ANNEXES
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ANNEXE N° 1
LES TRAVAUX DE LA
COMMISSIONAUDITION DE MME ELISABETH GUIGOU,
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE
DE LA JUSTICE,
ET DE M. PIERRE MOSCOVICI,
MINISTRE
DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES AFFAIRES
EUROPÉENNES
Mardi 8 décembre 1998
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de
la
justice
, a tout d'abord rappelé que le Président de la
République et le Premier ministre avaient saisi conjointement le Conseil
constitutionnel afin qu'il statue sur la conformité du traité
d'Amsterdam à la Constitution. Elle a souligné que le Conseil
constitutionnel avait estimé que le passage éventuel au vote
à la majorité qualifiée au sein du conseil de l'Union et
à la procédure de codécision dans les matières
liées à la libre circulation des personnes impliquait une
révision de la constitution. Elle a indiqué que le Gouvernement
et le Président de la République avaient choisi de
présenter un projet de loi constitutionnelle limité, visant
à tirer les conséquences de la décision du Conseil
constitutionnel.
Le garde des sceaux
a alors observé que l'Assemblée
nationale avait souhaité améliorer le contrôle du Parlement
sur la politique européenne du Gouvernement. Soulignant qu'il
était logique que le Parlement veuille donner son point de vue sur les
actes de l'Union, elle a rappelé qu'un protocole annexé au
traité d'Amsterdam invitait au renforcement du rôle des Parlements
nationaux, mais a fait valoir qu'il convenait cependant de respecter les
équilibres institutionnels prévus par la Constitution. Elle a
indiqué que l'Assemblée nationale avait finalement adopté,
avec l'accord du Gouvernement, un amendement prévoyant la soumission aux
assemblées de tous les projets et propositions d'actes relevant des
trois piliers de l'Union européenne, dès lors qu'ils comportaient
des dispositions de nature législative. Elle a ajouté que
l'amendement permettrait en outre au Gouvernement de soumettre tout projet,
proposition ou documents émanant des institutions de l'Union.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice
, a souligné que le Gouvernement était ouvert à
un renforcement du droit de regard des assemblées en matière
européenne, dès lors qu'il ne concernerait que les propositions
comportant des dispositions de nature législative.
Le garde des sceaux
a enfin commenté certains amendements
déposés à l'Assemblée nationale, mais finalement
écartés par les députés. A propos du vote
éventuel d'une loi d'habilitation préalablement à la
décision de passage à la majorité qualifiée et
à la codécision dans les matières liées à la
libre circulation des personnes, elle a souligné que la révision
constitutionnelle avait précisément pour objet de permettre au
Gouvernement, après une période de cinq ans, d'approuver
éventuellement au sein du Conseil une décision de passage
à la majorité qualifiée et à la codécision.
Elle a observé que certains articles du traité de Maastricht,
comme l'article K9 concernant le troisième pilier, stipulaient pour leur
part une approbation par les Etats, selon leurs procédures
constitutionnelles, de décisions visant à modifier les
procédures. Elle en a conclu que dans les domaines où une telle
approbation n'était pas explicitement prévue, la ratification du
traité valait acceptation par un État membre d'un éventuel
passage à la majorité qualifiée par simple décision
du Conseil de l'Union sans habilitation législative.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice
, a alors rappelé que les assemblées pourraient, le
moment venu, voter des résolutions sur les propositions d'actes visant
à permettre le passage au vote à la majorité
qualifiée et à la codécision.
A propos de l'introduction d'un éventuel contrôle de
constitutionnalité du droit communautaire dérivé,
le
garde des sceaux
a tout d'abord estimé qu'un tel contrôle
serait inopérant, dans la mesure où un constat de
contrariété entre une proposition communautaire et la
Constitution ne pourrait empêcher l'adoption de la proposition en cause
dans les cas où le Conseil de l'Union statue à la majorité
qualifiée. Elle a en outre souligné qu'il existait un risque
très limité de contrariété entre les actes de
l'Union et la Constitution. Elle a précisé que le Conseil
constitutionnel vérifiait la conformité à la Constitution
des traités et que la Cour de justice des Communautés
européennes pouvait être saisie pour statuer sur la
conformité au traité des actes de droit communautaire
dérivé. Elle a ajouté que, lorsqu'il avait un doute sur la
constitutionnalité d'une proposition, le Gouvernement pouvait consulter
le Conseil d'Etat. Elle a enfin fait valoir qu'un contrôle de
constitutionnalité du droit communautaire dérivé
risquerait de conduire à un blocage du fonctionnement de l'Union
européenne, surtout si les autres Etats membres mettaient en place un
mécanisme similaire.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des
affaires européennes
, a présenté le contenu du
traité d'Amsterdam, en observant tout d'abord que celui-ci avait
été signé en octobre 1997 et ratifié par la plupart
des Etats membres de l'Union européenne. Il a souligné que
l'absence de réforme des institutions européennes constituait une
lacune majeure de ce traité, mais que celui-ci comportait
néanmoins des avancées intéressantes.
Le ministre
a observé que le traité d'Amsterdam
constituait un correctif au traité de Maastricht, dans la mesure
où il prenait mieux en compte les préoccupations quotidiennes des
citoyens. Il a indiqué que le traité contenait en particulier un
chapitre sur l'emploi, notamment sur la coordination des politiques nationales
dans ce domaine, et qu'il prévoyait l'intégration dans le
traité instituant la Communauté européenne du protocole
social, qui n'y figurait pas jusqu'à présent en raison du refus
du Royaume-Uni de s'y associer. Il a ajouté que le traité
contenait également des dispositions permettant de lutter contre
l'exclusion, ainsi que des dispositions relatives à la santé,
à l'environnement, à la reconnaissance de la
spécificité des services publics. Le ministre a en outre
souligné le renforcement prévu par le traité des
dispositions relatives aux droits de l'homme et aux libertés
fondamentales, de la clause de non-discrimination et du principe
d'égalité entre hommes et femmes.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des
affaires européennes
, a ensuite fait valoir que le traité
d'Amsterdam constituait un complément utile au traité de
Maastricht dans les matières relevant de la justice et des affaires
intérieures, d'une part, de la politique étrangère et de
sécurité commune, d'autre part. A propos de la justice et des
affaires intérieures, il a souligné que les instruments et
procédures prévus dans le cadre du troisième pilier ne
permettaient pas d'avoir une action efficace, en particulier face à la
pression des flux migratoires. Il a souligné que l'Allemagne avait
proposé la " communautarisation " des matières
liées à la libre circulation des personnes dès l'ouverture
de la Conférence intergouvernementale et que la France avait
donné son accord à cette " communautarisation " sous
réserve que toutes les conditions soient remplies pour que la
sécurité soit assurée au sein de cet espace de libre
circulation.
Le ministre
a alors observé que la révision
constitutionnelle visait à ouvrir par anticipation la
possibilité, pour le Conseil de l'Union européenne,
d'arrêter, à l'unanimité, après une période
de cinq ans, que les décisions dans les matières liées
à la libre circulation des personnes seraient prises à la
majorité qualifiée et selon la procédure de
codécision. Il a estimé qu'il ne serait pas conforme au
traité d'envisager l'introduction d'une procédure de ratification
de cette décision, pas plus que le recours à une procédure
d'habilitation. Il a ajouté que si le traité d'Amsterdam avait
prévu une procédure de ratification par les Etats des
décisions de changement de procédure, il n'aurait marqué
aucune évolution par rapport au traité de Maastricht, qui
contenait une clause évolutive avec ratification par les Parlements
nationaux. Il a souligné qu'en matière d'immigration, il ne
pouvait y avoir de solutions que communes et que les Etats tireraient avantage
de la " communautarisation ".
Le ministre
a enfin
indiqué que les assemblées pourraient voter des
résolutions, éventuellement en séance publique, et qu'il
était difficile d'imaginer que le Gouvernement, sur un tel sujet, puisse
passer outre des résolutions qui lui demanderaient de s'opposer au
passage à la majorité qualifiée.
Evoquant la politique étrangère et de sécurité
commune (PESC),
M. Pierre Moscovici, ministre
délégué chargé des affaires européennes
,
a souligné que le traité tendait à doter l'Union de
nouveaux moyens qui renforceraient sa capacité d'agir sur la
scène internationale. Il a cité l'institution d'un Haut
représentant pour la PESC, la création d'un nouvel instrument
juridique, la stratégie commune, dont les dispositions d'application
pourraient être adoptées à la majorité
qualifiée, la mise en place d'une structure d'analyse et de
prévision, enfin le renforcement des dispositions relatives à la
défense.
A propos des institutions de l'Union,
le ministre
a regretté
l'absence de réforme d'ensemble. Il a souligné la
nécessité de reprendre la discussion sur certaines questions, en
particulier la réduction du nombre de commissaires, l'extension du vote
à la majorité qualifiée, la révision de la
pondération des voix au sein du Conseil de l'Union.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des
affaires européennes
, a fait valoir que le traité d'Amsterdam
comportait néanmoins quelques avancées, notamment le renforcement
de l'autorité politique du Président de la Commission
européenne, grâce à son investiture par le Parlement
européen, l'extension de la procédure de codécision, enfin
l'adoption d'un protocole sur les Parlements nationaux visant à
améliorer leur information et à renforcer le rôle de la
COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les
affaires communautaires).
Concluant son propos,
le ministre
a souligné que le traité
d'Amsterdam n'était pas le grand traité fondateur de l'Europe
politique et sociale que l'on pouvait souhaiter, mais qu'il réalisait
des avancées et que le Gouvernement proposerait sa ratification avec
lucidité mais sans états d'âme.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a tout d'abord souligné
que la commission n'était appelée à intervenir que sur les
dispositions du traité d'Amsterdam déclarées contraires
à la Constitution et qu'il reviendrait à la commission des
affaires étrangères d'examiner le traité dans son
ensemble. Il s'est interrogé sur l'emploi de l'expression " peuvent
être consentis des transferts de compétences " dans le projet
de loi constitutionnelle, rappelant que la loi constitutionnelle
préalable à la ratification du traité de Maastricht
prévoyait : " la France consent aux transferts de
compétences ".
Le rapporteur
a souligné que le souhait du Parlement d'être
associé aux décisions de passage à la majorité
qualifiée et à la codécision ne remettait pas en cause les
équilibres institutionnels. Il a observé que la révision
constitutionnelle aurait pour effet, non seulement de rendre conforme à
la Constitution le passage à la majorité qualifiée et
à la codécision, mais encore de déposséder le
Parlement de compétences appelées désormais à
être exercées par le Gouvernement au sein du Conseil de l'Union
européenne. Il a fait valoir que les approfondissements successifs de la
construction européenne s'accompagnaient d'un transfert de certaines
matières du Parlement au Gouvernement et que les résolutions
prévues par l'article 88-4 de la Constitution n'apportaient qu'une
réponse partielle à cette évolution.
A propos de l'article 88-4,
M. Pierre Fauchon,
rapporteur
, a souhaité savoir pour quelles raisons le projet de loi
constitutionnelle ne prévoyait pas la soumission, aux assemblées,
des documents de consultation de la Commission européenne, alors que
celle-ci était prévue par un protocole annexé au
traité d'Amsterdam. Il a jugé curieux que le projet de loi
constitutionnelle amendé par l'Assemblée nationale ouvre en outre
au Gouvernement une faculté de soumettre certains documents. Il a
estimé que cette précision était en tout état de
cause inutile et a souligné que lorsqu'il votait des résolutions,
le Parlement n'agissait pas en tant que législateur et qu'il n'y avait
donc guère de raison de limiter la soumission des propositions d'actes
à celles comportant des dispositions de nature législative. Il a
rappelé que le Parlement disposait d'un pouvoir général de
contrôle de l'action du Gouvernement.
M. Patrice Gélard
a tout d'abord évoqué
l'éventualité d'une loi d'habilitation avant la décision
de passage à la majorité qualifiée et à la
codécision, en soulignant que le traité ne contenait aucune
disposition sur la manière dont chaque État le mettrait en oeuvre
et que la France demeurait libre de prévoir des modalités
particulières en vue de cette décision.
Il a ensuite rappelé que les traités de droit international
classique n'impliquaient pas de transferts de compétences et qu'il
était donc normal qu'ils relèvent du pouvoir exécutif,
sous réserve d'autorisation de la ratification ou de l'approbation de
certains traités ou accords par le Parlement. Il a souligné que
le processus communautaire européen était très
différent et que, dans ce cadre, l'idée d'une autorisation
législative donnée au Gouvernement préalablement à
certaines décisions importantes était justifiée. Il a fait
valoir que le Parlement incarnait la souveraineté nationale et ne
pouvait se dépouiller totalement de ses prérogatives.
Estimant qu'il n'était pas possible d'envisager un passage subreptice au
vote à la majorité qualifiée et à la
procédure de codécision, il a souligné que si l'on ne
prévoyait aucune disposition spécifique, l'Assemblée
nationale, en cas de désaccord avec la décision du Gouvernement,
ne disposerait que de l'instrument disproportionné de la motion de
censure.
A propos de l'introduction éventuelle d'un contrôle de
constitutionnalité du droit communautaire dérivé,
M. Patrice Gélard
a reconnu que les risques de
contrariété étaient limités, mais qu'il convenait
de les prévoir. Il a indiqué que si le Conseil constitutionnel
constatait qu'une proposition n'était pas conforme à la
Constitution, celle-ci pourrait être modifiée avant que l'acte de
l'Union européenne concerné n'entre en vigueur sur notre
territoire.
Répondant aux orateurs,
Mme Elisabeth Guigou
, garde des
sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord indiqué que l'expression
" peuvent être consentis les transferts de compétences "
utilisée dans le projet de loi constitutionnelle avait pour objet de
marquer que les transferts n'auraient lieu que dans cinq ans et qu'il y avait
une possibilité de les refuser. Elle a souligné que le transfert
de certaines compétences à la Communauté ne
dépouillait pas le Parlement de ses prérogatives, dans la mesure
où, lorsque le Conseil de l'Union statuait sur des matières
relevant du domaine de la loi, les décisions donnaient lieu à une
transposition par voie législative.
Le garde des sceaux
a rappelé que le Gouvernement transmettait
aux assemblées, à titre d'information, tous les documents de
l'Union dans le cadre de la loi de 1990, dite loi Josselin. Elle a
estimé que la possibilité éventuelle pour le Parlement de
se saisir lui-même, dans le cadre de l'article 88-4, de documents ne
comportant pas de dispositions législatives pourrait aboutir, par
exemple, à ce que les assemblées veuillent donner un mandat
impératif au Gouvernement sur la négociation des prix agricoles.
Elle a souhaité que le Gouvernement garde la possibilité de
décider de la soumission des documents et a estimé qu'une bonne
intelligence avec les assemblées était préférable,
sans qu'il soit indispensable de l'inscrire dans la Constitution.
Répondant à M. Patrice Gélard,
le garde des
sceaux
a indiqué que le traité distinguait clairement les cas
dans lesquels la décision de passage à la majorité
qualifiée et à la codécision ne nécessitait aucune
autre intervention parlementaire que la ratification du traité et ceux
dans lesquels cette décision impliquait une approbation par les Etats
selon leurs procédures constitutionnelles respectives. Elle a
estimé que ces procédures avaient été voulues par
les rédacteurs du traité. Elle a ajouté qu'en tout
état de cause, les parlementaires défavorables aux dispositions
du traité demeuraient libres de voter contre le projet de loi autorisant
la ratification.
A propos de la veille constitutionnelle,
Mme Elisabeth Guigou, garde des
sceaux, ministre de la justice
, a observé qu'il serait difficile de
prévoir les modalités d'un tel système dans l'avenir et
qu'il existait un risque de blocage du processus décisionnel de l'Union
européenne.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué
chargé des affaires européennes
, a alors
précisé que l'implication du Parlement dans les matières
liées à la libre circulation des personnes continuerait à
être forte. Il a souligné que les assemblées pourraient
adopter des résolutions sur les propositions en discussion et qu'elles
seraient appelées à transposer les directives adoptées par
le Conseil de l'Union et le Parlement européen.
A propos de la soumission éventuelle aux assemblées des documents
de consultation de la Commission européenne,
le ministre
a
indiqué que le protocole annexé au traité d'Amsterdam ne
précisait pas les conditions dans lesquelles ces documents
étaient transmis. Il a alors rappelé que le Gouvernement les
transmettait aux délégations pour l'Union européenne dans
le cadre de la loi de 1990.
Evoquant l'éventualité du vote d'une loi d'habilitation avant la
décision de passage à la majorité qualifiée et
à la codécision,
M. Pierre Moscovici, ministre
délégué chargé des affaires européennes
,
a observé qu'il convenait de prendre garde à la perception par
nos partenaires de l'insertion d'une telle clause dans la Constitution
française. Il a souligné qu'aucun des Etats membres de l'Union
n'avait prévu une telle procédure et a indiqué que le
Parlement néerlandais avait décidé au contraire de
renforcer ses propres prérogatives jusqu'à ce que la
décision de passage à la majorité qualifiée et
à la codécision avec le Parlement européen soit prise.
Répondant à une question de M. Pierre Fauchon,
rapporteur,
M. Pierre Moscovici, ministre
délégué chargé des affaires européennes
,
a déclaré que le projet de loi autorisant la ratification du
traité d'Amsterdam comporterait un article 2, s'ajoutant à
l'article premier autorisant la ratification.