B. LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES : UN RÔLE LIMITÉ
Le rôle de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) vis-à-vis d'Europol a constitué une pomme de discorde entre les Etats membres de l'Union européenne. Cette question, on le sait, a retardé la signature de la convention Europol et justifié la négociation d'un texte séparé sur la compétence de la Cour de justice.
1. Une compétence bornée dans son principe
La compétence de la Cour de justice a été étroitement bornée. En effet, la CJCE n'intervient guère dans les contentieux liés à la responsabilité d'Europol, et seulement de façon indirecte pour les différends entre Etats.
a) Les différends entre Etats
L'article 40 de la convention organise le règlement des
différends entre les Etats membres en deux étapes :
- le différend doit être examiné en premier lieu au sein du
Conseil selon la procédure prévue au titre VI du traité
sur l'Union européenne ;
- en second lieu, si une solution n'a pu être trouvée dans un
délai de six mois, les Etats membres parties au différend
s'accordent sur les modalités selon lesquelles le contentieux pourra
être réglé.
A ce titre, les Etats-membres, à l'exception du Royaume-Uni, ont
décidé d'un commun accord de faire appel à la CJCE.
b) La responsabilité d'Europol
Les procédures prévues pour la mise en cause de
la responsabilité d'Europol apparaissent encore plus significatives du
souci de limiter les attributions de la CJCE.
En effet, en général, un organisme subsidiaire institué
par le Conseil doit réparer les dommages causés par lui ou par
ses agents et les textes constitutifs retiennent à ce sujet la
compétence de la Cour de justice.
Or la convention Europol prévoit un dispositif spécifique
fondé sur les principes suivants :
- tout Etat membre est responsable, conformément à son droit
national, de tout dommage causé à une personne dans lequel
interviennent des données entachées d'erreurs stockées ou
traitées à Europol ;
- Si ces erreurs incombent à un autre Etat-membre ou à Europol du
fait d'une transmission fautive ou d'un manquement aux obligations
fixées par la convention, il appartient à cet Etat ou à
Europol de procéder à un remboursement à titre
d'indemnisation ;
- tout désaccord entre Etats-membres ou entre Etat-membre et Europol sur
le principe ou le montant de ce remboursement doit être soumis au Conseil
d'administration qui statue à la majorité des deux-tiers ;
- les dommages causés par Europol du fait de ses agents dans l'exercice
de leurs fonctions relèvent des juridictions nationales, sur la base de
la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la
compétence judiciaire et à l'exécution des
décisions en matière civile et commerciale.
2. Un rôle reconnu pour l'interprétation à titre préjudiciel de la convention
Le recours à titre préjudiciel permet à une juridiction nationale, avant de se prononcer sur un litige d'ordre privé pouvant opposer en l'espèce un ressortissant de l'Union européenne à Europol, de consulter la Cour de justice sur l'interprétation de la convention. Cette faculté permet d'assurer une application uniforme du droit communautaire et la formation d'une jurisprudence cohérente. Toutefois cette possibilité a été contestée par certains Etats-membres. A la suite de discussions difficiles, la solution de compromis négocié permet de tenir compte des spécificités de chaque Etat-membre.
a) Un compromis difficile
La solution de compromis a dû tenir compte de deux
positions contradictoires. D'un côté, un groupe de pays (notamment
les Pays-Bas et l'Italie) soucieux d'obtenir une interprétation uniforme
du droit communautaire estimait indispensable une interprétation de la
CJCE pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation
de la convention. Certains souhaitaient même que cette faculté
soit offerte à l'ensemble des juridictions nationales et non aux seules
juridictions suprêmes. De l'autre côté, le Royaume-Uni
s'opposait fermement à l'attribution d'une compétence à la
Cour de justice pour un texte concernant principalement les polices nationales
et dont l'interprétation, en conséquence, devait revenir aux
seuls tribunaux nationaux en application du seul droit national.
La présidence espagnole a dû proposer successivement
différentes solutions de compromis :
- en septembre 1995, la proposition d'un recours à titre
préjudiciel facultatif et réservé aux plus hautes
juridictions de chaque Etat-membre paraissait encore excessif pour le
Royaume-Uni et insuffisant pour ses contradicteurs ;
- en novembre 1995, la proposition d'un protocole " à la
carte " permettait à quatorze Etats-membres d'opter pour un renvoi
de questions préjudicielles par les juridictions suprêmes (formule
A) ou par toute juridiction (formule B). Une majorité d'Etats s'est
ralliée à cette formule récusée par le Royaume-Uni,
même si ce dernier envisageait désormais une compétence de
la CJCE pour les Etats-membres qui lui en démontreraient la
nécessité au regard de leur droit interne ;
- en mai 1996, une troisième option ajoutée aux formules A et B
permettait de prendre en compte la position britannique désormais
favorable à un accord pour l'utilisation par les autres Etats-membres
d'une institution communautaire, opposée à une compétence
de la Cour pour le Royaume-Uni, tout en réservant néanmoins
expressément à celui-ci le droit d'intervenir dans les affaires
qui seraient portées devant la Cour.
Le Royaume-Uni a fini par se rallier à cette dernière proposition
après avoir longtemps bloqué l'approbation du protocole pour des
raisons en partie étrangères au fond du texte (crise de la vache
folle).
b) Un dispositif équilibré
Le dispositif retient trois principes.
En premier lieu, la reconnaissance de la compétence de la Cour de
justice pour statuer, à titre préjudiciel, sur
l'interprétation de la convention Europol, demeure une faculté
pour les Etats-membres et se fait par une simple déclaration au
protocole.
En second lieu, la reconnaissance de cette compétence laisse le choix
entre deux options : la possibilité de saisir la Cour de justice est
ouverte à toutes les juridictions de chaque Etat-membre ou
réservée aux seules juridictions nationales dont les
décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit
interne.
Enfin, tout Etat-membre a le droit, qu'il ait ou non fait une
déclaration reconnaissant la compétence de la Cour de justice,
de déposer devant cette instance un mémoire ou des observations
écrites dans les affaires dont elle est saisie, en vertu d'une
interprétation à titre préjudiciel.
Cette possibilité permet de faire droit aux préoccupations du
Royaume-Uni.
La France et l'Irlande ont choisi la formule selon laquelle seules les
juridictions suprêmes ont la faculté de demander à la Cour
de justice de statuer à titre préjudiciel sur la convention
Europol.
Pour notre gouvernement, cette option permet de limiter le nombre de questions
préjudicielles soumises à la Cour de justice aux seuls
problèmes de principe. Dans cette perspective, il a paru
préférable de laisser aux plus hautes juridictions
françaises le soin de sélectionner les questions dont la
complexité appelle la saisine de la CJCE.
L'Allemagne, la Grèce, l'Italie, les pays du Benelux, l'Autriche et le
Portugal ont, pour leur part, non seulement choisi la deuxième option
mais ils ont, par les déclarations annexées au protocole,
indiqué qu'ils se réservaient le droit de prévoir dans
leur droit interne que les juridictions dont les décisions ne sont pas
susceptibles d'un recours
seront tenues
de saisir la Cour de justice
quand une question liée à l'interprétation de la
convention Europol se présentera dans une affaire pendante.
Si la solution de compromis retenue permet de ménager les
prérogatives nationales, elle ne garantit pas une application uniforme
de la convention.
La Cour de justice dont la compétence en matière policière
constitue une innovation n'a naturellement pas encore constitué une
jurisprudence dans ce domaine. Toutefois la Cour, dans plusieurs
décisions, a eu l'occasion de souligner que le respect des droits
fondamentaux de la personne humaine relevait des principes
généraux du droit communautaire dont elle avait pour mission
d'assurer le respect. En outre la Cour se fonde désormais sur l'ensemble
des conventions internationales relatives aux droits de l'homme et sur la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Une
jurisprudence a ainsi été élaborée dans ce domaine
et constituera une référence pour garantir le respect des droits
fondamentaux dans le cadre de l'application de la convention Europol.
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