B. L'ÉVOLUTION DES COMPÉTENCES DU CSA
1. Le CSA et le droit de la concurrence
Certaines dispositions du droit de la concurrence appliquées en matière de communication audiovisuelle pourraient utilement faire l'objet d'adaptations.
D'une manière générale, l'information du CSA pourrait être améliorée dans la mesure où les mouvements capitalistiques sont aujourd'hui rapides, nombreux et de plus en plus complexes. Si le CSA connaît avec précision la composition capitalistique de chaque société autorisée, tel n'est pas toujours le cas de leurs actionnaires majoritaires ou de l'intégralité des accords de toute nature que ceux-ci ont pu passer.
Les montages juridiques sont de plus en plus complexes, cependant que de nombreux actionnaires ne relèvent pas de la loi française. Au surplus, la mise en oeuvre du dispositif anti-concentration implique une connaissance accrue des mécanismes boursiers et de certaines dispositions du droit des sociétés. On peut par exemple ici penser à l'introduction, dans la loi du 1er février 1994, de la notion d'action de concert entre actionnaires.
S'agissant de l'interdiction de prête-nom (article 35), le CSA a acquis la conviction qu'il existait dans certains cas des conventions passées entre actionnaires d'une société titulaire d'une autorisation, ou entre actionnaires et tiers, dans le but de contourner le dispositif anti-concentration.
Pour remédier à cette difficulté, il pourrait être envisagé de qualifier de nulle et non avenue toute convention entre actionnaires d'une société autorisée, ou entre actionnaires et des tiers, non présentée au CSA et ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle aux règles relatives au contrôle des sociétés de l'audiovisuel ou à celles relatives à la concentration.
Enfin, le dispositif anti-concentration semble laisser une marge de manoeuvre trop étroite au Conseil supérieur de l'audiovisuel. Fondé sur l'application de règles strictes dont le non-respect appelle inévitablement une sanction, il ne permet pas au CSA d'apprécier le pluralisme au gré des évolutions techniques et économiques extrêmement rapides de ce secteur.
Un dispositif plus souple devrait permettre au Conseil de conditionner son accord au respect de conditions garantissant la sauvegarde du pluralisme tout en laissant une certaine liberté aux opérateurs.
2. Le CSA et le développement de la diffusion numérique hertzienne
Même si, comme on l'a vu au chapitre II, il paraît prématuré d'envisager une transition à court terme de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre, en revanche, l'appel aux candidatures lancé par le CSA lors de sa séance plénière du 16 juillet 1996 pour un ensemble de services audionumériques en Ile-de-France pour une durée de cinq ans, dans le cadre de la loi n°96-299 du 10 avril 1996 relative aux expérimentations dans le domaine des technologies et services de l'information, va rendre nécessaire une évolution de la réglementation pour adapter la loi du 30 septembre 1986 à la radiodiffusion numérique terrestre.
De ce fait, l'adaptation envisagée pour la radio pourrait anticiper celle nécessaire pour la télévision.
ANNEXE AU CHAPITRE VII Les réflexions du CSA sur l'évolution de la réglementation de la communication audiovisuelle : l'exemple du DAB |
Le DAB se caractérise par la constitution d'un multiplexe numérique dans lequel des services de toute nature et de toutes origines peuvent se retrouver. La largeur d'un bloc doit ainsi être regardée comme une ressource permettant de diffuser un certain débit numérique. Cette ressource globale est artificiellement divisée en voies qui peuvent permettre de diffuser des programmes sonores, mais aussi :
- des données associées à chaque programme sonore (titre d'une chanson par exemple) ;
- des services de communication audiovisuelle autres (téléchargement de cartes routières par exemple, y compris de l'image animée) ;
- le cas échéant, des services de télécommunications.
Le DAB offre ainsi une grande souplesse d'utilisation : le nombre de services diffusables est plus ou moins important selon le taux de protection d'erreur souhaité et les types de programme (mono ou stéréo, parole ou musique, etc., car tous les signaux ne nécessitent pas le même débit).
Dès lors, la logique même de la loi de 1986 n'est plus guère envisageable : il n'est plus possible d'attribuer une fréquence à un éditeur pour la diffusion d'un programme sonore. Il devient nécessaire de déterminer comment attribuer la ressource à un ensemblier en charge du multiplexe et de gérer l'attribution de cette ressource entre les différents services et éditeurs. Cette problématique se retrouvera à l'identique en matière de télévision numérique par voie hertzienne terrestre.
Ainsi, d'une manière générale, le défi posé au législateur et à l'instance de régulation est le suivant : dans une économie où les notions mêmes de radio et de télévision tendent à évoluer, et où les supports de communication sont indistinctement utilisés, quel système d'attribution de la ressource envisager ?
Quel doit être surtout le rôle de ce nouvel opérateur qu'est l'ensemblier ?
Sachant que les problèmes soulevés par le DAB se poseront dans des termes comparables pour la télévision numérique par voie hertzienne terrestre, l'appel aux candidatures lancé par le CSA le 16 juillet 1996 permet, au travers d'une première application de la loi relative aux expérimentations, de mieux sérier les problèmes que pose l'introduction de la compression numérique par voie hertzienne terrestre en France.
La loi du 10 avril 1996 reposant sur le principe d'une déconnexion de l'autorisation d'usage de fréquence (attribuée à un ensemblier) et du conventionnement de chaque service (concernant chaque éditeur), une question préalable devra être à terme tranchée : l'économie de ce système est-elle satisfaisante, doit-elle être approfondie ou un autre système peut-il lui être substitué ?
En toute hypothèse, la mise en oeuvre de cette loi a permis de constater que cinq questions fondamentales devraient à l'avenir être impérativement résolues.
1/ QUEL STATUT POUR LES ÉDITEURS DE SERVICES ?
Aux termes de l'article 3-II de la loi du 10 avril 1996, les éditeurs de services passent simplement une convention avec le CSA. Ainsi, il reviendrait en définitive à l'ensemblier de choisir les programmes qu'il souhaite voir figurer dans le plan de services de son bloc, puis d'obtenir une autorisation d'usage de fréquences auprès du CSA.
Comment, dans ces conditions, assurer le pluralisme des éditeurs de services ?
Il n'est pas souhaitable qu'à la régulation du paysage radiophonique mise en oeuvre par le Conseil depuis 1989 se substitue la seule logique commerciale de l'ensemblier. La diffusion numérique devant profiter à l'ensemble des acteurs du paysage audiovisuel, et les principes de valeur constitutionnelle fondant la loi de 1986 demeurant valables, le Conseil a entouré l'appel aux candidatures de garanties en faveur des éditeurs de services.
L'ensemblier se présentant devant le Conseil devra ainsi notamment indiquer :
- les demandes de tous les éditeurs de services souhaitant figurer dans le bloc pour lequel il sollicite une autorisation ;
- la liste des services que le candidat souhaite voir effectivement figurer dans le bloc et les motifs de son choix ;
- l'accord écrit de leurs responsables ainsi que les éléments constitutifs de la convention de service ;
Au surplus, après publication au Journal officiel de la liste des candidats recevables (indiquant la ressource technique demandée ainsi que la liste des services présentée par le candidat), tout éditeur de service ne figurant pas au sein du plan de services pourra contester le choix des services effectué par le candidat à la délivrance de l'autorisation.
On peut souhaiter qu'à l'avenir le législateur donne au Conseil une compétence plus précise pour l'exercice de la régulation du paysage radiophonique ou télévisuel, fut-il numérique.
2/ QUELLE GESTION DE LA RÉPARTITION DE LA RESSOURCE ?
D'une manière générale, l'introduction des techniques numériques suppose des investissements financiers très importants : équipement des émetteurs, développement de nouveaux récepteurs ou de décodeurs, lancement éventuel de nouveaux programmes.
Le lancement du DAB sera donc onéreux pour l'ensemble de ses acteurs. À titre d'exemple, pour les radios à couverture nationale désirant diffuser le même programme en DAB. cette diffusion n'engendrera aucune extension des zones de services et ne générera par conséquent aucune ressource publicitaire nouvelle.
À l'inverse, la diffusion de services auxiliaires peut constituer une source de financement plus immédiate. Techniquement, la répartition d'un bloc entre programmes de radiodiffusion sonore ou de télévision et services auxiliaires procède d'un choix. Dans le cas où cinq programmes sont diffusés par bloc (comme c'est le cas dans l'appel aux candidatures DAB), deux, voire trois, services auxiliaires pourront être diffusés.
Ainsi, quelle que puisse être la souplesse de la ressource utilisable, il apparaît aujourd'hui impossible d'attribuer à chaque éditeur ainsi qu'à l'ensemblier une part égale et suffisante de cette ressource auxiliaire. D'une façon générale d'ailleurs, il est frappant de constater que la compression numérique en hertzien terrestre ne remet pas en cause, tant s'en faut, la problématique de la rareté de la ressource, problématique qui fonde en grande partie l'action du Conseil.
Sachant que chaque ensemblier et éditeur souhaiteront probablement diffuser eux-mêmes ces services, comment gérer la répartition de la ressource au sein d'un bloc donné entre les différents opérateurs ?
La loi du 10 avril 1996 n'en dit mot. Lors de la délivrance des autorisations, le Conseil veillera cependant à ce que la répartition de cette ressource ne porte pas atteinte aux critères traditionnels de la loi de 1986, tel celui du pluralisme des courants d'expression socio-culturels figurant à l'article 1er.
On peut cependant souhaiter qu'à terme une procédure claire donne des clefs de répartition entre les différents éditeurs et entre les éditeurs et l'ensemblier.
3/ QUEL STATUT POUR LES SERVICES AUTRES QUE DE RADIO ET DE TÉLÉVISION ?
La procédure de conventionnement de la loi de 1986 ne concerne aujourd'hui que les services de radio et de télévision. À défaut, les services de communication audiovisuelle qui ne peuvent être qualifiés comme tels (téléchargement de données par exemple) relèvent d'un simple régime déclaratif aux termes de l'article 43 de la loi de 1986.
Parmi les programmes diffusés en DAB, la plupart seront naturellement des services de radiodiffusion sonore pour lesquels une procédure de conventionnement ne posera pas de problème. Il en ira de même pour la télévision. Mais d'autres programmes ne pourront être qualifiés de programmes de radiodiffusion sonore ou de télévision (transport de données de toutes sortes). Parmi ces derniers, trois types de services doivent être envisagés.
Les données associées
Le cas des données liées au programme principal devrait être réglé par la convention initiale de ce programme. Ces données dites « associées » se contentent de compléter et d'améliorer le programme principal (titre de la chanson, livret d'opéra, etc.). Elles ne constituent donc pas un nouveau service en soi.
Il serait souhaitable qu'une définition soit à l'avenir élaborée pour les distinguer avec précision des services auxiliaires.
Les services auxiliaires de communication audiovisuelle
La loi est contradictoire sur ce point. En son article 3-1, elle dispose que l'ensemblier se voit attribuer la ressource pour « un ensemble de services de radiodiffusion sonore ou de télévision ». Mais en son article 3-II, le conventionnement des services ainsi diffusés concerne l'ensemble des services de « communication audiovisuelle ».
La rédaction de l'article 3-II semble devoir l'emporter sur celle, plus restrictive, de l'article 3-I : tout service de communication audiovisuelle doit ainsi être conventionné par le Conseil sur la base de l'article 28 de la loi de 1986 (télé-chargement de cartes routières, informations touristiques, etc.).
On peut envisager qu'à terme une procédure de conventionnement plus spécifique que celle de l'article 28 soit élaborée pour ces services.
Les services de télécommunications
La procédure de conventionnement ne saurait bien évidemment concerner les services de télécommunications. En revanche, le plan de service de chaque ensemblier peut mentionner la reprise de tels services après qu'ils aient été autorisés sur la base de l'article 23 de la loi de 1986.
Mais il sera sans doute nécessaire de déterminer si une place, plus ou moins importante, de cette ressource audiovisuelle doit être réservée à des services de télécommunications.
4/ QUEL TRAITEMENT POUR LES SOCIÉTÉS NATIONALES DE PROGRAMME ?
Aux termes de l'article 26 de la loi de 1986 (auquel la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications ne porte pas dérogation), TDF bénéficie d'un monopole pour la diffusion de tous les programmes des sociétés nationales de programme (SNP); les SNP bénéficient pour leur part d'un droit de priorité pour l'attribution de fréquences nécessaires à l'accomplissement de leurs missions de service public.
Trois problèmes peuvent être identifiés :
- des programmes assurés par les SNP, lesquels relèvent de leurs missions de service public ?
- dans le cadre d'un regroupement entre opérateurs publics et privés au sein d'un même bloc, et dans l'hypothèse où le Gouvernement fait jouer le droit de préemption du service public, ce droit de préemption peut-il ainsi indirectement bénéficier aux opérateurs privés du bloc ?
- La présence d'un seul programme des SNP dans un bloc emporte juridiquement un monopole de droit pour la diffusion du bloc par TDF. Le monopole de fait qui en résulte pour les opérateurs privés du bloc doit-il être aménagé ou doit-on simplement considérer que les opérateurs privés du bloc ont choisi de recourir à TDF comme prestataire de diffusion ?
Dans le cadre de l'appel DAB lancé par le CSA en Ile-de-France, deux possibilités pourraient être envisagées pour régler partiellement ces questions.
En premier lieu, les radios du service public pourraient se regrouper sur un bloc unique afin de permettre une libre concurrence des prestataires de diffusion.
En second lieu, il pourrait être utile, au vu du caractère expérimental de cette opération, que le Gouvernement ne fasse pas jouer le droit de préemption du service public. Lorsque le quatrième bloc aura été attribué courant 1997, il est cependant possible que la ressource disponible soit suffisante pour l'ensemble des opérateurs intéressés.
Des solutions à plus long terme devront par la suite être trouvées, en radio et en télévision. Ces problèmes se poseront avec plus d'acuité encore avec le MMDS pour lequel ne peut intervenir qu'un seul prestataire technique de diffusion.
5/ QUEL STATUT POUR L'ENSEMBLIER ?
Avec l'introduction des techniques de compression numérique en Europe, des regroupements stratégiques sans précédent dans le secteur audiovisuel sont entrepris depuis plusieurs années, en partie par souci d'économie d'échelle, en partie pour un meilleur positionnement stratégique des opérateurs existants.
S'agissant de la diffusion par voie hertzienne terrestre, ces évolutions devraient également être importantes. On distingue habituellement la fonction d'éditeur de service, appelant la responsabilité éditoriale sur le contenu du programme et la fonction de prestataire technique de diffusion, sans responsabilité sur le contenu du programme (exemples : TDF, câblo-opérateur). À cela, la distribution par câble et la diffusion par satellite ajoutent la fonction de gestionnaire de bouquets et la fonction de gestionnaire des droits d'accès et des abonnements.
Depuis plusieurs années, plusieurs opérateurs ont déjà eu tendance à diversifier leur activité et à cumuler plusieurs de ces fonctions.
Ainsi, de même que les éditeurs de services diversifient leur offre de programmes (services traditionnels supplémentaires ou nouveaux services comme les services auxiliaires), et empruntent des supports de communication nouveaux (ainsi que la présence de nombreuses radios sur Internet), l'ensemblier par voie hertzienne terrestre peut prétendre assumer tout ou partie de ces quatre fonctions.
S'ils ont le savoir-faire suffisant, peuvent ainsi potentiellement répondre à l'appel aux candidatures lancé par le CSA les prestataires de diffusion traditionnels, mais aussi un regroupement d'éditeurs, voire des prestataires extérieurs au milieu radiophonique.
Dans la mesure où les autorisations que s'apprête à délivrer le CSA ne sont pas renouvelables, un cadre juridique nouveau et stable doit être prochainement élaboré. La détermination de ce futur cadre juridique s'articulera essentiellement autour de cette notion d'ensemblier, au travers de deux questions principales :
- si le système de la loi du 10 avril 1996 est conservé, il importera de déterminer en premier lieu la marge de manoeuvre réelle de l'ensemblier entre la régulation mise en oeuvre par le CSA et la place réservée à chaque éditeur de service ;
- l'accès à cette fonction doit-il être réservé à certains opérateurs du secteur audiovisuel ou être ouvert à tous ? L'ensemblier pourra-t-il être lui même éditeur de service et diffuseur de son propre bloc ?
6/ UNE PRIME AUX PIONNIERS ?
Dans tous les pays où le D.A.B. est en cours de lancement, une « prime aux pionniers » a été accordée aux éditeurs de services. Étant donnée l'importance des coûts de lancement des techniques numériques, les autorités publiques ont, selon le cas, financé la construction de nouveaux récepteurs pour qu'ils soient disponibles à un coût abordable par le grand public, doublé la durée des autorisations des éditeurs radiophoniques analogiques, réservé la ressource D.A.B. pendant une période donnée aux opérateurs analogiques.
On peut raisonnablement souhaiter, du fait de l'intérêt du D.A.B. pour les auditeurs et pour les acteurs actuels du paysage radiophonique que de tels systèmes soient mis en place en France.