III. UN ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL ET COMMUNAUTAIRE EN CONSTANTE MUTATION
A. LA POURSUITE DE LA MISE EN OEUVRE DE LA REFORME DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE
1. Un bilan globalement positif (1992-1995)...
Devant l'inefficacité des mesures prises dès la fin des années quatre-vingt pour limiter la croissance des dépenses du FEOGA garantie et afin de faciliter un accord au GATT, la commission a été conduite à proposer une réforme de la politique agricole commune. Celle-ci a été annoncée le 21 mai 1992, pour une application à partir de l'année 1993. L'objectif principal de cette réforme était de limiter fortement l'offre de produits agricoles. Pour cela, une rupture a été décidée avec les instruments de soutien de la PAC, définis en 1962 dans un contexte déficitaire. Elle consiste notamment en une forte réduction du soutien par les prix, au profit d'un soutien sous forme d'aides directes aux agriculteurs. Les produits principalement concernés sont les céréales, les oléagineux et lés protéagineux,' ainsi que la viande bovine.
a) Une maîtrise relative de ta production
Si de 1992 à 1994, la production bovine française a considérablement baissé portée par une conjoncture favorable, la réforme de la PAC dans le secteur bovin ne s'est réellement confrontée à ses objectifs qu'en 1995 , suscitant un certain nombre d'interrogations. L'ensemble des animaux, vaches et bovins mâles, s'est stabilisé en 1995, la croissance des vaches compensant la baisse des bovins mâles.
Finalement, la réforme de la PAC de 1992 a conforté le développement du troupeau allaitant comme prévu, rééquilibrant ainsi la production de viande bovine. Les nouveaux animaux élevés (un veau sur deux est maintenant de « type viande ») appartiennent aux races spécialisées des régions concernées : race charolaise dans l'est du Massif central et en Pays de la Loire, race limousine à l'Ouest du Massif Central, mais aussi races rustiques dans les régions les plus difficiles (Aubrac, Gascogne, etc.). Les productions issues de ces animaux, bientôt majoritaires, ne peuvent qu'améliorer la qualité de la production (carcasses plus lourdes, mieux conformées, mieux équilibrées en viande et gras...).
Tant au niveau français qu'au niveau européen, la mise en place de la nouvelle PAC se traduit par une réelle maîtrise de la production céréalière. Considérant la récole 1992 comme référence, les volumes de céréales produits ont baissé de 2 à 4 % entre 1993 et 1995. En fait, les surfaces cultivées n'ont pas baissé de 15 % en 1993 en raison du régime « petit producteur ». Ce régime est très étendu dans les pays à petites structures de production comme l'Italie et l'Allemagne occidentale. Par ailleurs, les rendements ont pu augmenter sur la période. Si certains États membres ont accru leur récolte céréalière, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, d'autres ont vu les tonnages produits réduits de plus de 10 %, tels la France ou l'Irlande. La production céréalière européenne est ainsi passée de 169 millions de tonnes en 1992 à 164 millions de tonnes en 1995.
De même la production de colza (de 7,4 à 6 millions) et de tournesol (de 4 à 3,3) ont chuté.
En outre, la production de maïs grain s'est maintenue (de 30 à 28 millions), à l'instar de celle de blé tendre (77 millions en 1995).
La nouvelle PAC, a permis, par ailleurs, un assolement nouveau et une conduite plus économe des cultures. L'introduction du gel des terres, la baisse des prix de marché et la modulation des aides en fonction des cultures ont modifié profondément l'assolement et conduit les agriculteurs à limiter le coût des intrants. Les surfaces gelées ont permis une baisse significative de la production en France, plus limitée au niveau européen en raison d'une plus grande proportion de petites exploitations dispensées de gel. Les consommations d'intrants baissent fortement la première année de la réforme, pour ensuite s'ajuster aux nouvelles conditions d'application : évolution du taux de jachère, gel industriel. Ces économies ne semblent pas avoir d'effet sur les rendements. D'autre part, les agriculteurs privilégient les cultures les plus productives et gèlent les terres les plus pauvres.
b) Une reconquête indéniable du marché de l'alimentation animale mais qui demeure fragile
Deux campagnes après l'application de la réforme de la PAC, la reconquête du marché intérieur de l'Union par les céréales est indéniable. Les consommations d'oléagineux et de produits de substitution pour l'alimentation animale reculent et celles des céréales augmentent de 8,5 millions de tonnes. Cette reconquête n'en demeure pas moins fragile, car pour l'avenir, elle reste tributaire de l'évolution des cours des différentes matières premières.
Ainsi, pour la campagne 1994, le taux d'incorporation des céréales a franchi de nouveau la barre des 40 %, perdue depuis dix années. Cette reconquête éclair du marché contribue de façon notoire à l'augmentation des qualités de céréales utilisées par les fabricants depuis la réforme (+ 2,3 millions de tonnes) et à une baisse quoique limitée des importations de corn gluten fend et de manioc.
Évolution des importations de Produits de substitution des céréales par l'Union Européenne (Manioc, Corn Gluten Feed et Tourteaux de maïs)
Source Eurostat
c) L'amélioration du revenu des agriculteurs
En 1992, les premières simulations des effets de la réforme de la PAC concluaient à un effet légèrement positif sur le revenu moyen au niveau national. A la fin de la troisième année d'application de la réforme, on peut évaluer à 7 % l'effet net positif de l'ensemble des mesures entre 1991 et 1995.
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Pour les éleveurs bovins
Pour l'élevage bovin, la baisse des prix de marché ne s'est produite qu'en 1995. Le revenu a ainsi évolué très positivement grâce à la revalorisation des aides animales, mais aussi à l'apport non négligeable des aides céréalières.
Le nouveau dispositif d'aides directes de la réforme a fortement contribué à l'amélioration des revenus des éleveurs de bovins, qu'il s'agisse de l'augmentation du montant des aides existantes ou de nouvelles primes accordées aux élevages extensifs. De surcroît, les primes céréalières perçues par les élevages bovins « intraconsommateurs » constituent un supplément d'aides important pour des productions déjà soutenues par ailleurs (le lait par les quotas, la viande bovine par les primes à l'élevage). Cet impact positif a été d'autant plus sensible que les prix de marché de la viande bovine se sont maintenus, voire améliorés, au cours des premières années d'application de la réforme malgré la baisse des prix d'intervention.
Ainsi la réforme a profité aux élevages laitiers.
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Pour les exploitations de grandes
cultures
En grandes cultures, grâce à la bonne tenue du marché céréalier, les réalisations ont été plus favorables que les prévisions. Les pertes de recettes ont été un peu plus que compensées par le versement des aides.
L'impact a priori neutre de la réforme de la PAC sur le revenu des producteurs de grandes cultures les a incités à réagir, d'une part en augmentant les surfaces et, d'autre part, en réduisant les charges. Les résultats s'améliorent sensiblement au fur et à mesure que la situation financière des exploitations devient plus saine. En outre, les prix de marché ont été supérieurs à ceux escomptés par les promoteurs de la réforme. L'amélioration des résultats est cependant d'une ampleur inégale selon les situations. L'agrandissement des surfaces est loin d'être uniforme. Les exploitations ayant de faibles rendements sont avantagées par le système des aides mises en place par la réforme, mais ce sont les exploitations de taille moyenne (60 à 150 hectares) qui ont les plus fortes progressions de revenus.
d) L'incidence de la réforme sur le coût et la structure des budgets communautaire et national
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Au niveau communautaire
La forte hausse des concours publics communautaires à l'agriculture française, essentiellement liée à l'importance du cheptel détenu et des surfaces cultivées par les agriculteurs français, ne s'est pas accompagnée d'une augmentation de même ampleur des dépenses communautaires. L'analyse de ces dernières, appréhendées par l'intermédiaire des dépenses inscrites au budget de la section garantie du FEOGA, révèle en effet qu'entre 1991 (dernière année avant réforme) et 1994 (premier exercice pour lequel est comptabilisé l'ensemble des aides directes versées aux producteurs), l'ensemble des dépenses financées par le FEOGA-Garantie n'augmente (en valeurs courantes) que de 951 millions d'écu, soit 3 % en trois ans.
On a assisté à une recomposition des dépenses au sein d'un budget globalement stable.
Les principales augmentations concernent :
- les aides directes aux céréales (2,650 millions) conséquence de la revalorisation de 40 % des indemnités destinées à neutraliser les pertes de recettes attendues suite à la baisse des prix d'intervention de produits ;
- l'indemnisation du gel des terres (700 millions), en raison, essentiellement, du passage de 45 à 57 écu du taux unitaire de compensation ;
- les aides directes bovines (700 millions), en raison, essentiellement, du passage de 45 à 57 écu du taux unitaire de compensation ;
- les aides directes bovines (540 millions), sous l'effet -comme précédemment- d'une revalorisation des aides aux bovins mâles et aux vaches allaitantes pour amortir les effets négatifs de la baisse des prix institutionnels, et les fruits et légumes (300 millions), en prévision d'une année moins favorable que celle qui vient de s'écouler.
Inversement, les dépenses régressent pour :
- les aides marché céréales (550 millions) du fait d'une diminution des quantités exportées sur pays tiers et d'une baisse des restitutions unitaires ;
- les primes aux producteurs d'oléagineux (440 millions), suite à des variations favorables sur les surfaces cultivées et les prix de marché ;
- l'huile d'olive (940 millions), en raison uniquement des changements intervenus dans la gestion et la comptabilisation des aides à ce secteur ;
- le sucre (218 millions), le lait et le porc, sur la base de prévisions plus « optimistes » sur l'évolution de ces secteurs.
Pour l'exercice 1996, les prévisions de dépenses ont été arrêtées à hauteur de la ligne directrice, soit 41,3 milliards d'Ecu. Une partie importante des nouveaux besoins de crédits est liée au décalage d'un an dans le versement des aides à la production d'huile d'olive (environ 800 millions d'écu), au versement -pour la première année- des indemnités compensatrices aux agriculteurs des trois nouveaux États membres (1.250 millions) et au changement de la parité Dollar/Ecu retenue pour l'élaboration du budget (approximativement 600 millions). Si l'évolution favorable des marchés agricoles qui a permis de réaliser en 1994 et en 1995 des économies notables par rapport aux prévisions ne se reproduisait pas, et que les anticipations se révélaient conformes à la réalité, il en résulterait une croissance des dépenses agricoles de plus de 6 milliards d'écu entre 1995 et 1996. Schématiquement, cette hausse résulte d'une augmentation des aides directes en faveur des céréales et de la viande bovine de, respectivement, 2,8 et 1 milliard d'écu, d'une hausse de 900 millions des soutiens aux producteurs d'huile d'olive, et d'un accroissement de 800 millions des crédits en faveur de l'environnement.
Sous réserve de bouleversement dans l'exécution des dépenses au cours de l'exercice 1996, on constate que les crédits utilisés seraient en augmentation de 8,8 milliards d'écu par rapport à ceux consommés cinq ans auparavant, ce qui correspond à une croissance de 27 % en écu courants. Ces chiffres intègrent, rappelons-le, l'élargissement de l'Union européenne à trois nouveaux États membres et correspondent à des hypothèses sur la situation des marchés agricoles et financiers plutôt pessimistes.
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Au niveau national
Le bilan budgétaire qui peut en être tiré montre que la France est l'un des principaux bénéficiaires de la politique agricole commune.
En dépit de ce contexte favorable, la France a su négocier au Conseil des aménagements à la réforme qui font largement droit aux principales demandes qu'elle a formulées au cours des dernières années :
- l'aide à la jachère a été revalorisée de façon très significative (+ 27 %) en avril 1993 ;
- le taux de jachère a été progressivement réduit : 15 % pour le gel rationnel et 20 % pour le non-rotationnel en 93/94 ; 12 % pour le gel rotationnel et 17 % pour le non-rotationnel en 94/95 ; 10 % pour gel libre en 95/96 et enfin 5 % pour le gel libre en 96/97.
De plus au cours des quatre derniers exercices les versements à la France passent de 6,4 milliards d'écu en 1991 à plus de 8 milliards en 1993 et 1994. En trois ans les « retours » se sont donc accrus de 1,6 milliard, soit une hausse de 25 %. Cette progression, plus rapide que la moyenne, entraîne une sensible amélioration de la part revenant à la France : 19,7 % des versements communautaires en 1991, 24 % en 1994.