2. Un dispositif de vérification fondé sur l'équilibre entre intrusion et protection de l'Etat inspecté
Depuis que les "mesures de confiance et de
sécurité" (MDCS), adoptées en 1986 dans le cadre de la
Conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe (CSCE), ont mis en oeuvre le principe de la
vérification sur
place
, les traités de désarmement adoptés
ultérieurement ont prévu l'adoption de
mécanismes de
vérification
, qu'il s'agisse du traité relatif aux
Forces
conventionnelles en Europe
, du traité
américano-soviétique sur les
Forces nucléaires
intermédiaires
ou, plus récemment, du traité sur
l'Interdiction complète des essais nucléaires
. On remarque
d'ailleurs de nombreux points communs entre ce dernier et la convention du 13
janvier 1993, s'agissant essentiellement de la volonté d'assurer un
certain équilibre entre les larges pouvoirs reconnus aux inspecteurs
afin de garantir l'efficacité du contrôle effectué, et le
souci de préserver les intérêts supérieurs de l'Etat
inspecté.
Le système de contrôle de l'application de la convention sur
l'interdiction des armes chimiques s'appuie, d'une part, sur la
vérification systématique des déclarations transmises par
les Etats en application des articles III et VI de la convention et, d'autre
part, sur l'
organisation
exceptionnelle d'inspections relativement
inopinées
, dites par
mise en demeure
, demandées par un
Etat partie, en cas de doute sur le comportement d'un autre Etat.
Les mesures prévues par la convention en matière de
vérification et d'inspection ont fait l'objet de plusieurs
vérifications préalables, dans le cadre de simulations
effectuées aux Etats-Unis, au Canada et aux Pays-Bas, afin
d'évaluer les chances de succès des inspections
envisagées. Ces essais auraient établi la possibilité de
procéder à des contrôles efficaces, sans pour autant
remettre en question, dans l'intérêt des Etats inspectés,
le
caractère confidentiel des informations susceptibles d'être
recueillies par les équipes de contrôle au cours d'une
inspection
.
a) Les vérifications des déclarations
Les déclarations transmises par les Etats à
l'OIAC, conformément à l'article III de la convention, font
l'objet de
vérifications systématiques par inspection sur
place.
Les articles IV et V de la convention prescrivent aux Etats de donner
accès aux
armes chimiques, aux installations de fabrication d'armes
chimiques ainsi qu'aux installations de destruction d'armes chimiques
déclarées à l'OIAC, afin que celles-ci fassent l'objet
d'inspection sur place.
Un régime comparable de vérification systématique est
applicable, dans le cadre des activités non interdites conduites en
application de l'article VI de la convention, aux
produits chimiques du
tableau 1
, qui présentent les risques les plus importants.
L'Annexe sur la vérification
définit les modalités
concrètes de mise en oeuvre de ces mesures de vérification.
- Chaque installation déclarée fait l'objet d'une
inspection
initiale
(y compris les sites de stockages d'armes anciennes ou
abandonnées), destinée à vérifier les
renseignements fournis et à
planifier les activités de
vérification future.
Au ler décembre 1997,
95 inspections
initiales
avaient été effectuées sur le territoire de
vingt Etats parties.
Parmi les sites ayant fait l'objet de ces visites,
on comptait les 34 installations de production d'armes chimiques
déclarées à ce jour à l'OIAC.
- Puis les Etats Parties concluent avec l'OIAC, dans les 180 jours suivant
l'entrée en vigueur de la convention à leur égard, un
accord d'installation
qui
régit la fréquence et la
portée des inspections dans chaque installation
déclarée
.
L'inspection initiale peut conduire à la mise en place
de
systèmes de surveillance continue
(caméras...), ainsi
qu'à la pose de
scellés
, ou toute autre procédure
de contrôle des stocks.
-
L'inspection systématique
combine l'inspection sur place et la
surveillance au moyen d'instruments installés sur place. Selon
l'Annexe sur la vérification
(troisième partie,
point 44), les
installations de stockage d'armes chimiques
sont
inspectées de manière à rendre impossible toute
prévision de la date de l'inspection.
Dans le même esprit, les
installations de fabrication d'armes
chimiques
font l'objet de vérifications systématiques,
comportant, en fonction de l'accord d'installation, examens visuels,
contrôle et entretien de scellés, et prélèvement et
analyse d'échantillons. L'objectif est de s'assurer, dans un premier
temps, de la cessation de toute activité dans ces installations, puis de
la destruction de celles-ci.
-
Les activités non interdites,
conduites conformément
à l'article VI de la convention, relèvent d'un système de
contrôle moins contraignant.
. En ce qui concerne les activités non interdites mettant en oeuvre des
produits du tableau 2,
le délai d'accomplissement des
inspections initiales
est prévu de manière relativement
large (dans les trois premières années suivant l'entrée en
vigueur de la convention) par rapport aux délais prévus à
l'égard des activités interdites (l'inspection initiale
intervient, en général, entre le 90e et le 120e jour suivant
l'entrée en vigueur de la convention à l'égard de l'Etat
concerné).
Le rythme et le nombre des
inspections ultérieures
dépendent de la toxicité des produits chimiques
fabriqués et de celle de leurs composants, de la quantité de
produits chimiques stockés, et de la capacité de production des
usines considérées.
L'Annexe sur la vérification
ne
prévoit pas de surveillance au moyen d'instruments installés sur
place. Le nombre d'inspections sur place susceptibles d'être
effectuées sur un même site est limité à
deux par
an
(compte non tenu des inspections pour mise en demeure : voir infra, b).
Les inspections visent de manière générale à
vérifier l'absence de
produits chimiques du tableau 1
,
ainsi que le
non-détournement
de produits du tableau 2 à
des fins non interdites par la convention, et, de manière
générale, la conformité des volumes produits,
traités ou consommés avec les données
déclarées.
. En ce qui concerne les activités non interdites mettant en oeuvre des
produits du
tableau 3,
l'
Annexe sur la vérification
subordonne l'organisation
d'inspections initiales à des
critères quantitatifs
: seuls les sites produisant plus de 200
tonnes de produits chimiques du tableau 3 font l'objet de telles visites.
Les seules inspections effectuées sont déterminées de
manière aléatoire.
L'Annexe sur la vérification
précise qu'elles doivent être géographiquement
équitablement réparties. Les inspections sur un même site
sont, là encore, limitées à
deux par an
, compte non
tenu des inspections par mise en demeure.
. Dans le cas des
autres installations de produits chimiques,
des
inspections sur place
sont prévues, trois ans après
l'entrée en vigueur de la convention, si la Conférence des
Etats-parties ne s'y oppose pas, pour les sites fabriquant plus de 200 tonnes
de produits chimiques organiques ou de
produits PSF
. L'objectif des
inspections est de
vérifier que les activités de ces sites
concordent avec les renseignements fournis dans les déclarations
.
. Notons que l'ensemble des opérations de vérification
prévues pour 1998 portera sur environ
326 inspections.
b) Les inspections par mise en demeure
L'article IX définit les procédures
exceptionnelles applicables, à la demande d'un Etats-partie, en cas de
"doute quant au respect de la Convention ou une préoccupation au sujet
d'une question connexe qui serait jugée ambiguë".
L'article IX invite tout d'abord les Etats parties à "tout mettre en
oeuvre pour éclaircir et régler, par un échange
d'informations et par des consultations entre eux", toute question
suscitant
quelque préoccupation, afin d'éviter d'en arriver à une
inspection par mise en demeure.
- Dans cette hypothèse, l'Etat partie qui reçoit une
demande
d'éclaircissement
fournit, dans un délai de dix jours, des
"informations suffisantes pour lever ce doute ou cette préoccupation".
L'article IX rend également possible l'organisation,
par consentement
mutuel, d'inspections spécifiques
entre les Etats concernés.
-
Les inspections par mise en demeure
ont pour objet exclusif d'
"élucider et de résoudre toutes questions liées au
non-respect éventuel" des stipulations de la convention, si la
procédure de la demande d'éclaircissement ci-dessus
évoquée n'a pas abouti de manière satisfaisante. L'article
IX engage les Parties à
s'abstenir de demandes d'inspection sans
fondement
, et d'éviter les abus. "L'inspection par mise en demeure
est effectuée à seule fin d'établir les faits se
rapportant au non-respect éventuel de la convention".
Le Conseil
exécutif peut s'opposer à une inspection dont il estimerait la
demande "frivole" ou "abusive".
L'Etat inspecté est informé de la demande d'inspection dont il
fait l'objet au moins douze heures avant l'arrivée prévue de
l'équipe d'inspection au point d'entrée sur son territoire.
L'Annexe sur la vérification
(dixième partie) apporte de
nombreuses précisions sur le
déroulement des inspections par
mise en demeure.
.
L'équipe d'inspection est constituée au coup par coup, en
assurant une représentation géographique aussi large que
possible, et en excluant tout ressortissant de l'Etat inspecté et de
l'Etat ayant requis l'inspection, de même que tout inspecteur
récusé par l'Etat inspecté.
.
L'inspection commence par le
verrouillage du site
inspecté
: surveillance des sorties, établissement de
registres de trafic, prise de photographies, enregistrements vidéo ...
L'équipe d'inspection est en droit d'inspecter les véhicules
quittant le site.
.
Les activités de contrôle sur le périmètre
inspecté consistent notamment en
prélèvements
d'échantillons d'air, de sol et d'effluents
.
.
L'inspection ne dépasse pas
84 heures
(compte non tenu
des délais préalables à sa mise en oeuvre effective : 108
heures peuvent ainsi séparer l'arrivée de l'équipe sur le
territoire de l'Etat concerné, et l'accès des inspecteurs au
périmètre inspecté).
.
L'Etat requérant l'inspection peut solliciter la
présence d'observateurs
pendant l'inspection. L'Etat
inspecté peut désigner des accompagnateurs, chargés
d'assister aux activités d'inspection.
.
Le comportement de l'équipe d'inspection doit être
"le
moins intrusif possible", et exclure la recherche d'informations sans
rapport
avec l'obtention des faits destinés à dissiper le doute quant au
non-respect de la convention.
c) Caractère intrusif de l'inspection et respect des droits de l'Etat inspecté
L'une des difficultés contribuant à expliquer les délais nécessaires à l'adoption de la convention du 13 janvier 1993 est le souci de parvenir à un équilibre satisfaisant entre, d'une part, l'efficacité des procédures de vérification et de contrôle supposant une certaine intrusivité des mécanismes d'inspection et, d'autre part, le respect des intérêts supérieurs de chaque Etat. L'étendue des prérogatives reconnues aux équipes d'inspection devait donc être compensée notamment par des stipulations garantissant un traitement adapté de l'information confidentielle susceptible d'être abordée dans le cadre d'une inspection. En dépit du caractère quelque peu intrusif des processus de vérification prévus par la convention du 13 janvier 1993, force est de constater que celle-ci préserve dans une large mesure les droits des Etats inspectés.
(1) L'étendue des pouvoirs des équipes d'inspection
En règle générale
,
l'Annexe sur
la vérification
(deuxième partie) engage les Etats, quel que
soit le processus de vérification considéré (inspection
initiale, inspection par mise en demeure, vérifications
systématiques et de routine), à permettre aux membres des
équipes d'inspection de jouir des
privilèges et
immunités accordés aux agents diplomatiques
(inviolabilité de leurs bureaux et locaux d'habitation, de leurs
documents et correspondances...).
Les Etats inspectés sont tenus de
fournir à l'équipe
d'inspection ce dont elle a besoin
(matériel de communication,
services d'interprétation, bureaux, hébergement, repas, soins
médicaux, moyens de locomotion...). L'OIAC rembourse néanmoins
à l'Etat inspecté les dépenses effectuées pour
l'équipe d'inspection.
En ce qui concerne la conduite des inspections, les droits reconnus aux
équipes d'inspection et définis en termes très
généraux par
l'Annexe sur la vérification
visent :
- le libre accès aux sites d'inspection,
- le droit de s'entretenir librement avec tout membre du personnel de
l'installation inspectée,
- la possibilité de prendre des photographies (il doit y avoir à
leur disposition des appareils à développement instantané),
- la consultation des documents et relevés jugés
nécessaires à l'accomplissement de leur mission,
- le droit de demander des "demandes d'éclaircissement au sujet
d'ambiguïtés apparues durant l'inspection",
- les prélèvements d'échantillons et, le cas
échéant, l'analyse sur place de ceux-ci.
L'Etat inspecté est, de manière générale, tenu
d'apporter son concours aux équipes d'inspection.
(2) Une certaine prise en compte des intérêts des Etats inspectés
Les droits des Etats inspectés, définis
principalement par
l'Annexe sur la vérification
et par
l'Annexe sur la confidentialité,
limitent quelque peu, en
réalité, les prérogatives des équipes d'inspection
et le caractère intrusif des opérations de vérification.
- Les Etats ont le droit de
récuser certains inspecteurs et
assistants d'inspection,
dès la transmission aux Etats parties, par
l'OIAC, des listes des membres des équipes d'inspection. Les personnels
récusés ne sont pas habilités à participer à
des opérations de vérification sur le territoire des Etats qui
les ont refusées.
Dans le même esprit,
l'Annexe sur la confidentialité
prescrit aux équipes d'inspection de protéger les
informations confidentielles
auxquelles elles pourraient avoir
accès au cours d'opérations de vérification. Ainsi les
inspecteurs ne doivent-ils demander que les informations qui leur sont
nécessaires pour s'acquitter de leur mandat, et s'engagent-ils à
ne pas consigner les données recueillies incidemment, et qui
n'intéresseraient pas la vérification du respect de la convention.
L'Etat inspecté peut donc indiquer à l'équipe d'inspection
le matériel, la documentation ou les zones qu'il considère comme
sensibles et sans rapport avec le but de l'inspection. Les Etats-parties ne
peuvent cependant prendre de mesures pour protéger la
confidentialité des informations qu'à la condition qu'ils
s'acquittent de leur obligation de démontrer qu'ils respectent la
convention.
- Dans le cas d'
inspections par mise en demeure,
procédure
exceptionnelle destinée à apporter tous les
éclaircissements possibles en cas de doute sur le respect de la
convention par un Etat, l'équipe d'inspection doit être
"guidée par le principe suivant lequel il convient qu'elle effectue
l'inspection par mise en demeure
de la manière la moins intrusive
possible
" (article IX - 19). L'
Annexe sur la vérification
(dixième partie) prescrit une gradation dans l'intrusion : "Chaque
fois que possible, (l'équipe d'inspection) commence par suivre les
procédures les moins intrusives qu'elle juge acceptables et ne passe
à des procédures plus intrusives que si elle l'estime
nécessaire".
Par ailleurs, le déroulement de l'inspection ne doit pas "entraver ou
retarder de façon déraisonnable le fonctionnement normal de
l'installation".
Les modalités et le contenu d'une inspection par mise en demeure sont
définis principalement par
accord entre l'équipe d'inspection
et l'Etat inspecté.
Ainsi le
périmètre
du site inspecté fait-il l'objet
de
négociations
entre l'Etat inspecté et l'équipe
d'inspection : consulté en vue de la définition du
périmètre final, l'Etat inspecté peut proposer un
périmètre alternatif. Faute d'un accord dans les 72 heures, ce
dernier devient le périmètre final.
De même, c'est par
négociations
entre l'équipe
d'inspection et l'Etat inspecté qu'est définie la
portée des opérations de vérification :
- nature des activités d'inspection elles-mêmes (parmi lesquelles
le prélèvement d'échantillons),
- renseignements à fournir par l'Etat inspecté,
- étendue de l'accès reconnu aux inspecteurs à
l'intérieur du périmètre final.
Ces diverses possibilités reconnues à l'Etat inspecté sont
cependant limitées par l'obligation faite à l'Etat qui ne
donnerait pas pleinement accès à ses activités ou aux
informations rendues nécessaires dans le cadre d'un contrôle
international, de fournir toutes les informations alternatives possibles pour
dissiper toute préoccupation quant à son respect de la convention.
En ce qui concerne le
respect de la confidentialité
pendant les
inspections par mise en demeure, l'Etat inspecté peut demander à
recourir à des moyens très diversifiés afin de
protéger les installations sensibles
et
d'empêcher la
divulgation de données confidentielles sans rapport avec les armes
chimiques :
- limitation de l'analyse d'échantillons à la
détermination de la présence de produits des tableaux 1, 2 ou 3 ;
- limitation de l'accès à certaines parties du
périmètre inspecté à un inspecteur donné ;
- fermeture de la connexion des systèmes informatiques ;
- détermination de "techniques d'accès sélectif
aléatoire", les inspecteurs n'étant admis que dans un pourcentage
ou un nombre donné de bâtiments de leur choix pour conduire leur
inspection.