EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 19 novembre 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'examen des crédits de la fonction publique et de la réforme de l'État, sur le rapport de M. Philippe Marini, rapporteur spécial et à l'audition de M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation, sur les crédits de son département ministériel.
I. EXAMEN DES CREDITS DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA RÉFORME DE L'ETAT, SUR LE RAPPORT DE M. PHILIPPE MARINI, RAPPORTEUR SPÉCIAL
Au cours d'une séance tenue le mardi 19 novembre 1996, la commission des Finances a examiné, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, les crédits de la fonction publique et de la réforme de l'État, sur le rapport de M. Philippe Marini, rapporteur spécial.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a rappelé que les crédits de la fonction publique recouvraient deux entités bien différentes : d'une part, l'ensemble des charges de personnel correspondant aux rémunérations, cotisations sociales et charges de pensions de la fonction publique d'État, qui sont des dépenses transversales à l'ensemble des départements ministériels et, d'autre part, les crédits du ministère de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation, rattachés aux services du Premier ministre, et individualisés dans le budget de ces services.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a d'abord présenté les charges de personnel de l'État, qui progressent de 2,68 % et atteignent 581,9 milliards de francs en 1997, soit 37,5 % du total des dépenses du budget général.
La progression de 1,9 % des rémunérations sur les budgets civils (+5,5 milliards de francs) résulte pour 1,9 milliard de francs de mesures catégorielles, pour 1,5 milliard de francs d'une provision inscrite au budget des charges communes pour des mesures intéressant la fonction publique, Pour - 0,8 milliard de francs des économies liées aux 9.283 suppressions d'emplois dans les budgets civils, et pour le solde, soit environ 2,8 milliards de francs, au coût des 3.684 créations d'emplois, à l'extension en année pleine des créations d'emplois de 1996 dans le secteur de l'enseignement, et au coût du "glissement vieillissement technicité".
Les charges de pensions civiles progressent de +3,6 % : depuis plusieurs années, ces charges progressent plus vite que les rémunérations, car elles reflètent la progression des effectifs de pensionnés, qui devrait aller s'amplifiant au cours des prochaines années.
Enfin, les dépenses de charges sociales progressent en 1997 de 4,3 %, sous l'influence d'une progression de 2,6 milliards de francs du versement à la caisse nationale d'allocations familiales, et d'une augmentation de 1,4 milliard de francs des crédits de compensation démographique entre régimes de sécurité sociale d'assurance vieillesse.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a ensuite rappelé que la politique de la fonction publique s'exerçait dans un cadre très contraignant, puisqu'après une période de progression de près de 12 % des emplois civils, entre 1980 et 1996, les suppressions d'emplois ne peuvent désormais s'effectuer que par un non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite.
Par ailleurs, le poids des effectifs conditionne les marges de revalorisation des traitements : ainsi, une augmentation de 1 % du "point fonction publique", unité de calcul de base des traitements (322,44 francs) coûterait plus de 6 milliards de francs au budget de l'État.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a ensuite souligné que la dépense induite de la fonction publique s'élèverait à 649 milliards de francs en 1996, soit 41,8 % des dépenses du budget général de l'État, et devrait progresser de + 2,3 % en 1997, son poids progressant de près d'un point dans les dépenses de l'État du fait de l'effort de maîtrise des charges réalisé en 1997.
Puis, le rapporteur spécial a précisé que les agents du secteur public comprenaient, au-delà des agents de l'État, ceux des établissements publics nationaux et des entreprises du secteur public, et que la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière comptaient respectivement 1,4 million et 843.000 agents. Il a souligné que si l'on tenait compte des effectifs d'agents bénéficiant d'une pension indexée sur la rémunération des fonctionnaires, c'étaient près de 9 millions de personnes au total qui relevaient de la politique salariale de la fonction publique.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a ensuite présenté les crédits du ministère de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation, chargé de la mise en oeuvre de la politique d'ensemble de la fonction publique, de la tutelle des établissements de formation des fonctionnaires (ENA, IRA...), de la coordination des actions engagées dans le cadre de la réforme de l'État, et de la modernisation de l'administration.
Le rapporteur spécial a indiqué qu'en 1997, les crédits progressaient de 14,2 % et atteignaient 1.178 millions de francs, notamment à cause de l'inscription de 150 millions de francs de crédits destinés au fonds pour la réforme de l'État, dont 40 millions de francs destinés à des dépenses en capital.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a ensuite évoqué les objectifs prioritaires de la réforme de l'État, définis par une circulaire du Premier ministre du 26 juillet 1995.
Actuellement, les réalisations les plus avancées concernent l'amélioration des relations entre les administrations et les citoyens, un projet de loi spécifique, relatif à des simplifications de procédures, et à la création des maisons de service public, ayant été adopté en conseil des ministres le 11 septembre dernier.
Par ailleurs, le Premier ministre doit se prononcer d'ici à la fin de l'année sur les projets de réorganisation de chaque ministère, mettant en oeuvre la réduction de 10 % des effectifs réels des administrations centrales, mais aussi la diminution de 30 % du nombre de directions centrales et le renforcement de fonctions défaillantes ayant un caractère stratégique, tandis que des schémas de réorganisation seront expérimentés à la fin de l'année dans plusieurs départements et régions.
Enfin, à partir de 1997, des dispositifs de regroupement et fusion de corps, de formation en vue de la mobilité, de notation et d'évaluation individuelle, de déconcentration de gestion des personnels, de réforme de l'encadrement supérieur, seront mis en oeuvre, des contrats de service seront expérimentés dans quelques ministères, et les propositions du rapport "Giraud" sur la gestion du patrimoine de l'État seront mises en application.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a ensuite souligné que l'examen des crédits de la fonction publique et de la réforme de l'État mettait en lumière les problèmes rencontrés par l'État employeur, aiguisés par une contrainte budgétaire qui l'amenaient, lentement, à chercher des solutions.
Ainsi, l'organisation de l'État employeur apparaît peu rationnelle, avec la tenue d'une seule négociation salariale menée avec l'ensemble des syndicats représentatifs, par le ministre chargé de la fonction publique, et concernant la fonction publique d'État, mais aussi les fonctions publiques territoriale et hospitalière, dont les contraintes sont différentes, soit au total 4 millions et demi d'agents. Par ailleurs, la gestion des effectifs est très peu déconcentrée : la plupart des concours sont nationaux, les commissions paritaires se tiennent au niveau ministériel, et chaque ministère gère ses propres effectifs à partir des emplois budgétaires qui lui sont attribués, ce qui explique une grande difficulté à organiser une mobilité des agents, même si certains corps ont une vocation interministérielle théorique, et en même temps, une absence d'affectation rationnelle des effectifs.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a insisté sur les contraintes du statut de la fonction publique, le cloisonnement de la fonction publique étant considérablement renforcé par la gestion par corps, dont chacun a ses perspectives de carrière et son système indemnitaire propre, qui sont autant d'obstacles à une mobilité qui devrait pouvoir s'organiser à partir de détachements ou de mises à disposition.
Par ailleurs, les suppressions d'emplois de fonctionnaires en cours de carrière ne pouvant être pratiquées -aucun licenciement ni aucune mobilité forcée n'étant compatible avec le statut de la fonction publique- les suppressions ne jouent donc que sur les départs à la retraite non remplacés ; parallèlement, alors que les créations d'emplois doivent être soigneusement maîtrisées, puisqu'elles représentent un engagement budgétaire aussi long que la vie d'un fonctionnaire.
Enfin, la connaissance des effectifs réels par ministère -les effectifs réels pouvant être moins élevés que les emplois budgétaires si certains sont vacants, ou plus élevés s'il y a rémunération en "surnombre"- est en général très lacunaire, la base de la gestion étant, d'une part, la grille d'emplois budgétaires du ministère et, d'autre part, la carrière individuelle des agents, sans qu'il y ait recoupement de ces informations, et encore moins gestion prévisionnelle.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a ensuite insisté sur la contrainte budgétaire qui devait s'imposer aux dépenses de fonction publique, cette contrainte devant inciter à la modernisation de la gestion des effectifs.
Le rapporteur spécial a estimé que la réforme de l'État pourrait être considérée comme un véritable succès si elle permettait de réaliser des opérations telles que la réorganisation des administrations centrales, une déconcentration du contrôle financier, la réforme de la notation, et enfin, la possibilité de modulation des primes dans le cadre des contrats de service.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial, a souligné enfin que la réforme de l'État pourrait permettre d'aller beaucoup plus loin en acceptant de raisonner différemment, et en a fourni trois exemples : la négociation salariale pourrait être scindée par fonction publique, la gestion des effectifs pourrait se faire à partir d'une enveloppe salariale, plutôt que de rester fondée sur une grille d'emplois budgétaires, et, enfin, la notion de "métiers" pourrait être promue dans l'administration, afin de permettre une véritable mobilité des agents publics.
À l'issue de cette présentation, un débat s'est ouvert au sein de la commission.
M. Jean Cluzel a souligné la contradiction qui risquait de naître entre la contrainte budgétaire et le rôle prééminent de l'État et de ses agents.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a insisté sur l'enjeu que représentait la gestion des ressources humaines de l'État, et a exprimé le souhait de voir se tenir un débat spécifique au sein de la commission sur la réforme de l'État.
Répondant ensuite à Mme Maryse Bergé-Lavigne et Mme Marie-Claude Beaudeau ainsi qu'à M. Jean-Philippe Lachenaud, le rapporteur spécial, a souligné le caractère peu rationnel de la gestion de la fonction publique qui est subordonnée à une négociation entre chaque ministère dépensier et le ministère du budget, ce dernier poursuivant un objectif de réduction des dépenses de l'État. Le rapporteur spécial a rappelé que seule une réflexion sur la réforme de l'État, et la mise en place d'une gestion prévisionnelle des effectifs, permettraient de rationaliser la politique de la fonction publique et en même temps les arbitrages budgétaires.
La commission a décidé de réserver son vote sur les crédits jusqu'après l'audition de M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation.