N° 430
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 24 septembre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur :
-
le projet de loi autorisant la
ratification
de
la
convention
sur la base de l'article K. 3 du traité sur
l'Union européenne portant
création
d'un
Office européen de police
(
ensemble une annexe et quatre
déclarations
),
-
le projet de loi autorisant la
ratification
du
protocole
établi sur la base de l'article K. 3 du
traité sur l'Union européenne concernant
l'
interprétation
,
à titre préjudiciel,
par
la
Cour de justice des Communautés
européennes
,
de la convention portant création
d'un
office européen de police
,
Par M. Nicolas ABOUT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Xavier
de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet,
François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc
Bécart, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès,
Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre,
MM.
Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga,
MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac,
Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin,
André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel
Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard
Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette
Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard
Plasait, Régis Ploton, Michel Rocard, André Rouvière,
André Vallet.
Voir les numéros
:
Sénat
:
363
et
364
(1996-1997).
Traités et conventions.
Mesdames, Messieurs,
Un constat, aujourd'hui, s'impose : la criminalité a su tirer le
meilleur parti des grandes évolutions du monde moderne. Elle a connu en
effet trois mutations décisives : la mise en place de réseaux
internationaux dont l'organisation donne moins de prise à la
répression, l'interdépendance entre petite, moyenne ou grande
criminalité -la fourniture de faux documents administratifs peut
constituer le point d'appui d'entreprises criminelles de grande envergure-, la
part accrue dévolue aux technologies de pointe qui représentent
à la fois de nouveaux champ d'activités (trafics biologiques et
nucléaires) et des moyens d'intervention plus efficaces (l'utilisation
de réseaux de communication comme Internet favorise l'anonymat des
échanges).
Certaines formes de criminalité ont ainsi pris une ampleur jusqu'alors
inconnue. C'est notamment le cas du trafic de stupéfiants.
Si la criminalité internationale a pu changer d'échelle et
obéit ainsi à la logique de " mondialisation ",
l'organisation de la répression n'a pas, quant à elle, fait la
preuve d'un sens de l'adaptation comparable.
Certes, les gouvernants ont pris conscience de la nécessité d'une
coopération internationale, difficile, cependant, à mettre en
oeuvre dans une sphère qui touche aux pouvoirs régaliens des
Etats. Les efforts poursuivis par l'Union européenne dans ce domaine
traduisent à la fois une volonté de mobilisation mais aussi la
difficulté de s'entendre sur une démarche commune.
Ainsi la coopération policière, longtemps
considérée comme un instrument au service de la liberté de
circulation, est devenue, à la faveur du traité de Maastricht, un
objectif à part entière de l'Union européenne. Le projet
de traité d'Amsterdam a d'ailleurs confirmé cette
évolution. En revanche, la mise en place d'une structure de
coopération effective avec la création d'un Office
européen de police résulte d'un compromis complexe obtenu au prix
de plusieurs années de négociations.
La constitution en 1976, à Rome, du groupe Trévi
(référence aux quatre thèmes inscrits à l'ordre du
jour de cette réunion -terrorisme, radicalisme, extrémisme et
violence internationale), destiné à coordonner la lutte contre la
criminalité et le terrorisme, marque sans doute le point de
départ de ce long processus. Toutefois, la coopération
policière continua à marquer le pas. En octobre 1988, le
chancelier Helmut Kohl proposait la création d'une " sorte de
police fédérale européenne " sur le modèle du
FBI (Federal Bureau of investigation) américain. Dès lors
s'opposent deux conceptions au sein de l'Union européenne. D'une part,
l'Allemagne, soutenue notamment par les Pays-Bas, souhaite doter Europol de
compétences opérationnelles et lui conférer une certaine
indépendance tout en l'intégrant au cadre institutionnel
communautaire.
Une autre position défendue en particulier par la France et le
Royaume-Uni plaidait pour une logique intergouvernementale.
Le Conseil européen des 28 et 29 juin à Luxembourg reprend la
proposition allemande " d'une mise en place d'un office central
européen de police criminelle compétent en matière de
lutte contre le trafic international et le crime organisé ".
Le traité de Maastricht consacre en 1992 le principe d'un office
européen de police, mais inscrit sa reconnaissance dans le cadre de la
coopération intergouvernementale
prévue au titre VI (le
troisième pilier -coopération en matière de justice et
d'affaires intérieures).
En 1993, un accord ministériel signé à Copenhague permet
la mise en place de l'Unité " drogue " Europol (UDE),
élément précurseur d'Europol sous la forme d'un
système d'échange d'informations spécialisé dans le
trafic de stupéfiants et le blanchiment d'argent. Les divergences de
vues ne permettent cependant pas de conclure la convention sur Europol à
l'échéance prévue, le Conseil européen d'Essen en
décembre 1994.
Les Etats-membres finissent par se rallier lors du sommet de Cannes (juin 1995)
au texte de compromis élaboré sous les auspices de la
présidence française et signent la convention Europol le 26
juillet 1995. Toutefois, le Conseil européen devait renvoyer la
question, non résolue, de la compétence de la Cour de justice
pour l'interprétation de la convention Europol à un protocole
séparé. Les négociations sur ce sujet retardèrent
encore l'ouverture de la procédure de ratification de la convention
Europol et n'aboutirent que le 28 juillet 1996.
C'est ainsi qu'aujourd'hui le Sénat est saisi de deux textes :
- le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la base de
l'article K.3 du traité sur l'Union européenne portant
création d'un Office européen de police ;
- le projet de loi autorisant la ratification du protocole concernant
l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de
justice des Communautés européennes, de la convention portant
création d'un Office européen de police.
Au terme de difficiles négociations, le résultat apparaît
modeste : il décevra les partisans d'une structure ambitieuse et
dotée de compétences opérationnelles. Il pourra rassurer
ceux qui craignaient le risque d'une dérive supranationale.
L'organisation comme le fonctionnement d'Europol demeurent en effet
encadrés par les principes d'une coopération
intergouvernementale. Il restera toutefois à cette nouvelle structure
à affermir son identité et se montrer plus efficace que les
organismes qui l'ont précédée.
*
* *
I. EUROPOL : UN ORGANISME RÉGI PAR LES PRINCIPES D'UNE COOPÉRATION INTERGOUVERNEMENTALE
Europol ne sera pas un " FBI " à l'échelle européenne : l'organisation, principalement destinée à favoriser l'échange d'informations entre Etats-membres, demeure soumise aux règles de la coopération intergouvernementale, même si elle prend place au sein du système institutionnel européen. En outre, la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes à l'égard d'Europol apparaît étroitement bornée.
A. UNE INSTITUTION DÉPOURVUE DE COMPÉTENCES OPÉRATIONNELLES
Si les domaines visés par la coopération policière, dans le cadre du traité couvrent un très large spectre, les instruments de cette coopération reposent essentiellement sur l'échange d'informations.
1. Un objectif essentiel : favoriser l'échange d'informations
Si dans son principe la compétence d'Europol apparaît très étendue, la mise en oeuvre des attributions de l'organisation demeure précisément délimitée.
a) Un champ d'intervention délimité
En effet, trois conditions sont requises pour faire entrer
une
infraction dans le champ de compétence d'Europol. Il faut d'abord que
l'infraction soit le fait d'une organisation criminelle. Il faut enfin que
l'activité de cette organisation se déploie dans
deux pays au
moins
. Il importe enfin que l'infraction relève de l'une des grandes
formes de criminalité définie par la convention.
La convention retient d'abord cinq grandes formes de criminalité :
- le trafic illicite de stupéfiants,
- le trafic illicite de matières nucléaires et radioactives,
- les filières d'immigration clandestine,
- la traite des êtres humains,
- le trafic des véhicules volés.
En outre, Europol traitera, deux ans au plus tard après l'entrée
en vigueur de la convention, des infractions commises ou susceptibles
d'être commises dans le cadre d'activités de terrorisme portant
atteinte à la vie, à l'intégrité physique, à
la liberté des personnes ainsi qu'aux biens" (art. 2,
par. 2). Pourquoi un délai maximal de deux ans a-t-il
été fixé pour les seules questions liées au
terrorisme ? En fait lors de la négociation sur ce sujet, les
divergences se sont cristallisées sur la définition du concept
à retenir, mais aussi sur la place et le rôle des services de
renseignement par définition exclus d'Europol.
En outre, l'Espagne exigeait une intégration immédiate du
terrorisme dans le champ des compétences tandis que le Royaume-Uni ne
l'envisageait qu'après un délai de quatre ou cinq ans
après la mise en vigueur de la convention.
Lors d'un conseil informel tenu à Paris le 26 janvier 1995, la
présidence française a permis de parvenir à un compromis :
le terrorisme a été défini sous son seul aspect criminel
(à l'exclusion de sa dimension politique et de l'aspect renseignement),
et intégré parmi les objectifs d'Europol, au plus tard dans un
délai de deux ans après l'entrée en vigueur de la
convention ou, sur décision du Conseil, de façon
anticipée. Ce mécanisme de mise en vigueur avant l'expiration du
délai ayant été proposé par le Royaume-Uni
lui-même.
Par ailleurs, le Conseil européen statuant à l'unanimité
peut décider de confier à Europol trois autres catégories
d'infractions prévues dans une liste annexée à la
convention et liées d'une part à l'atteinte à la vie,
à l'intégrité physique et à la liberté,
d'autre part aux atteintes au patrimoine, aux biens publics et fraude, enfin au
commerce illégal et atteinte à l'environnement.
Enfin, l'action d'Europol couvre non seulement les formes de criminalité
précédemment évoquées mais aussi le blanchiment de
l'argent et toutes les infractions qui leur sont liées.
b) Une mission centrée sur l'échange d'informations
Ainsi entendu le champ d'intervention Europol apparaît
très étendu. Cependant les compétences qui lui sont
reconnues restent limitées et reposent essentiellement sur
l'échange d'informations
.
D'abord, il convient d'observer qu'Europol a pour objectif
d'"
améliorer
" l'efficacité des services compétents
des Etats signataires de la convention dans le domaine de la prévention
et de lutte contre les grandes formes de criminalité internationale
(art. 2, par. 1). Elle n'a donc pas vocation à se substituer à
ces services.
Europol apparaît en fait principalement une agence d'informations. Aux
termes de l'article 3, en effet, elle se voit assigner cinq fonctions
principales : favoriser l'échange d'informations entre pays membres,
procéder à l'analyse de ces informations, communiquer sans
délai aux services compétents les informations qui les
concernent, faciliter les enquêtes dans les différents Etats
membres en transmettant les informations utiles, gérer, enfin, des
recueils d'information automatisés.
Certes, l'organisation est également dotée d'une mission
générale d'assistance et de formation. Europol pourrait-elle par
ce biais s'affranchir du cadre fixé par la convention et exercer une
influence déterminante sur les polices des différents Etats
membres ? Cette perspective n'est pas la plus probable, car la fonction de
conseil apparaît en fait d'une part strictement conditionnée par
les effectifs et les moyens budgétaires dont dispose Europol et d'autre
part, comme l'a ajouté la version définitive de la Convention par
rapport à l'avant projet, encadrée par les "
limites
fixées par le conseil d'administration"
.
Europol ne dispose pas ainsi de compétences opérationnelles.
Les pouvoirs d'enquête demeurent de la stricte compétence des
services des Etats membres et s'exercent sous leur responsabilité
conformément aux règles procédurales en vigueur dans ces
Etats.
Europol s'inscrit dans le cadre d'une
coopération
intergouvernementale
et non d'un système supranational,
envisagé, voire réclamé par certains.
2. Une activité soumise aux principes d'une organisation intergouvernementale
Les règles d'organisation d'Europol répondent également aux principes d'une coopération intergouvernementale : présence de représentants nationaux -"officiers de liaison"- associés au fonctionnement d'Europol, contrôle politique assuré à un double niveau (le Conseil de l'Union européenne et le Conseil d'administration d'Europol, et, enfin, un mode de décision où l'unanimité est requise pour les questions les plus importantes.
a) La composition
Dans sa composition, Europol ne s'apparente ni à une
simple instance de concertation ni à une organisation supranationale.
Certes il dispose de ses propres agents placés sous l'autorité
d'un directeur. Le personnel d'Europol, conformément aux règles
du droit international, doit s'acquitter de ses fonctions "sans solliciter
ni
accepter d'instructions d'aucun gouvernement, autorité, organisation ou
personne extérieure à Europol" (art. 30). Les dispositions
relatives aux modalités de recrutement, salaires, pensions, impôts
figurent dans le statut du personnel adopté par le Conseil
européen lors de sa session du 27-28 mai 1997. Ce statut, s'il
définit la nature des postes à pourvoir, ne détermine
cependant pas un nombre précis d'agents à recruter. Le
recrutement s'effectuera sous les auspices d'une "commission de
sélection" instituée par le directeur d'Europol et chargée
de conseiller celui-ci sur l'aptitude des candidats à remplir les
fonctions visées et de les classer par ordre de mérite. Aux
termes de l'article 30, le choix doit également tenir compte de "la
nécessité de garantir une prise en considération
adéquate des ressortissants de tous les Etats membres et des langues
officielles de l'Union européenne".
Aux côtés des agents d'Europol,
les officiers de liaison
représentent leurs Etats respectifs.
Le nombre d'officiers de
liaison que chaque Etat peut envoyer auprès de l'organisation est
fixé par une décision adoptée à l'unanimité
par le conseil d'administration d'Europol. Le tableau suivant présente
la répartition actuelle des officiers de liaison par pays au sein de
l'Unité " drogue " Europol.
Belgique |
2 |
Irlande |
1 |
France |
5 |
Autriche |
2 |
Luxembourg |
1 |
Allemagne |
6 |
Danemark |
2 |
Portugal |
1 |
Grèce |
2 |
Finlande |
2 |
Pays-Bas |
4 |
Italie |
3 |
Suède |
2 |
Espagne |
3 |
Royaume-Uni |
2 |
Les officiers de liaison sont désignés par les "unités nationales" qui dans chaque Etat membre constituent le correspondant d'Europol à la manière du Bureau Central National (BCN) pour Interpol. Même si les unités nationales ont une vocation interministérielle, aucune disposition commune ne régit leur structure compte tenu des différences d'organisation entre les Etats membres. Ainsi, en France, l'unité nationale Europol (UNE) associe la police, la gendarmerie et la douane. Elle est implantée à la Direction centrale de la Police nationale. Les unités nationales ont pour principales fonctions de fournir à Europol les informations nécessaires et de diffuser, "dans le respect du droit national", auprès des services nationaux compétents, les renseignements transmis par Europol.
b) Les modalités de contrôle
L'organisation est placée sous le double contrôle
du conseil administratif et du Conseil de l'Union européenne. Il revient
à cette dernière instance de prendre les décisions les
plus importantes : nomination du directeur d'Europol, règlement
financier et budget de l'organisation, statut du personnel de l'agence,
définition des règles générales pour la
transmission par Europol des données à caractère personnel
aux Etats ou instances tiers, réglementation pertinente en
matière de protection du secret, règles d'application sur les
fichiers.
Sur tous ces points,
l'unanimité est requise
.
Le conseil d'administration où chaque Etat membre dispose d'un
représentant et d'une voix se réunit au moins deux fois par an.
Il dispose d'un pouvoir de décision (droits et obligations des officiers
de liaison à l'égard d'Europol, nombre des officiers de liaison
que peuvent envoyer chaque Etat, modalités relatives à
l'aménagement du système d'index, plan financier quinquennal,
règles d'habilitation des agents d'Europol). En outre, il procède
à la nomination du contrôleur financier. A l'exception de
quelques décisions (notamment l'approbation des instructions de
création de fichiers qui suppose vote à la majorité des
deux tiers), le conseil d'administration se prononce à
l'unanimité même si l'abstention ne peut faire obstacle à
l'adoption d'une décision selon cette procédure.
Outre son pouvoir de nomination et de décision, le conseil
d'administration prépare l'ensemble des grandes décisions qu'il
revient au conseil de trancher (élargissement de l'objectif d'Europol,
règles d'application relatives au budget, nomination et
révocation du directeur et des directeurs adjoints, adoption du statut
du personnel, établissement du budget, règlement financier).
La convention prévoit enfin une information du Parlement européen
sous la forme d'un
rapport annuel
consacré aux travaux
menés par Europol (art. 34). Vis-à-vis du Parlement
européen, la présidence du Conseil reste toutefois sur ce sujet
tenue aux obligations de réserve et de protection du secret. Par
ailleurs, cette obligation d'information ne doit pas porter préjudice
aux droits des parlements nationaux.