III. TAXE PROFESSIONNELLE ET INTERCOMMUNALITÉ : REPARTIR SUR DE BONNES BASES
Le
constat de la nécessité de généraliser la taxe
professionnelle unique, qui permet d'améliorer à la fois la
péréquation entre collectivités et l'efficacité
économique, conduit à s'interroger sur la
compatibilité
entre la réforme de la taxe professionnelle
proposée dans le
projet de loi de finances pour 1999 et
le projet de loi relatif à
l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération
intercommunale
, qui devrait être discuté au Parlement au
début de l'année prochaine.
Par ailleurs, les députés du principal groupe composant la
majorité de l'Assemblée nationale ont exprimé leur
volonté de voir ce dispositif entrer en vigueur dès la
présente loi de finances.
A. LA TAXE PROFESSIONNELLE UNIQUE AU CoeUR DU PROJET DU GOUVERNEMENT
1. Les mesures prévues pour favoriser la mise en place de la taxe professionnelle d'agglomération
Le
gouvernement entend promouvoir la création des communautés
d'agglomérations créées par son projet de loi, pour
lesquelles la taxe professionnelle unique d'agglomération sera
obligatoire, en mettant en place un
dispositif d'incitation
réputé particulièrement attractif
:
- les communautés d'agglomération créées avant le
1er janvier 2005 recevront une DGF fixée à 250 francs par
habitant ;
- les communautés d'agglomération auront la faculté de
percevoir un complément de ressources prélevé sur les
impôts ménages ;
- les groupements ayant adopté une taxe professionnelle unique pourront
"délier" le taux de cette taxe en cas de baisse des taux des
impôts ménages votés par les communes membres ;
- les établissements publics de coopération intercommunale qui
adopteraient une taxe professionnelle unique bénéficieraient
d'une garantie de progression de l'ensemble de leur DGF au même rythme
que la dotation forfaitaire pendant deux ans ;
- le passage à 250 francs par habitant de la DGF des
communautés d'agglomération sera financé par un
prélèvement sur recettes fiscales de l'Etat externe à
celui opéré au titre de la dotation globale de
fonctionnement.
2. Un dispositif timide
Votre
rapporteur se félicite du parti pris du gouvernement en faveur de la
taxe professionnelle unique, en dépit des limites du projet de loi dans
sa rédaction actuelle.
Toutefois, il constate que le gouvernement a fait preuve de timidité car
la taxe professionnelle unique devrait constituer le droit commun en
matière d'intercommunalité
. Ainsi,
il aurait
été préférable de mettre en place un système
dans lequel la taxe professionnelle unique s'applique automatiquement aux
communautés de communes, à l'exception de celles qui le
refuseraient expressément.
B. L'ABSENCE DE VISION D'ENSEMBLE
1. Une réforme ambitieuse fondée sur une ressource amputée
Le
projet de loi sur l'organisation urbaine ambitionne de permettre
l'émergence d'une véritable intercommunalité de projet.
L'agglomération constitue en effet le niveau pertinent pour la gestion
locale dans un nombre croissant de domaines, que le projet de loi identifie
précisément : le développement économique,
l'aménagement de l'espace, l'habitat, la politique de la ville ou encore
les transports, l'assainissement ou la gestion des déchets.
La confiance que le gouvernement place dans la capacité des
élus locaux à faire vivre une intercommunalité de projet
contraste avec sa suspicion à leur égard s'agissant du vote des
taux de la fiscalité locale.
Le principal argument opposé par le gouvernement à la mise en
place d'un dégrèvement pour compenser aux collectivités
locales les pertes de recettes occasionnées par la suppression de la
part "salaire" de l'assiette de la taxe professionnelle est le risque
d'augmentation massive des taux, dès lors qu'une partie de l'assiette
serait prises en charge par l'Etat.
Cet argument n'est pas recevable car il implique, d'une part, que les
élus locaux ne seraient pas préoccupés par
l'impératif de maîtrise des dépenses de l'Etat et, d'autre
part, que les élus locaux auraient une tendance naturelle à
augmenter la pression fiscale sur leur territoire.
En réalité, il n'est est rien. Selon le bulletin d'informations
statistiques de la direction générale des collectivités
locales
11(
*
)
, "
le
ralentissement de la croissance des taux d'imposition amorcé en 1997 se
confirme en 1998, + 0,8 % en 1998 après + 1,3 % en 1997
",
aboutissant ainsi à "
la plus faible augmentation du produit fiscal
à législation constante depuis 20 ans
". En outre, du fait de
la règle de liaison des taux, une augmentation des taux de taxe
professionnelle s'accompagnerait d'une accroissement de la pression fiscale sur
les ménages, qu'aucun élu ne souhaite.
Par conséquent, alors que les collectivités locales mènent
une politique de modération de l'évolution de leurs taux
d'imposition qui aboutit au ralentissement du rythme de progression de leur
produit fiscal, le gouvernement décide de supprimer un sixième de
leurs bases imposables et de mettre en place une compensation indexée
sur la dotation globale de fonctionnement, qui évolue à un rythme
inférieur à celui de la masse salariale.
La taxe professionnelle unique ayant vocation, dans le projet du gouvernement,
à devenir pratiquement la seule ressource des communautés
d'agglomération, il est
légitime de s'interroger sur le
caractère réaliste de l'adéquation entre les ressources
que le gouvernement prévoit d'allouer aux communautés
d'agglomération et l'ampleur des moyens nécessaires à la
réalisation de projets intercommunaux ambitieux
.
Amputée d'un tiers de ses bases, la taxe professionnelle unique,
véritable mesure de modernisation de la fiscalité locale, perd de
sa superbe.
Si, comme le craint notre collègue Jean-Pierre Fourcade,
président du comité des finances locales, la réforme de la
taxe professionnelle devait préfigurer la "
démolition
programmée
" de cet impôt, l'intercommunalité
fondée sur la taxe professionnelle unique resterait alors une
hypothèse d'école.
2. Les rigidités potentielles
L'intercommunalité est un champ en expansion,
susceptible
d'évoluer dans plusieurs directions en fonction des différentes
expériences locales. La dynamique de l'intercommunalité pourrait
néanmoins être ralentie si deux difficultés
n'étaient pas réglées au préalable :
-
la généralisation de la taxe professionnelle
d'agglomération présente l'immense avantage d'améliorer la
lisibilité de la fiscalité locale
en la spécialisant,
et en individualisant les responsabilités quant au vote des taux.
Cependant, la réduction du montant des recettes provenant de la taxe
professionnelle pourrait, à moins d'orienter massivement les
compensations en direction des structures intercommunales, renforcer la
légitimité de la revendication en faveur d'une "fiscalité
mixte" pour les communautés d'agglomération, que la
rédaction du projet de loi actuel limite, en s'inspirant du dispositif
applicable aux syndicats d'agglomérations nouvelles, aux cas où
les ressources propres des groupements seraient insuffisantes pour couvrir la
charge de la dette et les autres dépenses résultant des
transferts de compétences.
L'instauration d'une fiscalité mixte dans un contexte de limitation des
ressources engendrées par la taxe professionnelle comporte le risque
d'un accroissement de la pression fiscale. Il apparaît donc
nécessaire de trouver un système permettant de
maintenir le
principe de spécialisation de la taxe professionnelle à
l'échelon intercommunal, tout en plaçant les communautés
d'agglomération en situation de bénéficier des ressources
suffisantes pour financer l'ensemble de leurs projets dans de bonnes
conditions.
-
la généralisation de la taxe professionnelle unique
contribue à mettre en lumière les limites de la règle de
liaison des taux
, héritée de la loi du 10 janvier 1980.
Ce texte, qui a peu évolué depuis, a constitué un tournant
majeur dans le droit fiscal local puisque, pour la première fois, il a
introduit le principe du
vote direct des taux par les élus
. Ce
"saut dans l'inconnu" était strictement
encadré.
Aujourd'hui encore, les collectivités locales ont le choix entre deux
options. Elle peuvent opter pour une
variation proportionnelle
,
consistant à faire varier les taux des différents impôts
locaux dans une même proportion d'une année sur l'autre. Mais
elles peuvent, également, préférer le système de la
variation différenciée
consistant à faire
évoluer librement les taux des différents impôts locaux.
Peu de collectivités ont choisi la variation différenciée
car elle est strictement encadrée, à la hausse comme à la
baisse, par les dispositions de l'article 1636 B sexies du code
général des impôts. En effet, la variation du taux de taxe
professionnelle ne peut être supérieure à celle du taux
moyen pondéré de la taxe d'habitation et des taxes
foncières, si celle-ci est inférieur. Symétriquement, une
diminution du taux de la taxe d'habitation, ou du taux moyen
pondéré de la taxe d'habitation et des taxes foncières,
oblige à baisser "
dans une proportion au moins égale
" le
taux de la taxe professionnelle.
La liaison des taux atteint ses limites avec le transfert du vote des taux
de taxe professionnelle aux structures intercommunales
deux
autorités différentes voteront des taux "liées".
Dès lors, les ressources des communautés d'agglomération
deviendront aléatoires, car susceptibles d'être affectée
par les décisions des communes membres concernants les taux des
impôts ménages.
La rédaction actuelle du projet de loi résout en partie ce
problème puisqu'elle autorise une "déliaison" des taux à
la baisse. Cette mesure s'accompagne toutefois d'un plafonnement de la hausse
possible du taux de taxe professionnelle pendant les trois années
suivant l'utilisation de la déliaison à la baisse.
L'introduction d'une première exception conduit à s'interroger
sur la
pertinence du principe de liaison des taux plus de quinze ans
après les lois de décentralisation
. En effet, les transferts
de compétences se sont accompagnés d'une élévation
de la qualité des gestionnaires locaux et, par ailleurs, la sanction du
suffrage universel constitue un mécanisme particulièrement
efficace de désincitation à l'accroissement de la pression
fiscale. De plus, la règle de liaison des taux constitue un obstacle
à l'utilisation de la fiscalité au sein de stratégies de
développement économique.
3. Un projet incomplet
Il peut
sembler logique qu'un projet de loi "
relatif à l'organisation
urbaine
" ne comporte pas de dispositions concernant les espaces ruraux.
Pourtant, réserver le bénéfice de la DGF à
250 francs aux communautés d'agglomération est
potentiellement source de
détournements de l'esprit du texte
par
des collectivités qui pourraient constituer des ensembles
hétéroclites de manière à être
éligibles à cette dotation, plus de deux fois supérieure
à la DGF de droit commun. Il s'agit là d'une lacune du texte
proposé.
Par ailleurs, le texte proposé par le gouvernement ne semble pas
régler entièrement le problème rencontré par les
établissements publics de coopération intercommunale à
fiscalité additionnelle qui, en se transformant en groupements à
fiscalité unique, modifient leur coefficient d'intégration
fiscale et subissent une perte de DGF.
Le gouvernement propose une garantie de progression indexées sur celle
de la dotation forfaitaire. Votre rapporteur juge indispensable de
garantir
à ces groupement une progression de l'ensemble de leur DGF au rythme
d'avant leur changement de statut
.