental pour le travail.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». - Contrairement à mes collègues, j'estime que les chiffres sont assez clairs sur la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». En effet, celle-ci contribue très fortement à la baisse des charges pour l'année 2026 - à hauteur de 2,3 milliards d'euros, soit une baisse de 12 %, assez proche de la diminution votée dans le PLFSS pour 2025.

Cela ne nous pose pas de problème, puisque nous devons nous inscrire dans cette trajectoire de baisse de la dépense. En revanche, ce qui est plus préoccupant, c'est l'absence de trajectoire, voire de cap, sur un budget qui implique tout un écosystème et de nombreux partenaires.

L'exemple de l'apprentissage est assez révélateur. Ce dispositif intègre plusieurs partenaires - entreprises, familles ou encore centres de formation d'apprentis (CFA). L'an dernier, il avait été décidé de baisser fortement les aides aux entreprises pour 2025. Cela ne nous posait pas de difficulté. Nous avions étudié, avec votre prédécesseure, les paramètres sur lesquels jouer. Les commissions des affaires sociales et des finances du Sénat avaient d'ailleurs proposé des amendements pour dissocier les entreprises de plus de 250 salariés de celles de moins de 250.

L'objectif était de faire une pause en 2026, compte tenu du temps nécessaire à la mise en place de ce système, du décalage entre la rentrée et le vote du budget et du nombre de partenaires impliqués dans ce dispositif. Surtout, nous ne voulions pas que le dispositif de l'apprentissage soit mis à mal.

Or le budget 2026 est exactement dans la même épure : il prévoit une baisse de près d'un milliard d'euros pour les aides aux entreprises.

Aussi, nous ne pouvons manquer de nous interroger. Vous êtes le bienvenu dans la commission et nous apprécions tant votre expérience que votre regard sur le budget. Cependant, la succession de ministres pose question à tous les partenaires. Sans trajectoire sur un budget qui mobilise autant d'acteurs, dans un contexte économique compliqué, nous risquons de briser des dynamiques.

Aussi, quel regard portez-vous sur cette coupe et sur cette absence de trajectoire ?

M. Olivier Henno. - Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, dont je suis corapporteur, est bien entendu nécessaire. Je songe à l'article 27, qui prévoit notamment de permettre à France Travail de retenir une part plus importante des indus versés aux bénéficiaires de l'allocation de retour à l'emploi. Cette mesure relève du bon sens.

Cependant, certaines des personnes que nous avons auditionnées avec ma collègue Frédérique Puissat ont souhaité aller plus loin. Je pense notamment à la question de l'exploitation du registre des Français établis hors de France, des fichiers de passagers de compagnies aériennes ou même des adresses IP des bénéficiaires afin de lutter contre la fraude à la résidence. Ces possibilités de consultation pourrait-elle être octroyées à certains organismes comme France travail ? Il semble que seule l'administration fiscale ait aujourd'hui des prérogatives étendues pour lutter contre la fraude.

Par ailleurs, vous venez d'affirmer que les retraites doivent payer les retraites. René-Paul Savary, qui a précédé Pascale Gruny dans ses fonctions, disait que sans réforme paramétrique, nous ne pourrions éviter une baisse du pouvoir d'achat des retraités. Or nous y sommes, monsieur le ministre. Nous devons être francs avec les Françaises et les Français, car cela équilibrerait le débat.

Enfin, j'ai la conviction, partagée par la majorité sénatoriale, que notre pays vit au-dessus de ses moyens. Il me semble que le Gouvernement actuel - dans un objectif de stabilité - prend moins en compte cette réalité que les deux gouvernements précédents.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 est annoncé avec un déficit de 17 milliards d'euros. Vous avez déjà lâché sur les retraites. Dans le débat à l'Assemblée nationale, tiendrez-vous ce cap, ou des négociations - pour de bonnes ou de mauvaises raisons ! - sont-elles prévues ? Cela conditionnera bien entendu nos débats au Sénat.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Madame la rapporteure, je vous rejoins sur la continuité des politiques publiques, d'autant plus lorsqu'elles sont nouvelles. L'apprentissage est un dispositif assez récent, qui est une véritable réussite depuis 2018. Ses détracteurs sont peu nombreux. Nous avons doté ce pays d'une nouvelle filière de formation : 10 % des jeunes diplômés passent par l'apprentissage. Nous sommes passés de 400 000 à 1 million d'apprentis, en stock, et de 300 000 à 850 000 apprentis en flux. C'est donc un vrai succès quantitatif.

En outre, l'apprentissage favorise l'égalité des chances : des jeunes accèdent à des diplômes de l'enseignement supérieur grâce à l'apprentissage et à des techniques pédagogiques plus concrètes. Le taux de poursuite d'études des apprentis atteint ainsi 35 %.

Enfin, la proximité avec les entreprises est fondamentale pour trouver un emploi - et c'est bien l'objectif de l'apprentissage ! - à l'issue des études.

Cette politique, très fortement financée par l'État, est donc globalement un succès, avec un pic à 16 milliards d'euros en 2024. C'est tout de même considérable.

Comme vous l'avez indiqué, le projet de budget prévoit un second ajustement, qui correspond à un effort supplémentaire. Cela compromet-il la politique menée ? Là encore, l'indicateur de performance, c'est le nombre d'apprentis. L'an dernier, il y a eu une petite décrue, de l'ordre de 3 %. Nous aurons bientôt les chiffres relatifs à la rentrée 2025.

Notre intention n'est pas de mettre à mal l'apprentissage. J'ai évoqué deux effets : l'effet de bosse - mais nous espérons qu'il y aura un plateau derrière - et l'effet d'efficacité. Dans une période où beaucoup d'argent public a été mobilisé dans le secteur, il a pu y avoir de la dispersion. Mais, aujourd'hui, les gens sont prêts à travailler sur l'efficacité de l'argent public. Et je demande que mon ministère se dote des capacités de contrôle de gestion, afin de savoir si l'argent déployé dans les territoires est bien utilisé.

Nous anticipons une baisse des volumes. C'est un paradoxe : si nous tenons l'exécution budgétaire, ce sera une bonne nouvelle financièrement parlant, mais cela signifiera qu'il y a bien eu une baisse des bénéficiaires, et il faudra se demander pourquoi ; inversement, si nous n'assistons pas à un déclin trop important des volumes, nous aurons un problème budgétaire. En tout état de cause, la politique publique d'apprentissage demeure une priorité du Gouvernement, et nous souhaitons travailler avec tous les acteurs concernés, notamment sur l'amélioration de la qualité des formations.

Monsieur le sénateur Henno, nous sommes prêts à aller plus loin sur la lutte contre la fraude, quitte à durcir les sanctions s'il le faut. Je vous rejoins : la fraude sociale doit bénéficier des mêmes outils que la fraude fiscale. Le ministère examinera avec attention votre proposition, qui me semble aller dans le bon sens.

Le système par répartition repose sur un triptyque : le niveau des pensions, le montant des cotisations et la durée de cotisation. La réforme adoptée en 2023 a consisté à jouer sur la durée de cotisation. Mais si l'on refuse de toucher à la durée de cotisation, il faut toucher aux autres paramètres. Nous le voyons bien aujourd'hui : revenir sur l'allongement de la durée a, par exemple, des conséquences sur notre capacité d'indexation des pensions.

La France vit-elle au-dessus de ses moyens ? Les chiffres des comptes publics le démontrent : il y a bien un déséquilibre structurel entre ce que l'État gagne et ce qu'il dépense. Et ce déséquilibre, qui s'appelle le déficit, il faut d'abord le maîtriser, ce qui est déjà compliqué. Je le rappelle, avec un déficit public ramené à 3 % du PIB, la dette serait seulement stabilisée.

Enfin, je vous laisse libre de votre appréciation quant à l'action des gouvernements passés, sur laquelle il ne m'appartient pas de me prononcer.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le Parlement a adopté l'accord des partenaires sociaux en faveur de l'emploi des seniors, mais le sujet est resté de côté depuis l'adoption de la réforme des retraites en 2023. Les difficultés à retrouver un emploi après 55 ans sont pourtant parfaitement documentées, en particulier par l'Unedic et la Cour des comptes. Elles tiennent, notamment, à l'absence de dispositifs adaptés. Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour améliorer l'emploi des seniors ? Comment pourriez-vous rationaliser les dispositifs de reconversion, afin de les adapter aux compétences et aux besoins du marché ? Et ne pensez-vous pas que des mesures pour les seniors spécifiquement ciblées sur les carrières féminines - je pense au congé maternité ou à la question des proches aidants - s'imposent ?

Mme Jocelyne Guidez. - Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une réduction du nombre de postes financés pour les entreprises adaptées, alors même que le chômage des personnes handicapées est reparti à la hausse. Le texte acte une baisse de 22,3 millions d'euros et la suppression de 3 000 postes financés. Or ces aides ne constituent pas une subvention générale ; elles compensent les surcoûts spécifiques liés à la fragilité, à l'absentéisme et à la moindre productivité inhérente à certains handicaps. Leur diminution fragilise directement l'emploi dans les entreprises adaptées, qui opèrent dans un environnement concurrentiel. Le Gouvernement entend-il revoir cette trajectoire budgétaire ? Les entreprises adaptées réclament simplement de la stabilité et des moyens constants.

Par ailleurs, l'accord de branche du 4 juin 2024 a élargi aux salariés des entreprises adaptées le dispositif Ségur, tout en le conditionnant à des garanties de financement par les pouvoirs publics. Dans sa décision du 3 janvier 2025, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a refusé d'en assurer le financement tout en confirmant le caractère obligatoire de l'accord. Est-il envisagé d'exclure les établissements adaptés du bénéfice de ce dispositif ?

Mme Brigitte Bourguignon. - Nous partageons tous, je le crois, le même objectif : tenir les comptes sociaux tout en accompagnant les plus fragiles. Comme ma collègue Jocelyne Guidez vient de le rappeler, les structures d'insertion par l'économie sont actuellement très inquiètes ces derniers temps. Elles ont besoin de tenir les parcours, notamment parce que le public est difficile. Agir par à-coups, comme on le fait aujourd'hui, les fragilise. Comptez-vous garantir une pérennité des aides aux postes d'insertion par l'activité économique (IAE) ? Quel avenir envisagez-vous pour les contrats aidés ?

M. Daniel Chasseing. - Vous le savez, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans a doublé. Dans le même temps, nous sommes passés de 13 millions d'affections de longue durée (ALD) à 18 millions. Et la durée de vie a nettement augmenté, de plus de dix ans depuis 1980, moyennant quoi il y a près de 20 millions de retraités en 2025, contre 4 millions en 1988. Le déficit s'aggrave, malgré le relèvement de l'âge de la retraite à 64 ans. Vous proposez une année blanche ; voyons tout de même s'il n'y a pas une possibilité d'indexation pour les petites retraites. Il faut évidemment allonger la durée de cotisation. Certes, il faut aussi savoir faire des compromis, et j'espère que vous saurez en trouver avec les partenaires sociaux sans qu'il y ait trop de déficit supplémentaire. Le financement reposant à 65 % sur le travail, il faut davantage d'emplois, davantage de cotisations, sans augmenter les taxes.

Comment comptez-vous développer le travail des seniors, qui est moins important que chez nos voisins européens ? Idem s'agissant de l'emploi des jeunes. Ne faut-il pas créer plus de centres de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide), notamment pour ceux qui n'ont aucune formation à l'issue de leur cursus ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous vous rejoignons sur la nécessité de prendre des mesures sur les recettes et d'autres sur les dépenses pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre. Mais, vous vous en doutez, nous n'avons pas la même vision politique que vous.

Vous avez eu raison de le souligner, chaque nouvelle exonération affaiblit la sécurité sociale. Or, sous Emmanuel Macron, les niches sociales ont augmenté de 8 milliards d'euros - c'est la Cour des comptes qui le dit -, ce qui correspond à l'évolution du déficit de la sécurité sociale sur la même période ! Il faut y remédier. Que comptez-vous faire avec la prime de partage de la valeur, qui a explosé ? Quid de l'exonération des heures supplémentaires, qui coûte 2 milliards d'euros chaque année à la sécurité sociale, et même 4 milliards d'euros aux finances publiques en général, puisque l'exonération est à la fois sociale et fiscale ? D'ailleurs, pour les retraites, il manque précisément 2 milliards d'euros ; il n'y a donc pas que les trois paramètres que vous avez évoqués...

Et, alors que tant de niches existent, vous nous proposez une taxe de 8 % sur... les tickets-restaurant ! Je rappelle au passage que nous avons été parmi les premiers à dénoncer la manière dont ceux-ci ont été dévoyés.

Nous n'avons clairement pas la même lecture économique et politique des problèmes auxquels notre système social est confronté. N'ayant pas eu de réponse de la part de Mme de Montchalin, j'aimerais vous interroger sur les effets récessifs de votre projet de budget.

Le ton est donné dès l'article 1er. Le déficit de la sécurité sociale était de 23 milliards d'euros, au lieu des 22 milliards d'euros prévus en loi de financement de la sécurité sociale, principalement parce que la masse salariale a crû dans des proportions moindres qu'escompté et parce que toutes les recettes attendues de TVA n'ont pas été au rendez-vous. En d'autres termes, le déficit se creuse, car la dégradation du contexte macroéconomique grève les recettes. Ce n'est pas faute de l'avoir dit ! Et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) le constate aujourd'hui. En 2024, nous avons perdu 0,4 point de PIB du fait de l'austérité budgétaire.

Monsieur le ministre, avez-vous calculé l'impact récessif des mesures présentées dans l'actuel PLFSS ? Pourquoi tabler une fois de plus sur un taux de croissance optimiste de 1 %, quand le consensus des économistes est à 0,9 %, voire à 0,7 % ? La politique de l'offre, qui est aujourd'hui plutôt une politique de la rente, crée un déficit de la demande : les carnets de commandes sont au plus bas. Pourquoi vous obstinez-vous ? Combien de temps va-t-on maintenir cette politique à fort effet récessif qui pénalise de surcroît les plus pauvres ? Le gel des prestations va toucher les 10 millions de Français qui sont sous le seuil de pauvreté.

Pour les administrations publiques (APU), l'écart entre les dépenses et les recettes est de 5,8 points de PIB - un tel taux n'avait jamais été atteint -, alors qu'il était de 3,4 % en 2017. Selon l'OFCE, la politique de l'offre a conduit à une diminution de 2,5 points de PIB.

Je fais miennes les conclusions de l'OFCE : « La dégradation du solde structurel observée entre 2017 et 2024 s'explique essentiellement par la baisse non financée des prélèvements obligatoires, et non par une dérive des dépenses publiques primaires. Bien au contraire, celles-ci ont reculé de 0,3 point de PIB potentiel sur la période. En tenant compte de la hausse de la charge d'intérêts liée à la remontée des taux souverains, la dépense publique totale, en points de PIB, est stable sur la période. »

À rebours de ce que l'on observe en Espagne, en Allemagne ou au Royaume-Uni, les recettes baissent en France. Certes, et vous l'avez dit, nos taux de prélèvements sont plus élevés. Mais c'est parce que nous avons fait le choix collectif de la sécurité sociale.

M. Martin Lévrier. - Si je me réjouis de ce que j'ai entendu sur l'apprentissage, j'ai toutefois quelques interrogations.

Selon l'économiste Bruno Coquet, le coût d'un jeune en apprentissage dans le supérieur est le double de celui d'un jeune en cursus classique. Depuis 2017, l'apprentissage s'est envolé dans le supérieur, quand il restait faible dans le pré-bac, en particulier dans les lycées professionnels. Or, à mes yeux, la richesse de l'apprentissage, c'est avant tout le pré-bac. Je m'interroge donc sur le versement des aides de 5 000 euros aux entreprises de moins de 250 salariés. Ne faudrait-il pas essayer de faire évoluer cette réforme en ciblant davantage le pré-bac ?

Par ailleurs, j'entends souvent des jeunes très diplômés et des cadres supérieurs dirent qu'ils sont en train de « recharger » leurs droits au chômage pour pouvoir partir en vacances. Je pense qu'une réflexion s'impose à cet égard. Soyons vigilants.

Mme Chantal Deseyne. - Je le rappelle, l'abattement de 10 % pour frais professionnels pour les retraités avait été mis en place pour compenser les faibles montants des pensions et la faible revalorisation des retraites en deçà de l'inflation. Or vous prévoyez de le plafonner quand, dans le même temps, vous envisagez aussi une sous-indexation des pensions. C'est, en quelque sorte, une double peine pour les retraités. Pensez-vous que c'est vraiment la solution ? Ne faut-il pas reconsidérer la valeur travail et la durée du temps de travail ?

Mme Patricia Demas. - L'instauration du forfait social de 8 % sur les avantages en nature et la hausse de dix points du forfait sur les ruptures conventionnelles pourraient détériorer le climat social dans les entreprises, alors que la qualité de vie au travail est déjà un enjeu majeur. En outre, la hausse du coût des ruptures conventionnelles risque de compliquer les restructurations, notamment dans les secteurs en mutation, comme l'industrie ou le commerce. Comment justifiez-vous de tels choix, monsieur le ministre ?

Je tiens à vous alerter sur la hausse du forfait social sur les ruptures conventionnelles. Il est nécessaire de fluidifier le marché du travail, surtout dans un contexte de chômage structurel. Prévoyez-vous une clause de revoyure pour ajuster les taux en fonction de leurs conséquences sur l'emploi et le dialogue social ?

Mme Monique Lubin. - La France, demandiez-vous, vit-elle au-dessus de ses moyens ? Je vous retourne la question : la France se donne-t-elle vraiment les moyens de maintenir son modèle social ? Et je serai même un peu provocatrice : les derniers gouvernements n'ont-ils pas organisé cette forme d'insolvabilité ?

Depuis 2017, il y a eu un grand nombre de cadeaux fiscaux ; on nous avait alors même parlé de « ruissellement ». Tous les économistes le disent aujourd'hui : il n'y a eu aucun ruissellement. Et toutes ces pertes de recettes n'ont strictement rien amené. Compte tenu du marasme dans lequel nous sommes actuellement, pourquoi ne pas revenir sur un certain nombre de ces cadeaux, en particulier aux plus fortunés ?

Je m'étonne que l'on veuille toucher aux budgets des missions locales et remettre en cause l'action des centres interinstitutionnels de bilan de compétences (CIBC).

Encore une fois, on choisit la facilité : geler les pensions, geler ceci, geler cela... Ne vous étonnez pas ensuite du climat qui règne dans ce pays ! Avez-vous prévu de revenir sur les aides aux entreprises, dont, pour un certain nombre d'entre elles - nos collègues viennent de remettre un rapport sur le sujet -, nous ne savons pas à quoi elles servent ?

Je suis très surprise que, parmi les concepteurs de ce projet de budget, personne ne se rende compte que pénaliser toujours les plus modestes et les classes moyennes, c'est pénaliser la consommation.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les précédents PLFSS étaient déjà pénibles, mais celui-là, c'est le pompon ! Il va à l'encontre des principes mêmes de la sécurité sociale : financement par les cotisations sociales, solidarité générationnelle, accès universel aux soins. Il va encore aggraver les inégalités, en faisant payer les retraités et les salariés les plus fragilisés. Gel des pensions en 2026, sous-indexation des pensions à partir de 2027, remplacement de l'abattement fiscal de 10 % par un forfait de 2 000 euros, hausse des tarifs des complémentaires santé, déremboursement des médicaments, hausse du ticket modérateur et des franchises, etc. La liste est très longue.

La suspension de la réforme des retraites de 2023 n'est qu'un décalage. Et le président Larcher a déjà annoncé qu'elle serait supprimée par la majorité sénatoriale. Actuellement, le texte prévoit la suspension de la hausse de la durée de cotisation et de l'âge de départ en retraite pour les générations nées entre 1964 et 1968. Mais cela s'effectue au détriment des retraités et des travailleurs, qui vont subir une hausse de la taxe sur les contrats de complémentaire santé et une aggravation de la sous-indexation des pensions à partir de 2027. Vous avez obtenu un report de la censure, mais les travailleurs et les retraités paieront plein pot le bénéfice de cette maigre victoire. Et, en commission mixte paritaire, la droite et le bloc central retireront finalement le décalage des retraites, mais maintiendront le gel des pensions et la sous-indexation. Quels engagements prenez-vous quant au maintien de cette suspension dans le texte définitif ?

Mme Annie Le Houérou. - En général, nous ne sommes pas favorables aux exonérations de cotisations sociales, mais c'est le choix qui a été fait par les gouvernements sous Emmanuel Macron. Ces exonérations, que nous évaluons à 91 milliards d'euros, n'ont jamais cessé d'augmenter depuis 2017, au point, selon nous, de rompre avec le principe de sécurité sociale. Ne pensez-vous pas que les nouvelles taxations envisagées, par exemple sur les tickets-restaurant, soient un mauvais coup porté au pouvoir d'achat des travailleurs, en particulier des plus modestes ? Au lieu de cibler encore les plus fragiles, pourquoi ne pas ramener le point de sortie des allègements généraux de cotisation de 3 Smic à 2,4 Smic, ce qui n'aurait aucune conséquence sur le pouvoir d'achat des plus modestes ni sur l'emploi ?

Avez-vous des éléments complémentaires à nous communiquer sur la suppression de l'exonération issue de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom) ?

Nous partageons l'objectif de lutter contre la fraude sociale. Mais quels moyens humains comptez-vous donner aux Urssaf et aux établissements concernés pour cela ?

Mme Marion Canalès. - La suppression de plusieurs postes d'opérateurs de l'État est dans l'air. Quid de France Travail, dont les effectifs sont sous votre responsabilité ? Les crédits des missions locales ont diminué de 20 % en deux ans.

J'en viens à la sinistralité. Vous l'avez dit, il y a en moyenne deux morts par accident du travail par jour. Et on constate une surexposition à la sinistralité dans la sous-traitance, à laquelle 38 % des entreprises ont recours. Quelle est votre vision de la chaîne des responsabilités à cet égard ? Comment lutter contre un tel phénomène ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Nous avons renforcé les dispositifs en faveur de l'emploi des seniors, et nous sommes prêts à aller plus loin. Nous sommes preneurs de toutes les bonnes idées. Des mesures concrètes ont déjà été adoptées : l'accord national interprofessionnel, fruit du dialogue social, est devenu loi et entrera en vigueur dès la publication des décrets d'application. Nous ferons pareil pour l'emploi des jeunes. Là aussi, nous travaillons sur des dispositifs qui pourraient résulter d'accords entre partenaires sociaux. En d'autres termes, nous voulons permettre d'arriver plus vite dans l'emploi et d'y rester plus longtemps.

Au demeurant, je pense qu'une réflexion sur l'organisation du travail s'impose. À partir d'un certain âge, on n'est pas obligé d'être à 100 %. Il faut s'interroger sur des formules mixtes : cumul emploi-retraite, retraite progressive, etc. Voyons pourquoi de tels dispositifs, qui ont l'air formidables sur le papier, ne marchent pas davantage. Il y a des cas - je pense que c'est vrai notamment pour les cols blancs - où un emploi à temps plein pourrait devenir deux emplois à mi-temps. J'ai en tête des expériences à la SNCF qui montrent que c'est possible. Essayons d'identifier et de traiter les freins. En tout cas, la volonté du Gouvernement est là.

Avec la formation et l'apprentissage, l'insertion est au coeur de nos priorités politiques. Il existe plein de dispositifs de retour à l'emploi. Nous avons effectivement des ambitions assez fortes en matière d'économies à cet égard. Certes, il est possible d'en débattre. Mais je voudrais que vous acceptiez l'idée d'une recherche d'efficience aussi dans ce domaine. L'État - la balle est dans notre camp - doit se doter des moyens d'être plus au clair sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je pense que nous avons tout de même, ici ou là, des marges de progression sur certains dispositifs.

Je suis sensible à ce qui a été indiqué sur les établissements et services d'accompagnement par le travail (Ésat), d'autant que, comme les sommes en jeu ne sont pas énormes, il ne s'agit pas là de potentielles sources majeures d'économies.

La problématique des trajectoires et des à-coups se pose dans les mêmes termes pour l'apprentissage et l'insertion. Le propre d'un projet de budget est d'être une tranche annuelle. Or une tranche annuelle, cela masque les trajectoires. Je pense qu'il y a encore une possibilité de gagner en efficience dans le budget de 2026.

La démographie est un vrai sujet. La situation démographique de la France en 2025 n'est pas la même qu'en 1945 ou en 1990. L'heure n'est-elle pas venue, pour 2026, d'ouvrir la discussion de fond du financement de la sécurité sociale ? Si les parlementaires et les partenaires sociaux souhaitent prendre le taureau par les cornes parce que les rustines annuelles atteignent leurs limites, nous sommes prêts à avoir ce débat. La difficulté ne me fait pas peur.

Pourquoi avons-nous eu l'idée saugrenue de taxer les tickets-restaurant ? Cela a été dit, le dispositif a été dévoyé.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous vous avions prévenus dès le début !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Et nous eussions dû vous écouter.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Comme souvent !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Aujourd'hui, les tickets-restaurant sont quasiment devenus des compléments de salaire.

Mme Monique Lubin. - Il vaudrait mieux donner du salaire !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Et qui dit salaire dit aussi cotisations. Le débat sur une telle mesure n'est donc pas illégitime. Au demeurant, s'il s'agissait vraiment de salaire, le taux de cotisation serait de 40 %. Là, nous proposons 8 %.

Sur l'apprentissage, l'ambition était tout de même l'ouverture au supérieur. Certes, cela n'a peut-être pas été bien maîtrisé. Là aussi, des progrès en termes d'efficience sont sans doute à rechercher. Bien entendu, il n'est pas question de renoncer à l'apprentissage originel, notamment les certificats d'aptitude professionnelle (CAP) et les bacs professionnels.

Vous avez évoqué la mesure que nous prévoyons sur l'abattement de 10 %. Nous continuons de réfléchir à des dispositifs d'accompagnement.

Comme cela a été souligné, il existe une sorte de « droit de tirage » du chômage. Il s'agit d'ailleurs plus de cadres supérieurs que d'ouvriers ou d'employés. Il n'est pas normal de considérer que l'on peut se mettre au chômage pour aller voyager...

Mme Raymonde Poncet Monge. - Mais on parle de qui, là ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Il s'agit de cas individuels. D'ailleurs, les partenaires sociaux sont d'accord pour discuter du sujet. Sur la rupture conventionnelle, il y a un consensus parmi eux pour dire qu'il existe quelques abus.

Nous examinerons l'efficience des missions locales, qui, comme leur nom l'indique, sont des structures locales : dans certains endroits, elles fonctionnent très bien ; dans d'autres, c'est un peu moins le cas.

Cette année, nous réduisons les allègements ; je pense que cela ne vous a pas échappé. Pour le moment, notre proposition est de maintenir l'allègement maximum à 3 Smic ; c'est ce que demandent par les entreprises.

Je crois qu'il faut beaucoup de sagesse et de prudence à propos des outre-mer. Mais, même en outre-mer, il y a des entreprises qui peuvent profiter de certaines situations. Il n'est donc pas interdit que le Gouvernement s'interroge, là aussi, sur le bon usage de l'argent public.

Je l'ai indiqué, vous avez face à vous un ministre décidé à faire progresser, avec humilité, nos résultats en matière d'accidentologie au travail. Et, en effet, dans la sous-traitance aussi, il y a des règles de droit à respecter et des responsabilités à assumer : ce n'est pas parce que l'on sous-traite que l'on n'est pas responsable des accidents du travail de ses sous-traitants. Si un véhicule législatif permettait d'apporter des précisions à cet égard, j'y serais attentif.

M. Jean Sol, président. - Monsieur le ministre, nous vous remercions de vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mme Anne Thiebeauld, directrice, et M. Laurent Bailly, directeur adjoint, de la direction des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)

Réunie le mercredi 29 octobre 2025, sous la présidence de M. Jean Sol, vice-président, la commission procède à l'audition de Mme Anne Thiebeauld, directrice, et M. Laurent Bailly, directeur adjoint, de la direction des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

M. Jean Sol, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous auditionnons ce matin Mme Anne Thiebeauld, directrice, et M. Laurent Bailly, directeur adjoint des risques professionnels à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Madame, monsieur, le PLFSS pour 2026 marque un tournant pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Cette branche devrait retomber en déficit dès 2025, puis s'y maintenir de manière durable au cours des prochaines années.

Pour ce qui concerne les mesures relatives à cette branche, outre le traditionnel reversement de la branche AT-MP à la branche maladie, maintenu à 1,6 milliard d'euros, on relève principalement la réforme des conditions de reconnaissance des maladies professionnelles, à l'article 39, et l'ouverture d'un versement du capital décès aux ayants droit des non-salariés agricoles décédés à la suite d'un sinistre professionnel, prévu par l'article 40.

Je vous cède à présent la parole pour un propos liminaire. Vous voudrez bien, en particulier, nous donner la vision de votre caisse sur ce PLFSS, pour ce qui concerne la branche AT-MP. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, à commencer par notre rapporteure pour la branche AT-MP, Marie-Pierre Richer.

Mme Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels à la Caisse nationale de l'assurance maladie. - La branche AT-MP, qui n'est pas la plus connue au sein de la sécurité sociale, présente un certain nombre de spécificités, en particulier son caractère assurantiel. Ses dépenses annuelles atteignent 17 milliards d'euros.

L'ensemble des missions de la branche contribuent à ces dépenses. La branche prévient les risques professionnels qu'elle indemnise et en répercute le coût, par un dispositif de tarification incitatif, dans les cotisations AT-MP, payées uniquement par les employeurs. À ce titre, comme vous l'avez souligné, l'ensemble de la branche, sa gouvernance paritaire et sa direction sont particulièrement sensibles au résultat financier présenté par ce PLFSS. Le déficit constaté dès cette année devrait s'aggraver au cours des années à venir, pour atteindre 900 millions d'euros en 2028.

La branche se distingue aussi par l'activité de reconnaissance du caractère professionnel des accidents et maladies, ouvrant droit à des prestations en nature et en espèces. Ce processus, auquel concourent les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), repose sur le compromis fondateur de 1898, dans une recherche d'équilibre entre le financement assuré par les employeurs, sous forme de cotisations sociales, et la réparation forfaitaire des conséquences de ces sinistres.

Je signale aussi que, depuis 2018, la branche est responsable de la gestion du compte professionnel de prévention (C2P), plus connu sous son nom précédent de compte personnel de prévention de la pénibilité.

L'actualité de la branche, depuis deux ans, est marquée par les importants travaux dédiés à la réforme des rentes. La gouvernance de la branche y est très étroitement associée : il s'agit d'une transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) signé en 2023.

Ces travaux s'inscrivent dans le cadre législatif de la LFSS pour 2025. L'article 90 de ce texte a en effet ouvert la voie à la modification de l'indemnisation de l'incapacité permanente résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'elle s'effectue par rente viagère ou par indemnité en capital.

Il s'agit là d'une réforme d'ampleur, qui vise à augmenter l'indemnisation des salariés concernés. En effet, de nouveaux préjudices seront désormais indemnisés, au titre du déficit fonctionnel permanent : jusqu'à présent, la rente n'indemnisait que la part professionnelle des conséquences de ces sinistres. Cet effort supplémentaire est chiffré à 500 millions d'euros pour la branche d'ici à quelques dizaines d'années - la montée en charge sera progressive car nous parlons bien de rentes viagères. Cette charge s'inscrit ainsi dans la durée, mais, compte tenu de la trajectoire financière de la branche, il me semble important de la rappeler.

Depuis un an, les partenaires sociaux, la direction de la sécurité sociale (DSS) la direction des risques professionnels (DRP) de la Cnam travaillent activement pour définir le socle réglementaire de cette réforme, censée aboutir en juin prochain. Le calendrier est donc extrêmement tendu, compte tenu de la technicité du sujet. Nous aurons sans doute un peu de mal à tenir cette échéance.

L'année 2025 est aussi la première année de mise en oeuvre de la convention d'objectifs et de gestion (COG) AT-MP. Ce texte a été signé en juillet 2024, un peu plus tard que les COG des autres branches. Il présente des enjeux forts d'investissements supplémentaires en faveur de la prévention, qui constituent eux aussi une nouvelle charge pour la branche, dans le contexte financier que l'on connaît.

L'augmentation du budget de prévention doit atteindre 14 % chaque année en moyenne d'ici à 2028. Il s'agit, en particulier, d'augmenter le nombre de préventeurs chargés de se rendre dans les entreprises pour déployer des programmes de prévention de longue durée.

En parallèle, les aides financières aux entreprises doivent être revues à la hausse. À ce titre, le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu) a été créé l'année dernière : il s'agit aussi d'une charge supplémentaire pour la branche. S'y ajoute encore l'augmentation du budget de deux organismes qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, mais du réseau AT-MP, à savoir l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et Eurogip.

Ces efforts de prévention constituent bel et bien une autre charge à imputer aux dépenses de la branche, pour des montants assez significatifs. Je pense notamment aux aides financières aux entreprises. En cumulant les deux fonds relevant de la branche, à savoir le fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNPAT), notre dispositif historique, et le Fipu, récemment créé, ces crédits budgétaires atteignent 270 millions d'euros.

Ces différents facteurs concourent au déficit annoncé dès 2025, dans le contexte que connaissent l'ensemble des branches et en particulier la branche maladie. La branche AT-MP est tout spécialement concernée par la croissance des dépenses d'indemnités journalières (IJ), qui, depuis 2020, atteint 6 % à 10 % par an. En 2024 et 2025, la hausse de ces dépenses est restée à un très haut niveau. Pour 2026, on estime qu'elle va encore progresser de 8 %.

Or, contrairement à la branche maladie, la branche AT-MP verse des indemnités journalières sans limite de durée ; un article du PLFSS pour 2026 établit précisément une telle limite, fixée à quatre ans.

Le transfert au titre de la sous-déclaration de l'assurance maladie, maintenu à 1,6 milliard d'euros pour 2026, concourt également au résultat financier de la branche.

Enfin, au-delà de la conjoncture globale, qui pèse sur l'évolution des cotisations pour toutes les branches, il faut noter la réduction de recettes due à la compensation de l'augmentation des cotisations d'assurance vieillesse depuis la réforme de 2023 par une baisse pérenne de la cotisation AT-MP, avec un nouveau transfert prévu pour 2026. Les cotisations augmenteront certes légèrement au titre de 2026, mais pas suffisamment pour compenser l'intégralité du déficit.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche AT-MP. - Premièrement - vous venez de le rappeler -, à en croire les données financières du PLFSS, la branche AT-MP s'apprête à connaître un déficit historique de 1 milliard d'euros en 2026, qui devrait persister et même s'aggraver lors des exercices suivants.

Ce déficit, notamment causé par le poids des transferts en recettes et en dépenses aux branches vieillesse et maladie, est particulièrement inhabituel. Par son caractère largement assurantiel, cette branche a vocation plus que toute autre à rester à l'équilibre financier.

Les annexes au PLFSS mentionnent en conséquence, sans les détailler, des « mesures d'ajustement d'un rendement de 0,4 milliard d'euros en recettes ou en dépenses ». Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les dispositions envisagées à ce stade ? La direction des risques professionnels de la Cnam a-t-elle des propositions pour contenir la hausse des dépenses de la branche ?

Deuxièmement, l'article 28 du PLFSS, que vous avez évoqué, ouvre la voie à un plafonnement de la durée des indemnités journalières AT-MP, lequel pourrait être fixé à quatre ans par voie réglementaire. Il s'agirait là d'une première. Cette mesure s'inscrit dans un contexte de repli de l'usage des certificats médicaux finaux par les médecins, permettant la bascule vers les prestations d'incapacité permanente et, le cas échéant, la reprise du travail.

Le nombre de certificats ainsi établis a plongé de 528 000 en 2017 à 143 000 en 2024. De quelles pistes disposez-vous pour expliquer la baisse du recours aux certificats médicaux finaux ? Comment serait-il possible d'encourager les médecins à reprendre cette pratique ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur la durée de quatre ans envisagée pour le plafonnement du versement des indemnités journalières AT-MP ? La jugez-vous nécessaire pour que, dans la majorité des cas, les assurés soient guéris ou consolidés, leur ouvrant ainsi droit si besoin aux prestations d'incapacité permanente de la branche ?

Troisièmement, la reconnaissance d'une maladie professionnelle peut se faire soit sur la base d'un tableau - il s'agit de la procédure principale -, soit, pour les pathologies hors tableau ou ne répondant pas aux conditions des tableaux, par une procédure dite complémentaire. Cette seconde procédure fait intervenir un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), composé d'un praticien hospitalier professeur des universités ou compétent en matière de maladies professionnelles, d'un inspecteur ou d'un médecin du travail et d'un médecin-conseil de la Cnam.

Par son article 39, ce PLFSS revoit la procédure complémentaire lorsque la pathologie ne répond pas à l'ensemble des conditions d'un tableau existant. Le but est de fluidifier l'accès aux CRRMP, aujourd'hui engorgés. En pareil cas, on cesserait de faire appel à ces comités : un binôme de médecins-conseils serait désormais compétent pour instruire ces dossiers.

Cette évolution - je ne vous le cache pas - suscite l'inquiétude des associations de victimes de sinistres professionnels et de certains syndicats. Ces acteurs redoutent que les médecins-conseils soient moins prompts ou moins compétents pour reconnaître le caractère professionnel d'une maladie.

Estimez-vous que les médecins-conseils présentent les garanties d'expertise et, surtout, d'indépendance suffisantes pour traiter ces dossiers sans l'appui d'un médecin du travail ou d'un praticien hospitalier ? Ne craignez-vous pas que cette situation n'entame, du moins en apparence, la légitimité de la décision de reconnaissance ou de non-reconnaissance d'une maladie professionnelle, et ne débouche in fine sur une recrudescence des contentieux associés ? C'est un risque sur lequel notre attention a été appelée au cours de nos auditions.

Enfin, l'article 90 de la LFSS pour 2025 a engagé une réforme ambitieuse des rentes AT-MP, en leur conférant un caractère dual et en modifiant leur mode de calcul. Le Sénat a soutenu cette réforme, estimant qu'elle contribuerait à moderniser les prestations d'incapacité permanente de la branche et à mieux prendre en compte les différents aspects que peut revêtir l'incapacité permanente.

L'entrée en vigueur de la réforme, prévue en juin 2026, est-elle toujours envisageable, compte tenu de l'état d'avancement de la définition des différents paramètres par les partenaires sociaux et le Gouvernement ? Prévoyez-vous des difficultés de mise en oeuvre ? Un report est-il dès à présent envisagé ?

Mme Anne Thiebeauld. - Vous le soulignez avec raison, le déficit qui se profile est de nature historique, la branche étant en excédent depuis 2012. J'observe toutefois qu'elle a déjà été en déficit avant cette période.

Cette branche, de nature assurantielle, a peut-être culturellement un peu plus vocation que les autres à être à l'équilibre financier. Cela étant, le taux de cotisation des entreprises est sa seule variable d'ajustement. Il n'existe pas d'autre levier.

C'est pourquoi, en 2026, les taux de cotisations devraient augmenter, pour un rendement de 400 millions d'euros. Mais le taux de cotisation au 1er janvier 2025, de 2,12 %, est le plus bas jamais enregistré par la branche. De mémoire, ce taux doit être porté à 2,18 %. Un tel effort ne suffira évidemment pas à compenser la totalité du déficit ; il reste possible, demain, de rehausser de nouveau ce taux de cotisation.

Notre direction n'a pas encore engagé de travaux portant sur d'autres leviers à même d'assurer un rétablissement de l'équilibre. À ce stade, le sujet reste entre les mains de la direction de la sécurité sociale. Toutefois, je ne doute pas que nous serons associés à cette réflexion dans un second temps.

Sur ce sujet, le point clef du PLFSS, c'est bel et bien la limitation de la prescription des indemnités journalières AT-MP, dont l'augmentation est désormais galopante. Elles progressent en montant, ce qui n'a rien d'anormal, dans la mesure où elles sont fondées sur le salaire. Mais elles augmentent surtout en durée, et donc en volume, comparativement aux années précédentes. Ainsi, on dénombre 82 jours d'arrêt en moyenne en cas d'AT-MP, soit cinq jours de plus qu'en 2020, sachant qu'après un mois d'arrêt l'on retient comme référence 80 % du salaire, contre 50 % pour l'assurance maladie.

Dès lors, au-delà d'un mois d'arrêt de travail, se manifeste un effet inflationniste très important, voire exponentiel, qui porte sur des durées croissantes. Il s'agit là d'un enjeu d'équilibre financier pour la branche, mais également d'une question organisationnelle pour les entreprises et sociale pour les salariés : un arrêt de longue durée constitue en effet un risque majeur de désinsertion professionnelle. Les conséquences d'un arrêt maladie de plus de 80 jours sont particulièrement fortes.

Cette mesure vise donc à réguler les dépenses, mais pas seulement. En outre, la reprise du versement des indemnités journalières à l'assuré demeure possible si son état de santé se détériore de nouveau ; il n'existe donc aucun blocage.

Concernant le certificat médical final, le constat que vous dressez est exact. Initialement, les médecins traitants en cabinet y recouraient pour mettre un terme à l'arrêt de travail des salariés. Or le volume de ces certificats a été divisé par quatre au cours des huit dernières années, ce qui marque un véritable changement de pratique. Il ne faut pas oublier qu'un praticien en cabinet de ville rencontre très peu de patients confrontés à un sinistre professionnel, d'où l'importance de son obligation de formation continue en la matière.

La formation et l'information régulière, en particulier auprès des professionnels de santé, constituent ainsi un enjeu majeur, que nous rappelle régulièrement la commission sur la sous-déclaration.

Pour autant, notre levier réside dans la mesure du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) relative à la fin de ces indemnités journalières, plutôt que dans l'imposition d'un formulaire supplémentaire dans les cabinets médicaux, dont la mise en oeuvre serait complexe. Or nous adoptons résolument une démarche de simplification, tant pour les médecins que pour les assurés, des déclarations relatives à la reconnaissance et à l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Nous nous appuierons donc sur cette disposition mettant fin aux indemnités journalières de long terme.

Cela n'empêche nullement la conduite de campagnes de contrôle par le service médical de l'assurance maladie. Les praticiens-conseils sont ainsi chargés d'examiner les arrêts de longue durée, même inférieurs à quatre ans, et peuvent à ce titre convoquer les assurés pour faire le point sur leur état de santé. Si celui-ci est consolidé, ils peuvent leur proposer de sortir de la situation précaire d'une indemnisation temporaire par des IJ en basculant vers le versement d'une rente viagère. Le travail quotidien des médecins-conseils consiste précisément à ne pas attendre quatre ans, même si cette mesure du PLFSS devait être appliquée, pour suivre l'indemnisation des assurés, au titre de la maladie comme d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

J'en viens à l'autre disposition importante pour la branche AT-MP, qui concerne l'organisation des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP), chargés de la reconnaissance des maladies professionnelles lorsque celles-ci ne relèvent pas entièrement de l'un des cent tableaux existants. Ces comités sont composés de trois experts médicaux : un médecin du travail, un médecin-conseil de l'Assurance maladie et un professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH).

La mesure proposée vise en particulier à alléger le traitement d'une grande partie des dossiers qui nécessitent actuellement la réunion de ces trois compétences ; en ramenant ce nombre à deux médecins-conseils, elle a pour vocation d'accélérer des délais de traitement dont la longueur est difficilement tolérable pour les assurés et leur accès aux droits. La justice nous a d'ailleurs rappelés à l'ordre, à juste titre, il y a quelques années : saisie d'un contentieux, elle ne parvenait pas à trouver de C2RMP disponible pour réunir ces trois compétences médicales, dont certaines sont rares sur le territoire.

Il est donc impératif d'alléger la procédure et d'offrir un service public de meilleure qualité, en particulier pour les dossiers de maladie professionnelle qui relèvent d'un tableau, mais pour lesquels l'assuré ne remplit pas l'ensemble des conditions. Cette disposition ne concerne pas les dossiers hors tableau, qui sont les plus complexes et pour lesquels la composition collégiale à trois médecins est préservée ; il s'agit notamment des risques psychosociaux ou des cancers professionnels, sujets pour lesquels une expertise médicale forte est strictement nécessaire. La composition des C2RMP qui les traitent n'est donc pas affectée.

Cette évolution cible les dossiers les plus nombreux, pour lesquels les C2RMP se transforment en instances de traitement presque industrielles : leur nombre est passé de 15 000 à 30 000 en dix ans ; or nos experts médicaux n'ont pas vocation à effectuer un traitement de masse, en particulier pour les troubles musculosquelettiques (TMS), qui constituent les cas les plus fréquents. Pour ces derniers, il s'agit de limiter la composition du comité à deux médecins-conseils, afin de conserver un caractère collégial.

Quant aux doutes exprimés sur la neutralité ou sur l'impartialité de ces instances, il relève pleinement du rôle légitime des médecins-conseils du service médical de l'Assurance maladie de statuer sur ces dossiers médicaux et sur l'accès aux prestations, comme ils le font déjà pour l'invalidité et pour d'autres prestations. L'organisation du service médical, qui évolue, les dote de comités d'éthique propres à préserver leur indépendance. Leur capacité à prendre en charge ces dossiers et à rendre une décision beaucoup plus rapide pour les assurés ne fait aucun doute à mes yeux. La mesure prévoit d'ailleurs également un recours amiable.

S'agissant de l'importance de la présence du médecin du travail et de sa compétence, il importe de relever que nous ne disposons pas, aujourd'hui, de la totalité des rapports de ces médecins : le processus de reconnaissance fonctionne donc actuellement sans l'intégralité de ces documents. Du reste, un texte antérieur autorise déjà, pour ces dossiers, une composition à deux membres du C2RMP, sans la présence du médecin du travail. Il s'agit d'une mesure pragmatique, qui vise à réduire des délais de traitement trop longs pour les assurés que nous protégeons.

Enfin, concernant la réforme des rentes, la tenue de l'échéance de juin 2026 soulève une réelle difficulté opérationnelle et un report pourrait être nécessaire, même s'il est encore tôt pour l'affirmer. Nous travaillons avec la plus grande intensité avec les partenaires sociaux et la direction de la sécurité sociale (DSS) pour faire avancer cette réforme complexe. Si l'échéance ne pouvait être tenue, le report ne serait que de quelques mois. Le délai est contraint, mais je ne doute pas de notre capacité à aboutir s'agissant de ce socle réglementaire.

Mme Jocelyne Guidez. - La recherche d'économies me conduit à me demander s'il est envisageable d'exclure la psychanalyse, ou des prestations s'y référant, de la prise en charge intégrale, notamment pour les patients atteints d'un trouble du neurodéveloppement.

La Haute Autorité de santé (HAS) a indiqué que cette pratique ne servait absolument à rien, cet avis est partagé par le délégué ministériel, et les associations sont vent debout sur ce sujet. J'aimerais donc connaître votre position sur le remboursement à 100 % d'une pratique dont l'inefficacité est ainsi avérée.

Mme Raymonde Poncet Monge. - L'article 39 ne soulève pas seulement une question purement quantitative. La réduction du nombre de membres de trois à deux n'est pas anodine : sur les trois compétences initiales, une seule subsiste, celle du médecin-conseil, qui est plus généraliste. Les deux compétences propres à la branche, celles des universitaires de santé au travail et des médecins inspecteurs du travail, sont donc supprimées.

Avez-vous associé à la réflexion les associations, comme l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva) ? Nous craignons un certain défaut de consultation, comme ce fut le cas pour la réforme de la rente.

Par ailleurs, des indicateurs de suivi seront-ils mis en place afin de vérifier que cette mesure n'entraîne pas une augmentation significative des recours et des rejets ? La question n'est pas tant celle de l'indépendance que de la compétence. Comment ce suivi sera-t-il assuré ?

Ce rétrécissement du champ de compétences me semble préoccupant : si l'article 28 était adopté, une femme sortant d'un congé de maternité, comme pour tout arrêt de plus d'un mois, ne passerait par exemple plus par le médecin du travail, seul habilité, pourtant, à déterminer sa capacité à reprendre son activité en tenant compte des contraintes de son poste de travail. Sous prétexte d'un manque de médecins, de médecins inspecteurs du travail et de PU-PH, la dimension particulière de cette profession se trouve laminée. Intégrera-t-on bientôt la médecine du travail dans l'assurance maladie, pour plus de simplicité ?

Cette réforme du fonctionnement des C2RMP intervient alors que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dans un avis publié en 2024, recommande d'actualiser plusieurs tableaux de maladies professionnelles et d'en créer de nouveaux, afin de mieux prendre en compte l'évolution des connaissances scientifiques et de maladies comme l'épuisement professionnel. L'agence a identifié une quarantaine de maladies ayant un lien avéré ou probable avec une exposition professionnelle et qui ne font toujours pas l'objet d'un tableau.

Selon elle, une meilleure prise en compte de ces pathologies renforcerait la cohérence et l'efficacité du système de reconnaissance des maladies professionnelles, tout en améliorant l'accès à ce processus et en réduisant les inégalités socioprofessionnelles.

Face à ce manque, quand la création d'un tableau de maladies professionnelles sur les dépressions, par exemple, sera-t-elle engagée ? L'idéal serait un tableau assorti d'indicateurs et de conditions.

À quand une révision générale des tableaux, qui année après année tarde à venir ? Nous risquons, à défaut, l'engorgement des C2RMP, ainsi qu'une augmentation de la sous-reconnaissance comme des délais de traitement.

Certes, le PLFSS est annuel, mais une vision à long terme est nécessaire. Quand ce travail sur les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles commencera-t-il, assorti d'une date butoir ?

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Ma question porte également sur l'article 39, qui revoit les dispositions relatives à la reconnaissance des maladies professionnelles. Quelles suites seront données à la possibilité, pour le travailleur, d'obtenir un deuxième avis en cas de rejet de sa demande ? Quelles seront les voies de recours offertes en cas de désaccord ?

M. Khalifé Khalifé. - Je rejoins mes collègues sur la nécessité de mettre à jour le tableau des maladies professionnelles, devenu moins pertinent au regard des pathologies nouvelles.

Ma question porte sur la prévention. Comment l'abordez-vous ? Relève-t-elle de votre ressort ou d'autres instances ? Le bien-être au travail est un enjeu pour de nombreuses sociétés, des fondations sont créées et le patronat finance des projets pour aider les entreprises à mettre en place une politique en la matière. Comment le ministère oula sécurité sociale, notamment vos services, appréhendent-ils ce sujet ?

Le second point concerne la médecine du travail. Face aux importants délais d'attente liés au manque de médecins dans cette spécialité, des démarches sont-elles entreprises auprès du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) et des autorités de formation des médecins pour agréer d'autres praticiens, afin de fluidifier ce parcours ?

Mme Anne Thiebeauld. - Je botte en touche sur les deux questions qui ne relèvent pas du périmètre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. La question sur la prise en charge de la psychanalyse relève de l'assurance maladie ou de compétences médicales que je n'ai absolument pas. Elle est étrangère à la spécificité de la branche AT-MP, et je ne suis donc malheureusement pas en mesure de vous répondre. Vous m'interrogez également sur la formation et l'agrément des médecins du travail, qui relèvent pleinement de la sphère du travail et non de la sécurité sociale. Au titre de la branche AT-MP, j'ai des échanges réguliers avec la direction générale du travail (DGT) au sujet de ces problématiques, qui font l'objet de constats étayés, mais sur lesquelles je ne dispose pas de levier pour agir.

M. Khalifé Khalifé. - Vous pouvez alerter sur le sujet.

Mme Anne Thiebeauld. - Nous le faisons en effet et nous faisons part de nos préoccupations, notamment dans certaines régions, car le tissu des services de prévention et de santé au travail (SPST) est très hétérogène. La collaboration de ces services avec les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) permet de faire remonter des signalements et des alertes, mais elle donne aussi lieu, dans certains territoires, à de très bonnes coopérations.

Concernant les questions liées à l'article 39 et à la procédure de création de tableaux, je prends note des appréhensions que vous soulevez sur la réduction du nombre de compétences pour la prise en charge d'une partie des dossiers. Il faut toutefois signaler que ces dossiers ne sont déjà plus traités par trois experts, mais seulement par deux. En effet, le médecin du travail n'intervient plus sur ces cas depuis longtemps ; la présence d'une compétence propre à la médecine du travail ne sera donc pas modifiée.

En revanche, nous rencontrons des difficultés de ressources concernant les PU-PH, car il s'agit, pour les compétences imposées par le règlement, de spécialistes, et non de généralistes. Cela complique la tenue des séances, dont le nombre devrait pourtant être multiplié, compte tenu du volume de dossiers auxquels ces comités sont confrontés, alors que ceux-ci ne nécessitent pas une plus-value médicale ou une expertise telle qu'il faille convoquer un spécialiste hospitalier pour les traiter.

Pour autant, les deux médecins-conseils pourront demander un avis préalable du médecin du travail, ou solliciter un avis d'expert si la situation des assurés le nécessite. Nous ne fermons pas cette possibilité. L'idée est de mettre en place un dispositif non pas pour gérer l'exception, mais pour gérer le volume important de dossiers.

Vous appelez à multiplier les tableaux de maladies professionnelles, ce qui reviendrait à multiplier les situations dans lesquels les assurés rempliraient certains critères d'un tableau, mais pas tous. La charge de travail des comités s'en trouverait augmentée.

Même si nous supprimons, comme vous le suggérez, certaines charges sur les comités qui se réunissent pour les situations hors tableau, le nombre de personnes ne correspondant pas tout à fait à un tableau augmenterait.

La situation actuelle n'est pas tenable dans la durée. Les expertises médicales relèvent du traitement de masse, qui correspond pleinement à ce que sait faire la sécurité sociale en matière de gestion et d'accès aux prestations.

Par ailleurs, un recours restera toujours possible auprès du comité national de reconnaissance des maladies professionnelles, qui réunira bien les trois compétences. Ainsi, en amont, les médecins-conseils peuvent demander des avis sapiteurs à des médecins du travail et, en aval, l'assuré peut tout à fait former un recours au comité national si l'avis rendu ne le satisfait pas.

Par ailleurs, je vous confirme que nous avons pleinement l'intention de suivre les indicateurs de qualité de service, notamment en ce qui concerne l'évolution des contentieux. Ces indicateurs sont très précieux. Chaque année, nous faisons un bilan des contentieux avec la gouvernance de la branche AT-MP pour mesurer l'évolution des recours tant des employeurs que des salariés.

Cette réforme du CRRMP ne sort pas de nulle part : cette solution organisationnelle est préparée de longue date. La Cour des comptes la mentionnait déjà dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) de 2021. Cela fait donc quatre ans que le sujet est sur la table. Nous avons également travaillé avec le ministère de la justice, qui nous avait alertés il y a quelques années sur nos délais de traitement.

Cette réforme ne sort donc pas de l'antichambre de la direction des risques professionnels, elle résulte d'un travail de fond et sert l'accès aux droits des assurés. Elle pèse d'ailleurs davantage en dépenses qu'en recettes dans le PLFSS.

En ce qui concerne la création de tableaux des maladies professionnelles, un rapport de l'Anses explore de nombreuses pistes. Ce faisant, il joue pleinement le rôle qui lui a été confié en 2018.

Je précise que le législateur n'a pas confié la création des tableaux à la Cnam. Cette procédure très spécifique relève des partenaires sociaux via le Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT), dont la gouvernance ne dépend pas de la branche AT-MP.

Pour autant, si un tableau en lien avec les risques psychosociaux ou avec les maladies psychiques d'origine professionnelle devait voir le jour, comme vous l'appelez de vos voeux, j'ose espérer que nous serions mis à contribution au sujet de la reconnaissance et de l'indemnisation de ces risques professionnels.

Pour terminer, sur la partie prévention, nous nous emparons du sujet de manière dynamique. L'une des orientations de la convention d'objectifs et de gestion signée en 2024 prévoit un programme de travail sur les risques psychosociaux (RPS). Nous avons travaillé avec l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) pour définir un socle de référence sur les méthodes de prévention des RPS au sein des entreprises.

Si nous parlons davantage de RPS que de bien-être au travail, c'est parce que nous nous concentrons sur la question de la sinistralité. Pour autant, des méthodes de prévention existent. Nos préventeurs en caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) sont appelés à les déployer.

Comme je l'ai dit en introduction, nous avons ciblé 28 000 entreprises sur tous les risques, dont les RPS. De notre propre initiative, nous étudions chaque année les statistiques de sinistralité de 500 entreprises et nous interpellons celles où la sinistralité est particulièrement élevée. Nous sommes donc proactifs sur ces questions.

Les entreprises peuvent par ailleurs s'adresser à leur Carsat pour bénéficier, par exemple, de subventions pour financer à hauteur de 70 % la réalisation d'un diagnostic sur les risques psychosociaux en leur sein. Cette offre de services de la branche est financée par les 270 millions d'euros d'aides financières que j'ai évoqués précédemment. Elle est d'ores et déjà accessible aux entreprises, et en particulier à celles de moins de 50 salariés, pour qui il est plus difficile de consentir à un tel investissement.

Mme Annie Le Houérou. - Je reviens sur l'article 39, qui a pour objet la simplification de la reconnaissance des maladies professionnelles. J'observe que, au nom de cette simplification, l'on réduit la capacité d'expertise des équipes de médecins décideurs en matière de reconnaissance de maladies professionnelles.

Quel est votre avis sur l'évaluation du transfert à la branche assurance maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ?

Quelles seront les répercussions du déficit dans lequel bascule la branche sur l'accompagnement des entreprises ? Celles-ci ne risquent-elles pas de réduire leurs actions en matière de prévention, alors que nous savons qu'elles n'en font déjà pas assez ?

Ne faudrait-il pas flécher les cotisations vers les secteurs où la sinistralité est la plus importante pour que les entreprises s'impliquent davantage dans des actions de prévention ? Ce serait une façon de mieux répondre à la pénibilité au travail. Je pense notamment aux entreprises qui ont recours à de nombreux intérimaires ou apprentis, lesquels sont particulièrement touchés par les accidents du travail.

Par ailleurs, la dotation au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) passe de 465 millions à 387 millions d'euros. Pouvez-vous nous expliquer cette baisse notable ?

M. Alain Milon. - Vous avez indiqué tout à l'heure que le nombre de jours d'arrêt de travail augmentait. Cette augmentation est-elle plus due à des accidents du travail ou à des maladies professionnelles ?

Par ailleurs, plusieurs de mes collègues ont évoqué les maladies psychologiques ou psychiatriques. Comment lier une maladie psychiatrique à une profession ?

Mme Anne-Sophie Romagny. - À l'heure actuelle, les services de santé qui sont placés sous la tutelle de plusieurs ministères - médecine du travail, médecine de prévention, mais aussi médecine scolaire - illustrent à eux seuls la complexité de l'action publique en matière de santé. Ces différentes branches sont essentielles pour le suivi de santé de la population. Ne pourrions-nous pas améliorer la coordination interministérielle pour optimiser les dépenses de sécurité sociale en la matière ?

En effet, nous voyons que les priorités varient d'un ministère à l'autre et que l'information circule insuffisamment. Je pense notamment aux médecins du travail, qui n'ont pas accès au dossier médical partagé (DMP) alors qu'ils estiment que cela leur faciliterait la tâche en matière de risques professionnels et de prévention.

Mme Céline Brulin. - Je souhaite à mon tour revenir sur l'article 39, qui soulève, comme vous avez pu le constater, de nombreuses questions de notre part. Vous avez présenté la réforme comme une mesure pragmatique, mais le pragmatisme ne commanderait-il pas de commencer par actualiser les tableaux des maladies professionnelles, voire d'en créer de nouveaux ?

J'ai bien compris que cela n'était pas de votre ressort, mais cela permettrait de réduire le nombre de situations qui, bien que vous les qualifiiez d'exceptionnelles, engorgent les CRRMP. J'insiste sur ce point, car j'ai l'impression que nous faisons les choses dans le désordre et que nous risquons de finir par nous en mordre les doigts.

En ce qui concerne l'article 50, je m'interroge sur le maintien à 1,6 milliard d'euros du transfert de la branche AT-MP vers l'assurance maladie au titre des sous-déclarations. Une commission d'évaluation se fondant sur des données scientifiques et épidémiologiques avait, en 2024, évalué le montant de ces sous-déclarations entre 2 milliards et 3,8 milliards d'euros.

Comment expliquez-vous une telle différence entre cette évaluation, qui semble avoir été menée de manière autonome et sérieuse, et le montant de 1,6 milliard d'euros qui a été retenu deux années de suite dans le PLFSS ? Ne trouvez-vous pas contradictoire de se priver de ce levier et de privilégier la diminution des indemnités journalières ou un plafonnement de la durée des arrêts de travail pour la branche maladie ?

Enfin, menez-vous des études prospectives sur un éventuel lien entre le report de l'âge de départ à la retraite et un accroissement des accidents du travail et des maladies professionnelles ?

Mme Marion Canalès. - Je reviendrai brièvement sur l'article 28, qui supprime la visite obligatoire de reprise du travail à l'issue d'un congé maternité. Je rappelle que 16 % des femmes qui accouchent souffrent d'une dépression post-partum, ce qui a de fortes conséquences sur les conditions de reprise du travail.

La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a déjà modifié les conditions de suivi des femmes enceintes ou venant d'accoucher et nous constatons un allégement progressif du suivi médical de ces femmes. Alors que les inégalités hommes-femmes persistent dans de nombreux domaines, notamment celui de la santé mentale, la lutte contre la dépression post-partum est une priorité de santé publique. Un rapport de l'Assemblée nationale l'a justement souligné.

En outre, un rapport d'information sénatorial sur le thème « L'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale » a rappelé que le suicide était la première cause de décès maternel dans l'année suivant l'accouchement.

Les différents rapports parlementaires nous invitent donc à renforcer l'accompagnement des femmes en post-partum plutôt que de l'alléger.

Mme Anne Thiebeauld. - En ce qui concerne l'article 39, j'entends vos interrogations quant à une réduction des compétences mobilisées pour instruire les dossiers. Toutefois, je le répète, les médecins-conseils peuvent faire appel au médecin du travail en amont et les salariés peuvent saisir l'instance de recours amiable en aval de la décision.

Je maintiens qu'il s'agit d'une mesure pragmatique, car, de fait, les médecins du travail ne traitent plus ces questions. En outre, il me semble pour le moins regrettable vis-à-vis des assurés que le délai moyen d'instruction des dossiers soit de deux ans.

Il est illusoire de croire que la création de nombreux autres tableaux professionnels résoudrait tous les problèmes. Manifestement, nos positions divergent. Pour ma part, j'estime que cette mesure nous permet d'agir dès aujourd'hui en fluidifiant le système. Je ne dis pas qu'elle répondra à toutes les difficultés et il conviendra de l'ajuster autant que de besoin tout au long de sa mise en oeuvre.

En revanche, elle a le mérite de recentrer le travail des médecins sur leur véritable rôle d'expert. À l'heure où les compétences médicales sont devenues une ressource rare, il me semble souhaitable de ne plus demander aux professionnels médicaux de traiter des masses de données qui tournent principalement autour de trois tableaux relatifs aux troubles musculo-squelettiques.

S'il est acquis qu'une hôtesse de caisse s'expose à des troubles musculo-squelettiques, il est tout de même nécessaire de passer par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour que ceux-ci soient pris en charge. Honnêtement, les services médicaux de l'assurance maladie sont tout à fait capables d'arbitrer sur ce genre de cas courants, qui sont très nombreux en volume.

Là où nous avons réellement besoin d'experts, c'est pour traiter les cas hors tableau. Si nous créons davantage de tableaux, il y aura certes moins de cas hors tableau, mais cela aura pour effet de bord de laisser sur le côté des salariés dont la situation ne correspond pleinement à aucun tableau, ce qui créera une nouvelle charge pour le traitement des dossiers dits « alinéa 6 », c'est-à-dire partiellement conforme au tableau.

J'ajoute que les CRRMP n'ont plus de marge de manoeuvre. Si la mesure prévue par l'accord national interprofessionnel consistant à élargir le recours aux CRRMP à partir de 20 % d'incapacité au lieu de 25 % devait être transposée, je ne sais pas comment ceux-ci pourraient assumer cette charge supplémentaire.

Il me semble donc pragmatique - j'insiste sur ce mot - de préserver un accès au droit qui est actuellement mis à mal par des délais d'instruction objectivement excessifs.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'importance de la prévention des sinistres pour limiter le montant de la sous-déclaration, notamment en ce qui concerne l'intérim. Je vous confirme que nous menons, dans le cadre de la COG, des actions de prévention sectorielle sur l'intérim, le médico-social et le bâtiment et travaux publics (BTP).

Ces trois secteurs étant les plus sinistrogènes, ils font l'objet d'actions de prévention ciblées. Nous travaillons avec des partenaires spécifiques. Par exemple, sur l'intérim, nous travaillons avec les majors du secteur pour améliorer et diffuser largement les méthodes de prévention. L'année dernière, une réforme de la tarification du secteur de l'intérim a responsabilisé à parts égales les entreprises utilisatrices et les agences d'intérim.

Nous constatons en effet une baisse de la dotation en faveur du Fiva et du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) pour 2026, mais l'augmentation de 2025 était exceptionnelle. Nous revenons en réalité à la moyenne des transferts de fonds des années précédentes, qui préserve le fonds de roulement nécessaire. Je n'ai pas d'alerte à formuler sur ce sujet.

Monsieur Milon, l'augmentation des indemnités journalières porte principalement sur les maladies professionnelles. Ces dernières années, le nombre d'accidents du travail a globalement diminué, celui des accidents de trajet est resté stable et celui des maladies professionnelles a fortement progressé, de l'ordre de 5 % à 7 % par an.

Il s'agit de petits volumes, environ 50 000 dossiers ; nous n'assistons pas à une explosion de la sinistralité, dont la dynamique dépend surtout de la baisse des accidents du travail. Pour autant, les maladies du travail et en particulier les TMS augmentent de manière significative.

Vous me demandez, si je comprends bien, comment lier un RPS à une profession. En réalité, on lie un RPS non pas à une profession, mais à une situation de travail. Selon la définition de 1998, l'accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, un certificat médical devant attester de la réalité des lésions. Il n'y a donc pas besoin de lier un risque psychosocial à un métier.

Vous m'interrogez aussi sur la coordination interministérielle. Pour la médecine du travail et la réparation AT-MP, les instances sont bien articulées. Le plan de santé au travail (PST) 5 donne le même socle d'orientations et d'objectifs pluriannuels à la médecine du travail, à la branche AT-MP et au régime agricole. Nous avons un document structurant, fondateur et stratégique pour tous les opérateurs qui concourent à la prévention de la sinistralité.

Ce PST 5 se décline en région, via des plans d'action régionaux. Ces instances regroupent les représentants des employeurs et des salariés, les services de la médecine du travail, de la médecine scolaire ou encore la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) ; nous y définissons les priorités. Même si elle n'est pas idéale, l'organisation existe.

Ensuite, des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) sont signés par chaque Carsat avec la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) territorialement compétente et chaque service de santé au travail, pour cinq ans, autour d'un socle commun d'action.

Les structures et la coordination existent. Ne créons pas des doublons, en imaginant de grandes agences. La médecine du travail, de niveau 1, connaît le terrain et la situation des entreprises, tandis que la Carsat, de niveau 2, fait du ciblage de sinistralité : quand ces deux niveaux se parlent, il est possible d'accompagner les entreprises.

L'accès au dossier médical partagé est un sujet qui dépasse la branche AT-MP ; se posent des questions liées au règlement général sur la protection des données et d'accès aux données. Les choses ne sont pas abouties.

Les délais de création de nouveaux tableaux sont incompressibles. En créer de nouveaux ne me semble pas être la bonne solution pour reconnaître des maladies hors tableaux. Les tableaux à l'origine de la charge de travail imposée au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ne sont pas anciens, à l'instar des tableaux sur les troubles musculosquelettiques. Créer de nouveaux tableaux va augmenter la charge de travail du CRRMP, qui, en l'état, ne pourra pas l'assumer.

La fourchette conclusive définie par la commission de sous-déclaration des AT-MP pour 2024 est supérieure au montant inscrit dans ce PLFSS. La trajectoire s'oriente vers la fourchette basse définie par la commission, soit 2 milliards d'euros pour 2027.

Madame Brulin, je n'ai pas bien compris votre question sur les indemnités journalières et la sous-déclaration. Je vous confirme qu'une part non négligeable de l'augmentation des indemnités journalières est liée aux seniors, en particulier au regard des maladies professionnelles. Cela est assez logique, compte tenu de la poursuite de l'activité à un âge plus avancé, au-delà même de la réforme stricte de 2023 ; par ailleurs, les situations de santé sont plus longues à se résorber avec l'âge.

La suppression des visites de préreprise pour les femmes enceintes concerne la médecine du travail ; je n'ai donc pas d'avis particulier sur le sujet.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - François Bayrou avait demandé au Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) de travailler sur les économies possibles dans l'ensemble des branches de la sécurité sociale.

La branche AT-MP faisait l'objet de trois recommandations. Les documents du HCFiPS montraient un souhait de moderniser la branche, qui aurait pris le nom de branche « Prévention et santé au travail ». La branche doit devenir acteur de la prévention des risques au travail. Avez-vous engagé des travaux à ce sujet ?

Mme Anne Thiebeauld. - Je vous rejoins : plus nous investirons dans le domaine de la prévention, moins il y aura d'accidents ou de maladies professionnelles. Toutefois, je n'ai pas connaissance de travaux lancés sur ce thème.

M. Jean Sol, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

MM. Éric Blachon, président, et Renaud Villard, directeur,
de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav)

Réunie le mercredi 29 octobre 2025, sous la présidence de M. Jean Sol, vice-président, la commission procède à l'audition de MM. Éric Blachon, président, et Renaud Villard, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).

M. Jean Sol, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons à présent MM. Éric Blachon, président, et Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Le PLFSS pour 2026 prévoit que la branche vieillesse reste en déficit jusqu'en 2029, dans des proportions relativement contenues après le pic de 2025 - le déficit atteignait 6,3 milliards d'euros.

Elle contient aussi, bien entendu, certaines des mesures les plus commentées de ce PLFSS, qu'il s'agisse du gel puis de la sous-indexation des pensions de retraite, de la suspension des effets de la réforme de 2023 ou de certaines mesures d'amélioration de la retraite des femmes.

M. Éric Blachon, président de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Concernant le PLFSS pour 2026, les chiffres produits par nos services montrent que les dépenses connaissent une évolution plus dynamique que celle des recettes, aboutissant en 2025 à une dégradation du déficit de la branche retraite. Cette dynamique de hausse s'observe depuis 2024, après un exercice 2023 où la branche était quasiment à l'équilibre. En 2024, le solde cumulé Cnav-fonds de solidarité vieillesse (FSV) était déficitaire de 2,6 milliards d'euros en raison d'une forte hausse des prestations, avec la revalorisation des pensions de 5,3 % en janvier 2024 et l'impact de la majoration exceptionnelle.

En 2025, le déficit devrait atteindre 5,3 milliards d'euros en raison de deux tendances conjuguées : la croissance des prestations versées, due notamment à la revalorisation des pensions de 2,2 % en janvier, et le ralentissement de la croissance de la masse salariale, qui s'établit à 1,8 % en 2025, après une année 2024 plus dynamique, à 3,3 %.

Pour 2026, le déficit atteindrait 5,8 milliards d'euros, avec une hausse des pensions attendue à 1 % en raison de la baisse de l'inflation et une reprise de la croissance de la masse salariale à 2,3 %.

Au-delà de 2026, les hypothèses retenues tablent sur une croissance plus soutenue de la masse salariale - au-delà de 3 % - et des revalorisations de pensions plus contenues grâce à une inflation maîtrisée en dessous de 2 %.

À l'horizon de 2029, le solde de la branche s'établirait ainsi à - 8,1 milliards d'euros en raison de la dégradation du ratio démographique du régime.

Dans ces projections, la dégradation devait initialement être partiellement contenue par la montée en charge de la réforme des retraites de 2023. Les récentes annonces concernant sa suspension nous invitent donc à reconsidérer avec prudence la trajectoire du déficit, qui pourrait être plus marquée encore.

Si le conseil d'administration apprécie la réforme du dispositif du cumul emploi-retraite, qui gagnera en lisibilité et permettra de lutter plus efficacement contre les effets d'aubaine, il s'interroge sur la clarté de certaines dispositions de ce projet de loi, qui semblent sujettes à des interprétations divergentes.

Le conseil d'administration souhaite appeler votre attention sur la capacité des services à mettre en oeuvre les dispositions de cette loi. Le travail d'orfèvre que nous demande le législateur impose des délais incompressibles ; il faut penser à la mise en oeuvre opérationnelle de cette loi.

Enfin, le conseil d'administration de la Cnav s'est exprimé le 22 octobre sur ce PLFSS en rendant un avis majoritairement défavorable. Les uns et les autres s'accordent sur la nécessité de construire un système à l'équilibre. Le conseil d'administration a été une nouvelle fois saisi sur la question de la suspension de la réforme de 2023. Hier après-midi, la commission d'étude de législation de l'assurance vieillesse, qui avait une délégation de vote, s'est de nouveau prononcée majoritairement contre ce projet par 22 voix contre, 4 voix pour et 1 abstention.

M. Renaud Villard, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Je présenterai très brièvement les principales mesures relatives à la branche vieillesse contenues dans ce PLFSS, en me concentrant sur les cinq mesures qui l'impactent principalement, sans insister sur les mesures de financement transverses.

L'article 43 constitue une réforme en profondeur du cumul emploi-retraite. Il vise à la fois à simplifier et à clarifier le dispositif, mais aussi à désinciter au cumul emploi-retraite avant 67 ans. Cela explique son rendement extrêmement élevé : 2 milliards d'euros en 2030. Ce rendement est en réalité comportemental, car la réforme incitera des assurés à rester plus longtemps en activité et à profiter de la surcote.

L'article 44 concerne la non-revalorisation des prestations pour 2026, avec la prolongation, pour les exercices 2027 à 2030, d'une sous-indexation des retraites de 0,4 point. Cela fait écho à des éléments évoqués au sein de la délégation paritaire permanente du conclave sur la réforme des retraites. Par lettre rectificative, le Gouvernement a proposé pour 2027 de sous-indexer les retraites non pas de 0,4 mais de 0,9 point, afin de financer la suspension de la mesure d'âge de la réforme des retraites.

L'article 45 comporte deux mesures très directement inspirées des travaux paritaires du conclave. Il introduit deux trimestres de majoration de durée d'assurance liés aux enfants au titre des carrières longues, ce qui permettra à environ 12 000 femmes, chaque année, de bénéficier de ce dispositif, aujourd'hui très majoritairement masculin. Cet article inclut également, dans son exposé des motifs, une évolution du calcul du salaire de référence, là aussi en faveur des mères de famille, puisqu'il ne viserait non plus les 25, mais les 24 ou 23 meilleures années. Cette mesure, qui concernera potentiellement plus de 50 % des femmes, monte en charge lentement, puisqu'elle s'adresse aux futurs retraités ; son coût dépassera les 2 milliards d'euros à terme.

L'article 45 bis a eu les honneurs de la presse. Il s'agit de la suspension des mesures d'âge de la réforme des retraites ; nous aurons l'occasion d'en débattre.

Enfin, l'article 42 concerne la branche famille et l'extension du congé de naissance ; il concerne aussi très directement la branche vieillesse. Il est prévu que ce congé donne lieu à une période assimilée et soit donc couvert pour le risque vieillesse par l'attribution de trimestres au sein du régime général. D'emblée, cette articulation entre les risques famille et vieillesse avait été prévue dans le PLFSS.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Nous réduirons pour la première fois depuis 1982 l'âge d'ouverture des droits à la retraite en suspendant l'application de la réforme de 2023 pour les générations 1964 et 1965. Avez-vous une idée du nombre d'assurés qui pourraient être impactés au régime général ? Dans quelle mesure votre service informatique pourra-t-il appliquer une telle suspension si elle était votée d'ici à la fin de l'année par le Parlement ? Avez-vous une idée du coût que le recalcul des pensions visées va engendrer pour la Cnav ?

Vous avez évoqué un manque de clarté de certaines dispositions dans ce PLFSS : pourriez-vous nous indiquer lesquelles ?

L'article 43 réforme le cumul emploi-retraite selon les préconisations formulées par la Cour des comptes. Or, celle-ci met en avant la difficulté qu'ont les caisses de retraite à contrôler le recours au cumul emploi-retraite dans la mesure où le système reposait principalement sur les déclarations des assurés. Cette obligation de déclaration est désormais supprimée, et l'étude d'impact prévoit que les caisses de retraite contrôleront le dépassement du seuil de revenus via le dispositif de ressources mensuelles qui est alimenté par les employeurs et les organismes de protection sociale. Un tel contrôle sera-t-il efficient ?

Toujours sur le cumul emploi-retraite, la réforme des retraites de 2023 a permis d'ouvrir aux retraités en cumul intégral de nouveaux droits à pension. En avez-vous déjà liquidé ? Quel coût cela représente-t-il ?

M. Renaud Villard. - Le nombre d'assurés concernés par la suspension dépendra des comportements : en année pleine, selon l'hypothèse maximale, 400 000 assurés prendraient leur retraite plus tôt ; selon nos hypothèses comportementales, ce serait seulement 250 000 personnes. Nos hypothèses de comportement restent cependant fragiles, car il est rare que l'on s'intéresse à une réduction de l'âge de départ à la retraite.

Le coût des dispositifs est totalement conforme à notre estimation : une grosse centaine de millions d'euros en 2026, exercice très partiel, et environ 1,3 milliard en 2027, en année pleine. L'effet est quasi exclusivement lié à l'âge et très peu à la durée d'assurance.

J'en viens à la faisabilité informatique. Il nous faut un délai de cinq mois, comme l'expérience me l'a montré, notamment lors de la réforme Borne. Avec neuf mois devant nous, vous avez face à vous un gestionnaire heureux ! Si la mesure devait entrer en vigueur au 1er janvier, cela serait impossible. Nous serions en conformité en mai, si bien que les dossiers de janvier à mai seraient bloqués : des assurés ne toucheraient pas leur retraite pendant plusieurs mois. À cette date, le texte n'a pas d'impact de recalcul. L'entrée en vigueur est prévue au 1er septembre 2026 : nous calculerons d'emblée les bons montants.

Passer d'un système déclaratif à un système automatique pour le cumul emploi-retraite est une bonne chose. Le système déclaratif engendre, à cause d'une méconnaissance du droit, des non-conformités, et des demandes de remboursement deux ou trois ans après. Avec le dispositif envisagé, le dispositif de ressources mensuelles (DRM), nous recevons deux mois après l'ensemble des salaires et des prestations sociales. C'est un outil construit par la Cnav pour la solidarité à la source pour la branche famille. Nous connaissons bien cet outil que nous hébergeons. L'entrée en vigueur au 1er janvier 2027 me semble compatible avec l'ambition de repérer automatiquement un retraité qui reprend une activité, afin de l'alerter immédiatement, que ce soit sur une non-conformité ou sur une reprise d'activité créatrice de droits. Il s'agit de ne pas créer un décalage temporel, souvent difficilement supportable.

Les nouveaux droits à pension pour le cumul emploi-retraite restent encore faibles, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, le dispositif est encore récent, les cotisations ne datent que de 2023. De plus, une clause de stage a été introduite, qui exclut de facto 50 % des personnes. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit de supprimer cette clause de stage, qui était difficilement compréhensible.

M. Éric Blachon. - Le cumul emploi-retraite fait l'objet d'une clarification.

Toutefois, certaines mesures manquent de clarté, comme celle qui concerne les femmes en congé maternité. Un article indique que l'employeur pourra licencier la personne en congé maternité pour faute. Nous ne comprenons pas bien comment il pourrait y avoir une situation de faute quand la personne est en congé maternité.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Cela existe : la faute peut être advenue avant le congé maternité et être découverte pendant le congé maternité.

M. Éric Blachon. - Nous avons posé la question à la direction de la sécurité sociale (DSS), et nous attendons toujours la réponse.

Mme Raymonde Poncet Monge. - De quel article s'agit-il ?

Mme Monique Lubin. - Comment se fait-il que nous n'ayons pas vu cela ?

M. Éric Blachon. - Concernant les dispositions sur l'âge de départ à la retraite, nous aurons un problème de mise en oeuvre. Nous allons créer du stock, et donc du mécontentement. Préparez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à avoir des mécontents dans vos permanences !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Selon le texte résultant de la lettre rectificative, le coût de la suspension de la réforme des retraites est estimé, pour le système de retraite, à 100 millions d'euros en 2026 et 1,4 milliard d'euros en 2027. Pourtant, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait indiqué que le coût de la mesure était de 400 millions d'euros en 2026 et d'1,8 milliard d'euros en 2027. Nous comprenons qu'il s'agit dans les deux cas d'un chiffrage sur le seul champ du système de retraites.

Quelle est la source de ces deux chiffrages ? La Cnav a-t-elle fourni ces éléments ? Comment expliquer l'écart entre, d'une part, les montants indiqués par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, et, d'autre part, le texte résultant de la lettre rectificative ?

La presse a fait état de chiffrages nettement plus élevés. Le 8 octobre 2025, le Premier ministre a déclaré sur France 2 que le coût de la suspension serait de « pas moins de 3 milliards d'euros » en 2027. Le même jour, Roland Lescure a annoncé que la mesure coûterait « des centaines de millions en 2026, des milliards en 2027 ». Nous comprenons que ces chiffrages à 3 milliards d'euros en 2027 concernent l'ensemble des administrations publiques et pas le seul système de retraite. Pouvez-vous confirmer ce point ? Nous avons besoin d'éléments sûrs et définitifs.

M. Renaud Villard. - Une bonne partie du chiffrage vient de la Cnav. Charge au ministre de faire retravailler nos chiffres par ses services. Pour 2026, deux éléments peuvent expliquer les écarts. Le premier élément est l'analyse comportementale : les chiffres peuvent passer du simple ou double. Notre hypothèse centrale est qu'un assuré sur deux va anticiper son départ. Si tous les assurés anticipent leur départ, le coût sera double. Entre tout ou rien, la vérité est sans doute entre les deux.

Le deuxième élément concerne le périmètre des chiffrages : il est possible ou non d'inclure le dispositif lié aux carrières longues. L'effet comportemental est, dans ce cas, très important. On atteint alors potentiellement un coût de 400 millions d'euros en 2026 et 1,8, voire 1,9 milliard d'euros en 2027.

Les ordres de grandeur sont assez proches en année pleine : un peu moins de 2 milliards d'euros, en ne prenant en compte que l'effet sur la branche retraite, qui est le suivant : de moindres cotisations, et plus de prestations.

Si l'on s'intéresse à l'effet sur toutes les administrations publiques, c'est la direction générale du Trésor qui réalise les chiffrages : ainsi l'on atteint 3 milliards d'euros.

Sur le seul champ de la vieillesse, tous régimes confondus, le coût atteindra 400 millions d'euros en 2026 et 1,8 milliard d'euros en 2027, si l'on intègre les carrières longues. Les chiffres de l'étude d'impact sont d'un peu plus de 100 millions d'euros en 2026 et d'un peu moins de 1,5 milliard d'euros en 2027. Les écarts de prévision restent inférieurs à la fourchette liée à l'incertitude sur les comportements. Par conséquent, l'ordre de grandeur de 1,5 milliard d'euros ne me choque pas.

Cependant, j'appelle à la prudence. L'impact comportemental est extrêmement important et nous entrons dans une période inédite. Nous chiffrons plus facilement les augmentations de l'âge légal de départ à la retraite que les baisses.

M. Éric Blachon. - La prospective fait partie de notre mission. Face à de telles situations, il nous faut construire différents scénarios. Celui-ci semble tout à fait réaliste.

- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -

M. Daniel Chasseing. - Le déficit de l'assurance maladie est dû à une hausse plus importante des dépenses que des recettes, avec un déficit de 6 milliards d'euros en 2027. Nous atteindrions 8,1 milliards d'euros de déficit en 2029. Nous constatons une augmentation de la durée de vie de dix ans depuis 1980. Il y avait 4 millions de retraités en 1981, ils sont près de 20 millions en 2025. La dépendance augmente aussi.

Il nous faut davantage de cotisants, puisque 85 % des recettes proviennent du travail. Il faudrait à la fois augmenter le taux d'emploi des seniors - avec des retraites partielles progressives -, et des jeunes, qui est nettement en deçà de celui d'autres pays.

Le vieillissement s'accentue, les dépenses de retraite augmentent. Les pays qui nous entourent ont donc décalé l'âge de départ. En France, ce décalage n'est pas accepté, malgré les avis du Conseil d'orientation des retraites (COR) et des économistes.

Si nous revenons à un départ à 62 ans et 9 mois, quels seront les déficits ? Quels financements proposez-vous en 2026 ?

Je souhaiterais aussi plus de précisions sur le congé de naissance.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous avez parlé de la maternité et des licenciements pour faute. Pourriez-vous nous indiquer l'article concerné par cette mesure, qui est assez importante et grave ? Nous n'avons rien vu dans le PLFSS.

Mme Pascale Gruny, président. - Cela existe déjà dans le code du travail.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Certes, mais cela serait acté dans le PLFSS !

Ce PLFSS prévoit le gel des pensions en 2026 et une sous-indexation des pensions entre 2027 et 2030 ; s'ajoute, dans le PLF, la suppression de l'abattement fiscal de 10 % en faveur des retraités. Combien de personnes sont impactées par la sous-indexation ? Combien cela va-t-il rapporter à la Cnav ? Il y a forcément un gain, puisque les pensions ne sont pas indexées.

Selon l'annexe 9 du PLFSS, cette mesure conduira à une baisse du niveau de vie des bénéficiaires des prestations, dans la mesure où la non-revalorisation concerne à la fois les prestations de solidarité, dont les minima sociaux et les prestations familiales, pour l'essentiel sous condition de ressources. Nous allons pénaliser les retraités et, pour les plus précaires d'entre eux, ce sera une double peine.

On ne peut pas justifier cette mesure d'austérité par le taux d'épargne comparativement plus élevé des retraités - c'est la moindre des choses lorsque l'on est à la retraite. On ne peut pas non plus la justifier en expliquant que les revalorisations des pensions survenues entre 2021 et 2025 ont permis de préserver davantage leur pouvoir d'achat par rapport aux actifs - il faudrait soi-disant faire davantage participer les retraités au rétablissement de l'équilibre des comptes publics. Si l'on se compare toujours avec les moins-disants, on tire l'ensemble de la société vers le bas.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Depuis hier, nous entendons que les partenaires sociaux étaient d'accord avec la sous-compensation. J'aimerais que l'on dise qu'il y avait trois partenaires sociaux du côté syndical, mais sans la CGT ni FO. La CGT, j'en suis sûre, n'aurait pas été d'accord pour que des mesures supplémentaires soient financées par des sous-compensations touchant tous les retraités, y compris les 2 millions de retraités qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Cette sous-compensation visait à financer un certain nombre d'avancées qui figuraient dans un accord global. Or, si la sous-indexation de 0,4 point a bien été retenue, je n'ai pas l'impression qu'il en aille de même pour toutes les mesures de progression. Vous avez parlé des trimestres enfants et du calcul du salaire de référence. J'aimerais savoir quel est le coût des deux trimestres par enfant et du nouveau calcul du salaire de référence.

Cet accord global du conclave, qui n'a pas été finalisé, incluait aussi la réintroduction de critères de pénibilité qui avaient été précédemment exclus. Or, cela n'a pas été repris.

Bref, on retient la sous-indexation, mais pas toutes les mesures de progrès qu'elle était censée financer.

Enfin, vous m'étonnez quand vous dites que la dynamique des dépenses est plus importante que la dynamique des recettes. Ce n'est pas la tendance pointée par le COR. Nous pourrions parler en points de PIB.

Lors de la réforme de 2023, on entendait dire que la mesure allait prolonger l'activité de ceux qui étaient en emploi, tout comme le maintien dans le sas de précarité de tous ceux qui étaient au chômage ou inaptes. Vous avez désormais du recul : sur la première cohorte de 600 000 retraités, combien sont restés en emploi et combien sont restés dans le sas de précarité ? Voilà qui viendra enrichir l'analyse comportementale.

Ensuite, la sous-indexation est-elle de 0,4 ou 0,5 point en 2026 ? En 2027, elle serait de 0,9 point. Pouvez-vous nous dire combien rapporte une sous-indexation de 0,5 point ?

Mme Monique Lubin. - Pour ceux qui devaient partir à la retraite à 63 ans, et finalement pourront partir à l'âge de 62 ans et 9 mois, cela sera-t-il simple ? Craignez-vous un embouteillage ?

J'en viens à la retraite des femmes, ou plutôt des mères de famille. Quelles sont les conditions exactes de calcul du salaire de référence : parlons-nous de 23 ans ou de 25 ans ? Quelles femmes sont concernées ? Les femmes ayant eu une carrière complète ou incomplète ? Disposez-vous d'une étude d'impact ? Combien de personnes sont-elles concernées, et combien cela leur rapportera-t-il ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - L'article 45 du PLFSS concerne la retraite des femmes. La retraite des mères de famille va-t-elle augmenter avec cette réforme du calcul du salaire de référence ? Quelles sont vos projections sur le nombre de femmes concernées et sur les gains financiers qu'elles peuvent en retirer ? D'après l'analyse de certains cabinets d'audit et de conseil en retraite privés, il semblerait que bien peu d'entre elles soient concernées. Mais peut-être pouvez-vous nous donner plus d'informations.

M. Renaud Villard. - Monsieur Chasseing, le ratio démographique va se dégrader : nous atteindrons, à la fin des années 2020, le plafond du nombre de cotisants, soit 24 millions, et ce durablement, tandis que le nombre de retraités va lui augmenter. L'effet ciseau va s'accroître. Le ratio passera, en quarante ans, de 1,5 à 1.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Avec un flux migratoire divisé par trois !

M. Renaud Villard. - En effet, avec l'hypothèse faite par le COR d'un solde migratoire de 50 000 personnes.

En 2030, le déficit serait de 7 milliards d'euros pour le régime général. Sans la réforme de 2023, ce déficit atteindrait 14 milliards d'euros.

Le PLF crée un droit à congé de naissance pour les deux parents, indemnisé par la sécurité sociale et couvert pour le risque vieillesse, car il donnera lieu à des trimestres de solidarité, pour éviter qu'un des deux parents ne soit pénalisé dans le calcul des retraites. Il est fréquent que l'on crée un droit en oubliant les conséquences en matière de retraites. Là, ce n'est pas le cas.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Il s'agit de trimestres gratuits ?

M. Renaud Villard. - Rien n'est gratuit ! Ces trimestres de solidarité seront financés par la solidarité nationale.

L'impact des différentes revalorisations et de la sous-indexation concernera bien l'ensemble de nos 16 millions de retraités. Pour le régime obligatoire de base, un point de sous-indexation représente 2,6 milliards d'euros. Par conséquent, 0,5 point équivaut à 1,3 milliard d'euros. Ce 0,5 point de sous-indexation est inclus dans la lettre rectificative pour financer le 1,3 milliard de dépenses nouvelles liées au gel de la réforme des retraites. Le bouclage financier est donc assuré.

En 2026, avec une indexation à zéro et une hypothèse d'inflation à 1 point, le rendement serait de 2,6 milliards d'euros. En 2027, avec la saisine rectificative, nous suivons une hypothèse de sous-indexation de 0,9 point, ce qui correspond à environ 2,4 milliards d'euros.

En 2024 et 2025, sur le seul périmètre du régime général, l'indexation des retraites a représenté une dépense importante. Comme l'a souligné Mme Apourceau-Poly, le pouvoir d'achat des retraités a été parfaitement préservé. Deux années successives de maintien intégral du pouvoir d'achat représentent 12 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, ce qui n'a pas contribué à améliorer le solde du régime général.

Madame Poncet Monge, le conclave n'a finalement pas été conclusif, ce qui explique que toutes les conclusions n'ont sans doute pas été reprises. La sous-indexation est l'une des pistes évoquées par les organisations qui continuaient à siéger dans la délégation paritaire permanente.

Le régime complémentaire Agirc-Arrco a décidé il y a quelques jours d'un coefficient d'indexation égal à zéro, et donc de ne pas revaloriser les prestations. C'est la gouvernance paritaire qui en a décidé ainsi.

On pourrait réfléchir en points de PIB, comme nous y a invités le COR, mais un gestionnaire de retraite est beaucoup moins intelligent que le COR : je m'intéresse au solde. Le solde, en 2050, est de - 50 milliards d'euros.

Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est avec les dynamiques que je n'étais pas d'accord !

M. Renaud Villard. - L'inconvénient du raisonnement en points de PIB est que, lors de la réforme de 2023, il a peut-être contribué à rendre peu lisible le fait qu'il y a un déficit tendanciel du régime de retraite et que ce déficit va en s'aggravant.

Les solutions sont multiples, mais pas vraiment consensuelles. Ou bien j'ai raté des épisodes...

Sur l'impact des deux mesures en faveur des mères - et non des femmes, comme l'a justement souligné Mme Lubin -, celle qui inclut deux trimestres de majoration de durée d'assurance liée aux enfants au titre des carrières longues coûte, au terme de la montée en charge, 200 millions d'euros.

La mesure sur le salaire annuel moyen coûtera, au terme de la montée en charge, 2,2 milliards d'euros. Elle est beaucoup plus lente à monter en charge, mais beaucoup plus puissante. Cette mesure concerne l'ensemble des femmes. Aujourd'hui, pour le régime général, nous calculons le salaire de référence en faisant la moyenne des 25 meilleures années. Pour une mère de famille qui aura eu un enfant, il sera calculé sur 24 années ; si elle a eu deux enfants, sur ses 23 meilleures années.

Il s'agit d'une mesure réglementaire, c'est pourquoi il n'y a pas d'étude d'impact. Elle s'appliquera sans doute au 1er septembre, comme la mesure sur les majorations de durée d'assurance pour les carrières longues, pour des raisons informatiques.

Cette mesure a des propriétés extrêmement fortes et assez ciblées. La moitié des femmes - 90 % des femmes sont des mères de famille - en bénéficieront, avec un impact d'environ 2 % sur leur pension. Elle cible de manière très forte les mères de famille qui ont eu une carrière à peu près complète, avec des salaires moyens. Les déciles 4 à 7 sont concernés, c'est-à-dire la classe moyenne.

La réforme de 2023 reste sans impact sur les inaptes ou les invalides. La réforme de 2023 n'a impacté que ceux qui sont en emploi : c'est pourquoi l'analyse comportementale est très importante. Seuls 60 % de nos concitoyens étaient impactés par la réforme de 2023, si bien que seuls 60 % sont impactés par la suspension de la réforme des retraites. L'immense majorité des personnes concernées par la réforme de 2023 étaient en emploi, soit 90 %, et 10 % étaient au chômage.

Dans l'état actuel du texte, avec une entrée en vigueur au 1er septembre, je ne vois pas de risque d'embouteillage, car nous avons neuf mois devant nous. Si des mesures devaient entrer en vigueur au 1er janvier, nous devrions bloquer des dossiers, avec des conséquences potentiellement très problématiques. Nous avons besoin de cinq mois. Les phases de test sont longues et incompressibles.

Mme Monique Lubin. - Le ratio démographique n'est pas bon, mais nous ne pouvons pas tenir compte que de cela, sinon nous irions nous jeter directement à l'eau ! Nous devons prendre en compte les gains de productivité, l'intelligence artificielle et les migrations. Les rapports du COR le soulignent.

Parler en milliards d'euros est irréel pour le Français lambda. Mais parler en points de PIB, cela permet de faire des choix politiques.

J'ai donc deux questions. Où en est le solde du système de retraites à la fin de 2025 ? Ensuite, quel est le comportement des personnes ? Combien partent à la retraite, et combien restent en emploi ?

M. Renaud Villard. - Le ratio démographique peut se piloter. Les leviers sont multiples : le taux d'emploi des seniors ; le maintien dans l'emploi ; les choix migratoires - voyez les choix de certains de nos pays voisins - ; l'insertion rapide des jeunes sur le marché de l'emploi ; les gains de productivité. Le ratio démographique n'est qu'en partie une fatalité.

Les 50 milliards d'euros évoqués représentent 2 points de PIB : ce chiffre est monstrueux ! Parler en valeur absolue permet de rappeler que le système par répartition repose sur la confiance. Si l'on recrute des jeunes en expliquant qu'ils devront cotiser non seulement pour leurs parents, mais aussi pour leurs grands-parents, cela devient plus compliqué. Face à la falaise des déficits qui s'annonce, le sujet est de la plus haute importance.

Concernant l'impact comportemental, les assurés nous surprennent de plus en plus. Les assurés partent de moins en moins avec un taux plein. La variété des situations est très grande : 15 % des Français partent avec une décote, et 15 % avec une surcote.

M. Éric Blachon. - Je m'engage à vous indiquer quel est l'article du PLFSS sur le licenciement des femmes enceintes.

Notre institution est réactive, mais nous ne pouvons pas faire des miracles. Le coût de la masse salariale de la Cnav reste très faible. N'allons pas mettre en difficulté l'institution, les élus et les premiers concernés, les retraités.

Tous les partenaires s'accordent à dire que nous devons arriver à l'équilibre de ce régime, sans quoi nous irons dans le mur. Transmettre la dette aux générations à venir n'est pas la meilleure solution. J'espère que nous trouverons bientôt des solutions pérennes.

Mme Pascale Gruny, président. - Nous vous remercions de votre participation.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mmes Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, et Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Réunie le mercredi 29 octobre 2025, sous la présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président, la commission procède à l'audition de Mmes Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, et Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées.

Mme Pascale Gruny, président. - Mes chers collègues, nous accueillons Mmes Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, et Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Mesdames les ministres, notre commission est impatiente de vous entendre sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 au regard des enjeux qui concernent les branches maladie et autonomie.

En particulier, comme nous l'avons vu avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), le PLFSS pour 2026 prévoit de fortes mesures d'économies pour la branche maladie, dont la situation financière est préoccupante. Leur montant cumulé atteindrait 7,1 milliards d'euros. Ainsi, la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) serait limitée à 1,6 %, ce qui reste supérieur à l'inflation, mais ce qui correspond au niveau le plus faible depuis une dizaine d'années. On peut se demander si cela est bien tenable, notamment au regard de l'état des finances des établissements de santé.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. - Madame le président, madame la rapporteure générale, mesdames et monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il se dit sur les chaînes d'information en continu qu'il n'y a plus de dialogue, que chacun campe sur ses positions, que la discussion budgétaire se résume à des anathèmes et que le compromis serait impossible, de peur de se compromettre.

Pourtant, je constate l'inverse partout où se réunissent les bonnes volontés : qu'il s'agisse du travail de concertation mené au sein du conseil de la Cnam ou encore ici, au Sénat, où vous avez mené un travail transpartisan et de grande qualité, les constats sont largement partagés et le dialogue s'avère de très haut niveau. Je tiens donc à vous assurer, en préalable, que le Gouvernement est animé par le même esprit de dialogue, que nous souhaitons voir perdurer et fructifier.

Avant de venir aux détails des mesures de ce PLFSS pour 2026, je souhaite aborder deux éléments, à commencer par un rappel : ce PLFSS, comme l'a indiqué le Premier ministre, est une copie de départ. Sans usage de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, le texte final sera ce que le Parlement en fera et sera nécessairement bien différent du texte initial.

Le second point a trait au fait que la sécurité sociale constitue le ciment le plus profond de notre cohésion nationale : il nous appartient collectivement de ne pas en faire un simple guichet, mais bien un héritage à protéger et à faire prospérer.

À ce titre, il nous faut regarder la réalité en face : passé de 10,8 milliards d'euros en 2023 à 23 milliards d'euros en 2025, le déficit de la sécurité sociale aura plus que doublé en deux ans. Si aucune mesure complémentaire à celles qui sont proposées dans le PLFSS pour 2026 n'était prise, il atteindrait 33,7 milliards d'euros en 2029.

Nous connaissons bien les facteurs structurels qui doivent nous pousser à agir. Premièrement, la natalité est en forte baisse, avec 170 000 naissances en moins par rapport à 2010. Deuxièmement, notre population vieillit : d'ici à cinq ans, un Français sur trois sera âgé de plus de 60 ans et, pour la première fois, les personnes âgées de 65 ans et plus seront plus nombreuses que celles de moins de 15 ans. Troisièmement, les pathologies chroniques explosent : en 2035, près de la moitié de la population sera concernée par une maladie chronique. La pyramide des âges ne ment pas et, sans réforme, notre modèle social n'est plus finançable, ni à moyen terme ni à long terme.

Nous pourrions bien sûr repousser les choix et prendre la décision confortable de ne pas agir. Au contraire, nous assumons de dire qu'il nous appartient de ne pas faire peser une dette sociale insoutenable sur les générations futures. À la lecture de la « boîte à outils » proposée par le Sénat pour le financement de la sécurité sociale, je constate que cet objectif est ici largement partagé.

J'en viens aux mesures de la branche maladie. Notre système de santé a démontré sa solidité, sa capacité à protéger, à soigner et à innover. Pour le préserver, nous fixons un cap clair, à savoir son adaptation pour le protéger, renforcer la prévention et améliorer l'accès aux soins en responsabilisant chaque acteur.

En 2026, le texte prévoit ainsi que les dépenses de santé puissent continuer de progresser à hauteur de près de 5 milliards d'euros. Cette augmentation s'accompagnera de mesures de freinage, pour que chaque euro mobilisé le soit au bon endroit.

À cet effet, chacun des acteurs du système de santé sera appelé à participer. Il est d'abord prévu une augmentation modérée des montants des forfaits de responsabilité, c'est-à-dire les franchises. Dix-huit millions de Français, soit environ un assuré sur trois, continueront à en être exonérés, comme les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S), les femmes enceintes ou les mineurs.

Comme je l'ai annoncé lors de mon arrivée au Gouvernement, les plus vulnérables continueront à être protégés : la France demeurera ainsi le pays avec l'un des restes à charge les plus faibles. Pour donner un ordre de grandeur, la contribution moyenne par assuré représenterait environ 42 euros supplémentaires par an, à mettre en regard du coût de la prise en charge. Nous pouvons donc nous accorder sur le fait que la participation demandée aux assurés restera modérée, puisqu'elle sera plafonnée à 200 euros par an, soit une contribution en rapport avec la protection offerte.

L'effort sera aussi abondé par la contribution des organismes complémentaires et des acteurs industriels du médicament et du dispositif médical, avec un niveau important de baisse de prix. Un effort sera également demandé aux secteurs dont la rentabilité peut être qualifiée d'excessive, afin que chaque euro versé par l'assurance maladie soit mobilisé au service des assurés.

Enfin, et je sais que c'est ici un sujet de préoccupation, le texte permet d'aller vers plus de pertinence et d'efficience pour payer le juste soin au juste prix. Nous proposons de systématiser l'utilisation du dossier médical partagé (DMP) pour mettre fin à la redondance de certains examens et diffuser massivement les outils numériques d'aide à la prescription. Parallèlement, les hôpitaux seront davantage encouragés à améliorer leur efficacité et la pertinence de leurs soins.

Outre les mesures de freinage portées par tous les acteurs, ce PLFSS pour 2026 permet de poursuivre des réformes structurelles. Aussi, la prévention poursuivra son développement avec la création d'un statut de risque chronique et la mise en place de nouveaux parcours de prévention absolument déterminants pour prévenir l'apparition et l'aggravation de pathologies chroniques, en amont de l'entrée dans le dispositif des affections de longue durée (ALD).

Ces parcours incluront des prestations aujourd'hui non remboursées, telles que l'accompagnement à l'activité physique ou les consultations diététiques. Si la Haute Autorité de santé (HAS) doit définir les critères médicaux permettant d'y accéder, le Gouvernement souhaite proposer ces parcours aux patients ayant des pathologies d'aggravation progressive pouvant entrer à terme en ALD - obésité, hypertension artérielle ou encore diabète sans complication. Du reste, je sais que le Sénat est très investi pour renforcer nos politiques de prévention et le Gouvernement saura être attentif aux propositions que vous pourrez formuler.

Nous renforçons également l'organisation territoriale de l'offre de soins. Avec la consolidation des structures de soins non programmés et la réforme de la permanence des soins ambulatoires, nous faciliterons un accès rapide, efficace et coordonné aux soins. Cette démarche passera également par la mise en oeuvre du pacte de lutte contre les déserts médicaux : un nouveau statut de praticien territorial de médecine ambulatoire sera créé et offrira un soutien financier et organisationnel à de jeunes médecins qui s'engageront à exercer deux ans dans les zones en tension. En outre, dès la rentrée 2026, les internes en dernière année de médecine générale effectueront un stage d'un an dans les zones où l'accès aux soins est difficile.

Par ailleurs, les quelque 20 000 pharmacies d'officine constituent un levier important de l'accès aux soins. Leur proximité territoriale a été identifiée depuis 2017 comme permettant de répondre à certains besoins de la population, d'où notre choix de renforcer leurs missions.

Ces mesures en faveur de l'accès aux soins seront renforcées par la mise en place d'un réseau de 5 000 maisons France Santé d'ici à 2027 sur l'ensemble du territoire, comme s'y est engagé le Premier ministre.

Enfin, et parce que je connais le travail de longue date de votre commission sur le sujet, je tiens à évoquer la grande cause nationale qu'est la santé mentale. Entre 1990 et 2020, les crédits de la psychiatrie au sein de l'Ondam sont passés de 11 % à 6 %. Depuis 2019, nous rattrapons notre retard avec une augmentation des crédits de plus de 42 %, pour atteindre près de 13 milliards d'euros en 2025, avec 53 mesures nouvelles engagées depuis 2021.

L'Ondam hospitalier de ce PLFSS pour 2026 intègre ainsi 65 millions d'euros de mesures nouvelles pour appuyer les actions en santé mentale. Le triptyque « repérer, soigner, reconstruire » sera développé en 2026.

Grâce aux efforts collectifs que je mentionnais précédemment, ce PLFSS permettra de continuer à financer des mesures très concrètes pour les Français dès 2026. Ainsi, 800 millions d'euros seront dédiés à la revalorisation des professions de santé libérales - médecins, dentistes, orthophonistes, pharmaciens, biologistes, infirmières -, ce qui représente un engagement fort pour reconnaître leur rôle essentiel sur le terrain.

Je songe également aux 200 millions d'euros alloués à la prise en charge à 100 % de véhicules adaptés aux personnes en situation de handicap et au renforcement de la prévention vaccinale, notamment contre le méningocoque ; aux 200 millions d'euros programmés pour investir dans la formation et l'attractivité des métiers à l'hôpital afin de soutenir les soignants et d'attirer de nouveaux talents ; aux 300 millions d'euros destinés à poursuivre les grandes stratégies, qu'il s'agisse de la lutte contre le cancer, des soins palliatifs, des urgences, de la pédiatrie, du handicap à l'hôpital ou encore de la périnatalité.

Je pense enfin aux moyens supplémentaires pour le secteur médico-social, dont 250 millions d'euros pour permettre le recrutement de 4 500 professionnels supplémentaires en Ehpad, ainsi que 250 millions d'euros pour la poursuite du plan 50 000 solutions dans le secteur du handicap, et enfin 100 millions d'euros pour le développement de l'habitat intermédiaire, afin d'offrir aux personnes âgées ou handicapées des solutions adaptées.

Pour ce qui concerne la branche famille, les mesures de ce PLFSS préservent les fondamentaux de son universalité tout en s'adaptant aux demandes des parents d'aujourd'hui, afin d'offrir davantage de choix concrets aux familles.

Pour l'accueil de leurs jeunes enfants, le PLFSS pour 2026 permet ainsi la création très attendue d'un congé de naissance supplémentaire, bien rémunéré. Chacun des deux parents pourra le prendre pour une durée allant jusqu'à deux mois, soit quatre mois supplémentaires en cas d'alternance. En s'ajoutant aux congés de paternité et de maternité existants, il permettra donc d'atteindre les six mois de l'enfant, dans un contexte où près de 90 % des parents estiment désormais qu'il s'agit du meilleur mode de garde pendant cette période.

Cette mesure se fera par ailleurs au bénéfice de l'égalité femmes-hommes, en incitant les deux parents à s'impliquer conjointement dès les premiers mois. Nous pourrons bien sûr avoir des débats légitimes pour affiner ce congé de naissance, d'autant que je connais la qualité des travaux menés par les sénateurs - notamment Olivier Henno et Annie Le Houérou - sur le caractère insatisfaisant du congé parental tel qu'il résulte de la réforme de 2014.

Nous avons tenu compte des résultats des concertations menées en 2024, unanimes sur le fait que le congé de naissance ne devait pas conduire à la suppression du congé parental, dans un contexte d'offres de garde encore insuffisantes. Il s'agit bien d'un droit supplémentaire et il nous reviendra collectivement, dans un second temps, de réformer le congé parental à l'aune de la montée en charge du congé de naissance et de l'amélioration de la couverture en offres de garde, afin qu'il ne soit plus un choix contraint pour les femmes, comme c'est encore trop souvent le cas aujourd'hui.

Toujours dans cet objectif d'offrir une palette de choix concrets et de qualité pour l'accueil de l'enfant, le PLFSS vient également conforter la trajectoire financière de la branche famille en accompagnant la mise en oeuvre du service public de la petite enfance pour l'offre de garde formelle, avec le déploiement en année pleine de la réforme du complément de libre choix de mode de garde (CMG), pour un coût de 600 millions d'euros par an.

Cet effort se traduit aussi par la poursuite de la trajectoire d'investissement dans la création de places de crèche : 35 000 nouvelles places sont prévues, en renforçant la dynamique avec les communes qui sont, depuis le 1er janvier 2025, les autorités organisatrices de l'accueil des jeunes enfants.

En conclusion, j'aurai à coeur de travailler avec vous sur ce PLFSS pour 2026, et je souligne la nécessité d'adopter un budget pour notre sécurité sociale d'ici à la fin de l'année si nous souhaitons que des mesures nouvelles y figurent.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées. - L'adoption du PLFSS pour 2026 est une nécessité pour pouvoir porter des mesures nouvelles, par exemple pour continuer à créer des places supplémentaires pour les enfants et les adultes en situation de handicap.

Il vous est proposé, au travers de ce texte, de poursuivre l'effort engagé à la suite de l'annonce, par le Président de la République, d'un plan de création de 50 000 solutions nouvelles lors de la Conférence nationale du handicap de 2023. Une véritable dynamique s'est enclenchée en 2025 : nous avons dépassé à ce jour les 12 000 solutions et avons bon espoir d'atteindre l'objectif de 15 000 solutions qui a été fixé pour cette année. Pour l'année à venir, une enveloppe de 250 millions d'euros devrait nous permettre d'avancer et d'atteindre la moitié de l'objectif des 50 000 solutions à la fin 2026, y compris avec le déploiement de solutions plus complexes, qui permettront de répondre à des situations plus lourdes.

Par ailleurs, ce PLFSS porte, malgré un contexte budgétaire contraint, une ambition pour l'autonomie et le handicap : l'augmentation de plus de 1,5 milliard d'euros du budget traduit bien la volonté du Gouvernement de poursuivre nos politiques publiques à destination des personnes en situation de handicap.

Ce même texte pose des jalons en vue de la réforme de la tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) s'occupant des enfants. Ce travail, en cours depuis une dizaine d'années, commencera ainsi à prendre corps : 2026 sera une année blanche qui permettra aux établissements d'estimer l'impact de cette réforme tarifaire sur leurs budgets, tandis que nous prévoyons un budget de 360 millions d'euros pour accompagner cette réforme de la tarification et éviter tout risque financier pour leur équilibre.

Cette méthode permettra auxdits établissements de s'engager dans cette dynamique très forte de transformation de l'offre, nombre d'entre eux ayant déjà commencé à s'engager dans cette voie, mais sans être rémunérés à la hauteur des ambitions qu'ils portent. C'est tout l'objet de cette nouvelle tarification, qui représente une étape importante dans la réponse que nous apportons à nos concitoyens en situation de handicap : nous souhaitons en effet nous assurer que les professionnels construisent des réponses en fonction de leurs projets, de leurs attentes et de leurs souhaits.

Je mentionne, en outre, la poursuite du plan d'action dédié aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), notamment afin de simplifier les démarches administratives de nos concitoyens. L'apport d'effectifs supplémentaires est également prévu dans ces établissements, afin de permettre un rendez-vous physique lors des primo-demandes et de mieux accompagner les personnes dans ces démarches complexes, en s'assurant d'apporter la réponse la plus appropriée.

De surcroît, 2026 sera une année pleine d'application de la réforme de la prise en charge des fauteuils roulants, qui entre en vigueur au 1er décembre 2025 : de nombreuses personnes attendent cette échéance afin de pouvoir bénéficier d'un équipement.

J'en viens à nos aînés, en rappelant que nous sommes engagés sur une trajectoire de renforcement des effectifs dans les Ephad, à la fois pour améliorer la prise en charge de la dépendance et les conditions de travail des professionnels. Là encore, je ne peux que souligner la nécessité d'adopter ce PLFSS si nous souhaitons mieux accueillir nos aînés.

Nous continuons aussi à renforcer le soutien à nos aînés à domicile, notamment avec le déploiement des centres de ressources territoriaux qui viendront appuyer les structures d'aide à domicile pour apporter du soutien aux personnes particulièrement dépendantes.

Sur un autre aspect, ce PLFSS entérine l'ambition de développer une nouvelle offre pour répondre aux besoins de nos personnes âgées puisque nous prévoyons d'investir 100 millions d'euros supplémentaires en vue de créer 10 000 places supplémentaires d'habitats intermédiaires et d'habitats partagés. Nous sommes convaincus de la nécessité de développer cette offre pour permettre à nos aînés de trouver des solutions alternatives en fonction de leur état de santé, et pour soutenir le maintien à domicile et l'autonomie.

Ce volet s'accompagne, justement, d'une stratégie de prévention de la perte d'autonomie : la Conférence nationale de l'autonomie, qui s'est récemment ouverte, prendra véritablement corps cette année, ce qui permettra de soutenir les initiatives en matière de prévention de la perte d'autonomie partout sur les territoires.

Je mentionne également, à ce sujet, le déploiement du programme Icope, qui invite nos concitoyens à effectuer leur autodiagnostic et à prendre connaissance d'une série de recommandations relatives à la préservation et au maintien de leur autonomie.

J'y ajoute la stratégie concernant les maladies neurodégénératives, qui permet à la fois d'investir dans la recherche et d'offrir des solutions pour soutenir le maintien de l'autonomie de nos concitoyens atteints de ces pathologies.

Enfin, je tiens à évoquer la question des aidants, qui représente un enjeu majeur : un Français sur cinq aide désormais un proche, cette proportion étant appelée à s'accroître du fait du vieillissement de la population. Tenant compte de cet état de fait, nous développons les solutions de répit, notamment dans le cadre du plan 50 000 solutions, et avons récemment publié le décret qu'attendait notamment Mme Guidez, là aussi afin d'apporter des réponses de qualité aux aidants.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - L'article 7 du PLFSS prévoit la création d'une taxe ponctuelle sur les cotisations versées aux organismes complémentaires d'assurance maladie. Son taux a d'abord été fixé à 2,05 % pour obtenir un rendement comparable au montant d'économies qui aurait pu résulter d'un transfert de charges aux complémentaires santé sur les soins médicaux, taux qui a été abandonné après avoir été envisagé lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Il a toutefois été réévalué à 2,25 % pour tenir compte du décalage de la réforme des retraites.

Pourriez-vous justifier le choix de faire porter sur ces organismes complémentaires, et donc in fine sur les malades, le coût du décalage de la réforme des retraites ? Sans revenir sur l'opportunité de ce décalage - vous connaissez bien, j'imagine, la position du Sénat sur la question -, n'y avait-il pas d'autres manières de financer cette mesure ?

Par ailleurs, dans son rapport intitulé Charges et produits, la Cnam semble suggérer qu'il n'est pas possible de ramener la branche maladie à l'équilibre d'ici à 2030 sans augmentation substantielle des recettes, problématique que nous avions identifiée avec Mme Poncet Monge à l'issue de notre rapport d'information intitulé Sécurité sociale : la boîte à outils du Sénat. Pouvez-vous nous indiquer votre point de vue sur le sujet ?

J'y ajoute une interrogation sur la problématique des dépassements d'honoraires souvent perçus - à juste titre - comme injustes par nos concitoyens. Des établissements, tant publics que privés, nous ont indiqué que ces dépassements finançaient des postes de personnels accompagnant les chirurgiens, ainsi que des équipements, et qu'ils ne pourraient guère fonctionner sans ces revenus.

Il me semble que les dépassements d'honoraires ont été acceptés au fil du temps dans la mesure où l'assurance maladie n'a pas suffisamment revalorisé les prix de certains actes de soins : qui décide de la révision du tarif de ces actes ? Évolue-t-il en fonction des progrès technologiques ? Il semblerait que certains médecins et chirurgiens soient contraints de pratiquer ces dépassements d'honoraires faute de voir leur travail rémunéré à son juste prix.

Sur un autre point, où en est la biologie délocalisée ? Alors qu'il s'agit d'un moyen d'aller vers des populations peu mobiles ou éloignées du soin, rien ne semble avoir évolué, la rédaction d'un arrêté d'application étant attendue depuis 2019. Il s'agit pourtant d'un moyen d'action formidable dans les territoires ruraux, ainsi que dans les Ehpad.

J'en termine avec les enjeux de production de médicaments sur notre territoire et de sécurité d'approvisionnement des patients. L'article 10 du PLFSS crée de nouvelles contributions supplémentaires pour l'industrie pharmaceutique, dans un contexte de baisse des prix.

Nous avons souvent dit qu'il était préférable que les médicaments soient produits en France, ou à tout le moins en Europe : dans un contexte de tension sur les coûts et de fragilisation de certaines lignes industrielles, il paraît essentiel que ces ajustements à la hausse puissent concilier la régulation budgétaire, le maintien de la production et la sécurité d'approvisionnement.

Pouvez-vous donc préciser, madame la ministre, la manière dont le Gouvernement entend articuler la mise en oeuvre de cette nouvelle contribution avec le dialogue conventionnel mené dans le cadre du Comité économique des produits de santé (CEPS), de façon à autoriser des révisions de prix à la hausse lorsque celles-ci sont nécessaires au maintien de la production et à la sécurisation des approvisionnements ?

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour la branche assurance maladie, en remplacement de Mme Corinne Imbert. - Mesdames les ministres, je remplace aujourd'hui Corinne Imbert, qui n'a malheureusement pas pu se joindre à nous.

Le PLFSS pour 2026 prévoit une hausse de l'Ondam limitée à 1,6 %, contre une moyenne de 4,8 % ces dernières années. Nous nous interrogeons donc, d'une part, sur la crédibilité de cet objectif, alors que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge que les économies liées aux mesures d'efficience sont peu documentées ; d'autre part, sur la pertinence de cet objectif au regard des besoins de notre système de santé. Je pense en particulier au sous-financement des établissements de santé, qui sont déjà dans une situation particulièrement dégradée et pour lesquels le Ségur de la santé n'a pas été entièrement compensé, comme le directeur général de la Cnam l'a lui-même reconnu devant notre commission.

L'Ondam pour 2026 vous semble-t-il donc crédible et tenable sans réformes et réorganisations structurelles ? Vous avez d'ailleurs mentionné une augmentation du budget pour certains secteurs tels que la psychiatrie, et il faudra bien répercuter celles-ci.

La médecine française repose sur deux jambes : la médecine libérale et la médecine hospitalière. Or plusieurs mesures de ce PLFSS attaquent frontalement la médecine libérale, et vous avez d'ailleurs évoqué la notion de « rentabilité excessive », dont la définition m'interroge : est-elle ainsi caractérisée uniquement par comparaison, ou bien considérez-vous ces praticiens comme des rentiers, comme c'est le cas à l'article 24 ? L'article 31 prévoit pour sa part de sanctionner les professionnels n'utilisant pas le DMP, tandis que l'article 26 vise à surtaxer les dépassements d'honoraires.

Les syndicats de médecins alertent sur le fait que le secteur 1 n'est plus très rentable à l'heure actuelle, et soulignent que la médecine libérale est aujourd'hui durablement fragilisée. La mesure prévue à l'article 26 vise tous les médecins pratiquant des dépassements d'honoraires plutôt que de cibler des dépassements abusifs. Pourquoi n'avoir pas envisagé un autre équilibre ?

Enfin, le départ de Mme Vautrin à d'autres fonctions m'amène à m'interroger sur le devenir du registre des naissances qu'elle avait promis à la suite de nos travaux portant sur les maternités.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - De nouveau, la branche autonomie est relativement préservée cette année par rapport aux autres branches, avec une augmentation de l'objectif de dépenses de 3,5 %. Cette dernière est tout à fait cohérente avec le défi démographique auquel nous sommes confrontés, et je ne peux donc que m'en féliciter.

Si la hausse des moyens s'impose, elle ne doit pas nous exonérer d'un travail sur l'efficience de la dépense. Le Gouvernement annonce justement, dans le dossier de presse du PLFSS, que l'article 38 sera complété par des mesures de maîtrise de la dépense d'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de prestation de compensation du handicap (PCH), qui seront portées par voie réglementaire. Pouvez-vous détailler ces dernières ?

J'en viens à l'article 36, qui prévoit le lancement en 2027 de la réforme dite « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées » (Serafin-PH), engagée depuis une dizaine d'années, dans les structures pour enfants et jeunes adultes en situation de handicap. Le nouveau régime de financement devra notamment inciter à la transformation de l'offre. Quels seront, plus précisément, les objectifs de ces incitations tarifaires ?

Enfin, le déploiement du plan de création de 50 000 solutions médico-sociales devrait malheureusement ralentir en 2026 en raison du contexte budgétaire, alors que le manque de places en établissement reste criant dans certains territoires. L'objectif de 50 000 solutions créées à l'horizon 2030 est-il maintenu malgré ce ralentissement ? J'élargis cette question aux recrutements en Ehpad qui risquent également de connaître un freinage l'an prochain. L'objectif des 50 000 recrutements dans ces structures est-il maintenu ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Le congé de naissance paraît, pour employer une formule à la mode, un peu « light » aux yeux du Sénat, puisque sa durée de deux mois est bien inférieure aux six mois que nous avions préconisés dans notre rapport d'information. Pourquoi ne pas avoir envisagé une refonte du maquis des congés parentaux attendue par les familles, malgré le solde excédentaire de la branche famille ?

Concernant la crise de recrutements qui affecte les métiers de la petite enfance, quelles réponses envisagez-vous ?

J'en viens à l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui me tient particulièrement à coeur : les parcours des enfants placés sont de plus en plus chaotiques et génèrent des ruptures affectives, alors qu'ils ont besoin de stabilité. Prévoyez-vous des mesures pour sécuriser ces parcours ?

Sur un point qui dépasse le cadre du PLFSS, il semble que les allocations familiales ne seraient plus bonifiées à partir de 14 ans, mais à partir de 18 ans : pourriez-vous préciser ce point ?

En ce qui concerne la fraude sociale, les administrations sociales demandent à bénéficier des mêmes droits d'action que le fisc, notamment pour l'accès aux fichiers des données téléphoniques et des compagnies aériennes, ou encore aux comptes en banque à l'étranger : une telle évolution est-elle, selon vous, envisageable ?

Enfin, compte tenu de la nature des débats autour du projet de loi de finances (PLF) à l'Assemblée nationale, pourriez-vous dire quelques mots concernant votre volonté de tenir la ligne politique d'un déficit plafonné à 17 milliards d'euros ?

Mme Pascale Gruny, président, rapporteur pour la branche vieillesse. - L'article 44 du PLFSS prévoit de ne pas revaloriser, en tenant compte de l'inflation, toutes les prestations sociales qui le sont automatiquement au regard de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale. Les représentants des administrations centrales que nous avons entendus nous ont indiqué que le législateur recourait ainsi pour la première fois à un gel qui s'appliquait à toutes les prestations : jusqu'alors, les mesures de gel ou de sous-indexation étaient ciblées afin de préserver certains publics vulnérables. Pourquoi faire un tel choix ?

Je m'interroge aussi sur la non-revalorisation de l'allocation de l'adulte handicapé (AAH) et de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH). Avez-vous une idée des économies générées par la non-revalorisation de ces prestations ? Ne serait-il pas possible de les exclure de la mesure ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. - Madame la rapporteure générale, la taxe sur les complémentaires a certes été revue à la hausse à la suite de la lettre rectificative relative à la réforme des retraites.

Je rappelle qu'il est question d'une copie de départ et que le Gouvernement est ouvert aux évolutions de ce texte, en restant dans un cadre permettant de ramener le déficit en dessous de la barre des 5 % ; pour la sécurité sociale, il s'agit de suivre une trajectoire à même de maintenir la pérennité du système, et donc de contenir le déficit à hauteur de 17 milliards d'euros.

La taxe sur les complémentaires reflète le caractère partagé des efforts demandés dans ce budget, puisque les assurés comme les laboratoires de l'industrie pharmaceutique sont mis à contribution. Je m'apprête à lancer une mission associant deux personnalités qualifiées au sujet de la coordination entre ces organismes complémentaires et l'assurance maladie, car il me semble important de pouvoir travailler, pour les années à venir, à une évolution de notre modèle de financement.

Concernant les recettes, nous savons tous que le déficit est durable - notamment pour la branche maladie - en raison du vieillissement de la population, qui est synonyme d'une augmentation du nombre de maladies chroniques. Nous devons malgré tout maîtriser ces dépenses afin de préserver la soutenabilité de notre modèle de protection sociale, et il me semble indispensable d'avoir un débat de fond sur son financement pour les années à venir, là encore du fait d'une réalité démographique qui s'impose à nous.

S'agissant des dépassements d'honoraires, la cotation des actes est fixée dans le cadre de négociations conventionnelles entre les syndicats et la sécurité sociale, une nouvelle négociation étant prévue en 2026. L'article relatif aux dépassements d'honoraires évoluera probablement au fil des débats parlementaires : selon moi, le sujet doit être mis en perspective avec celui des franchises médicales et, plus largement, avec l'enjeu du reste à charge final des patients.

Un rapport remis par deux députés a souligné que les dépassements, de plus en plus nombreux, atteignent des niveaux très élevés : à titre personnel, je ne crois pas qu'il faille envisager leur interdiction, mais il conviendrait de les ramener à des niveaux plus raisonnables. La copie est entre vos mains et le débat parlementaire nous permettra d'avancer sur ce sujet.

Pour ce qui concerne la biologie délocalisée, la HAS va préciser les contours de son déploiement, qui interviendra en 2026.

J'en viens à la problématique des médicaments et de l'industrie pharmaceutique : une fois encore, ce budget, difficile et contraignant, demande des efforts à l'ensemble des acteurs, ce qui se traduit par une baisse des tarifs de 1,6 milliard d'euros pour ces entreprises.

Pour ce secteur, une mesure importante de simplification a été mise au point : d'une part, nous conservons un filet de sécurité par le biais d'une clause de sauvegarde dont le montant est suffisamment élevé pour qu'elle ne soit plus forcément déclenchée tous les ans, mais seulement lorsque les dépenses s'emballent. D'autre part, nous créons une taxe plus prévisible et plus simple pour les industriels, ce qui leur permettra d'anticiper, d'une année sur l'autre, les montants qu'ils devront acquitter.

Madame Lassarade, l'Ondam est en effet l'un des plus bas depuis longtemps : il reflète la nécessaire maîtrise des dépenses de l'assurance maladie et nous verrons comment se déroulent les débats sur ce point. Malgré tout, cet Ondam permet des mesures nouvelles, dont une enveloppe supplémentaire pour la psychiatrie, ainsi que des mesures de revalorisation pour les gardes et les astreintes des professionnels.

J'en viens à la rentabilité, en précisant que je n'entends pas stigmatiser qui que ce soit. Je rappelle que la rentabilité correspond au ratio entre l'excédent brut d'exploitation et le chiffre d'affaires, ce qui permet de constater que certains secteurs affichent des taux de rentabilité aux alentours de 27 %, là où les établissements privés lucratifs enregistrent un taux compris entre 3 % et 4 %. En tant que responsable du budget de la sécurité sociale, je me dois de m'interroger sur ces disparités, qui mettent en cause le financement de l'assurance maladie.

Des négociations conventionnelles doivent avoir lieu entre les secteurs concernés et l'assurance maladie : si ces dernières n'aboutissent pas, l'assurance maladie prendra la main pour diminuer les tarifs, comme cela a été le cas dans le domaine de la radiologie. À ce stade, les négociations ne sont pas closes et il faut donc encourager les professionnels à se remettre à la table des discussions afin de trouver des moyens d'améliorer la situation et de faire en sorte que chaque euro de la sécurité sociale soit dépensé à bon escient.

Monsieur Henno, la durée de congé de naissance est précisément de deux mois pour chacun des parents, ce qui permet, en ajoutant les congés de paternité et de maternité, d'aller jusqu'aux six mois de l'enfant.

Cette mesure est autofinancée, dans le cadre du sérieux budgétaire qui est proposé dans ce texte, grâce au décalage de la majoration des allocations familiales de 14 ans à 18 ans. Cette mesure tient compte de plusieurs travaux - notamment ceux de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) - qui montrent que le coût d'un enfant est sensiblement plus élevé une fois entré dans l'âge adulte plutôt qu'à 14 ans.

Ce décalage permet donc de financer le congé de naissance de quatre mois, qui est rémunéré à hauteur de 70 % du salaire net le premier mois et à hauteur de 60 % du salaire net le deuxième mois.

J'en arrive à la crise de recrutement dans les métiers de la petite enfance, qui représente un défi majeur. Dans ce domaine, le travail est mené en lien avec les collectivités dans le cadre du développement du service public de la petite enfance, et nous devrons continuer à renforcer l'attractivité de ces métiers.

Pour ce qui est de l'ASE, Mme Vautrin avait travaillé sur un projet de loi que je reprendrai et que je porterai aux côtés de Gérald Darmanin, lui aussi très engagé sur ce sujet.

Enfin, la lutte contre la fraude constitue tout l'enjeu du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales qui vous sera soumis le 12 novembre. Le croisement des fichiers, bancaires ou autres, est au coeur des mesures envisagées.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Madame Deseyne, vous avez évoqué les dispositions relatives à l'efficience de certaines dépenses, en particulier de l'APA et de la PCH. L'article 38 doit permettre, dans le cas où la personne est indemnisée par une compagnie d'assurances, de s'assurer que le département ne prenne pas en charge les dépenses liées à ces prestations, en veillant ainsi à l'absence de doublons.

J'avais lancé, en lien avec l'association Départements de France, une réflexion visant à identifier des mesures de bonne gestion permettant de contenir des dépenses de PCH et d'APA en croissance rapide. Parmi elles figurait l'harmonisation des taux de conjugalisation, ainsi qu'une meilleure prise en compte des ressources du foyer fiscal. Les réflexions engagées ont été interrompues par la chute du précédent gouvernement, mais le processus reprend.

Quant à la réforme Serafin-PH, il est bien question d'un changement de modèle, les tarifications des établissements étant assez anciennes et ne correspondant plus à une dynamique de transformation de l'offre par laquelle nous souhaitons nous orienter davantage vers des réponses « sur mesure », en accompagnant davantage les personnes dans leur vie quotidienne, leurs projets professionnels ou leur vie scolaire.

Ce mouvement modifie les besoins de financement et la réforme, de longue haleine, vient l'accompagner. Le nouveau modèle a fait l'objet de nombreux travaux, menés en lien avec les associations et avec les représentants des ESSMS. Comme je l'indiquais précédemment, une année blanche a été prévue en 2026 pour anticiper les impacts de la réforme sur les structures, ainsi qu'un financement suffisant pour éviter que certains établissements ne soient perdants. Une partie d'entre eux se sont déjà engagés dans la démarche de transformation et doivent pouvoir bénéficier de financements adaptés.

Enfin, pour ce qui est des recrutements, nous maintenons l'objectif de 50 000 ETP pour les Ephad, même si un ralentissement sera à l'oeuvre en 2026 compte tenu du contexte budgétaire et des difficultés à embaucher. Cette démarche se conjugue à la révision des coupes Pathos, qui permettra de mieux évaluer les besoins réels des personnes en fonction de leur niveau de santé et de dépendance et d'ajuster le financement des Ehpad. Ceux-ci vont d'ailleurs bénéficier, dans vingt-trois départements, de la fusion des sections soins et dépendance.

Concernant les 50 000 solutions pour les personnes en situation de handicap, le ralentissement sera modéré en 2026. Certes, nous prévoyons un moindre nombre de nouvelles solutions, mais en privilégiant, plus que la quantité, la création d'unités nouvelles qui nécessitent davantage de temps et de ressources afin de s'adapter à des situations complexes : il peut s'agir, par exemple, de répondre aux besoins d'enfants pris en charge par l'ASE et qui souffrent également de handicap.

M. Laurent Burgoa. - En qualité de rapporteur pour avis de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dans le cadre du PLF, j'observe avec intérêt les conséquences de l'article 44 du PLFSS pour 2026 sur les dépenses sociales.

En effet, le gel des prestations et pensions concerne également le montant de l'AAH, du revenu de solidarité active (RSA) et de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. Nous aurons à coup sûr des débats sur le périmètre de ce gel, notamment concernant l'AAH, qui représenterait 160 millions d'euros d'économies.

J'entends aussi bien les voix qui s'élèvent pour souligner la singularité de la politique d'autonomie que celles qui insistent sur l'importance d'un gel uniforme pour renforcer l'acceptabilité et la lisibilité de la mesure.

En revanche, ce qui relève du courage politique ne doit pas tourner à l'acharnement. Comment justifiez-vous, madame la ministre, de réduire, en sus de cette mesure déjà difficile, le bénéfice de la prime d'activité pour les bénéficiaires de l'AAH au sein du PLF ?

Quant au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), dont l'activité ne cesse d'augmenter du fait du vieillissement de la population, le budget prévoit une augmentation de 2 % des crédits - soit 15 millions d'euros - alors que l'extension de la prime du Ségur à cette profession coûte, dans le même temps, 34 millions d'euros. Afin de résoudre l'équation, vous comptez sur « une mesure d'efficience à venir en 2026 ». Pouvez-vous préciser ce point et nous assurer que vous ne financerez pas le Ségur par une augmentation des mesures de placement exercées par les mandataires ?

Mme Chantal Deseyne. - Je relaie une question d'Alain Milon : l'expérimentation du dispositif d'accès direct, arrivé à échéance en juillet 2025, a démontré toute sa pertinence pour accélérer la mise à disposition de médicaments innovants au bénéfice des patients, et renforcer l'attractivité du système de santé français, en complément des dispositifs d'accès précoce existants.

L'article 34 du PLFSS pour 2026 va dans le bon sens : il vise à harmoniser les dispositifs d'accès dérogatoire et à clarifier leur articulation, en recentrant notamment l'accès direct sur les médicaments innovants disposant de données cliniques définitives. Toutefois, selon l'étude d'impact annexée à cet article, la publication du décret d'application n'est envisagée que pour le premier semestre 2026, si le calendrier est respecté.

D'ici là, plusieurs innovations thérapeutiques demeurent en attente, alors qu'elles pourraient relever du dispositif d'accès direct. Cette situation risque de créer une période de rupture pour les patients comme pour les établissements de santé, alors même que la dynamique engagée par l'expérimentation a démontré son efficacité et son utilité.

Quelles dispositions le Gouvernement entend-il prendre pour éviter cette discontinuité, notamment en prolongeant temporairement le dispositif expérimental jusqu'à la publication du décret, afin de garantir la continuité des soins, de prévenir toute errance thérapeutique et de préserver l'attractivité de la France pour l'innovation en santé ?

Mme Anne Souyris. - L'efficience est très présente dans ce texte, mais qu'entend-on par là ? S'agit-il d'économies quantitatives ou d'apprécier ce qui est utile pour le patient ? Dans un contexte de financiarisation de la santé, un certain nombre d'actes - par exemple, des radios panoramiques systématiques chez le dentiste - ne sont pas utiles aux patients et coûtent cher à la sécurité sociale. Pouvez-vous donc préciser cette notion d'efficience ? Des objectifs sont-ils fixés afin de lutter contre la financiarisation ?

Le PLFSS prévoit une baisse des tarifs de remboursement de certains actes dont la hausse paraît suspecte. On comprend bien l'idée. Mais ce qui serait intéressant, ce serait d'empêcher la prescription d'actes, d'ailleurs toujours par les mêmes structures, qui ne servent à rien. La simple baisse des tarifs de remboursement aura pour seul effet d'augmenter le reste à charge pour les patients. Est-ce vraiment utile en termes d'économies ? Et n'est-ce pas contreproductif en termes de qualité des soins et du point de vue du principe d'égalité ?

Je salue la prise en charge, prévue à l'article 19, de prestations d'accompagnement préventif dédiées pour les ALD. C'est vraiment une avancée. Toutefois, ce qui est indiqué à la dernière ligne de l'exposé des motifs m'inquiète un peu : « En parallèle, le Gouvernement saisira la HAS sur les critères d'admission en affection de longue durée afin de clarifier l'articulation avec ce nouveau dispositif. » J'espère que ce ne sera pas un prétexte pour revoir ces critères à la baisse ; nous avons déjà eu quelques petits signaux d'alerte.

Dans ce PLFSS, il n'y a rien, ou presque, sur la santé environnementale. Or, du point de vue de la prévention, nous aurions intérêt à avoir une véritable réflexion, par exemple, sur le lien entre le réchauffement climatique et les questions de santé publique.

Je n'ai pas bien compris en quoi consistaient les maisons France Santé, notamment en termes de structuration. S'agit-il de centres de santé ? De maisons de garde ? De nouvelles structures de permanence des soins ?

L'expérimentation relative aux haltes soins addictions, dont trois évaluations ont montré le caractère extrêmement positif, en termes tant de santé publique que d'économies pour la sécurité sociale, prend fin cette année. J'espère que ces structures seront pérennisées.

Mme Jocelyne Guidez. - À mon sens, la psychanalyse pourrait faire partie des prestations non efficientes ; nombre d'associations, le délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement et la HAS ne reconnaissent pas l'efficacité de cette pratique. Serait-il envisageable d'exclure la psychanalyse ou des prestations s'y référant d'une prise en charge intégrale ?

Le PLFSS pour 2026 prévoit une baisse de 22,3 millions d'euros d'aides aux postes pour les entreprises adaptées, soit la suppression de 3 000 postes financés. Cela fragiliserait directement l'emploi dans les entreprises adaptées. Le Gouvernement entend-il revoir la trajectoire budgétaire appliquée à ces entreprises adaptées ?

Dans le même esprit, l'extension du Ségur aux entreprises adaptées, prévue par un accord de branche du 4 juin 2024, va contraindre les employeurs à verser une prime, alors même que leur situation financière ne le permet pas. C'est incompréhensible. Est-il envisagé d'exclure les entreprises adaptées du Ségur ?

Mme Maryse Carrère. - Dans le dossier de presse qui nous a été communiqué, il est évoqué une baisse du taux de remboursement des cures thermales. Mais aucune disposition en ce sens, semble-t-il, ne figure dans le texte qui a été transmis à l'Assemblée nationale. Réduire la prise en charge des cures thermales reviendrait à fragiliser près de 500 000 patients. La mesure de déremboursement partiel est-elle abandonnée ? Ou bien envisagez-vous de procéder par voie réglementaire ? En réponse à un député, vous avez indiqué qu'une telle évolution permettrait de faire rentrer dans le « droit commun » le remboursement du thermalisme. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par « droit commun » ?

Nous avons noté dans le PLFSS pour 2026 une augmentation de l'objectif des dépenses de la branche autonomie de 3,5 %. Y aura-t-il suffisamment de financements pour couvrir les besoins réels des Ehpad en matière de personnels, d'entretien, de matériel, d'investissement et de revalorisation des salaires ? Selon de nombreux rapports, la trajectoire financière prévue ne permet pas d'atteindre les objectifs annoncés, notamment les 0,8 équivalent temps plein (ETP) par résident à l'horizon 2030 dans les Ehpad.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je relaie une question posée lundi dernier lors du colloque de l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP). L'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale prévoit que les indemnités de fonction des élus locaux doivent être en partie exclues du calcul des ressources pour l'allocation aux adultes handicapés (AAH), mais aucun décret d'application n'a été publié à ce jour. Ce sont donc les règles de droit commun sur les revenus d'activité qui s'appliquent en pratique. À l'approche des élections municipales, le Gouvernement entend-il publier rapidement le décret, afin de rendre effectif le droit de toute personne handicapée à exercer un mandat électif dans les mêmes conditions que tout autre citoyen ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Plusieurs rapports préconisent d'exclure les soins en ostéopathie des contrats responsables des mutuelles, ce qui suscite une vive inquiétude parmi ces professionnels de santé, mais également chez les patients. Je le rappelle, l'ostéopathie est une profession de santé agréée, dont l'efficacité en termes de prévention et de soulagement des douleurs chroniques en fait un soin plébiscité par les malades. Si ces rapports n'ont heureusement pas conduit le ministère à prendre une telle mesure d'exclusion de l'ostéopathie, pouvez-vous nous assurer que ce ne sera pas le cas ? Un décret est-il en préparation à cet égard ? Si oui, pouvez-vous nous en détailler le contenu ?

Le PLFSS comprend un volet sur le financement des unités de soins palliatifs. Actuellement, plus d'une vingtaine de départements en sont totalement dépourvus. L'engagement qui a été pris de déployer ces unités sur l'ensemble du territoire sera-t-il concrétisé ? Si oui, dans quels départements et à quelle échéance ?

Mme Brigitte Bourguignon. - Élaborer un PLFSS, c'est, certes, mobiliser des moyens et fixer des orientations, mais c'est parfois aussi savoir assouplir les règles, afin que les dispositifs votés puissent devenir réellement efficients, et accompagner l'innovation.

Vous avez évoqué le maillage territorial. Dans certains territoires ruraux, l'installation d'officines et de pharmacies fait cruellement défaut. Je connais dans mon département des communes de moins de 2 500 habitants qui ont des projets en la matière, mais qui ne sont pas suffisamment accompagnées. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a abordé cette problématique. Nous avons besoin de visibilité.

La semaine dernière, nous avons auditionné M. Lecerf, président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). L'une de nos priorités partagées est d'éviter les ruptures de parcours pour les personnes âgées entre le domicile et les Ehpad. Il existe des solutions innovantes : l'habitat intermédiaire en fait partie. Le problème est qu'il manque toujours un acteur ou un morceau de financement à la clé. Pourquoi ne pas utiliser les expérimentations au titre de l'article 51 pour couvrir les projets concernés pendant vingt-quatre ou trente-six mois, avec un calendrier lisible et, si possible, un guichet unique et une clause de revoyure ? Dans une période où les Ehpad manquent de place et où les domiciles ne sont plus sécurisés, je pense que nous ne pouvons plus attendre pour tester de solutions pragmatiques.

Mme Céline Brulin. - « Volonté de dialogue », dites-vous...

À peu près tout le monde juge l'Ondam que vous proposez intenable. Or lorsque l'Ondam pour 2025 a subi un dépassement de 0,5 %, le Gouvernement a pris des mesures d'économies, sans consulter le Parlement ni les acteurs concernés, et certains professionnels, comme les kinésithérapeutes, entre autres, ont vu leur revalorisation retardée de six mois. Le fait de présenter cette année un Ondam aussi faible ne signifie-t-il pas qu'il est quasiment certain qu'il sera dépassé et donc que le Gouvernement prendra demain des mesures qui ne sont pas sur la table aujourd'hui, mais qu'il conviendrait d'annoncer dès à présent, ne serait-ce que pour la clarté des débats et la démocratie ?

Vous indiquez que, sur les franchises médicales et les participations forfaitaires, l'effort demandé serait « modéré ». Je n'utiliserai pas ce qualificatif, puisque vous prévoyez un quadruplement de ces franchises et participations forfaitaires en trois ans.

Vous avez aussi dit que la protection sociale des Français était, en quelque sorte, « offerte ». Non, elle ne l'est pas ! Ce sont nos concitoyens, salariés et employeurs, qui cotisent. Je crois qu'il est toujours utile de le rappeler...

On entend également qu'il faut « responsabiliser » les patients. C'est peut-être vrai pour certains. Mais lorsque 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, lorsque nous subissons des pénuries de médicaments, qui doit être « responsabilisé » ?

Les complémentaires santé vont répercuter sur leurs assurés l'effort de plus de 1 milliard d'euros qui leur est demandé.

Je vous rejoins sur les dépassements d'honoraires, qui sont un vrai problème éthique, économique et social. Mais le fait de les taxer va se répercuter sur les patients, qui n'ont parfois pas d'autre choix que de consulter ces professionnels pratiquant des dépassements. Pourquoi ne pas plutôt plafonner ces dépassements, voire les interdire, afin d'éviter qu'une éventuelle taxation ne se répercute sur les patients ?

Voilà quelques années, une réflexion avait commencé à s'amorcer pour que le financement, notamment, des hôpitaux - j'élargirai le propos à la santé en général - ne soit pas uniquement basé sur des tarifications à l'activité. Un financement plus populationnel, par forfait, était envisagé. Cette réflexion semble avoir disparu des radars... Le mode actuel de financement encourage de fait la multiplication des actes, quand d'autres systèmes permettraient peut-être de limiter ceux qui sont inutiles, voire inefficients.

Dans sa « volonté de dialogue », le Gouvernement est-il prêt à ouvrir le débat sur les exonérations de cotisations sociales, qui représentent aujourd'hui à peu près quatre fois le montant du déficit de la sécurité sociale ? Les exonérations sur les seuls apprentis ne me semblent pas être la cible à privilégier...

M. Daniel Chasseing. - Le déficit de la sécurité sociale, de 23 milliards d'euros en 2025, atteindra peut-être 30 milliards en 2027. Le nombre de retraités augmente, passant de 4 millions en 1980 à 20 millions en 2025. La suspension de la réforme des retraites va représenter un coût supplémentaire de 7 milliards d'euros en 2030, année où le déficit du système de retraites atteindra 14 milliards d'euros. La hausse du nombre de personnes de plus de 85 ans va entraîner une augmentation des besoins de prise en charge dépendance et ALD.

La CNSA privilégie le maintien à domicile et la création de maisons d'autonomie ou maisons partagées. Dans ce cas, il faut augmenter le nombre de postes en services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et en services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), ainsi que dans les Ehpad, où il n'y aura alors plus que des personnes très dépendantes. Quelle est votre vision à cet égard, madame la ministre ?

Avec mes collègues Céline Brulin et Jean Sol, nous avons remis un rapport sur la dégradation de la santé mentale, première cause de suicide des 12-24 ans. Nous avons noté de problèmes de manque de personnel : le nombre de pédopsychiatres a diminué de 40 % depuis 2010 alors celui des enfants hospitalisés a doublé au cours de la même période. Or nous avons aussi constaté combien les infirmiers en pratique avancée (IPA) en psychiatrie étaient utiles aux équipes médicales. Pourquoi ne pas commencer par augmenter le nombre de postes en IPA psychiatrie ? Michel Barnier avait parlé de « grande cause nationale ». Il n'y a pas de grande cause nationale sans financements.

Mme Marion Canalès. - L'article 28, qui supprime la visite obligatoire de reprise du travail lors d'un retour de congé maternité, ne va pas vraiment, me semble-t-il, dans le sens de la santé des femmes. Qu'en pensez-vous ?

Les groupes privés de crèches ont une pratique de plateforme d'intermédiation. Ils se rémunèrent en prélevant à leur profit une partie du prix de la réservation facturée à l'entreprise réservataire. Il y a là un vrai sujet.

Dans le département de la Gironde, 150 personnes relevant normalement de la politique du handicap sont prises en charge par l'ASE.

Je préférerais parler de fiscalité « sanitaire » ou « de santé », plutôt que « comportementale ». Si la fiscalité ne fait évidemment pas tout, on peut tout de même faire beaucoup, notamment en matière de prévention. Soyons offensifs.

À l'instar de ma collègue Anne Souyris, je salue l'avancée prévue à l'article 19 tout en m'interrogeant sur la signification de ce qui est indiqué dans l'exposé des motifs quant aux critères d'admission au sein du statut des ALD...

Le Sénat a adopté un texte très important sur la lutte contre le narcotrafic. Mais nous aimerions bien aussi des engagements forts de la part du ministère de la santé, qui reste muet sur la question des stupéfiants.

Nous aimerions bien aussi l'entendre sur le protoxyde d'azote. Le ministre Neuder avait évoqué une interdiction de la vente aux particuliers ou, au moins, aux mineurs. Je pense qu'il est temps de passer à la vitesse supérieure.

Mme Monique Lubin. - Voilà quelques années, nous avions obtenu des engagements gouvernementaux sur la création de cinq résidences de répit partagé. Les crédits pour les deux premières ont été mobilisés. Les mesures de financement des trois autres auraient dû figurer en loi de finances pour 2024, ce qui n'a pas été le cas. Et, à ma connaissance, elles ne figurent pas non plus dans le PLFSS pour 2026. Qu'en est-il réellement ?

Mme Corinne Féret. - Nous vous rejoignons sur un point : il faut qu'un PLFSS soit voté. Mais pas à n'importe quel prix ! En l'occurrence, votre projet ne va pas du tout dans le sens de la justice sociale.

À nos yeux, le « forfait de responsabilité », dont Mme de Montchalin a parlé voilà quelques jours, consiste à culpabiliser bon nombre de nos concitoyens : doublement des franchises, remise en cause des arrêts de travail, remise en cause des critères des ALD, etc. C'est particulièrement injuste de s'attaquer ainsi à ceux qui sont les plus fragiles : car quand on est malade, on est bien en situation de fragilité.

Vous n'avez pas répondu : le gel prévu à l'article 44 concerne-t-il toutes les prestations sociales ? Car ce qui est indiqué n'est pas très clair. Et si cela concerne bien toutes les prestations sociales, c'est, là encore, particulièrement injuste !

Vous voulez aussi geler l'AAH et d'autres prestations perçues par les personnes en situation de handicap. Dois-je vous rappeler que le quart de ces dernières vivent sous le seuil de pauvreté ?

Certes, 3,5 milliards d'euros de plus pour la branche autonomie, c'est une belle somme. Mais cela reste malheureusement très en deçà des besoins pour accompagner nos aînés dans leur vie d'aujourd'hui et leur vie future.

On parle chaque année d'une loi Grand âge, qui ne vient jamais. Pour accompagner encore une fois nos aînés, que ce soit à domicile ou dans des établissements, il faudrait ajouter 9 milliards d'euros de plus par an d'ici à 2030. C'est une somme colossale. Mais le vieillissement de la population est incontournable. La cinquième branche a bien été créée, mais il faut des moyens en plus.

L'an dernier, nous avions été alertés sur la situation financière extrêmement dégradée, voire catastrophique de la plupart des Ehpad publics dans nos territoires. Malheureusement, la situation ne s'est pas améliorée. Est-il prévu de reconduire dans ce PLFSS le fonds d'urgence de 300 millions d'euros que nous avions adopté pour les accompagner ?

Mme Émilienne Poumirol. - Je pense que l'Ondam ne signifie plus rien aujourd'hui ; nous aurions besoin d'une vision plus structurelle, à cinq ans ou dix ans.

Quand nous réclamons la transparence sur les prix des médicaments, on nous oppose toujours le fameux « secret des affaires ». Nous avons des médicaments dont les prix sont extrêmement élevés, voire exorbitants, alors qu'ils n'ont rien d'innovant et qu'ils sont déjà amortis. Travaillons à la baisse des prix des médicaments trop chers.

Nous avons été alertés par des directeurs de centres hospitaliers universitaires (CHU) : les centres de soins non programmés viennent leur prendre des urgentistes. Il y a là un vrai risque de financiarisation de la santé. Il faut s'y attaquer.

Les docteurs juniors, que nous avons auditionnés la semaine dernière avec Corinne Imbert, sont très mécontents du mode de financement retenu, qui est particulièrement complexe. Eux proposent des solutions plus simples. Il faut avancer sur la simplification de cette rémunération, afin de répondre, au moins en partie, au problème des déserts médicaux.

Dans les centres d'oncologie, nous avons du mal à garder nos radiothérapeutes. Dans le privé, ils gagnent cinq fois plus. Cinq fois plus ! Les 200 millions d'euros supplémentaires que vous avez annoncés en faveur de l'attractivité dans les hôpitaux sont sans doute utiles, mais que comptez-vous faire pour véritablement lutter contre un tel déséquilibre entre les salaires du public et ceux du privé ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le PLFSS prévoit l'entrée en vigueur de la tarification dite Séraphin-PH dans le secteur médico-social. Celle-ci est très décriée par les professionnels, qui y voient un risque de logique de rentabilité au détriment de l'humain. Comment comptez-vous les protéger contre les risques de dégradation à la fois de leurs conditions de travail et des conditions de prise en charge ?

Nous reconnaissons tous que des effectifs supplémentaires sont nécessaires dans les MDPH. Mais, dans mon département, le Pas-de-Calais, qui n'est tout de même pas très riche, l'APA et la PCH n'ont été compensées, respectivement, qu'à 33 % et à 36 % par l'État. C'est donc le conseil départemental qui met la main à la poche. Qui va donc payer les emplois supplémentaires dans les MDPH ? Surtout que l'on s'apprête encore à ponctionner 4,7 milliards d'euros sur nos collectivités territoriales !

J'aimerais évoquer l'ASE. Dans notre département, nous avons 7 000 enfants placés, dont 18 % en situation de handicap. Certains vont d'ailleurs à l'école en Belgique, et on leur paye un taxi pour faire le trajet. Je pense que nous avons le devoir de les accueillir dans des structures en France ; en plus, cela permettrait de faire des économies. Je reçois beaucoup d'assistantes familiales. Nous sommes en surcapacité partout. Et les salaires de ces assistantes ne sont pas très importants. J'aimerais que l'on fasse de la question des enfants placés à l'ASE une priorité.

Mme Stéphanie Rist, ministre. - L'expérimentation sur l'accès direct a effectivement pris fin. Nous menons actuellement les concertations pour voir comment les choses peuvent évoluer.

Qu'est-ce que l'efficience ? Pour moi, ce qui est le plus efficient, c'est de ne pas être malade ! Le PLFSS contient une mesure destinée à éviter d'arriver en ALD ; c'est de la vraie prévention. L'assurance maladie va dépenser de l'argent pour éviter qu'il y ait plus de malades. Il y a un changement culturel à opérer, mais je pense que c'est l'avenir, surtout compte tenu de notre démographie. Des soins qui ne sont pas remboursés actuellement vont être pris en charge pour éviter que les gens ne tombent plus malades. Cela diminuera le nombre d'ALD.

J'en viens aux tarifs des actes de radiologie. L'assurance maladie paye parfois pendant cinq ans l'amortissement de matériel amorti au bout de trois, et ce delta de deux ans finit dans la poche du professionnel ! Nous tenons compte de cette réalité dans les discussions sur la baisse des tarifs.

Je crois effectivement qu'il faut aller vers de plus en plus de pertinence. Le PLFSS comporte une mesure visant à faire développer des outils numériques qui permettent d'être plus pertinents, notamment dans la prescription.

Dans les prochains jours, le Premier ministre aura l'occasion de préciser sa vision des maisons France Santé, qui sont, à mes yeux, un vrai levier dans l'accès aux soins.

L'expérimentation des haltes soins addictions, dont les rapports d'évaluation ont en effet confirmé l'intérêt, prend fin cette année. Mon cabinet est en train de travailler avec l'ensemble des parlementaires et des acteurs concernés sur les suites à y apporter.

Monsieur Chasseing, je vous rejoins sur l'importance de la psychiatrie. Entre 1990 et 2020, le budget de la psychiatrie avait diminué. Depuis 2020, nous l'avons augmenté de 42 % ; il y a là un vrai effort financier. Vous avez raison : c'est avec l'ensemble des professionnels - médecins scolaires, infirmières scolaires, IPA, etc. - que nous allons y arriver.

Madame Canalès, vous connaissez mon engagement sur la santé des femmes. Des mesures relatives à la ménopause viendront peut-être enrichir le texte au cours du débat ; c'est l'avantage de ne plus avoir recours au 49.3.

Plusieurs intervenants ont évoqué l'ASE. Nous continuons de mettre en oeuvre le plan lancé par Catherine Vautrin pour renforcer le placement en accueil familial, avec une enveloppe de 55 millions d'euros dans le PLF.

Je relie la question des addictions en général à celle de la santé mentale.

À ma connaissance, le PLFSS ne prévoit aucune modification s'agissant de la psychanalyse.

La mesure réglementaire relative aux cures thermales, qui représente une économie de 200 millions d'euros, consiste à passer à un mode de remboursement non ALD. C'est pour cela que j'ai parlé de « droit commun ». C'est une diminution, pas un déremboursement.

Sur les contrats responsables des complémentaires, il est prévu d'augmenter le délai de renouvellement des lunettes et des audioprothèses. Il n'est pas prévu d'action sur l'ostéopathie.

Neuf unités de soins palliatifs ont été ouvertes en 2025. À ce stade, quatre sont prévues en 2026. Nous restons sur la programmation prévue de 1 milliard d'euros.

Le PLFSS comporte bien une mesure permettant d'autoriser l'ouverture d'une pharmacie dans les villes de moins de 2 500 habitants.

Je rappelle que l'Ondam pour 2025 a été tenu grâce au mécanisme d'alerte.

Je maintiens l'expression « forfait de responsabilité ». Et non, responsabilité ne veut pas dire culpabilité : élever un enfant pour qu'il devienne responsable, ce n'est pas vouloir qu'il devienne coupable. Collectivement, tous les secteurs vont devoir faire des efforts. Individuellement, les quelque 15 000 personnes qui consultent 25 généralistes par an ont peut-être aussi une responsabilité...

Et non, ce ne sont pas les plus fragiles qui seront touchés. Un assuré sur trois - cela représente 18 millions de personnes - ne paye pas les franchises ; les plus fragiles sont donc préservés.

Je rappelle que cela permet aussi de financer les mesures telles que le déploiement des maisons France Santé, ainsi que les mesures de prévention.

Concernant le financement à l'activité, les transformations sont en cours dans le secteur hospitalier, les financements d'expérimentations se faisant de plus en plus sur la base de forfaits.

Madame Poumirol, nous devons en effet donner des perspectives pour les dix prochaines années : j'ai ainsi annoncé que nous préciserons, d'ici à la fin de l'année, les perspectives en matière d'investissements pour les établissements de santé, afin que les efforts fournis s'accompagnent d'une vision d'avenir et que les équipes hospitalières puissent se projeter.

S'agissant des centres de soins non programmés, la mesure prévue permet une régulation, avec une forme d'autorisation de l'agence.

Enfin, les docteurs juniors arriveront dans les territoires à partir de septembre 2026 : j'ai indiqué hier aux syndicats étudiants que ces praticiens étaient fort attendus, et que nous veillerons à leur apporter une rémunération et un encadrement appropriés.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Monsieur Burgoa, vous évoquez le gel des prestations, dont celui de l'AAH : il est bien question d'une mesure générale de gel des prestations, sans distinction. Ce coup de frein est justifié par la nécessité de revenir sur une trajectoire de réduction du déficit : nous convergeons pour refuser de consacrer 70 milliards d'euros aux seuls intérêts de notre dette et devons donc agir pour alléger celle-ci, même si cela implique de prendre des mesures difficiles. Je rappelle qu'il est question d'un gel, et non pas d'une baisse des prestations, sans oublier que la mesure s'inscrit dans un contexte de faible inflation.

Dans le même ordre d'idées, la suppression de la prise en compte de l'AAH dans l'attribution de la prime d'activité ne fait plaisir à personne - moi y compris -, mais je précise qu'il s'agit de remédier à un dysfonctionnement, dans la mesure où un adulte en situation de handicap qui travaille davantage ne bénéficie pas d'un revenu supplémentaire : mécaniquement, ce dernier stagne, puis diminue, et il convient donc de corriger cette anomalie structurelle à terme.

Pour autant, il est exact que la mesure aura des répercussions sur le revenu des personnes, puisque le retrait de l'AAH du calcul aboutira à une diminution, voire à une suppression de la prime d'activité. Ce n'est certes guère satisfaisant, mais nous suivons une logique de recherche de réformes de structure qui doivent permettre de revenir à des logiques plus saines dans l'orientation de la dépense publique et des prestations sociales. Sur ce point également, nous débattrons et le Parlement votera.

Concernant la question des mandataires judiciaires, je tiens à vous assurer que la prime Ségur a été prise en compte et que les économies de fonctionnement portent sur les fonctions support, et non pas sur celles qui sont en lien avec l'accompagnement des personnes. Pour autant, il nous faudra revoir le fonctionnement de cette prestation : plusieurs travaux, conduits par l'Igas et par l'inspection générale des finances (IGF), sont en cours afin d'élaborer une refonte de la mesure de protection des majeurs.

Madame Guidez, je vais être très claire : la psychanalyse n'a pas sa place dans l'accompagnement et dans la prise en charge des personnes atteintes de troubles du neurodéveloppement. Je partage totalement la position de la HAS sur le sujet.

Même si la situation budgétaire est - vous le savez - très contrainte, l'enveloppe dédiée aux entreprises adaptées reste à 478 millions d'euros, ce qui est tout de même important. Avec mon collègue ministre du travail, nous veillerons à faire en sorte que d'éventuels gels ou mises en réserve n'entraînent pas une baisse par rapport à 2025.

Je prends bonne note de votre interpellation quant à l'application de la prime Ségur dans les entreprises adaptées. Nous examinerons cette question avec attention.

Madame Carrère, nous connaissons bien les problèmes liés au financement des Ehpad. Des mesures structurelles importantes sont mises en oeuvre. Le fonds d'urgence que vous avez voté pour 2025 est en train d'arriver dans les territoires. Vingt-trois départements expérimentent la fusion des sections soins et dépendance ; une évaluation aura lieu en 2026, l'objectif étant de pouvoir aller vers une généralisation. La révision des coupes Pathos est également prévue dans le PLFSS, ce qui permettra de mieux réajuster les enveloppes. Et les 4 500 ETP supplémentaires que j'ai évoqués viendront soutenir les équipes.

Il reste que les prix d'hébergement dans les Ehpad sont trop bas. Or le financement de ces établissements dépend aussi des choix politiques qui sont faits en la matière.

Madame Richer, le cumul de l'AAH avec l'indemnité pour les élus locaux est effectivement prévu dans la loi. Des caisses d'allocations familiales ont d'ores et déjà intégré ce dispositif. Certes, le décret annoncé s'est un peu perdu dans les méandres des changements gouvernementaux... Je vais reprendre cela en main. Vous avez raison : c'est le moment d'envoyer un message très fort pour rappeler qu'il faut avoir des candidats en situation de handicap sur les listes aux élections municipales.

Je profite de l'occasion pour faire une nouvelle fois la promotion de la fameuse boîte à outils dédiée aux élus locaux. Je souhaite que celle-ci puisse aussi nourrir la réflexion des candidats : intégrer les questions d'accessibilité au moment de l'élaboration des programmes, c'est se donner la garantie d'avoir des projets véritablement inclusifs pour nos communes. Je vous invite vraiment à la consulter - elle est disponible en ligne et dans les préfectures - et à la faire connaître auprès de vos collègues et des élus locaux.

Je partage l'engagement de Mme Bourguignon et de Jean-René Lecerf en faveur de l'habitat intermédiaire, qui répond vraiment à une demande de la part des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Dans ce PLFSS, nous avons prévu d'investir 100 millions d'euros dans le soutien à la création de places d'habitat partagé. Plusieurs missions sur le modèle économique de cet habitat intermédiaire rendront d'ailleurs bientôt leurs conclusions. Faut-il passer par des expérimentations de type article 51 ? Je ne sais pas si c'est le bon cadre, mais je propose de continuer cette réflexion.

M. Chasseing a évoqué des créations de postes dans les Ssiad et les Saad. Comme je l'ai indiqué, le PLFSS prévoit bien des ETP supplémentaires dans les Ehpad. D'où l'importance qu'il soit voté ! J'ai assez confiance dans la Haute Assemblée pour cela ; mais vous connaissez la situation qui est celle de l'autre chambre... Ne pas voter de PLFSS, c'est renoncer à la possibilité d'avoir plus de postes en Ssiad et en Saad et c'est se priver des effectifs supplémentaires qui sont d'ores et déjà prévus pour les Ehpad, alors qu'ils sont - cela vient d'être rappelé -, ô combien, nécessaires.

Madame Lubin, vous avez évoqué les cinq résidences de répit partagé : deux projets sont d'ores et déjà lancés, tandis que les trois autres devraient suivre de manière imminente. Je peux en tout cas vous assurer que ces projets verront le jour.

Madame Féret, je vous rejoins sur les enjeux du grand âge et la nécessité de se projeter par le biais d'une programmation pluriannuelle, mais les soubresauts gouvernementaux ne nous aident pas à remettre le métier sur l'ouvrage, ni à engager une réflexion en profondeur sur le financement de la dépendance, alors qu'il s'agit d'un chantier structurant : nous aurions, là aussi, besoin de stabilité.

En revanche, la Drees a documenté les besoins de manière territorialisée, ce qui permettra d'anticiper les besoins qu'il faudra couvrir, avec de fortes disparités selon les territoires. Je souhaite engager un travail avec les acteurs du secteur, les agences régionales de santé (ARS) et les départements pour que nous puissions examiner ces besoins, anticiper et vous présenter un plan Grand Âge. En parallèle, il nous faut absolument réfléchir à un financement de la dépendance qui intégrerait les enjeux de financement de la protection sociale que nous avons déjà évoqués.

Enfin, madame Apourceau-Poly, je vous assure que Serafin-PH n'est pas un système de tarification à l'acte et que je le refuserais si tel était le cas. Le nouveau dispositif prévoit des dotations forfaitaires et des dotations variables en fonction de la complexité des situations d'accompagnement, le tout dans une logique de « sur-mesure ».

Une fois encore, nous sommes persuadés que l'auto-détermination des personnes en situation de handicap doit guider la réponse qui leur est apportée. Trop ancien, notre système de tarification doit évoluer en prenant le temps nécessaire, en lien avec les professionnels du secteur et avec une vigilance particulièrement sur les financements.

Quant au financement des départements pour l'APA et l'AAH, un engagement a été pris sur la stabilisation du taux, qui avait tendance à diminuer en raison de la rapide progression des dépenses. Françoise Gatel et moi-même discutons avec les départements afin de déterminer la manière dont nous accompagnerons l'objectif d'une compensation à 50 %.

Je tiens à souligner, pour terminer, que ce PLFSS pour 2026 prévoit 300 millions d'euros supplémentaires pour aider les départements à assumer ces dépenses.

Mme Pascale Gruny, président. - Merci de votre participation, mesdames les ministres.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale

Réunie le jeudi 30 octobre 2025, sous la présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président, la commission procède à l'audition de M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale.

Mme Pascale Gruny, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous auditionnons ce matin M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Monsieur le directeur, l'Urssaf Caisse nationale est au coeur du financement de la sécurité sociale et est, en quelque sorte, le réceptacle naturel de ses difficultés.

Cela se traduit, dans le PLFSS pour 2026, par une demande de forte augmentation de la demande d'autorisation d'emprunt à court terme par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui passerait de 65 milliards à 83 milliards d'euros. Je rappelle que, depuis cette année, l'Agence est autorisée à recourir à des emprunts de plus de 12 mois, à condition que la durée moyenne des emprunts reste inférieure à 12 mois.

Ce sont autant de manifestations des tensions que créent, d'une part, l'accumulation de lourds déficits au fil des ans et, d'autre part, l'impossibilité de procéder à de nouveaux transferts de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). On peut, avec la Cour des comptes, se demander jusqu'à quand une telle situation restera gérable.

Monsieur le directeur, votre propos liminaire vous permettra de nous livrer votre vision de ce PLFSS, de la situation financière de votre caisse et, plus généralement, de la sécurité sociale. Nous attendons également votre expertise sur les mesures de recettes, parfois très importantes, qui figurent dans ce PLFSS.

M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale - Madame le président, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiendrai un propos liminaire relativement court présentant les éléments qui me semblent importants.

Les recettes que nous collectons et qui financent la sécurité sociale sont assises sur le dynamisme de l'économie, notamment sur celui de la masse salariale, puisque la majorité des cotisations et contributions que nous collectons en dépendent.

Pour l'année 2025 - et c'est un point qui est également apparu lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale -, nous observons une assez forte résilience de l'économie, et donc de la masse salariale. Nous le constatons grâce à nos indicateurs, que nous suivons chaque mois de manière très réactive, puisque nous analysons le mois précédent. Il s'agit principalement du taux de reste à recouvrer ou, pour le dire de manière moins technique, du taux d'impayés, qui se situe à un niveau relativement bas, inférieur à 1 %. Ce niveau est comparable à celui qui prévalait avant la crise du covid en 2019 et qui était déjà historiquement bas.

Cela montre donc une bonne capacité de paiement des cotisations par les entreprises.

Nous observons aussi la masse salariale mois après mois. Nous formulons pour l'année 2025 une hypothèse d'évolution de 1,9 %. Ce chiffre est inférieur aux prévisions initiales du PLFSS pour 2025, mais il correspond aux révisions qui ont été faites et qui, pour l'instant, se confirment. Enfin, lorsque nous comparons les cotisations que nous attendions et celles que nous avons collectées jusqu'à maintenant, nous constatons un écart négatif de 1 milliard d'euros. Rapporté à une grandeur de l'ordre de 300 milliards d'euros, cet écart reste cependant extrêmement limité à ce stade de l'année, ce qui témoigne d'une bonne tenue de cette collecte.

Cela ne signifie pas que certaines entreprises n'ont pas de difficultés. Je ne voudrais pas dévoiler un tableau trop rose, car tel n'est pas le cas. Néanmoins, lorsque nous regardons nos chiffres à ce jour, nous constatons une bonne résistance des données macroéconomiques sur lesquelles sont assises les cotisations.

Le PLFSS pour 2026 prévoit un ensemble de mesures de redressement des comptes sociaux qui permettraient de ramener le déficit de la sécurité sociale de 23 milliards d'euros en 2025 à 17,5 milliards d'euros en 2026. En tant qu'Urssaf Caisse nationale, nous assurons, notamment, le financement de ce déficit. Pour la pérennité des comptes, il est donc important qu'ils puissent être redressés. Les projections jusqu'à 2029 sont à peu près de cet ordre. Le déficit ne disparaît donc pas, mais nous avons en tout cas une marge de résorption assez forte.

Le plafond d'emprunt, c'est-à-dire l'emprunt maximum sur les marchés financiers auquel l'Urssaf peut recourir pendant l'année pour financer le complément qui n'est pas apporté par les cotisations, passerait de 65 milliards d'euros maximum en 2025 à 83 milliards d'euros en 2026. Il s'agit donc d'une augmentation importante, mais qui est cohérente avec la prévision que nous faisons des besoins de financement. Autrement dit, lorsque nous faisons notre prévision pour 2026, nous arriverions à 79 milliards d'euros de besoins de financement au maximum dans l'année 2026, ce qui laisse une marge, qui n'est pas énorme, de 4 milliards d'euros.

Le plafond de 83 milliards d'euros est cohérent avec les besoins que nous estimons aujourd'hui, mais il est dépendant du vote de l'ensemble des mesures qui sont comprises dans le PLFSS pour 2026. Autrement dit, si certaines mesures de recettes ou de dépenses sont abandonnées, il serait souhaitable que le plafond soit augmenté à due concurrence. C'est un élément qui est important dans la mécanique de la discussion parlementaire : il vous faut bien voir la traduction des différentes mesures qui seront modifiées en recettes et en dépenses sur le plafond d'emprunt.

Notre problème, à l'heure actuelle, c'est que nous ne savons pas quel sera l'avenir de ces textes, puisque nous ignorons dans quelles conditions ils pourront être adoptés, étant donné la configuration politique actuelle et les annonces du Gouvernement. Cette situation nous dépasse et nous devons faire avec cette incertitude.

Néanmoins, ce que je peux dire, c'est que nous avons besoin, à partir du 1er janvier 2026, de conserver notre capacité d'emprunter. Cela signifie que si les textes financiers, notamment le projet de loi de financement de la sécurité sociale, n'étaient pas adoptés avant la fin de l'année, nous aurions besoin d'une loi spéciale, comme cela a été le cas pour 2025.

Enfin, je veux évoquer le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales présenté par le Gouvernement, même s'il ne fait pas l'objet de l'audition d'aujourd'hui. Une bonne partie des mesures qu'il contient concernent les Urssaf, avec le recouvrement des cotisations sociales et la lutte contre les fraudes en la matière. Ce sont des mesures que nous soutenons et qui, pour une bonne part, ont été travaillées avec l'Urssaf à partir de remontées de terrain venant des inspectrices et inspecteurs du recouvrement.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Monsieur le directeur, quand Mme Poncet Monge et moi-même vous avons auditionné voilà quelques mois, vous avez souligné que, sur la base des prévisions à moyen terme de la LFSS pour 2025, le « pic » de besoin de financement annuel de 2020 - pendant la crise du covid -, soit environ 90 milliards d'euros, serait nettement dépassé dès 2027.

Pour mémoire, ce « pic » de 2020 a impliqué, pour son financement, le recours à la Caisse des dépôts et consignations et à un pool de banques.

Le PLFSS pour 2026 prévoit, d'ici à 2029, une trajectoire de déficit qui, bien que plus faible, demeurerait élevée. On pourrait considérer en première analyse que cela ne bouleverse pas la situation. Confirmez-vous ce point ?

Le PLFSS prévoit de transférer de la sécurité sociale vers l'État environ 3 milliards d'euros correspondant au gain résultant pour la sécurité sociale en 2026 de la réforme des allégements généraux de 2025 et 2026.

Quelle appréciation portez-vous sur ce transfert ? En se plaçant exclusivement du point de vue de l'Acoss, faut-il considérer qu'il est malvenu, en ce qu'il dégrade encore un peu plus la capacité de l'Acoss à se financer ?

Ma deuxième question porte sur la lutte contre la fraude aux cotisations.

Entre les campagnes 2012 et 2023, la part du travail dissimulé détecté par des contrôles aléatoires est restée stable. Ainsi, l'augmentation des fraudes détectées dans le cadre de l'activité de lutte contre la fraude ne proviendrait pas d'une augmentation de la fraude, mais bien d'une efficacité plus grande des contrôles. Si cela peut sembler rassurant, cela suggère aussi que la lutte contre la fraude n'a pas permis de réduire celle-ci. Qu'en pensez-vous ? Que faudrait-il faire concrètement pour que la lutte contre la fraude aux cotisations permette réellement de réduire l'encours de la fraude ?

Ma dernière question, qui m'a été suggérée par ma collègue Nathalie Goulet, porte sur les entreprises éphémères. Lors d'une audition par la commission d'enquête sur la délinquance financière, dont elle était le rapporteur, vous aviez indiqué qu'il vous serait utile de disposer d'une définition, d'un guide pratique pour repérer les entreprises éphémères qui sont, d'après elle, des chevaux de Troie de la fraude à l'Urssaf et à la TVA, ainsi que du crime organisé. Cela vous semble-t-il toujours d'actualité ? Confirmez-vous que c'est un besoin qu'il faut combler ?

M. Damien Ientile. - Pour répondre à votre première question, l'amélioration de la situation des comptes permise par ce projet de loi de financement de la sécurité sociale serait substantielle, avec un ensemble de mesures qui susciteront un certain nombre de débats. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de ces mesures. Néanmoins, vous avez raison, elles ne ramènent pas les comptes à l'équilibre. C'est un objectif sur plusieurs années. Elles ne suppriment donc pas le problème auquel nous faisons face, à savoir l'accumulation de déficits annuels dans les comptes de l'Urssaf Caisse nationale et, à un moment donné, une difficulté de financement possible.

Le chiffre de 90 milliards d'euros dès 2027 est tout à fait exact. Si le PLFSS est voté en l'état et que les prévisions sont justes, nous arriverions à 78 milliards d'euros d'endettement dans nos comptes à la fin de l'année 2026. Si vous rajoutez 15 à 20 milliards d'euros de déficit en 2027, il est vrai que, courant 2027, nous arriverons à environ 90 milliards d'euros, ce qui est très élevé, notamment sans perspective claire de reprise de dette par la Cades.

D'ailleurs, 2027 est une date intéressante. Si l'on fait des projections, disons mathématiques, on observe que, courant 2027, nous assisterions à un phénomène de croisement des courbes, la dette accumulée dans les comptes de l'Acoss devenant supérieure à la dette qui reste à amortir au sein de la Cades. C'est un problème, puisque la vocation de l'Urssaf Caisse nationale n'est pas de financer de la dette à long terme.

Les mesures d'amélioration prévues dans ce PLFSS sont extrêmement utiles et intéressantes d'un point de vue purement financier. Néanmoins, elles n'apportent pas une solution définitive et pérenne aux problèmes que nous avions évoqués ensemble.

Concernant le transfert des recettes supplémentaires liées à la réduction des allégements généraux, il s'agit en effet d'une réforme structurelle qui entrera en vigueur en 2026. Celle-ci change la forme des allégements généraux de cotisations patronales en la simplifiant avec un seul dispositif qui part de 1 SMIC et qui se termine à 3 SMIC. Sur deux ans, en 2025 et en 2026, cela rapportera un peu plus de 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires, d'après les estimations du Gouvernement. Ces recettes supplémentaires seront transférées à l'État, puisque ces allégements généraux avaient fait l'objet d'une compensation à titre forfaitaire.

Je ne porte pas de jugement d'opportunité sur ce choix. Je ne peux faire qu'un constat d'ordre factuel : ce sont 3 milliards d'euros qui ne figureront pas dans nos comptes.

Selon nos estimations, la fraude se stabilise sur dix ans autour de 1,5 % du total des cotisations sociales. Ce pourcentage reste limité et je profite de cette audition pour dire que l'immense majorité des entreprises paient leurs cotisations rubis sur l'ongle et déclarent leurs salariés. Il s'agit donc d'un phénomène qui, heureusement, concerne une minorité, même si c'est toujours trop.

Pour aller plus loin, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales contient par exemple des mesures renforçant le mécanisme de solidarité financière. Ce mécanisme permet de remonter les chaînes de sous-traitance en cascade et de s'assurer que les sous-traitants sont en situation régulière vis-à-vis de leurs obligations déclaratives auprès des Urssaf.

Une autre manière d'aller plus loin est de rendre plus effectif le recouvrement des créances frauduleuses. Aujourd'hui, les processus de détection s'effectuent soit par des statistiques, soit par des détections sur le terrain. Je salue au passage le travail formidable de nos inspectrices et de nos inspecteurs, qui ne sont pas si nombreux pour détecter la fraude. Une fois qu'un redressement a été notifié, encore faut-il le recouvrer. Or, nous savons que cette étape est plus difficile.

Vous avez mentionné les entreprises éphémères. Là encore, le projet de loi actuellement en discussion permettra de rendre certains processus de recouvrement plus efficaces, car plus rapides. Les entreprises éphémères nous posent en effet des difficultés : une fois identifiées, notifiées et redressées, elles sont en mesure d'organiser rapidement leur disparition et le transfert de leurs actifs. Un décret issu de la LFSS pour 2024 est en cours de mise en oeuvre. Il permet de notifier les transmissions universelles de patrimoine et de les connaître, ce qui devrait réduire la capacité de transférer le patrimoine à des sociétés étrangères de manière trop rapide et invisible. Ce décret est en cours de mise en oeuvre, mais beaucoup reste à faire.

M. Emmanuel Dellacherie, directeur de la réglementation, du recouvrement et du contrôle de l'Urssaf. - Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales comporte une mesure importante pour améliorer le recouvrement des créances frauduleuses : l'institution de la flagrance sociale, un dispositif calqué sur la flagrance fiscale existante. Ce mécanisme permettra en effet d'engager plus rapidement des saisies conservatoires dans le cadre des contrôles. S'il est adopté, il nous dispensera de devoir en informer en amont les entreprises redressées. L'expérience montre en effet que, lorsque nous procédons à cette information préalable auprès d'entreprises éphémères, celles-ci en profitent pour faire disparaître leurs actifs et vider leurs comptes bancaires.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je ne sais si c'est le fruit de notre travail en commun pour notre récent rapport Sécurité sociale : la boîte à outils du Sénat, mais mes questions rejoignent celles qu'a posées Élisabeth Doineau. Il existe une certaine unanimité sur l'insincérité de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et, par conséquent, le risque très probable d'un déclenchement de la procédure d'alerte dès le premier semestre de 2026. Sans vouloir être de mauvais augure, tous les acteurs le soulignent. Je m'inquiète en particulier du fait que vous ne disposiez que de 4 milliards d'euros de marge. En effet, compte tenu du montant des dépenses qui sont en jeu, si nous dépassons l'Ondam, nous risquons d'atteindre très vite vos marges de dépassement. Aussi, je m'étonne que l'on n'étudie pas l'éventualité d'une reprise partielle de dette par la Cades. Comme nous l'indiquions dans notre rapport, la nécessité d'un nouveau transfert de dette à la Cades nous semble assez mécanique. La question se posera de toute façon en 2027, mais si les prévisions sont insincères, elle risque de se poser plus tôt.

En ce qui concerne la fraude sociale, je vous rejoins sur le fait que la majorité des entreprises ne fraudent pas, tout comme la majorité des bénéficiaires de prestations sociales. C'est une évidence. J'aimerais cependant connaître les moyens, humains et autres, dont vous disposez. Les inspecteurs et contrôleurs financiers ont ceci d'intéressant que non seulement ils s'autofinancent, mais aussi qu'ils rapportent, me semble-t-il, plus qu'ils ne coûtent. Vous mentionnez un décret en cours de mise en oeuvre. En matière de répression des fraudes, il faut être un peu plus volontariste. On met beaucoup de temps à prendre certaines mesures. Quelle est donc, sur plusieurs années, l'évolution de vos effectifs ? Si la fraude aux cotisations est le fait d'une minorité, elle représente tout de même, si mes chiffres sont bons, deux tiers de la fraude sociale.

M. Damien Ientile. - C'est plutôt la moitié.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Soit. En tout état de cause, beaucoup de choses sont faites en matière de fraude sociale : on en parle souvent, il y a des contrôles. Qu'en est-il des cotisations ? Je poserai la même question à d'autres pour ce qui est de la fraude fiscale.

Mme Annie Le Houérou. - Je rejoins Raymonde Poncet Monge sur l'absence de réflexion autour de la reprise de la dette par la Cades et sur les moyens de contrôle que l'Urssaf met en oeuvre. Ces derniers doivent être suffisamment nombreux pour mener à bien les contrôles et récupérer les sommes issues de la fraude.

J'ai deux questions complémentaires concernant l'article 4. Si je comprends bien, son objectif est d'améliorer les outils de recouvrement des cotisations sociales. Le Gouvernement évalue à 5,3 millions d'euros le rendement de cet article. Or vous disiez qu'il existe un décalage de 1 milliard d'euros entre les cotisations attendues et les cotisations « encaissées ». L'article 4 vise-t-il ce public qui ne paie pas ses cotisations ? Dans ce cas, je vois un écart entre les chiffres que vous nous donnez et ceux qui sont affichés par le Gouvernement.

Ma deuxième question concerne la situation des hôpitaux. Dans le PLFSS 2026, la progression de l'Ondam est de seulement 1,6 %, alors même que les hôpitaux doivent financer la nouvelle augmentation du taux de cotisation à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Or de nombreux hôpitaux sont déjà en très grande difficulté budgétaire. On sait donc dès à présent que le taux d'augmentation des dépenses ne leur permettra pas d'assurer un bon fonctionnement. Avez-vous une évaluation des « impayés » de cotisations Urssaf de nos hôpitaux ?

M. Laurent Burgoa. - Je voudrais vous poser deux questions au nom de Frédérique Puissat et d'Olivier Henno, tous deux rapporteurs du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

L'article 21 du projet de loi confère un caractère immédiatement exécutoire aux contraintes qui appellent le recouvrement de cotisations pour travail dissimulé. Le mécanisme de l'opposition à contrainte n'est pas suspendu. Aussi, un justiciable pourrait former opposition à une contrainte et, dans le même temps, saisir le président du pôle social du tribunal judiciaire d'un recours pour suspendre son exécution provisoire. Ma première question est simple : allez-vous prendre le risque de faire exécuter des contraintes qui pourraient être frappées d'opposition, auquel cas l'Urssaf pourrait, in fine, être condamnée à restituer des sommes saisies si l'opposition était jugée fondée ?

L'article 22 renforce par ailleurs les obligations de vigilance du maître d'ouvrage pour lutter contre le travail dissimulé dans le cas de sous-traitances. Le secteur du bâtiment nous a alertés sur les difficultés que rencontrent les entrepreneurs pour vérifier l'authenticité des attestations de vigilance, qui certifient le paiement des cotisations sociales. Que mettez-vous en oeuvre pour aider les entreprises à accomplir ces formalités imposées par le code du travail ? Comment pourrait-on simplifier ces démarches ?

M. Damien Ientile. - Madame Poncet Monge, lorsque j'ai parlé de la justesse des prévisions, je faisais référence aux prévisions macroéconomiques. En effet, comme nos cotisations sont très indexées sur la masse salariale, qui elle-même dépend de la croissance et de l'inflation, tout écart entre les réalisations et les prévisions aura nécessairement un impact sur nos cotisations. Une baisse d'un point de pourcentage de la masse salariale représente environ 2,5 milliards d'euros de cotisations. Ainsi, si la croissance de la masse salariale est à 1,3 % au lieu des 2,3 % attendus, alors nous aurons un manque à gagner de l'ordre de 2,5 milliards d'euros.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Selon le consensus des économistes, les prévisions de croissance sont optimistes.

M. Damien Ientile. - Ces prévisions nous semblent cohérentes avec nos observations. En ce qui concerne plus spécifiquement l'Ondam, le dernier rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale n'exclut pas une légère sous-exécution de l'Ondam 2025.

Mme Émilienne Poumirol. - Ah bon ?

M. Damien Ientile. - Il n'y a donc pas d'insincérité observable. Pour l'année 2026, la question n'est pas celle de l'insincérité, mais de la mise en oeuvre ou non des mesures sous-jacentes à l'Ondam. Cela rejoint mon propos introductif : toutes les prévisions que nous faisons, y compris en ce qui concerne notre plafond et nos besoins de financement, dépendent de la mise en oeuvre des mesures prises dans le cadre du PLFSS ou qui y sont annoncées et qui seront prises par voie réglementaire. À ce stade, on peut donc dire que le plafond tel qu'il est prévu est cohérent avec nos besoins de financement. En revanche, si certaines mesures venaient à être abandonnées, il faudrait alors l'accroître à due concurrence.

La reprise de dette par la Cades est une mesure qui, à un moment donné, sera probablement nécessaire. Comme le disait notre président du conseil d'administration, Marc Poisson, lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, l'Acoss n'a pas vocation à être une Cades bis. Cette question est donc tout à fait légitime.

J'en viens à la question des moyens affectés aux inspecteurs et contrôleurs du recouvrement, ainsi qu'à toutes les personnes qui, au sein de l'Urssaf, concourent à la lutte contre la fraude, à la notification des infractions, puis à leur recouvrement. Cette mission a été considérée comme prioritaire par le Gouvernement et par les partenaires sociaux dans le cadre de notre convention d'objectifs et de gestion 2023-2027. C'est donc l'un des domaines dans lesquels nous avons eu la possibilité de procéder à des recrutements supplémentaires.

Ainsi, nous recrutons cette année 140 inspecteurs et contrôleurs. Ils entreront en formation en 2026 et seront opérationnels après une année de formation. Lorsque nous aurons déployé notre plan de recrutement, nous atteindrons un effectif d'environ 500 inspecteurs et contrôleurs du recouvrement.

Ces moyens restent tout de même relativement limités par rapport à l'enjeu. Au-delà des moyens humains, nous utilisons aussi des outils techniques de détection et des outils juridiques, que vient renforcer le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Nous devons en effet offrir à nos agents tous les outils nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Ce n'est donc pas qu'une question d'effectifs, même si ce point est bien sûr très important. En tout cas nous pourrons prochainement disposer de promotions renforcées.

M. Emmanuel Dellacherie. - Consacrer 145 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires à la lutte contre la fraude était prévu dans la convention d'objectifs et de gestion 2023-2027 signée avec l'État. Tous ces recrutements d'inspecteurs et de contrôleurs ont été réalisés. Une partie de ces agents sont encore en formation, on ne voit donc pas encore le plein effet de ces recrutements sur le terrain, mais nous sommes d'ores et déjà assurés de respecter l'objectif qui nous est assigné, à savoir l'affectation de 30 % de l'ensemble de nos effectifs de contrôle, soit plus de 500 agents, à la lutte contre la fraude d'ici à 2027. Au-delà de ces moyens nouveaux, nous avons fait le choix d'allouer à la lutte contre le travail dissimulé certaines ressources consacrées jusqu'alors aux contrôles d'assiette classiques.

M. Damien Ientile. - La fraude sociale est estimée à 13 milliards d'euros par an ; selon les évaluations du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), fondées elles-mêmes sur nos propres données chiffrées, la moitié environ de cette somme vient de la fraude aux prélèvements obligatoires, le reste de la fraude affectant les prestations versées.

Concernant l'article 4 du PLFSS 2026, qui vise à améliorer les procédures de recouvrement, madame Le Houérou, vous citez le chiffre de 5 millions d'euros pour l'évaluation de son rendement. Ce chiffre n'est pas à mettre en relation avec le milliard d'euros que j'évoquais : ce chiffre-ci correspondait à l'écart entre, d'une part, les prévisions faites en début d'année sur le montant total des cotisations que nous espérions collecter et, d'autre part, la réalisation de notre collecte à ce jour. Cet écart résulte notamment d'une révision à la baisse de la masse salariale : sa croissance avait été estimée à 2,5 % dans le PLFSS 2025, mais serait plutôt de 1,9 %. La baisse constatée des cotisations par rapport aux estimations n'est donc pas liée à une volonté de ne pas payer ou à de la fraude.

Les dispositions de l'article 4 doivent permettre d'augmenter l'efficacité du recouvrement social en particulier dans le cadre des procédures collectives ; on aura un an pour établir le montant définitif d'une créance sociale. En outre, l'inscription automatique du privilège de la sécurité sociale facilitera l'effectivité du recouvrement. Il est difficile de mesurer l'effet financier d'une mesure juridique ; l'estimation du rendement est donc forcément un peu prospective, et il faudra une clause de revoyure.

M. Emmanuel Dellacherie. - Le privilège automatique des créances Urssaf, qui est d'un an aujourd'hui, sera rallongé ; le délai exact sera précisé par décret. L'intérêt de cette mesure est d'éviter des situations de redressement ou de liquidation judiciaire où l'Urssaf n'aurait pas le temps d'inscrire le privilège, donc ne parviendrait pas à recouvrer certaines sommes dans le cadre de la procédure collective. L'estimation de 5 millions d'euros devra être confirmée ex post, mais ce rendement devrait découler de l'amélioration de la prise en charge de ces situations. Je conviens que l'effet financier serait en tout état de cause assez limité par rapport aux sommes en jeu.

M. Damien Ientile. - Je veux revenir sur les cas des hôpitaux et de la CNRACL. Certains hôpitaux ont des dettes envers l'Urssaf, car ils ne sont pas en mesure de payer leurs cotisations ; ce phénomène, déjà significatif, prend de l'ampleur. Par ailleurs, au sein de l'endettement de l'Urssaf Caisse nationale, un segment spécifique, de l'ordre de 10 milliards d'euros, voire 12 milliards au moment le plus important de l'année, est consacré à la CNRACL, puisque notre caisse a la mission de verser des avances à certains régimes déficitaires. Il est important de l'avoir à l'esprit quand on réfléchit au plafond d'emprunt de l'Urssaf Caisse nationale - 65 milliards d'euros en 2025. Nous assumons dans nos comptes le déficit cumulé de la CNRACL et toute mesure qui diminuerait les recettes de celle-ci aurait un impact sur nos comptes et nos besoins de financement. L'article du PLFSS qui fixe le plafond d'emprunt de l'Acoss, à 83 milliards d'euros cette année, définit aussi, au sein de cette somme, celui de la CNRACL.

Enfin, Monsieur Burgoa, s'agissant de la mesure portant sur les contraintes du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, actuellement, quand une contrainte est proposée, un débiteur frauduleux peut lui faire opposition, ce qui suspend la contrainte et empêche de saisir les biens ou sommes en jeu. Certains débiteurs mal intentionnés profitent du temps de cette suspension pour faire disparaître les actifs. C'est contre ce phénomène que nous entendons lutter. Le projet de loi dispose que l'opposition à contrainte ne sera plus suspensive ; nous pourrons donc procéder à des saisies à titre conservatoire, qui pourront être restituées si la décision définitive l'impose.

M. Emmanuel Dellacherie. - Je précise que rien ne changera dans les procédures de recouvrement forcé qui ne sont pas liées à des situations de travail dissimulé.

La solidarité financière est un autre point important. Les donneurs d'ordre ont déjà la capacité de vérifier, sur le site de l'Urssaf, par le biais d'un numéro de sécurité, l'authenticité de l'attestation remise par le sous-traitant. Nous sommes très soucieux de faciliter ces démarches, qui peuvent revêtir une grande importance pour les entreprises, par exemple dans de gros chantiers de BTP où beaucoup de sous-traitants interviennent. Notre système permet déjà une vérification assez simple, mais nous sommes ouverts à l'améliorer, en lien avec les fédérations professionnelles, si celles-ci estiment qu'il peut encore être simplifié.

Mme Pascale Gruny, président. - Merci beaucoup de vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre
de la Cour des comptes

Réunie le mercredi 12 novembre 2025, sous la présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président, la commission procède à l'audition de M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes.

Mme Pascale Gruny, président. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, nous accueillons ce matin M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Monsieur le président, cette audition ayant deux objets, nous devrons tous faire preuve d'une grande concision pour les traiter dans les deux heures qui nous sont imparties.

Nous commençons par l'analyse actualisée de la situation financière de la sécurité sociale que vous avez remise, comme l'année dernière, à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Je vais donc sans plus attendre vous laisser présenter ce document, qui ne pourra qu'éclairer utilement nos travaux sur le PLFSS pour 2026.

Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant par notre rapporteure générale, Élisabeth Doineau.

M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je m'efforcerai d'être concis pour laisser le temps aux questions. Vous êtes désormais familiers de cette note, qui est la deuxième du genre et vous donne la situation de la sécurité sociale en 2025 et dans les prochaines années.

Elle est organisée en trois temps : la situation en 2025 ; la perspective pour 2026, pour laquelle nous nous sommes appuyés sur la lettre rectificative au PLFSS transmise au Parlement le 23 octobre dernier en vue de la suspension de la réforme des retraites ; la situation de la dette sociale. (L'intervenant projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.)

Je commence donc par la situation de la sécurité sociale en 2025. Le graphique que vous avez sous les yeux présente le solde des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) en prévision et en exécution. Vous pouvez voir à quel point le déficit de la sécurité sociale dérive depuis 2023 : il s'élevait à 10,8 milliards d'euros en 2023, à un peu plus de 15 milliards d'euros en 2024, et il s'élève à 23 milliards d'euros en 2025. Un tel déficit a rarement été atteint hors période de crise. Je reviendrai plus avant sur les explications - très nettes - de ce déficit plus que récurrent.

Nous constatons que l'ensemble des branches se dégradent. Le déficit de la branche maladie passe de 13,8 milliards d'euros à 17,2 milliards d'euros, ce qui s'explique en grande partie par le vieillissement de la population et les innovations en santé. Le déficit de la branche vieillesse, malgré l'augmentation du taux de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui a fait l'objet de débats fournis à l'Assemblée nationale, passe de 4,5 milliards d'euros à 5,8 milliards d'euros. En somme, toutes les branches présentent un solde négatif, à l'exception de la branche famille.

Je signale que le solde de la branche autonomie est passé dans le négatif. Le taux de contribution sociale généralisée (CSG) avait permis à cette branche de se maintenir l'année dernière, mais le solde de cette branche va s'aggraver avec le temps pour des raisons structurelles.

Enfin, et c'est peut-être la seule bonne nouvelle, vous remarquerez que, pour la première fois, l'écart entre les prévisions en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) et le constaté est faible. Pour une fois, les prévisions ont quasiment été tenues.

Il est important de préciser que le comité d'alerte de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a joué son rôle - cela n'était pas arrivé depuis longtemps - en mettant en garde contre un risque sérieux de dépassement de l'Ondam, ce qui a conduit le Gouvernement à mettre en oeuvre des mesures pour le prévenir.

Toutefois, nous signalons dans la note que la situation reste fragile. Face au risque de dépassement en fin d'année, nous avons, une nouvelle fois, mobilisé le taux de fuite habituel vers les hôpitaux en annulant des crédits. Je rappelle que, l'année dernière, le déficit des hôpitaux s'élevait à 3 milliards d'euros. La sixième chambre de la Cour des comptes reviendra certainement sur ce sujet de façon plus approfondie, car le problème pourrait devenir récurrent pour les établissements de santé.

Cette dérive mécanique, qui conduit à un enlisement de la sécurité sociale, s'explique tout simplement par un effet ciseau : les recettes suivent mécaniquement le PIB, puisqu'elles dépendent de la TVA et des cotisations sociales. Si des recettes nouvelles ont été décidées - elles ont augmenté de 6,7 milliards d'euros en 2025, ce qui n'est pas neutre -, les recettes tendancielles ont été plus faibles que prévu, ce qui s'explique notamment par des recettes de TVA plus faibles qu'escompté et par la croissance de 0,7 % du PIB en volume.

Les recettes ont ainsi augmenté de 2,4 % en 2025. Ce n'est pas catastrophique, mais cela ne traduit pas le dynamisme que nous pourrions espérer.

En revanche, les dépenses augmentent de manière dynamique, notamment à cause d'un fort effet volume : nous vieillissons, donc il y a plus de retraités et nous sommes plus souvent malades. En ajoutant à cela l'effet prix, nous parvenons à une augmentation de 3,6 % des dépenses en 2025.

Ainsi, le rapport entre recettes et dépenses a été de - 0,7 % en 2024 et de - 1,2 % en 2025. Et il ne faut pas se leurrer, le mécanisme sera le même dans les années à venir. C'est un sujet important pour la tendance du solde de la sécurité sociale.

J'en viens au PLFSS pour 2026. Si aucune mesure nouvelle n'était prise - cela n'est pas totalement exclu... -, le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale passerait de 23 milliards d'euros cette année à 28,7 milliards d'euros en 2026. Et encore, ce chiffre pourrait être supérieur, puisque nous avons tenu compte de l'augmentation du taux de la CNRACL, qui vient d'être supprimée à l'Assemblée nationale.

Le texte initial du PLFSS doit permettre de contenir ce déficit à 17,5 milliards d'euros grâce à des recettes nouvelles et des dépenses moindres.

Les recettes nouvelles doivent rapporter 5,1 milliards d'euros. À cet égard, certaines préconisations formulées par la Cour des comptes dans divers rapports ont été intégrées au PLFSS. Nous avions par exemple indiqué qu'il fallait aller un peu plus loin dans l'ajustement des allégements généraux, ce qui a été fait pour un montant de 1,4 milliard d'euros. De même, les niches sociales ont été réduites pour dégager 1 milliard d'euros de recettes supplémentaires et la taxation sur les assurances complémentaires rapporterait, selon le texte actuel, 1,1 milliard d'euros. Je pourrais également ajouter la fiscalisation des indemnités journalières pour les affections de longue durée (ALD), qui a beaucoup fait parler, pour 0,7 milliard d'euros.

Il est important de préciser que, sur ces 5,1 milliards d'euros, 3 milliards seront confisqués, si je puis dire, au titre des transferts liés aux allégements généraux vers le budget de l'État. Pour notre part, nous estimons que tous les gains réalisés devraient rester dans le budget de la sécurité sociale jusqu'à ce qu'ils soient compensés.

Pour ce qui est des dépenses, elles doivent diminuer de 9 milliards d'euros, dont 6 milliards sur le champ de l'Ondam. C'est un exercice extrêmement audacieux, que certains disent même impossible. Pour notre part, nous estimons que la question doit être mise sur la table. La fragilité de ces réductions de dépenses tient en ce qu'elles reposent sur trois mesures principales : le gel des prestations pour 2,5 milliards d'euros ; le doublement des franchises et participations pour 2,3 milliards d'euros ;...

M. Alain Milon. - Qui ont été supprimées à l'Assemblée nationale...

M. Bernard Lejeune. -... et la baisse de prix et de bon usage des produits de santé pour 2,3 milliards d'euros. Or les deux premières font l'objet de vifs débats.

Peut-être vous interrogez-vous sur l'objectif d'un déficit de 17,5 milliards d'euros. Ce chiffre permet de stabiliser l'ensemble de la dette sociale à court et long terme. Vous aurez compris qu'un déficit de 28,7 milliards d'euros constituerait une dérive particulièrement problématique.

J'en termine en abordant la trajectoire pluriannuelle du déficit de la sécurité sociale.

Les courbes que vous avez sous les yeux montrent que cette trajectoire est toujours pire que celle prévue dans le PLFSS. Pour 2026 et les années suivantes, la courbe ne ferait que se stabiliser autour de - 17,5 milliards d'euros, alors que la trajectoire intègre le gel des pensions et l'augmentation du taux de la CNRACL et se fonde sur des perspectives macro-économiques plutôt optimistes. Nous ne parvenons pas à faire tendre la courbe vers l'équilibre, malgré des choix extrêmement forts d'économies et de recettes.

L'équation est donc particulièrement complexe. Au total, 110 milliards d'euros de dette supplémentaire sont en train de s'accumuler pour l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) sur cinq ans. Dans le même temps, la dette restant à amortir par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) baisse mécaniquement, puisque son exercice doit prendre fin en 2033.

En atteignant un déficit de 17,5 milliards d'euros, la dette de la Cades compenserait celle de l'Acoss. Il s'agit donc d'un horizon minimal à tenir - et vous aurez compris que ce ne sera pas facile. Si nous n'y parvenons pas, la dette de l'Acoss, c'est-à-dire de la dette à court terme, va augmenter beaucoup plus vite, et le solde se détériorera.

L'Acoss fait face à un problème spécifique : le plafond d'autorisation d'endettement à court terme - deux ans maximum - s'établissait à 65 milliards d'euros en 2025 ; le PLF 2026 le fixe à 83 milliards d'euros ; en 2029, ce plafond atteindrait les 135 milliards d'euros. Dans le fond, une dette à court terme n'est jamais bonne. Surtout, nous le rappelons à chaque fois et le directeur de l'Acoss l'a fait devant votre commission, l'Acoss s'expose au risque d'une crise de liquidités. Il est difficile de déterminer le degré de ce risque, mais le marché à court terme est par définition plus risqué que celui à long terme, car il dépend du contexte économique et de facteurs exogènes.

Or l'Acoss est un très gros émetteur et pourrait rencontrer des difficultés à trouver des fonds. Dans ce cas, nous pourrions trouver des solutions ; nous n'allons pas à la catastrophe. Mais le financement à court terme n'est pas très sain pour l'Acoss et la sécurité sociale.

Ce que nous indiquons dans notre analyse, c'est que la question de la reprise de la dette sociale par la Cades finira par se poser. Ce serait une décision très forte, qui relève d'une loi organique. Il est évident que le financement actuel de la sécurité sociale n'est pas adapté à cette situation de déficit permanent.

En tout cas, une telle reprise de la dette par la Cades n'a de sens que si elle s'accompagne d'une trajectoire de retour vers l'équilibre. La réduction du déficit à 17,5 milliards d'euros serait déjà une étape importante, quelles qu'en soient les modalités, mais il faudrait en faire encore davantage pour tendre vers zéro. Dès lors, la reprise par la Cades aurait du sens : cela reviendrait certes à prolonger l'amortissement, mais cela permettrait de repartir ensuite sur des bases saines.

Au risque de casser l'ambiance, il faut bien être conscients que nous sommes en permanence confrontés à l'effet ciseau, ce qui nous oblige soit à trouver des recettes nouvelles, soit à réaliser des économies fortes, soit les deux.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci, monsieur le président, de nous avoir brossé ce tableau. La réalité que vous nous exposez aurait dû casser l'ambiance il y a déjà longtemps. Nous le disons depuis plusieurs années : les années « open bar », c'est terminé. Seulement, nous ne savons pas faire d'efforts en France, et c'est tout le problème !

Ma première question porte sur la réduction du déficit. Vous avez bien exposé les enjeux et les contraintes : le déficit de la sécurité sociale est estimé à 23 milliards d'euros en 2025 et le texte initial du PLFSS vise un déficit de 17,5 milliards d'euros en 2026. Jusqu'à présent, nous faisons la course à l'envers : à chaque budget, au lieu de faire mieux, nous faisons moins bien.

Nous constatons que le Gouvernement continue de lâcher du lest à l'Assemblée nationale pour l'objectif de déficit en 2026. Nous avons senti, lors de l'audition du ministre du travail, Jean-Pierre Farandou, qu'il se laissait une petite marge de manoeuvre. Un déficit, par exemple, de 20 milliards d'euros en 2026 vous semblerait-il acceptable ? Cela remettrait-il en cause la crédibilité de l'objectif de retour à l'équilibre en 2029, qui figure dans le III du projet d'annexe ?

Nous avons l'impression d'une fuite en avant continuelle : nous ne parvenons pas à faire les économies nécessaires pour ne serait-ce que stabiliser - je ne parle même pas de le réduire - le déficit. Certes, les députés ont de l'imagination pour trouver des recettes nouvelles, mais pour ce qui est de réduire les dépenses, c'est plus compliqué...

Ma deuxième question résonne avec la fin de votre propos. Je m'interroge sur la note de bas de page n° 65 de votre rapport : « Le rythme de remboursement actuel de la Cades est plus rapide que prévu, ce qui devrait éteindre la dette dont elle a la charge au cours du second semestre 2032, au lieu du 31 décembre 2033 (dégageant une ressource non affectée de l'ordre de 20 milliards d'euros, pouvant ouvrir la voie à une reprise partielle de dette dont les conditions juridiques doivent être précisées). ». Est-il opportun de pointer cela, au risque que certains en prennent prétexte pour remettre encore une fois à plus tard les efforts budgétaires ?

La situation est très bien résumée par un dessin : la France est représentée par un personnage que l'on gave, au pied duquel pèse un boulet de plus en plus lourd, celui de la dette. Plus on ira loin dans le gavage, plus il lui sera difficile de maigrir, c'est-à-dire de réduire la dette. Plus nous retardons le moment de faire collectivement des efforts, plus nous nous exposons au risque que le système explose.

Par ailleurs, l'extinction de la dette sociale au second semestre 2032 correspond au scénario médian de la Cades. Ne risquerait-on pas, en transférant 20 milliards d'euros de dette, de ne pas respecter l'échéance organique de 2033 ?

Enfin, la note fait référence à des conditions juridiques qui doivent être précisées. S'agit-il de la nécessité d'augmenter les recettes de la Cades ? Si oui, quelle est l'analyse de la Cour à ce sujet ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Monsieur le président, vous indiquez, dans votre rapport, que la hausse affichée de l'Ondam 2026 à 1,6 % repose « à la fois sur des économies précises et documentées et sur des mesures moins précises ». Ce sont précisément les « mesures moins précises » qui nous préoccupent. Nous savons tous qu'il ne suffit pas de décréter des mesures de maîtrise tarifaire et de régulation pour qu'elles soient suivies d'effet.

Jugez-vous insincère la prévision du Gouvernement sur l'Ondam ? Que manque-t-il au PLFSS pour définir une prévision sincère et tenable ? Depuis plusieurs années, notre commission répète que l'Ondam n'est plus pilotable. Qu'en pensez-vous ?

Votre présentation était très précise, mais vous n'avez pas évoqué le coût du Ségur de la santé et ses effets sur le déficit de la sécurité sociale. Je ne dis pas qu'il ne fallait pas prendre les mesures décidées à cette occasion, mais chacun reconnaît désormais qu'elles n'étaient pas financées. Pour la clarté du débat et la transparence des finances publiques, il serait bon d'ajouter chaque année au PLFSS une petite ligne affichant le montant du Ségur de la santé et son impact sur le déficit, qui est en quelque sorte une dette de l'État vis-à-vis de la sécurité sociale.

Mme Pascale Gruny, président, rapporteur pour la branche vieillesse. - Monsieur le président, je me permets de vous poser une question en tant que rapporteur pour la branche vieillesse.

Vous rappelez dans votre rapport que le déficit de la branche vieillesse et du FSV augmente de 1,3 milliard d'euros par rapport à 2025 pour atteindre 5,8 milliards d'euros. Vous avez déjà formulé dans votre rapport de février dernier sur le financement du système de retraites de nombreuses préconisations pour réduire les dépenses du système de retraites, parmi lesquelles figure la minoration des pensions sur l'inflation.

Cette mesure étant reprise à l'article 44 du PLFSS pour 2026, je ne vous interrogerai pas sur ce point. Ma question portera plutôt sur le dispositif de carrières longues, auquel le Gouvernement a décidé d'étendre, à l'article 45 bis, la mesure de décalage de la durée d'assurance qui avait été fixée par la réforme Borne.

Pour l'heure, ce dispositif confond carrières précoces et carrières longues. Pensez-vous que le fait de le restreindre aux métiers pénibles causant une véritable usure professionnelle emporterait des conséquences financières significatives pour la branche vieillesse ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Les transferts financiers semblent malheureusement durables et structurels. Je m'interroge sur leur montant, que l'« effet bandeau » ne suffit pas à expliquer.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - Dans votre dernier rapport, monsieur le président, vous déplorez que les besoins de financement de la branche autonomie ne fassent pas l'objet d'une analyse approfondie, alors qu'ils sont massifs. Face aux enjeux liés au vieillissement de la population, il nous faut trouver de nouvelles recettes ; la Cour des comptes a-t-elle exploré de nouvelles pistes de financement en la matière ?

M. Bernard Lejeune. - Le PLFSS pour 2026 prévoit de réduire le déficit de la sécurité sociale, qui doit atteindre 17,5 milliards d'euros. C'est à partir de ce montant que la dette sociale pourra se stabiliser, plus à court terme qu'à long terme. Au-delà de cet objectif, la situation continuera de se détériorer. Cependant, il faudrait tendre vers zéro, notamment pour assurer le principe d'équité intergénérationnelle.

En ce qui concerne les 20 milliards d'euros qui pourraient être dégagés en raison du rythme de remboursement de la Cades, il s'agit d'une estimation. Nous ne cherchons pas à inciter, mais à donner aux parlementaires les informations dont nous disposons. Par ailleurs, le dégagement de cette ressource ne réglerait rien sur le fond ; il pourrait nous permettre de descendre d'une marche, mais nous continuerions de monter l'escalier. Il faudra sûrement passer par le Conseil d'État pour examiner de près les conditions juridiques du prolongement de la Cades ; cette opération n'est pas simple et mérite une expertise que nous n'avons pas.

J'en viens à l'Ondam. Certains éléments paraissent clairs et d'autres sont moins documentés. Compte tenu de son niveau, cet objectif de dépenses pourrait être plus documenté et solide. Je ne serais pas surpris que certaines dépenses augmentent, notamment pour les soins de ville et les hôpitaux, et qu'il faille prendre des mesures conjoncturelles et techniques. Les mesures structurelles manquent pour tous les projets. À titre d'exemple, la prévention représente une potentielle mine de progrès pour certaines pathologies majeures telles que les accidents vasculaires cérébraux (AVC), le cancer du sein ou le diabète. Des pistes existent, qui nécessitent un travail dans le temps.

La mise en oeuvre du Ségur de la santé n'est pas financée. De plus, nous sommes confrontés à un effet ciseau, qui constitue un problème de fond pour la sécurité sociale, lié au vieillissement de la population et à ses impacts.

Nous travaillons à une évaluation sur la question de la pénibilité et une autre est prévue pour l'an prochain, qui portera sur le dispositif des carrières longues. En effet, on s'aperçoit que les personnes partant à la retraite à 62 ans pour bénéficier du cumul emploi-retraite sont en grande partie des cadres hommes plutôt bien payés et bien portants ; ce n'est pas la population que nous pensions viser grâce au dispositif. Il s'agit d'un effet d'aubaine et nous ne reprochons pas à ceux qui l'ont utilisé de l'avoir fait ; ils ont suivi la règle. En revanche, la question du ciblage se pose, pour la pénibilité et les carrières longues.

Mme Sandrine Duchêne, conseillère maître en service extraordinaire à la Cour des comptes. - La réforme des allégements généraux qui doit s'appliquer en 2026 aura un impact important sur la branche famille - comme sur la branche maladie -, puisqu'elle prévoit la suppression des bandeaux. Dans le PLFSS et le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, des fléchages ont été mis en place afin que l'impact soit neutre en termes de branches. Il faudra étudier la question lors de l'examen du texte, mais nous pensons qu'il n'y aura pas d'impact financier majeur pour la branche famille.

En revanche, cette branche compte des dépenses supplémentaires, liées notamment au service public de la petite enfance et à l'aménagement du congé parental. La branche fait donc davantage face à un sujet de dépenses au long cours qu'à un sujet de recettes.

M. Bernard Lejeune. - Si la question de réaliser des économies, voire de trouver des recettes, se pose pour les autres branches, ce n'est pas le cas pour la branche autonomie, qui est confrontée à un problème de financement. Mécaniquement, le déficit de cette branche ne peut que se détériorer. En effet, la perte d'autonomie, qui survient à 85 ans en moyenne, touchera de très nombreuses personnes aux alentours de 2030. Le pire est donc à venir.

Le Gouvernement a plutôt examiné des projections à l'horizon 2030 et n'a pas osé aller un peu plus loin. On peut douter de la concrétisation du « virage domiciliaire », en raison d'un manque de ressources humaines et du nombre de personnes qui seront concernées en 2030.

Le sujet de l'accueil en Ehpad est moins tendu qu'il ne l'a été, mais redeviendra très problématique à partir de 2030 et au-delà. Il nous faut anticiper, notamment en matière de recettes nouvelles et de construction de places, pour faire face à la tendance démographique.

M. Dominique Théophile. - Je participe à l'examen du PLFSS depuis huit ans et, chaque année, nous retrouvons les mêmes revendications et les mêmes problèmes. La Cour des comptes s'est-elle déjà penchée sur une réforme structurelle du système ? A-t-elle pris connaissance de la proposition de la Fédération hospitalière de France visant à élaborer une loi de programmation pour le secteur de la santé ?

Nous ne pourrons pas inverser la tendance en conservant notre système, qui est à bout. Pour diminuer le déficit et avoir un espoir de retrouver l'équilibre, il faudrait atteindre un résultat nul sur un exercice budgétaire, faire quelques années blanches et revisiter la structure de notre système de santé.

M. Bernard Jomier. - Cette année, la dépense d'assurance maladie sera à peu près conforme à ce qui a été prévu ; il faut le souligner, car ce n'était pas arrivé depuis longtemps.

Le contenu précis du projet de loi est encore très mouvant : nous ignorons comment l'Assemblée nationale délibérera, ce que le Gouvernement reprendra, quel sera le budget finalement adopté et quelles mesures réglementaires seront prises.

L'État ne se prive pas d'utiliser le budget de la sécurité sociale. Cette année, il reprend environ 3 milliards d'euros, au moyen de l'article 12 du projet de loi, et cette donnée n'apparaît nulle part dans le débat public. La ministre de la santé dit qu'il faut responsabiliser les assurés et, discrètement, l'État prend 3 milliards d'euros à la sécurité sociale ! D'abord, pouvez-vous confirmer que tel est bien l'objet de cet article ?

Ensuite, est-ce le rôle de la sécurité sociale de soutenir l'activité économique ? Par un ensemble de mécanismes, on met à la charge de la sécurité sociale des dépenses qui ne relèvent pas stricto sensu du champ social. Il serait intéressant que la Cour des comptes, garante de l'ordre dans nos finances publiques, nous aide à y voir plus clair et à poser des règles.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je voudrais revenir sur cette question du transfert de 3 milliards d'euros. D'abord, je ne comprends pas que l'impact des réformes pour 2025, qui s'élevait à 1,4 milliard d'euros, figure dans l'exercice 2026.

Ensuite, je voudrais revenir sur le sens de cette mesure. Le mécanisme est assez simple : l'État devait compenser des exonérations de cotisations employeur. En raison des réformes adoptées l'an dernier, notamment sur les bandeaux famille et maladie, les recettes supplémentaires s'élèveront à 5 milliards d'euros. En effet, la sécurité sociale récupérera un niveau normal de cotisations patronales. Pourquoi transférer 3 milliards d'euros sur ce montant ? Il semblerait que l'on mesure l'impact sur l'État de la perte de certaines ressources fiscales. Mais en quoi cet impact concerne-t-il la sécurité sociale ? Il s'agit d'une décision discriminatoire. Comment l'État justifie-t-il de retenir cette somme ?

M. Daniel Chasseing. - Nous n'anticipons pas les dépenses liées au vieillissement. Pourtant, 13 millions de personnes relèvent aujourd'hui d'ALD, elles seront 18 millions en 2038, contre 9 millions en 2011. Les trois quarts des dépenses de l'assurance maladie sont dus aux ALD. Nous pourrions faire de la prévention, mais les bénéfices ne se feront sentir qu'à long terme.

L'Assemblée nationale a voté la suppression de la contribution des mutuelles, de la taxe sur les restaurants, de la baisse de la CSG et de l'année blanche. Il faudra donc dépenser 2 milliards d'euros supplémentaires. Le déficit sera bien supérieur à ce qui est prévu.

Certes, nous pouvons mettre fin aux exonérations des entreprises. Cependant, l'emploi des jeunes de 15 à 25 ans est déjà bien plus faible que dans d'autres pays, comme l'Allemagne, et la situation est pire encore pour les seniors. En supprimant les exonérations, nous aggraverions le taux de chômage et donc les recettes de la sécurité sociale. Nous sommes dans une impasse.

Nous ne nous adaptons pas au déficit permanent et ne définissons pas de trajectoire crédible. Ne faudrait-il pas proposer d'autres solutions ? En effet, malgré le travail mené pour lutter contre les fraudes et réaliser des économies, les dépenses vont augmenter en raison du vieillissement de la population. Comme nous ne pouvons pas augmenter les cotisations des entreprises, ne faudrait-il pas rechercher des ressources liées à la CSG ou à la TVA sociale, comme cela est fait dans d'autres pays ?

Mme Brigitte Bourguignon. - Je voudrais revenir sur la question de l'anticipation de la perte d'autonomie. En la matière, ne rien faire serait dévastateur pour le modèle social. On entend beaucoup parler de gel des pensions, de participation financière ou de franchise, ce qui suscite colère et incompréhension. Toutefois, nos réflexions collectives omettent les mesures qui permettraient de lutter pour retarder la perte d'autonomie. De belles innovations ont été observées sur nos territoires, comme le développement du programme Icope (Integrated Care for Older People) à Toulouse, qui vise à promouvoir le dépistage précoce, la coordination territoriale et l'implication des acteurs. De telles initiatives sont présentes de manière trop éparse sur les territoires. Comment miser une fois pour toutes sur cet investissement social pour le futur qu'est la prévention ?

Le virage domiciliaire constitue une solution, à condition de travailler sur la notion même de domicile. Les formes alternatives d'habitat offrent des possibilités.

M. Bernard Lejeune. - Le projet actuel propose des solutions conjoncturelles et reprend un modèle constant. Les réformes plus structurelles ont des effets qui prennent du temps à se manifester.

J'insiste sur la prévention, qui constitue un angle mort et un point particulièrement faible en France. Nous soignons très bien, mais ne faisons pas assez de prévention, contrairement à d'autres pays.

D'autres mesures structurelles seraient à envisager, notamment en ce qui concerne notre modèle d'organisation des soins de ville, qui est particulièrement coûteux et glissant. Ce modèle pose la question du rôle du médecin traitant, de sa place, de son temps de travail et de sa rémunération. D'autres pays ont mis en place d'autres modèles et il serait intéressant de les étudier. Nous allons nous atteler à cette tâche.

Enfin, des questions simples se posent aussi. Ainsi, le dossier médical partagé (DMP) est peu utilisé et les patients passent leur temps à refaire des analyses.

Chacun fait un peu ce qu'il veut et souhaite échapper aux contraintes. On finit ainsi par développer des modèles d'organisation structurelle très coûteux. Il ne s'agit pas, en modifiant certains éléments structurels, de remettre en cause le modèle de sécurité sociale existant. Il s'agirait de se pencher sur tous ces sujets plutôt que de ne prendre que des mesures conjoncturelles, qui finiront par trouver leurs limites.

J'en viens aux allégements généraux et à la relation entre les budgets de l'État et de la sécurité sociale. Nous avons traité ce sujet dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss). Nous avons d'abord procédé à un calcul, qui a été difficile à effectuer tant le suivi de cette question n'est plus assuré par l'État depuis 2019. Nous avons obtenu un montant de non-financement s'élevant à 5,5 milliards d'euros. La Cour a souligné qu'il aurait été préférable de laisser les 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires à la sécurité sociale, ce qui aurait permis de diminuer d'autant le montant du non-financement.

Cela pose toutefois la question du mode de financement, car la TVA n'a pas la même dynamique que les allégements généraux. Je souligne à cet égard que nos pistes d'économies sur les allégements généraux ont été utilisées pour les reprofiler.

Même si aucun texte ne l'impose, la Cour est favorable à une compensation équilibrée. Bien sûr, cela ne change rien aux finances publiques, mais la sécurité sociale a son propre équilibre budgétaire - c'est une question d'équité intergénérationnelle. Sinon, autant supprimer le PLFSS et s'en tenir au seul PLF ! C'est peut-être le rêve de Bercy, mais pas celui de la Cour...

Certaines économies prévues au PLFSS sont issues de recommandations de la Cour. Il peut y avoir d'autres pistes - c'est votre rôle - tant que l'on ne va pas au-delà des 17,5 milliards d'euros de déficit. Pour améliorer ce solde, il faudra des mesures structurelles.

Il est évident que le nombre d'ALD va augmenter. On constate parfois que des personnes sont encore en ALD alors qu'elles ne devraient plus l'être ; d'autres pays en comptent beaucoup moins : notre dispositif, et notamment son pilotage, mérite donc d'être revisité.

Bien sûr, toutes ces mesures sont délicates à mettre en place parce que l'on touche au grand âge, à la maladie, aux enfants. La sécurité sociale, c'est nous.

Madame Bourguignon, le virage domiciliaire est bien entendu une solution, mais cela ne pourra pas être la seule. Les pistes que vous évoquez mériteraient d'être étudiées et j'espère que notre rapport sera une source d'inspiration.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

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