B. DES CHIFFRAGES DIFFÉRENTS SELON LE CHAMP RETENU ET SOUMIS À UN ALÉA COMPORTEMENTAL
1. De nombreux montants évoqués par les médias, correspondant à des champs différents
Si le coût de la suspension de la réforme des retraites serait mineur en 2026, il serait en revanche important en 2027.
L'encadré ci-après met en perspective les principaux montants évoqués dans les médias. Ils concernent le système de retraite (c'est-à-dire, outre la sécurité sociale, les régimes complémentaires obligatoires de retraite et l'État34(*)) et les administrations publiques dans leur ensemble.
Le coût de la suspension de la
réforme des retraites : mise en perspective
des principaux
montants évoqués dans les médias
Coût pour le seul système de retraite
Selon le texte résultant de la lettre rectificative, le coût de la suspension de la réforme des retraites est estimé, pour le seul système de retraite (c'est-à-dire, outre la sécurité sociale, les régimes complémentaires obligatoires de retraite et l'État), à 100 millions d'euros en 2026 et 1,4 milliard d'euros en 2027.
Lors de son discours de politique générale le 14 octobre 2025, le Premier ministre avait indiqué que le coût de la mesure pour le système de retraite était « de 400 millions d'euros en 2026 et de 1,8 milliard d'euros en 2027 ».
Selon les indications transmises à la commission, l'écart entre ces deux estimations vient du fait que celle du discours de politique générale prévoyait d'inclure dans le champ de la mesure les départs anticipés (carrières longues et catégories actives)35(*).
Selon le Gouvernement, le coût de la mesure figurant dans le texte transmis au Sénat, incluant les départs anticipés, est de 0,3 milliard d'euros en 2026 et 1,9 milliard d'euros en 2027.
Coût pour l'ensemble des administrations publiques
Le 8 octobre 2025, le Premier ministre a déclaré sur France 2 que le coût de la suspension serait de « pas moins de trois milliards d'euros » en 2027. Le même jour, Roland Lescure a annoncé que la mesure coûterait « des centaines de millions en 2026, des milliards en 2027 », et TF1-LCI a précisé que « Bercy chiffre une mise en pause de la réforme à 500 millions d'euros en 2026 et trois milliards d'euros en 2027 ».
Le 15 octobre 2025, la ministre de l'action et des comptes publics a précisé sur TF1 que ce chiffrage à 500 millions d'euros et 3 milliards d'euros correspondait au « coût pour l'économie en général ».
Selon les indications transmises à la commission, ces montants s'entendent pour l'ensemble des administrations publiques36(*). En effet, le recul de l'âge de la retraite suscite une moindre activité économique, et donc des pertes de recettes pour l'ensemble des administrations publiques.
2. Des chiffrages du PLFSS reposant sur l'hypothèse que seulement la moitié environ des assurés concernés décident de partir plus tôt à la retraite
La mesure a été simulée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) au moyen du modèle de microsimulation Prisme37(*).
Lors de son audition par la commission le 29 octobre 2025, le directeur général de la Cnav a souligné que ces simulations s'appuyaient sur des hypothèses comportementales, par nature en partie conventionnelles. En effet, si un recul de l'âge d'AOD suscite mécaniquement un recul des départs, l'effet de son anticipation dépend du comportement des salariés.
Ainsi, les chiffrages du Gouvernement s'appuient sur l'hypothèse qu'environ la moitié des personnes concernées ne décaleraient pas leur âge de départ à la retraite. Si elles décalaient toutes leur départ, le coût serait à peu près double38(*).
L'importance des hypothèses
comportementales,
selon l'évaluation préalable
« Parmi les hypothèses comportementales retenues, il est fait l'hypothèse que même avec une baisse de l'AOD et de la DAR, tous les assurés n'anticiperaient pas leur liquidation.
- En effet, les assurés souhaitant partir avec le taux plein pourraient ne plus remplir la condition de durée d'assurance requise en avançant l'âge légal de départ à la retraite et donc renoncer à une anticipation de leur liquidation.
- De même, certains assurés moins sensibles à l'AOD pourraient ne pas anticiper leur départ, comme les personnes qui surcotent ou les assurés partant à l'âge du taux plein (AAD39(*)).
- Au sein de la génération 1964, les assurés des premiers déciles de pension sont concernés par une hausse de leur pension moyenne à la liquidation de 0,2 % environ. Cette génération serait concernée par une baisse de la DAR permettant aux assurés liquidant avec décote, plus représentés dans les premiers déciles de pension, d'améliorer leur pension grâce à une proratisation plus favorable et un nombre de trimestres manquants moins élevé. Dans les déciles plus élevés la pension moyenne diminuerait en revanche de 0,2 % environ.
- Les assurés avançant leur départ valideraient moins de trimestres, cumuleraient moins de points dans les régimes complémentaires et verraient potentiellement leur salaire annuel moyen (SAM) diminuer. »
Source : Évaluation préalable de l'article 45 bis du PLFSS
* 34 Qui équilibre le régime de retraite de la fonction publique d'État.
* 35 Selon le directeur général de la Cnav, « il est possible ou non d'inclure le dispositif lié aux carrières longues. L'effet comportemental est, dans ce cas, très important. On atteint alors potentiellement un coût de 400 millions d'euros en 2026 et 1,8, voire 1,9 milliard d'euros en 2027 » (audition par la commission des affaires sociales du Sénat, 29 octobre 2025).
Selon la direction de la sécurité sociale, « le champ correspond bien au champ système de retraite tous régimes. Le chiffrage de 400 millions d'euros en 2026 et 1,8 milliard d'euros en 2027 correspondait à un scenario qui incluait notamment les départs anticipés, qui n'est finalement pas le scénario qui a été retenu pour la lettre rectificative. [...] Un coût de 400 millions d'euros en 2026 correspondrait à l'application de la réduction de la durée d'assurance requise pour l'ensemble des départs sur l'ensemble de l'année 2026 pour les personnes des générations 1964 et 1965 et une suspension de la progression de l'âge d'ouverture des droits pour l'ensemble des personnes y compris celles relevant des catégories actives et superactives » (réponse à la rapporteure générale et au rapporteur de la branche vieillesse).
* 36 Selon le directeur général de la Cnav, « si l'on s'intéresse à l'effet sur toutes les administrations publiques, c'est la direction générale du Trésor qui réalise les chiffrages : ainsi l'on atteint 3 milliards d'euros. » (audition par la commission des affaires sociales du Sénat, 29 octobre 2025).
* 37 Projection des RetraItes, Simulations, Modélisation et Evaluations.
* 38 « Le nombre d'assurés concernés par la suspension dépendra des comportements : en année pleine, selon l'hypothèse maximale, 400 000 assurés prendraient leur retraite plus tôt ; selon nos hypothèses comportementales, ce serait seulement 250 000 personnes. Nos hypothèses de comportement restent cependant fragiles, car il est rare que l'on s'intéresse à une réduction de l'âge de départ à la retraite. [...] [En fonction de] l'analyse comportementale [,] les chiffres peuvent passer du simple ou double. Notre hypothèse centrale est qu'un assuré sur deux va anticiper son départ. Si tous les assurés anticipent leur départ, le coût sera double. Entre tout ou rien, la vérité est sans doute entre les deux » (Renaud Villard, directeur général de la Cnav, audition par la commission des affaires sociales du Sénat le 29 octobre 2025).
* 39 Note de la rapporteure générale : il s'agit de l'âge d'annulation de la décote, fixé à 67 ans.