N°
125
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 décembre 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé ,
Par M.
André JOURDAIN,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean Delaneau,
président
; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine
Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet,
vice-présidents
; Mme Annick Bocandé, MM. Charles
Descours, Alain Gournac, Roland Huguet,
secrétaires
; Henri
d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM.
Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux,
Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati,
Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet,
André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla,
Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Simon Loueckhote, Jacques
Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM.
Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de
Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul
Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.
Voir le numéro
:
Sénat
:
394
(1997-1998).
Travail.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Le
mercredi 16 décembre 1998,
sous la présidence de M. Jean
Delaneau, président,
la commission a procédé à
l'examen du
rapport de M. André Jourdain
sur
la
proposition de loi n° 394
(1997-1998) relative au
multisalariat en temps partagé
.
M. André Jourdain, rapporteur,
a rappelé qu'il avait pris
l'initiative, à la date du 21 avril 1999, de déposer cette
proposition de loi. Il a précisé que le multisalariat consistait,
pour une même personne, à être employée par plusieurs
entreprises à la fois, les emplois devant avoir un caractère
durable et reposer sur une relation contractuelle. Il a observé que si,
pour chaque entreprise, il s'agissait d'un emploi à temps partiel, pour
le salarié, il s'agissait de plusieurs emplois concomitants.
Il a souhaité distinguer le travail pluriactif du cumul d'emplois, ce
dernier étant strictement réglementé dans le secteur
public et soumis à des conditions de durée maximale du travail
dans le secteur marchand.
Il a observé que le multisalariat était traditionnellement
développé dans le secteur agricole, 170.000 pluriactifs
étant recensés par la Mutuelle sociale agricole.
Il a remarqué qu'une estimation nationale se référant aux
déclarations fiscales avait évalué le nombre de
pluriactifs à 720.000, comprenant : 29 % d'agriculteurs,
22 % de commerçants et artisans, 39 % de professions
libérales et 10 % d'autres professions.
M. André Jourdain, rapporteur,
a observé qu'après
avoir été concentré dans le secteur agricole, le
multisalariat investissait de plus en plus le secteur des services, et que
c'était cette tendance qu'il s'agissait aujourd'hui d'accompagner.
Il a considéré que l'idée de promouvoir le travail en
temps partagé reposait sur une analyse précise de
l'évolution des structures économiques, des besoins des
entreprises et du comportement des salariés.
Il a estimé que cette idée s'inscrivait également dans une
réflexion plus globale sur l'organisation du travail et recoupait sur
certains points les problématiques propres à l'incitation
volontaire à l'aménagement et à la réduction du
temps de travail.
Il a considéré que le multisalariat permettait aux entreprises
d'adopter une organisation plus performante à travers une
reconfiguration de leurs services et l'externalisation de certaines
compétences.
Il a observé que, pour les salariés, ces évolutions
économiques majeures s'étaient traduites jusqu'à
présent par un recours à la flexibilité et au
développement de la précarité, qui étaient
vécus comme autant de contraintes et de sources d'insatisfaction. Il a
rappelé que la forme traditionnelle du contrat de travail à
durée indéterminée reculait devant les contrats à
durée déterminée et le travail intérimaire et que
de nombreux salariés étaient aujourd'hui à la recherche
d'un meilleur équilibre entre les exigences de l'entreprise et une
certaine qualité de vie.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que le
multisalariat répondait à la fois au besoin des entreprises de se
procurer des compétences précises sans être toujours
à même d'embaucher un cadre ou un technicien à plein temps
et au souhait de certains salariés de maîtriser leur avenir et
d'évoluer dans la diversité des activités professionnelles.
Il a estimé que la promotion du multisalariat s'inscrivait dans la
démarche prônée par les lignes directrices pour l'emploi
pour 1999 présentées par la Commission européenne. Il a
rappelé que le contenu de la ligne directrice n° 16
prévoyait que chaque Etat membre examinerait l'opportunité
d'introduire dans sa législation des types de contrats plus adaptables
pour tenir compte des formes d'emploi de plus en plus diverses, les personnes
travaillant dans le cadre de contrats de ce type devant, dans le même
temps, bénéficier d'une sécurité suffisante et d'un
meilleur statut professionnel, compatible avec les nécessités des
entreprises.
M. André Jourdain, rapporteur,
a constaté que le
multisalariat constituait une réponse aux recommandations
formulées par les membres du Conseil européen et par la
commission. Il a observé, toutefois, qu'il ne représentait pas
une priorité du plan d'action nationale pour l'emploi français.
Il a estimé qu'il s'agissait là d'un oubli regrettable que la
proposition de loi se proposait de réparer.
Il s'est alors interrogé sur la nature des obstacles au
développement du multisalariat.
Il a observé que le développement du travail en temps
partagé se heurtait actuellement à la complexité de la
législation, construite tout entière autour du contrat de travail
à durée indéterminée avec un employeur unique.
Il a remarqué que, lorsqu'un salarié travaillait dans plusieurs
entreprises relevant de secteurs différents, il était contraint
de cotiser à plusieurs caisses de retraite distincte et que son
employeur devait payer l'ensemble des charges patronales, avant de se les faire
rembourser auprès des autres entreprises qui l'employaient.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que
cette lourdeur administrative n'incitait guère les petites et moyennes
entreprises (PME) à se lancer dans l'aventure du multisalariat et
qu'elle plaçait le salarié dans une situation inconfortable. Il a
remarqué en particulier que, si ce dernier perdait l'un de ses emplois
partiels, il ne pouvait toucher des indemnités chômage qu'à
condition de renoncer à tous ses autres emplois. Faute de statut
juridique précis, il a observé que ces multisalariés
étaient contraints de se regrouper au sein d'associations
intermédiaires ou de sociétés de partage aux contours
flous, ce qui ne favorisait guère leur reconnaissance par les
entreprises. Il a remarqué que le Gouvernement reconnaissait que des
modifications du droit du travail étaient nécessaires pour
assurer le développement du multisalariat, mais s'interrogeait sur la
nécessité d'instaurer un statut du pluriactif, considérant
que la loi du 25 juillet 1985 sur les groupements d'employeurs et les
initiatives des partenaires sociaux devait pouvoir permettre des progrès
dans le développement de cette nouvelle forme de travail.
M. André Jourdain, rapporteur,
a estimé qu'il était
au contraire indispensable de recourir à la loi pour
" officialiser " cette nouvelle forme de travail et vaincre les
pesanteurs qui avaient empêché jusqu'à présent le
développement de cette catégorie d'emplois pleine d'avenir. Il a
considéré que la spécificité du travail à
temps partagé devait être reconnue dans le code du travail afin de
pouvoir être distinguée des autres formes de travail.
Il a insisté sur les différences existant entre la pratique du
salariat en temps partagé et la juxtaposition de plusieurs contrats de
travail à temps partiel.
Il a considéré que le temps partiel avait été
très réglementé depuis le début des années
1980 dans l'optique de le faire passer à temps plein mais que,
malgré son développement quantitatif, il était
resté un contrat d'exception à côté du contrat de
travail de droit commun à durée indéterminée, et
donc dévalorisé par rapport à ce dernier. Il a
observé que cette situation avait eu pour conséquence de rendre
difficilement compatible la coexistence de plusieurs contrats de travail
à temps partiel compte tenu de la gestion unilatérale par
l'employeur de ce type de relations de travail et des limites dans lesquelles
le temps partiel avait été inséré.
Il a considéré que le travail à temps partagé
constituait un autre mode de relations, à côté des
pratiques de temps plein et de temps partiel.
Il a estimé que la " labélisation législative "
n'entraînerait aucune dérogation aux dispositions du code du
travail, seules quelques modifications étant nécessaires pour
mettre en cohérence le nouveau dispositif avec les autres contrats de
travail.
Il a évoqué deux modifications d'ordre législatif
particulièrement attendues : l'extension de l'abattement de
cotisations patronales, quelle que soit la durée du travail
contractuelle, à tous les employeurs en temps partagé et non plus
à un seul, et une modification du code de la sécurité
sociale afin d'étendre la qualification d'accident du travail aux
accidents survenus entre les différents lieux de travail
fréquentés par les salariés à temps partagé.
M. André Jourdain, rapporteur,
a estimé que la
présente proposition de loi reprenait, sous la forme de trois articles,
les aspects les plus essentiels au développement du multisalariat comme
la reconnaissance législative de cette nouvelle forme de travail, les
abattements de charges sociales sur les bas salaires et les principales
adaptations nécessaires des dispositifs existants.
Il a observé que la rédaction de l'article premier était
de nature à répondre aux besoins des entreprises comme aux
préoccupations du salarié à temps partagé à
travers la création d'un nouveau type de contrat de travail permettant
une approche souple du temps de travail organisé en fonction d'un accord
entre l'employeur et le salarié et non plus sur une base
unilatérale.
Il a estimé que la description très précise dans le
contrat de travail des obligations du salarié permettait de satisfaire
l'exercice simultané de plusieurs collaborations, chaque employeur
étant informé de toute modification de la liste des contrats de
travail en cours comme de toute modification d'un des contrats de travail qui
serait de nature à entraver l'exécution d'une autre relation de
travail.
Il a précisé que les parties étaient amenées
à définir contractuellement les modalités permettant au
salarié en temps partagé de bénéficier de ses
congés annuels au même moment pour chacun de ses emplois.
Il a souligné la nécessité de garantir chacun des
employeurs quant à la loyauté du salarié, en
prévoyant l'accord préalable des employeurs avant la signature
d'un contrat de travail avec une entreprise concurrente.
Il a observé que la proposition de loi incitait les organisations
gestionnaires du régime d'assurance chômage, les organismes de
sécurité sociale et les institutions de retraite
complémentaire à adapter ou à modifier, en tant que de
besoin, les dispositifs en vigueur afin de faciliter l'exercice des emplois
à temps partagé.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que la
proposition de loi apportait une réponse aux attentes de nombreuses
entreprises. Il a cité l'accord signé le 16 juin dernier
entre les entreprises Cariane et Pizza Hut visant à proposer à
leurs salariés un cumul de temps partiel. Il a expliqué qu'il
s'agissait, pour ces entreprises, de proposer une solution à leurs
salariés contraints de travailler à temps partiel en exploitant
les complémentarités d'horaires des deux compagnies.
Il a observé que la proposition de loi aurait permis de résoudre
les trois principales difficultés rencontrées par ces deux
entreprises pour définir le temps de travail effectif, la
répartition des exonérations de charges sociales et la prise en
charge des accidents du travail.
Il a considéré que le contrat de travail du salarié
à temps partagé devrait préciser les dispositions
conventionnelles qui lui sont applicables.
Il a estimé que la proposition de loi ouvrait la voie à des
mesures conventionnelles nouvelles prenant en compte le contenu du droit du
travail applicable à ces salariés et les
spécificités de cette forme de travail.
Il a considéré que ce type d'accords devait permettre de limiter
le travail à temps partiel contraint.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que le
texte des conclusions qu'il proposait à la commission d'adopter
comportait un certain nombre de modifications d'ordre rédactionnel par
rapport à la proposition de loi. Il a observé que l'article
premier avait été repris sous la forme de quatre articles
distincts à des fins de clarification, les articles 2 et 3 ayant
été conservés tels quels.
Puis il a proposé aux membres de la commission d'adopter ses conclusions
qui lui semblaient constituer un ensemble équilibré de nature
à apporter des garanties à l'ensemble des acteurs
concernés dans une optique de développement de cette forme
d'organisation du travail.
M. Louis Souvet
a salué l'initiative du rapporteur et il a
souligné la complexité du sujet. Il a observé que la
problématique du multisalariat rejoignait celle du marchandisage pour ce
qui était de la définition de la durée du travail, des
congés ou encore du régime des heures supplémentaires. Il
s'est interrogé sur la convention collective applicable au
salarié lorsque les entreprises appartiennent à des secteurs
différents.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a considéré que des
dispositions législatives pouvaient être effectivement
nécessaires pour accompagner le développement du multisalariat
mais elle s'est déclarée réservée quant au contenu
de la proposition de loi. Elle a estimé que le texte était encore
trop flou et qu'il était préférable de remettre l'examen
de la proposition de loi dans l'attente de la publication du rapport
demandé par Mme Martine Aubry sur les groupements d'employeurs.
M. Alain Gournac
s'est prononcé en faveur de la proposition de
loi, estimant qu'elle répondait parfaitement aux besoins des PME.
M. Guy Fischer
a considéré qu'un débat sur les
groupements d'employeurs pourrait utilement précéder l'examen des
dispositions législatives envisagées.
M. Jean Delaneau, président
, a observé que de nombreuses
dispositions de la proposition de loi constituaient des garanties pour les
salariés.
M. Jean Chérioux
a estimé nécessaire la
création d'une structure plus souple que les groupements d'employeurs.
En réponse aux différents intervenants,
M. André
Jourdain, rapporteur,
a reconnu la complexité des questions
auxquelles il convenait de répondre et il a rappelé le souci qui
était celui de la proposition de loi de protéger les
salariés comme les entreprises qui s'engageaient dans le
développement de cette forme de travail.
Il a observé que le contrat qu'il proposait de créer était
négocié à égalité entre les parties. Il a
estimé que de nombreuses entreprises refusaient la structure des
groupements d'employeurs qui instituait une solidarité de fait entre les
employeurs en cas de défaillance d'une entreprise.
Il a considéré que la convention collective applicable
était celle du secteur de chacune des entreprises employant un
salarié à temps partagé.
A l'issue de ce débat, la commission
a adopté la proposition
de loi dans le texte proposé par le rapporteur.