II. LE DÉCALAGE D'UNE GÉNÉRATION DE LA RÉFORME DES RETRAITES DE 2023 PAR UNE LETTRE RECTIFICATIVE
A. PRÉSENTATION DE LA MESURE
La mesure dite de « suspension » de la réforme des retraites de 2023 figure à l'article 45 bis du PLFSS, introduit par la lettre rectificative du 23 octobre 2025.
1. Les AOD et DAR prévus par la réforme de 2023 serait atteints pour les générations 1969 et 1966 (au lieu de 1968 et 1965)
Il s'agit en fait d'un simple décalage d'une génération, la décision de suspendre indéfiniment la réforme pouvant être prise le cas échéant à l'issue de la prochaine élection présidentielle.
La mesure proposée consiste :
- dans le cas de l'âge d'ouverture des droits (AOD), à le maintenir pour la génération 1964 à son niveau actuel, soit 62 ans et 9 mois, l'augmentation d'un trimestre par génération reprenant pour les générations suivantes. L'AOD atteindrait 64 ans pour la génération 1969 (qui pourrait partir à la retraite à partir du 1er janvier 2033) au lieu de la génération 1968 (qui selon le droit actuel pourrait partir à la retraite à partir du 1er janvier 2032). Le décalage concernerait donc cinq générations (de 1964 à 1968) ;
- dans le cas de la durée d'assurance requise (DAR), à la maintenir à son niveau actuel, soit 42 ans et 6 mois (170 trimestres), pour la génération 1964 (dont la DAR aurait dû passer à 42 ans et 9 mois). Ce décalage d'un trimestre serait maintenu pour la génération 1965, dont la DAR serait donc de 42 ans et 9 mois (au lieu de 43 ans). La cible actuelle pour la DAR, de 43 ans, inchangée par la mesure de décalage, serait donc atteinte pour la génération 1966 (au lieu de la génération 1965). Dans le cas de la DAR le décalage ne concernerait donc que deux générations (1964 et 1965).
2. Un décalage correspondant à une suspension pour la seule génération 1964
Le décalage ne correspondrait à une suspension (c'est-à-dire à une absence de changement par rapport aux AOD et DAR actuels) que pour la génération 1964.
Le prochain recul de l'AOD et de la DAR concernerait la génération 1965, qui pourrait partir à la retraite à 63 ans après une durée d'assurance de 42 ans et 9 trimestres, soit au mieux à partir du 1er janvier 2028, date postérieure à la prochaine élection présidentielle.
3. L'exclusion des départs anticipés du champ de la mesure
Les personnes pouvant prendre leur retraite de manière anticipée (carrières longues, catégories actives) ne seraient pas concernées par la mesure de décalage.
Lors de son audition par la commission le 28 octobre 2025, le ministre du travail et des solidarités a considéré « qu'il n'était pas anormal d'exclure du calcul le sous-ensemble de salariés qui n'étaient pas concernés par la montée à 64 ans : les carrières longues, qui partent à la retraite avant cet âge, parce qu'elles ont commencé à travailler tôt ; les régimes spéciaux, qui, par nature - [comme] celui de la SNCF -, partent aussi beaucoup plus tôt ».
L'exclusion des départs anticipés du champ de la mesure s'explique notamment par des raisons pratiques. Lors de son audition le 28 octobre 2025 par la rapporteure générale et le rapporteur de la branche vieillesse, la direction de la sécurité sociale a indiqué que l'inclusion des départs anticipés dans le champ de la mesure, qui aurait permis des départs dès le 1er janvier 2026, n'aurait pas pu être mise en oeuvre par les caisses, ce qui aurait impliqué des reliquidations. De même, lors de son audition par la commission le 29 octobre 2025, le directeur général de la Cnav a considéré que la réforme ne pouvait entrer en vigueur au 1er janvier 2026, le délai nécessaire pour réaliser les développements informatiques, et donc éviter les reliquidations, étant selon lui de cinq mois33(*).
L'exclusion des départs anticipés du champ de la mesure se justifie également par la nécessité de ne pas dégrader encore davantage la situation des finances publiques (cf. infra).
4. Le maintien des mesures coûteuses de la réforme de 2023
Les mesures coûteuses accompagnant la réforme de 2023 seraient en revanche maintenues.
Pour mémoire, selon les données transmises à la commission lors de la discussion de la réforme de 2023, la réforme devait améliorer le solde 2030 de 13,5 milliards d'euros. Les mesures d'amélioration du solde (19,4 milliards d'euros), correspondant en quasi-totalité au relèvement de l'âge d'ouverture des droits et de la durée d'assurance requise, étaient en effet partiellement compensées par 5,9 milliards d'euros de mesures d'accompagnement (invalidité, inaptitude à 62 ans, carrières longues, pensions minimales).
* 33 « J'en viens à la faisabilité informatique. Il nous faut un délai de cinq mois, comme l'expérience me l'a montré, notamment lors de la réforme Borne. Avec neuf mois devant nous, vous avez face à vous un gestionnaire heureux ! Si la mesure devait entrer en vigueur au 1er janvier, cela serait impossible. Nous serions en conformité en mai, si bien que les dossiers de janvier à mai seraient bloqués : des assurés ne toucheraient pas leur retraite pendant plusieurs mois. À cette date, le texte n'a pas d'impact de recalcul. L'entrée en vigueur est prévue au 1er septembre 2026 : nous calculerons d'emblée les bons montants. » (Renaud Villard, directeur général de la Cnav, audition par la commission des affaires sociales du Sénat, 29 octobre 2025).