N° 322
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 avril 1997
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 avril 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi portant transposition de la directive 94/47 CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 1994 concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers,
Par M. José BALARELLO,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Michel Charzat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud , Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir le numéro :
Sénat : 208 (1996-1997).
Logement et habitat.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le 23 avril 1997 sous la présidence de M. Pierre Fauchon, vice-président, la commission des lois a examiné en première lecture, sur le rapport de M. José Balarello, le projet de loi portant transposition de la directive 94/47 CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 1994 concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers.
M. José Balarello ayant rappelé que le projet de loi avait pour objet de transposer en droit interne une directive européenne tendant à réduire les disparités entre les législations des Etats membres pour assurer une meilleure protection des consommateurs lors de la conclusion de contrats concernant l'acquisition de droits de jouissance à temps partagé de biens immobiliers, la commission a adopté trente-deux amendements, pour la plupart d'ordre rédactionnel.
A l'article premier, la commission a adopté trois amendements tendant à modifier le régime des sanctions pénales pour distinguer entre d'une part, les manquements aux obligations relatives à l'information du consommateur, et, d'autre part, l'infraction constituée par la perception d'un versement pendant le délai de rétractation.
Elle a par ailleurs complété le dispositif proposé à l'article 3 pour permettre aux agents de voyage titulaires d'une licence de conclure ou de prêter leur concours à la conclusion de contrats conférant un droit de jouissance d'immeubles à temps partagé.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi soumis à votre examen procède à la transposition de la directive 94/47 CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 1994 concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers.
Cette directive a pour objet de réduire les disparités entre les législations des Etats membres de la Communauté européenne et de " créer un socle minimal de règles communes " en matière de contrats relatifs à l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partagé de biens immobiliers, afin de supprimer les distorsions de concurrence et d'assurer une meilleure protection des consommateurs.
Comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, la directive " est destinée à réagir contre les pratiques douteuses et à accroître la protection des particuliers qui s'engagent dans des mécanismes d'occupation à temps partiel de biens immobiliers, quelle que soit la forme juridique de ces mécanismes ". Elle " relève du droit de la consommation ", ce qui a conduit le Gouvernement à insérer les dispositions la transposant dans la législation nationale dans le code de la consommation. L'article premier du projet de loi complète ainsi par une section 9, intitulée " Contrat de jouissance d'immeuble à temps partagé " le chapitre premier du titre II du livre premier de ce code.
Est ainsi défini, en application de la directive, un cadre juridique constitué de règles impératives relatives à la formation du contrat, quelle que soit la nature juridique de celui-ci (bail, contrat d'hôtellerie, société d'attribution d'immeuble en jouissance à temps partagé...). Ce cadre juridique s'impose donc au lien contractuel établi entre un professionnel et un consommateur, concrétisant une transaction ayant pour objet l'acquisition d'un droit de jouissance, ou encore d'un droit d'utilisation, à temps partagé, d'un bien immobilier à usage d'habitation.
Ce type de transaction a longtemps été désigné par le vocable de " multipropriété " ou de " propriété spatio-temporelle ", terminologie dont il convient de souligner le caractère inapproprié dans la mesure où le contrat consacre généralement des droits personnels, non des droits réels. La jouissance à temps partagé de biens immobiliers ou " timeshare " est " une formule de commercialisation d'immeubles désignant une opération regroupant, dans un même immeuble, plusieurs personnes qui auront chacune la jouissance périodique et successive d'un même appartement " [1 ]. Cette activité est encore définie comme " consistant à partager le temps d'utilisation d'un bien immobilier entre plusieurs usagers, chacun d'eux étant successivement titulaire d'une ou plusieurs périodes, dont les prix d'achat varient selon leurs durées et selon qu'elles se situent en haute ou basse saison touristique " [2] .
Cette formule touristique est à l'origine une invention française : elle est née en 1967 dans les Hautes Alpes, la Société des Grands Travaux de Marseille ayant lancé dans la station de Superdévoluy la formule permettant d'acheter le droit de séjourner dans la résidence une semaine donnée de l'année. Bien qu'ayant connu un certain succès, particulièrement dans les stations de sports d'hiver, elle a souffert d'un manque de flexibilité résultant de l'obligation d'utiliser toujours les mêmes semaines de vacances dans la même résidence, et du coût souvent élevé des charges d'entretien.
Dès le milieu des années 1970, le concept s'est exporté aux Etats-Unis où il fut adapté, durant la crise pétrolière : en 1974 est créée la première bourse d'échanges, RCI (Resort Condominium International), qui occupe encore aujourd'hui la première place sur le marché, suivie par Interval International, autre bourse d'échanges apparue en 1976. Ces bourses jouent un rôle essentiel en conférant au marché une flexibilité et en exerçant un contrôle de qualité.
Dans les années 1980, ce produit s'est développé en Europe, les premiers clients étant majoritairement anglo-saxons. Les premières résidences se sont construites dans les îles Canaries, aux Baléares et sur la Costa del Sol.
En France, berceau de l'invention, cette activité reste un phénomène nouveau qui connaît une forte progression depuis 1985. Les performances françaises dans ce secteur par rapport aux autres pays européens se caractérisent cependant par un important retard, alors même que la France reste la première destination touristique mondiale : selon une étude récente [3] , 42,8 % des titulaires d'un droit de jouissance à temps partagé résident au Royaume-Uni, 12 % en Allemagne, 8,5 % en Italie et 8,1 % en France. Aux termes de cette même étude, la répartition par pays d'implantation de la résidence révèle que la France (2,6 %) arrive derrière l'Espagne (53,7 %), le Portugal (12,3 %), le Royaume-Uni (10,2 %), l'Italie (6,9 %) et l'Allemagne (3,2 %).
Au niveau mondial, cette activité connaît un fort dynamisme : sur la période 1980-1995, sa croissance a été plus rapide que celle du tourisme international. Entre 1980 et 1994, le nombre de détenteurs d'une période de jouissance a augmenté de 24 % par an. Fin 1994, on comptait dans le monde 4 145 résidences en temps partagé (dont 1 188 en Europe et 143 en France) et 3 144 000 ménages possédant au moins une semaine.
La jouissance à temps partagé constitue donc une formule souple et financièrement attractive [4] , à fort potentiel de développement, source de dynamisme pour l'industrie du tourisme. Le retard enregistré par la France connaît des causes multiples : attachement à la " pierre " et donc à la propriété, déficit d'image lié à des scandales retentissants ayant provoqué la spoliation des titulaires du droit de jouissance, fiscalité inadaptée ... et une législation très protectrice du consommateur, source de distorsions de concurrence avec les pays voisins, l'Espagne en particulier.
La directive du 26 octobre 1994, dont le projet de loi doit permettre la transposition, réduit ces distorsions en imposant aux Etats membres de la Communauté européenne un ensemble de règles communes offrant des garanties au consommateur et de nature à assurer une plus grande transparence dans le fonctionnement de ce secteur d'activité. Elle prend ainsi en considération l'émergence d'une activité correspondant à un concept original aux multiples facettes pour une meilleure sécurisation des transactions.
I. LA JOUISSANCE D'IMMEUBLE À TEMPS PARTAGÉ : UN CONCEPT ORIGINAL S'INCARNANT DANS DES FORMULES JURIDIQUES TRÈS DIVERSES
Répondant à l'évolution des aspirations et des pratiques touristiques (fractionnement des congés, goût pour la diversité des destinations, possibilité d'accéder à des prestations annexes de loisir) pour un prix modéré, la jouissance immobilière à temps partagé constitue un concept original qui se distingue nettement du droit de propriété et se traduit par l'émergence de schémas contractuels très divers.
A. UN CONCEPT INNOVANT QUI SE DISTINGUE NETTEMENT DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
1. Un produit de consommation touristique
Le concept de jouissance à temps partagé de biens immobiliers trouve son origine dans la " multipropriété ", inventée en France en 1967 et permettant d'acheter un droit de séjour dans une résidence pour une ou plusieurs semaines déterminées de l'année. L'apparition de possibilités d'échanges [5] , avec la création des bourses d'échanges, en conférant davantage de flexibilité au droit d'utilisation acquis, ainsi que la multiplication des services offerts associés à ce droit d'utilisation, ont converti le droit de jouissance à temps partagé en " produit de consommation à vocation touristique " [6] . Ce droit a donc eu tendance à se détacher de son socle immobilier et, partant, du droit de propriété dans son acception traditionnelle.
L'objectif poursuivi par son titulaire n'est pas, en effet, d'effectuer un investissement, mais plutôt d'acquérir une prestation de loisir.