EXAMEN DU RAPPORT
Mercredi 9 décembre 1998
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a tout d'abord
souligné que la commission n'était invitée à se
prononcer que sur la partie du traité d'Amsterdam impliquant une
révision constitutionnelle aux termes de la décision du Conseil
constitutionnel sur ce traité. Il a souligné que le traité
instituant la Communauté européenne comportait, dans sa
rédaction issue du traité d'Amsterdam, un nouveau
titre III.A, intitulé " Visas, asile, immigration et autres
politiques liées à la libre circulation des personnes ". Il
a observé qu'il s'agissait, en pratique, de
" communautariser " l'ensemble des questions liées au
franchissement des frontières qui, jusqu'à présent
relevait en grande partie du troisième pilier de l'Union.
Le rapporteur
a indiqué que dans les matières liées
à la libre circulation des personnes, les décisions seraient,
pour l'essentiel, prises à l'unanimité au sein du Conseil de
l'Union pendant une période de cinq ans et il a ajouté qu'au
terme de cette période, le Conseil de l'Union pourrait décider,
à l'unanimité, de passer au vote à la majorité
qualifiée et à la procédure de codécision avec le
Parlement européen. Il a souligné que ce changement de mode de
décision avait été déclaré contraire
à la Constitution par le Conseil Constitutionnel, dans la mesure
où il existait un risque d'atteinte aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a alors précisé
que le Sénat était invité à se prononcer sur le
bien-fondé des transferts de compétences impliquant une
révision de la Constitution. Observant que la réalisation du
marché unique impliquait la disparition des frontières
intérieures européennes, il a estimé que la
" communautarisation " de certaines questions, comme la politique des
visas et la politique de l'immigration, devenait absolument nécessaire
dans un tel contexte. Il a fait valoir que l'absence de frontières
intérieures impliquait que tous les Etats membres puissent avoir un
droit de regard sur la gestion des frontières communautaires et a
ajouté que le vote à la majorité qualifiée pourrait
permettre de surmonter l'inertie d'Etats peu pressés d'agir dans
certains domaines. Il a jugé souhaitables les transferts de
compétences que le projet de loi constitutionnelle tendait à
permettre et a estimé que la France en tirerait avantage.
Abordant le contenu du projet de loi constitutionnelle,
le rapporteur
a
indiqué que, dans sa rédaction actuelle, l'article 88-2 de
la Constitution permettait des transferts de compétences en ce qui
concerne l'Union économique et monétaire, ainsi que le
franchissement des frontières extérieures. Il a indiqué
que le projet de loi constitutionnelle tendait à permettre de
manière plus générale des transferts de compétences
en ce qui concerne la libre circulation des personnes et les domaines qui lui
sont liés. Il a ajouté que la rédaction proposée
prévoyait que " peuvent être consentis les transferts de
compétences " et a rappelé que Mme Elisabeth Guigou, garde
des sceaux, avait souligné devant la commission que cette expression
visait à prendre en compte le fait que les décisions essentielles
ne seraient prises, le cas échéant, qu'après une
période de cinq ans.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a alors indiqué que
l'Assemblée nationale avait ajouté au projet de loi un article
modifiant l'article 88-4 de la Constitution. Rappelant que cet article,
qui offre aux assemblées la possibilité d'adopter des
résolutions sur les propositions d'actes communautaires, avait
marqué une avancée de l'implication du Parlement dans la
construction européenne, il a observé que la rédaction
adoptée en 1992 s'était révélée trop
restrictive à l'usage. Il a fait valoir que le Gouvernement,
après avis du Conseil d'Etat, avait en particulier refusé de
soumettre aux assemblées les propositions relevant des deuxième
et troisième piliers de l'Union européenne. Il a ajouté
que le texte en vigueur ne prévoyait que la soumission des propositions
comportant des dispositions de nature législative et que cette
limitation ne paraissait guère justifiée, l'article 88-4
faisant partie de la fonction de contrôle du Parlement et non de sa
fonction législative.
Le rapporteur
a alors précisé que l'amendement
adopté par l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement
prévoyait la soumission de toutes les propositions d'actes de l'Union
européenne, y compris celles entrant dans le champ des deuxième
et troisième piliers dès lors qu'elles comportaient des
dispositions de nature législative. Il a observé que la nouvelle
rédaction donnait en outre au Gouvernement une faculté de
soumettre tout autre projet ou proposition ainsi que tout document
émanant d'une institution de l'Union européenne.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a indiqué qu'il aurait
souhaité que les documents de consultation de la Commission
européenne figurent parmi les textes obligatoirement soumis aux
assemblées. Il a toutefois remarqué qu'il ne paraissait pas
nécessaire d'inscrire une disposition en ce sens dans la Constitution,
un protocole annexé au traité d'Amsterdam stipulant explicitement
la transmission aux Parlements nationaux de ces documents.
Le rapporteur
a alors souhaité évoquer l'hypothèse
d'une éventuelle habilitation parlementaire préalablement
à la décision de passer au vote à la majorité
qualifiée et à la procédure de codécision.
Observant que le fait de rendre conforme à la Constitution le passage
à la majorité qualifiée et à la codécision
n'impliquait pas nécessairement le fait d'accepter que certaines
matières sortent de la compétence du Parlement pour entrer dans
celle du Gouvernement, il a estimé que l'idée d'une habilitation
avant le passage à la majorité qualifiée n'était
pas dénuée d'intérêt. Il a toutefois fait valoir
qu'une telle réponse n'apparaissait pas conforme au traité
d'Amsterdam. Soulignant que ce traité stipulait explicitement dans son
article K.14 une approbation par les Etats membres selon leurs
règles constitutionnelles d'une éventuelle décision de
passer à la majorité qualifiée dans le domaine de la
coopération pénale, il a estimé que lorsqu'une telle
approbation n'était pas prévue, il fallait en inférer que
les rédacteurs du traité avaient souhaité l'exclure. Il en
a conclu que l'insertion dans la Constitution d'une clause prévoyant une
loi d'habilitation équivaudrait en quelque sorte à amender le
traité d'Amsterdam. Il a ajouté qu'une telle décision ne
serait pas comprise par les partenaires de la France.
Le rapporteur
a alors proposé d'adopter sans modification le
projet de loi constitutionnelle.
M. Patrice Gélard
a souligné que l'approbation du
traité d'Amsterdam n'était pas en cause mais qu'il devenait
essentiel de s'interroger sur les conséquences de la construction
européenne sur la Constitution et sur les prérogatives du
Parlement. Il a indiqué que la construction européenne
était traitée par des règles totalement inadaptées,
à savoir celles du droit international classique qui concernaient des
traités n'entraînant pas de transferts de souveraineté ou
de compétences. Il a estimé légitime que le Parlement
souhaite prendre position avant des décisions aussi importantes que
celles tendant à passer au vote à la majorité
qualifiée dans des matières telles que l'immigration et a
rappelé que d'autres Etats membres de l'Union disposaient d'instruments
très contraignants. Il a en particulier souligné que les
résolutions en Allemagne liaient plus le Gouvernement qu'en France et a
ajouté que plusieurs Parlements pourraient adopter des positions
contraignantes pour leurs gouvernements sans qu'il ait été
nécessaire de l'inscrire dans les Constitutions des Etats
concernés.
M. Patrice Gélard
a regretté que, lors de la
révision constitutionnelle préalable à la ratification du
traité de Maastricht, il n'ait pas été envisagé
d'introduire des règles nouvelles dans la Constitution pour tenir compte
des spécificités de la construction européenne. Il a
estimé qu'une réflexion plus approfondie aurait peut être
pu permettre d'éviter une cascade de révisions constitutionnelles.
M. Patrice Gélard
a alors fait valoir que le vote d'une loi
préalablement à la décision de passage à la
majorité qualifiée et à la codécision
n'était pas contraire au traité d'Amsterdam, celui-ci n'ayant pas
vocation à réglementer le fonctionnement des institutions.
Rappelant que le constituant était souverain, il a estimé que le
vote d'une loi d'habilitation ne porterait guère atteinte aux
prérogatives gouvernementales et a évoqué
l'éventualité d'un article de la Constitution à
caractère général permettant d'éviter les
révisions en cascade mais associant le Parlement dès lors que des
délégations seraient nécessaires. Il a exprimé la
crainte que l'Europe ne devienne impopulaire faute pour le Parlement
d'intervenir dans une fonction d'aiguillon et de contrôle pour ne pas
éloigner la construction européenne des aspirations des
Français.
Concluant son propos,
M. Patrice Gélard
a indiqué que son
groupe ne pourrait participer à l'adoption de ce texte si les
préoccupations qu'il exprimait en ce qui concerne le rôle du
Parlement n'étaient pas prises en considération. Il a
indiqué que son groupe déposerait trois amendements tendant
respectivement à améliorer l'article 88-4 de la
Constitution, à associer le Parlement à la décision de
passage à la majorité qualifiée, enfin, à mettre en
place un contrôle de constitutionnalité des propositions d'actes
communautaires.
M. Jean-Jacques Hyest
a observé qu'une clause
générale permettant des transferts de compétence
ultérieurs aurait eu des avantages, mais qu'elle aurait
été sans doute mal reçue. A propos d'une éventuelle
loi d'habilitation avant le passage à la majorité
qualifiée, il s'est interrogé sur les conséquences d'un
refus, par le Parlement, d'accepter une décision unanimement
souhaitée par les Etats membres de l'Union et a fait valoir qu'il
existait d'autres moyens pour le Parlement de prendre position dans ce domaine.
Observant qu'il était peut être souhaitable d'étendre les
prérogatives du Parlement, et notamment du Sénat,
M. Jean-Jacques Hyest
a remarqué que cela ne concernait
pas que la construction européenne et qu'il fallait peut-être
envisager une réforme plus générale. Il a enfin
rappelé que l'Assemblée nationale avait adopté à
une très forte majorité le projet de loi constitutionnelle et que
le Sénat émettrait un signal négatif en adoptant un
amendement tel que celui visant à prévoir le vote d'une loi
d'habilitation avant le passage à la majorité qualifiée.
M. Robert Bret
a souligné que la construction
européenne souffrait d'un déficit démocratique et qu'il
était procédé à des " grignotages "
successifs des compétences de l'Etat. Il a exprimé la crainte
d'une dissolution à terme de l'Etat souverain et de la disparition de
ses compétences régaliennes au profit d'un État
supra-national.
M. Maurice Ulrich
a fait valoir que les propositions de son
groupe ne remettraient pas en cause le traité d'Amsterdam, mais
concerneraient la place du Parlement français dans la construction
européenne. Il a estimé nécessaire que le Parlement soit
associé aux décisions de passage au vote à la
majorité qualifiée et s'est prononcé pour un renforcement
de l'article 88-4 de la Constitution permettant aux assemblées de
prendre position sur les textes européens. Il a estimé
préférable de prendre des garanties sans attendre un débat
plus vaste.
M. Jacques Larché, président
, a alors rappelé le
caractère quelque peu paradoxal de l'article 54 de la Constitution,
qui prenait acte de la capacité du Gouvernement de négocier des
engagements internationaux contraires à la Constitution puisque le
Conseil constitutionnel n'était saisi qu'au stade de l'autorisation de
ratification. Il a estimé que le risque de multiplication des
révisions constitutionnelles n'avait rien de théorique.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a tout d'abord souligné
qu'au moment où serait envisagée la décision de passer
à la majorité qualifiée dans les matières
liées à la libre circulation, les assemblées pourraient
adopter des résolutions. Il a ajouté que de manière
générale, le problème qui se posait était celui de
la démocratisation de la construction européenne. Il a
observé qu'à cet égard, l'extension des
prérogatives du Parlement européen constituait un progrès,
et a estimé qu'il conviendrait de réfléchir à
l'éventualité d'une deuxième chambre représentant
les Parlements des Etats membres de l'Union.
La commission a alors adopté sans modification le projet de loi
constitutionnelle.