ARTICLE 9
Validation des taux de majoration de la cotisation
d'accidents du travail
Commentaire : cet article tend à valider, de
manière préventive, les décisions individuelles relatives
à la fixation des taux des majorations de la cotisation due au titre des
accidents du travail et des maladies professionnelles, dès lors qu'elles
ont été prises conformément à l'arrêté
du 27 décembre 1996.
I. UNE PROCÉDURE RÉGIE PAR DES TEXTES IMPRÉCIS ET
CONTRADICTOIRES
A. LA PROCÉDURE DE FIXATION DES TAUX DES MAJORATIONS DE COTISATIONS
D'ACCIDENTS DE TRAVAIL
Selon l'article D.242-6-2 du code de la sécurité sociale, le taux
net de cotisation due par un établissement au titre des accidents de
travail et des maladies professionnelles est constitué par le taux brut
affecté de trois majorations.
L'article D.242-6-4 dispose que ces majorations visent à couvrir :
- les accidents de trajet ;
- les frais de rééducation professionnelle, les charges de
gestion administrative et l'action sanitaire et sociale ;
- les dépenses de compensation entre régimes d'accidents du
travail.
Conformément à l'article D.242-6-5 du code de la
sécurité sociale, ces majorations sont fixées par
délibération de la commission des accidents du travail et des
maladies professionnelles. Cette délibération est adressée
au ministre chargé de la sécurité sociale au plus tard le
15 novembre de chaque année. Elle est approuvée par
arrêté du ministre chargé de la sécurité
sociale et du ministre chargé du budget.
Toutefois, si les majorations fixées par la commission des accidents du
travail et des maladies professionnelles ne permettent pas d'assurer
l'équilibre financier de la gestion de la branche, le ministre
chargé de la sécurité sociale, dans les dix jours suivant
la réception de la délibération, met en demeure la
commission de fixer des majorations permettant d'obtenir l'équilibre des
dépenses et des recettes dans les dix jours suivant la réception
de la mise en demeure.
Si cette mise en demeure reste sans effet, les majorations sont fixées
par arrêté du ministre chargé de la sécurité
sociale et du ministre du budget. Or, cette procédure exceptionnelle a
dû être utilisée en 1997.
B. UNE INTERPRÉTATION DIVERGENTE DE LA NOTION D'ÉQUILIBRE
FINANCIER DE LA BRANCHE ACCIDENTS DE TRAVAIL FAVORISÉE PAR LA
COEXISTENCE DE TEXTES CONTRADICTOIRES
L'an dernier, la commission des accidents de travail et des maladies
professionnelles avait fixé, pour 1997, des valeurs de majoration telles
que le taux net moyen qui en résultait conduisait à
présenter un compte de la branche accidents du travail/maladies
professionnelles en déficit de 894 millions de francs pour
l'exercice 1997.
Toutefois, la commission peut s'appuyer sur l'alinéa 3 de l'article
L.242-5 du code de la sécurité sociale qui dispose que "
si les
mesures prises en application du premier alinéa du présent
article ne permettent pas d'assurer la couverture des charges de gestion,
l'équilibre peut être maintenu ou rétabli par un
prélèvement sur les excédents financiers ou, à
défaut, par une modification des éléments de calcul des
cotisations
".
Elle estime donc que les taux de majorations qu'elle avait fixés ne
compromettaient pas l'équilibre financier de la branche, puisque la
prise en compte de l'excédent cumulé depuis 1995, -
1,28 milliards de francs après le transfert d'un milliard de francs
à la branche maladie conformément à l'article 30 de la loi
de financement de la sécurité sociale pour 1997,- permettait de
dégager un excédent de trésorerie de 386 millions de
francs.
Au contraire, le ministère du travail et des affaires sociales a
considéré que la commission des accidents du travail et des
maladies professionnelles ne respectait pas l'équilibre financier
mentionné dans l'alinéa 2 de l'article D.242-6-5 du code de
la sécurité sociale, dans la mesure où cette
dernière n'avait pas tenu compte, lors de la fixation des taux pour
1997, des objectifs de recettes et de dépenses de la branche tels qu'ils
figurent dans le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1997 et qui conduisent à un excédent
prévisionnel de 847 millions de francs. Après une mise en
demeure restée infructueuse, le ministre du travail et des affaires
sociales s'est donc substitué à la commission des accidents du
travail et des maladies professionnelles et a fixé par
l'arrêté du 27 décembre 1997 les majorations
visées à l'article D.242-6-4.
Cet arrêté a fait l'objet d'un recours en excès de pouvoir,
actuellement en instance de jugement devant le conseil d'Etat. Il
soulève trois problèmes :
- le conflit entre deux normes, à savoir les articles L.242-5 et
D.242-6-5 du code de la sécurité sociale d'une part, et la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1997 d'autre part ;
- la portée de l'autonomie de la commission des accidents de travail et
des maladies professionnelles ;
- la légalité de l'obligation imposée par le Gouvernement
à la commission des accidents du travail et des maladies
professionnelles de dégager des excédents afin de les affecter
aux autres branches déficitaires de la sécurité sociale.
En prévision d'une éventuelle annulation de
l'arrêté, cet article propose, à titre préventif, de
valider toutes les décisions individuelles prises sur la base de
celui-ci et relatives à la fixation des taux des majorations de la
cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies
professionnelles.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a complété la
validation demandée par le Gouvernement en modifiant les dispositions du
code de la sécurité relatives au mode de détermination des
cotisations d'accidents du travail de façon à préciser que
les décisions de la commission des accidents du travail et des maladies
professionnelles doivent se conformer à la loi de financement de la
sécurité sociale.
Votre rapporteur estime que cette précision rédactionnelle est
à la fois superfétatoire et inefficace.
Superfétatoire, parce que le principe de hiérarchie des normes
impose déjà à la commission des accidents du travail et
des maladies professionnelles de respecter la loi de financement de la
sécurité sociale, comme toute autre loi, lorsqu'elle fixe les
taux de majoration des cotisations.
Inefficace, parce qu'elle n'apporte pas de solution au fond du problème.
La question est en effet de savoir ce que la commission est censée
faire lorsqu'elle se trouve partagée entre l'article L.242-5 du
code de la sécurité sociale qui lui impose de viser le strict
équilibre de la branche et la loi de financement de l'année, qui
lui demande de dégager un excédent annuel.
II. UNE VALIDATION TRÈS CONTESTABLE
A. LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Dans sa décision n °80-119 DC du 22 juillet 1980, le
conseil constitutionnel a reconnu la conformité de principe des lois de
validation à la constitution, qui (sauf en matière
pénale), autorise le législateur à prendredes mesures
rétroactives afin notamment, "
de régler, comme lui seul peut
le faire, les situations nées de l'annulation
" d'un acte
administratif.
L'exercice du pouvoir de validation doit, toutefois, satisfaire à des
exigences constitutionnelles.
D'une part, le législateur doit respecter les exigences du principe de
séparation des pouvoirs et s'abstenir tant de valider les actes
mêmes qui ont été annulés que de faire obstacle
à l'exécution des actes annulés par des décisions
juridictionnelles, "
passées en force de chose jugée
".
D'autre part, la validation doit être justifiée par des raisons
d'intérêt général. A cet égard, le conseil
constitutionnel a estimé dans sa décision du
28 décembre 1995 n° 95-369 DC sur la loi de finances
pour 1996, que "
la seule considération d'un intérêt
financier
" n'a pas pu donner à la validation un motif
d'intérêt général autorisant le législateur
à faire obstacle aux effets d'une décision de justice.
En l'espèce, on peut légitimement se demander si ces deux
conditions sont respectées.
Certes, cet article ne remet pas en cause la séparation des pouvoirs,
puisqu'il prévoit la validation des décisions individuelles de
fixation de taux "
sous réserve des décisions de justice
passées en force de chose jugée
".
Néanmoins, la justification de cette validation par
l'intérêt général n'est pas avérée.
Le Gouvernement prétend que si cette mesure n'était pas
validée, elle entrainerait une perte de plus d'1,7 milliards de
francs pour la sécurité sociale. Pour établir ce calcul,
le Gouvernement prend en compte d'une part le déficit de
894 millions de francs résultant des taux proposés par la
commission des accidents du travail, et d'autre part, l'excédent
prévisionnel prévu par la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1997.
Or, ces chiffres sont doublement contestables.
D'abord, même si les taux fixés par la commission des accidents
du travail conduisent à un déficit de 894 millions de
francs, ils ne remettaient pas en cause l'équilibre financier de la
branche
. En effet, compte tenu de l'excédent cumulé depuis
1995, -1,28 milliard de francs après le transfert d'un milliard de
francs à la branche maladie conformément à
l'article 30 de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 1997 -, la branche accident du travail aurait dégagé un
excédent de trésorerie de 386 millions de francs.
En outre, il est pour le moins curieux de comptabiliser dans les pertes de
la sécurité sociale, si cet article n'était pas
validé, les 847 millions de francs d'excédent prévus
pour 1997 à partir des objectifs de dépenses et de recettes de la
loi. En effet, il ne s'agit là que de prévisions et seul le solde
réellement réalisé doit être pris en compte
.
Celui-ci aurait été de -894 millions de francs avec les taux
proposés par la commission des accidents du travail : il s'est
élevé seulement à +151 millions de francs avec les
taux imposés par le Gouvernement. Or, ce dernier reconnaît bien
qu'il y a eu un excédent, et ne parle pas d'un déficit de
696 millions de francs correspondant à la différence entre
847 et 151 millions de francs, reconnaissant par là même le
caractère artificiel du calcul des pertes qui résulteraient, pour
la sécurité sociale, de l'absence de validation de cet article.
B. UNE VALIDATION CONTRAIRE AU PRINCIPE D'AUTONOMIE DES BRANCHES
En fait, cette validation pose une question de principe, à savoir la
réalité de l'autonomie de la branche des accidents du travail.
Cette question oppose les Gouvernements successifs et la branche des accidents
du travail et des maladies professionnelles depuis 1984.
En effet, de 1983 à 1992, la gestion du risque accidents du travail
et maladies professionnelles a permis de dégager un excédent
cumulé de 20,6 milliards de francs, selon la commission des comptes
de la sécurité sociale, qui a toujours été
affecté aux autres branches déficitaires de la
sécurité sociale
. C'est pourquoi de 1984 à 1989, six
recours ont été engagés devant le Conseil d'Etat contre
les arrêtés fixant les majorations des taux de cotisation
d'accidents du travail et de maladies professionnelles, au motif que leurs
montants, anormalement élevés, étaient
déterminés de manière à pouvoir dégager des
excédents indûs au profit des autres branches.
Dans son arrêt du 26 février 1992, le Conseil d'Etat a
annulé les bases réglementaires de la tarification de 1988. Le
Parlement sur la proposition du gouvernement de l'époque, avait
tiré les conséquences de cette annulation en votant
l'article 20 de la loi n °93-121 de 27 janvier 1993 portant
diverses mesures d'ordre social, qui prévoyait un abattement forfaitaire
de 4 % sur les cotisations d'accidents du travail de 1993.
Dans son arrêt du 9 juillet 1993, le Conseil d'Etat a
également annulé les bases réglementaires de la
tarification de 1989. Le Gouvernement a alors obtenu du Parlement la validation
des taux de cotisations d'accidents du travail notifiés aux entreprises
pour 1989, sur la base des textes réglementaires de 1988 annulés
par le Conseil d'Etat, par le vote de l'article 67 de la loi n °94-43
du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et
à la protection sociale.
Le vote de la loi n °94-637 du 25 juillet 1994 relative
à la sécurité sociale laissait penser que le gouvernement
respecterait désormais l'autonomie de la branche accidents du travail et
maladies professionnelles
.
En effet, la loi dispose solennellement dans son article premier que "
le
régime général comprend quatre branches
" et que
"
l'équilibre financier de chaque branche est assuré par la
caisse chargée de la gérer
". En outre, l'alinéa 4
de l'article 10 est parfaitement clair sur les objectifs à
atteindre et les moyens à employer : d'une part la gestion de
la branche doit assurer l'équilibre financier et non pas dégager
un quelconque excédent ; d'autre part, si les taux de
cotisations fixés par la commission des accidents du travail et des
maladies professionnelles ne permettent pas d'assurer la couverture des frais
de gestion, l'équilibre financier doit être maintenu ou
rétabli
en priorité par un prélèvement sur les
excédents financiers
ou, si ceux-ci sont inexistants ou
insuffisants, par une augmentation des taux de cotisation.
Or, les Gouvernements ont continué de nier après 1994
l'autonomie de gestion de la branche des accidents du travail et des maladies
professionnelles.
L'article 30 de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 1997 institue, à la charge de la branche des accidents du travail
et maladies professionnelles et au profit de la branche maladie du
régime général, un versement annuel pour tenir compte des
dépenses supportées indûment par cette dernière.
Cette mesure est justifiée par la sous-évaluation chronique des
maladies professionnelles. Il est donc logique que le montant de ce versement
soit pris en compte dans la détermination des éléments de
calcul de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies
professionnelles.
En revanche, les Gouvernements ne respectent pas l'autonomie de cette branche
lorsqu'ils lui imposent, outre le versement de cette somme, un objectif
d'excédent. Selon les comptes de la sécurité sociale, cet
excédent s'est élevé, pour 1997, et sans prendre en compte
le versement d'un milliard à la branche maladie, à
1,755 milliard de francs. Pour 1998, il est estimé à
1,448 milliard de francs,
le versement d'un milliard à la
branche maladie ayant été intégré dans ce
calcul.
Or, cette pratique présente deux graves inconvénients.
D'une part, elle risque de décourager les entreprises qui s'impliquent
dans le renforcement de la prévention des risques d'accident du travail.
En effet, dans le dispositif actuel, le taux brut de cotisation dépend
de la valeur du risque dans chaque établissement. Les entreprises sont
donc incitées à diminuer les risques encourus dans leurs
établissements. Toutefois, si cette diminution est compensée par
une augmentation constante des trois majorations de la cotisation réelle
et ce, pour des raisons extérieures à la branche, les efforts
entrepris ne sont pas récompensés. On peut craindre à
terme une remise en cause du système par les entreprises.
D'autre part, cette hausse des trois majorations se répercute
automatiquement sur le coût du travail et pénalise l'emploi.
Décision de la commision : votre commission vous propose de supprimer
cet article.