4. Des incertitudes qui demeurent
a) L'attente de la réforme de l'OCM vitivinîcole
C'est, en effet, en juillet 1993 que la commission a présenté au Conseil un document de réflexion sur « l'évolution et l'avenir de la politique vitivinicole » qui devait servir de base à la proposition de règlement portant réforme de l'OCM, soumise au Conseil en juin 1994 et que le Gouvernement n'a transmis au Parlement qu'en avril 1995.
Cette réforme n'a pas pu aboutir sous présidence française. Deux raisons peuvent l'expliquer : une conjoncture favorable (les campagnes 1994-1995 et 1995-1996 ont été équilibrées) et surtout l'encombrement de l'ordre du jour du Conseil par des dossiers « horizontaux » particulièrement « lourds » (les désordres monétaires, le transport des animaux, le paquet-prix).
La France reste cependant résolue à ce que cette réforme aboutisse.
Le ministère estime, en effet, que « le pire serait de laisser le dossier s'enterrer et de prendre le risque de voir un nouveau projet émerger dans des conditions d'urgence, face à une récolte communautaire importante et à l'obligation de recourir à une distillation de gros volumes de vin. Il serait alors bien plus difficile d'éviter une approche simplificatrice qui conduirait à imposer à tous les vignobles, quelle que soit leur situation, des efforts de réduction importants ».
C'est pourquoi en juin 1995, afin de dessiner le cadre dans lequel la réforme doit s'inscrire et dans le fil de la résolution adoptée le 29 juin 1995, par le Sénat, sur le rapport de votre commission, le ministre de l'agriculture avait présenté lors du Conseil des ministres à Bruxelles, les grandes orientations qui devraient présider à la réforme de l'OCM :
- la responsabilisation des pays producteurs vis-à-vis de leurs excédents (c'est-à-dire la non mutualisation des excédents) ;
- l'adaptation régionale des mesures structurelles afin d'offrir à chaque vignoble, selon ses spécificité, les outils nécessaires à l'ajustement de sa production au marché ;
- le renforcement des moyens communautaires de contrôle pour parvenir à une application homogène de la réglementation dans tous les États membres.
Parallèlement, sans pour autant renoncer à une réforme complète, le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation a insisté sur la nécessité de remettre en place très rapidement, au plan communautaire, une politique structurelle cohérente -notamment d'aide au réencépagement- abandonnée depuis deux ans dans l'attente de la réforme de l'OCM.
Pour autant la réflexion a progressé. Les dernières discussions sous présidence italienne, ont montré que le projet de la commission, axé sur la diminution du potentiel de production communautaire pour éliminer des excédents structurels importants, devait être reconsidéré à la lumière de l'évolution du marché viti-vinicole. Il était nécessaire de tenir compte des besoins spécifiques des différentes aires de production dans la Communauté afin de sauvegarder et promouvoir la qualité et la compétitivité de la production communautaire face à une concurrence de plus en plus vive des pays tiers producteurs et une demande de plus en plus exigeante des consommateurs.
Les réflexions ont abouti à modifier positivement, dans le cadre du paquet-prix 1996/97, les règles communautaires relatives aux plantations et à l'arrachage de vignes dans le sens d'une plus grande souplesse et d'une meilleure prise en compte des contraintes et des exigences économiques des différents bassins de production.
Le déroulement de la campagne 1996/97 sera déterminant pour la reprise des négociations, car la nécessité d'une réforme de l'actuelle OCM demeure, ne serait-ce que pour remettre en place au plan communautaire une politique structurelle cohérente -notamment d'aide au réencépagement-abandonnée depuis trois ans.
b) Des contradictions à résoudre
•
Une vocation exportatrice
contrariée
L'Europe n'exporte pas son quota de céréales subventionnées, autorisé par les accords de l'Uruguay Round. À la longue, ne risque-t-on pas de perdre notre place sur les marchés mondiaux ?
Cette attitude de la commission qui vise à freiner la délivrance de certificats à l'exportation notamment en matière de céréale est difficilement compréhensible.
• Les tourteaux de soja « à
l'assaut de l'Union Européenne »
Depuis la réforme de la PAC, la croissance de la consommation animale dans l'Union européenne a profité en presque totalité aux céréales au détriment des matières riches en protéines. L'utilisation de graines et de tourteaux de soja en alimentation animale est restée pratiquement inchangée de juillet 1991 à juin 1995. Celle des autres tourteaux a baissé de 6 %. L'effet de la réforme de la PAC n'a pas été le même sur les céréales et sur les oléagineux car le contexte était très différent. En effet, pour les oléagineux, les prix pour les utilisateurs sont équivalents aux cours mondiaux avant comme après la réforme. Pour les céréales, la réforme a par contre sensiblement fait baisser les prix inférieurs.
Le nouveau système régissant le marché des oléagineux a été mis en place en juillet 1992 pour répondre aux conclusions du panel soja par les États Unis dans le cadre des accords du GATT. En effet, au cours des années 1990, la production d'oléagineux avait fortement augmenté dans de nombreux pays remettant en cause la suprématie des États-Unis sur ce marché. Les exportations américaines de soja se trouvèrent de ce fait concurrencées par la production européenne de tournesol et de colza et par les exportations de soja du Brésil et de l'Argentine. Les accords du GATT ont limité la surface plantée en oléagineux pour l'ensemble de l'Union européenne (5,128 millions d'hectares pour l'Union à douze), limitation qui a été intégrée dans la réforme de la PAC. Cette surface maximale est amputée d'une surface gelée calculée à partir du taux de gel applicable à l'ensemble des COP, ce qui équivaut à un gel spécifique aux oléagineux. Les accords du GATT sont particulièrement restrictifs puisqu'ils prévoient que ce taux de gel oléagineux ne peut être inférieur à 10 %. Enfin, les oléagineux cultivés dans le cadre de la jachère non alimentaire sont également plafonnés au niveau d'un million de tonnes équivalent-tourteaux.
La mise en place du nouveau régime oléagineux s'est traduite par une sensible réduction de la production européenne de graines oléagineuses destinées aux usages alimentaires. De 13 millions de tonnes en 1991, la production de graines alimentaires tombe en 1994 à 10,4 millions de tonnes. Il en résulte une montée en puissance des importations : celles de colza sont multipliées par 8 entre 1992 et 1994 et celles de tournesol ont presque triplé. Malgré la stagnation de l'utilisation des tourteaux en alimentation animale, les importations de soja progressent vivement.
• Le problème des éleveurs
bovins
La situation du marché de la viande n'en est pas moins inquiétante.
Deux années favorables ont masqué, jusqu'à la brutale détérioration de ces derniers mois, le déséquilibre structurel du marché de la viande bovine. Ce marché est, à plusieurs titres, particulièrement fragile : les mécanismes de la PAC réformée sont peu protecteurs (en matière, notamment, de mise à l'intervention) ; la consommation est structurellement en déclin alors que la production devrait s'accroître ; ces produits sont concurrencés par ceux de l'élevage porcin et avicole, directement bénéficiaires de la baisse du prix de céréales et d'autre part, particulièrement affectés par la limitation des exportations décidées GATT, encore amplifiée par la gestion des restitutions par la commission.
À bien des égards, l'évolution du marché de la viande bovine sera conditionnée par celle des autres marchés : repli éventuel sur le marché intérieur de viandes blanches compte tenu des contraintes à l'exportation, diminution à venir des quotas laitiers (on estime à 3 % de la réduction théorique des quotas à l'horizon 2000, ce qui se traduirait par une mise sur le marché de 240.000 tonnes de viande bovine...).
Le crise de l'ESB a mis en évidence les difficultés du marché de la viande bovine au niveau européen.
c) La préparation de l'échéance de 1999
Même si la PAC a rempli une grande partie de ses objectifs, les trois années à venir vont sans doute signifier de nouvelles mutations.
En effet, 1999 marque plusieurs échéances importantes pour l'Union européenne : la monnaie unique, l'ouverture d'un nouveau cycle des négociations du GATT et les discussions sur la baisse des tarifs et des exportations subventionnées. À cette période, se poursuivront aussi les négociations sur la mise en place des zones de libre-échange, l'agriculture étant complètement intégrée dans ce débat.
Selon les observateurs, une demande mondiale en croissance devrait faciliter les négociations mais aussi conduire les opérateurs européens à rechercher une compétitivité accrue. Au sein de l'Union européenne, l'entrée progressive des pays d'Europe de l'Est (PAECO) marquera une étape décisive. Les discussions pourraient commencer en 1998. L'enjeu est en effet de taille : les 10 pays d'Europe de l'Est représentent 9,5 millions d'agriculteurs contre 8,5 pour l'Union européenne. En outre, ils regroupent 61 millions d'hectares, avec des prix inférieurs en céréales et dans les secteur animal. Compte tenu de leurs faibles rendements, la production des PAECO vaut environ 15 milliards d'écus, contre 208 milliards pour l'Union européenne. Comment va-t-on combler le fossé de productivité ? Et comment va-t-on intégrer l'apport des PAECO aux volumes européens, en particulier à l'exportation ?
Pour plus de détails, on pourra utilement se reporter à l'excellent rapport de notre collègue Denis Badré ( ( * )6) qui apporte des éléments de réponse à ce problème de l'entrée future des PAECO dans la PAC.
* (6) Rapport d'information n° 228 (1995-1996) présenté par M. Denis Badré au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne sur les conséquences économiques et budgétaires de l'élargissement à l'Est.