N°
156
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes ,
Par M.
Guy CABANEL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir
les numéros :
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Femmes. |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Après avoir entendu, le 16 décembre 1998,
Mme Gisèle Halimi
, présidente de la commission
" vie politique " de l'Observatoire de la parité et
M. le doyen Georges Vedel
, puis le 19 janvier 1999,
Mme Françoise Hostalier
, ancien secrétaire d'Etat
chargé de l'enseignement scolaire,
Mme Elisabeth Guigou
,
garde des sceaux, ministre de la Justice,
Mme Nicole Péry
, secrétaire d'Etat auprès
du ministre de l'Emploi et de la Solidarité, chargée des Droits
des femmes et de la formation professionnelle,
Mme Elisabeth
Badinter
, professeur de philosophie à l'Ecole polytechnique,
M. Olivier Duhamel
, professeur de droit,
Mme Evelyne Pisier
, professeur de Sciences politiques à
l'Université de Paris I, et
M. Guy Carcassone
,
professeur de Droit public, la commission des Lois du Sénat,
réunie le mercredi 20 janvier 1999 sous la présidence de
M. Jacques Larché, président,
a examiné, sur
le rapport de
M. Guy Cabanel
, le projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à
l'égalité entre les femmes et les hommes.
Faisant la synthèse de ces auditions
, M. Guy Cabanel,
rapporteur
, a constaté que tant la rédaction du projet
initial, que celle de l'Assemblée nationale, permettraient d'adopter des
mesures contraignantes et des mesures incitatives. Au titre des
premières, les lois électorales pourraient comporter
l'instauration de discriminations positives en faveur des femmes.
La commission des Lois a considéré cette perspective comme
difficilement acceptable car elle aurait pour conséquence, par le biais
de quotas ou de la parité, de faire apparaître les candidates
comme présentées en fonction de leur sexe et de conditionner la
liberté de vote des citoyens. Le texte en discussion conduirait donc
à mettre en cause les principes fondamentaux de la démocratie. De
plus, il y aurait un risque de communautarisation.
En conséquence, la commission des Lois a souhaité dégager
les moyens propres à remédier à l'insuffisante
représentation des femmes tout en constatant une évolution
positive, notamment pour les mandats locaux, et l'absence de mesures
contraignantes prises en la matière dans les grandes démocraties
comparables à la France.
Après un large débat, la responsabilité des partis
politiques lui étant apparue déterminante en la matière,
la commission des Lois propose de modifier
l'article 4 de la
Constitution
qui leur est consacré :
- les partis politiques se verraient confier dans la Constitution la
responsabilité de favoriser l'égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ;
- les règles relatives au financement public des partis politiques
pourraient, si le législateur en décidait ainsi, contribuer
à la mise en oeuvre du principe de l'égal accès des femmes
et des hommes à ces mandats et fonctions.
Mesdames, Messieurs,
L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à
l'égalité entre les femmes et les hommes déposé par
le Gouvernement à l'Assemblée nationale, partant du constat d'une
présence très insuffisante des femmes au sein des institutions
publiques, conclut qu'il convient
" de compléter
l'article 3 de la Constitution, qui affirme le caractère
indivisible et universel de la souveraineté nationale, afin d'assurer la
conciliation de ces principes avec l'objectif d'un égal accès des
femmes et des hommes aux mandats et fonctions "
.
Ce constat de départ, incontestable sur le plan de l'arithmétique
et de la biologie, mérite d'être analysé pour mettre en
lumière l'évolution récente, positive et sensible, de la
participation des femmes aux assemblées parlementaires et locales.
Cette évolution a été enregistrée à droit
constitutionnel et électoral constant, faisant apparaître que la
mise en oeuvre effective de l'égalité d'accès au mandat,
déjà consacrée sur le plan des principes par la norme
constitutionnelle, ne dépend peut-être pas d'une modification de
ces règles de droit.
A l'issue de l'audition des ministres et de plusieurs
personnalités
1(
*
)
, votre
commission des Lois a souhaité mesurer attentivement les incidences
importantes sur les principes essentiels de notre démocratie, telle
qu'elle a été construite au fil de son histoire, que pourrait
comporter le projet de loi constitutionnelle.
Elle a notamment cherché à concilier, d'une part, le respect du
principe du mandat représentatif qui fait de la personne élue,
quelle qu'elle soit, le représentant de tous, indépendamment de
ses caractéristiques personnelles que la Constitution interdit de
discriminer, et, d'autre part, le souhait de voir à terme les femmes
siéger dans les assemblées à proportion de leur importance
numérique dans l'humanité.
Cette démarche a conduit votre commission des Lois à s'interroger
notamment sur les mesures législatives que permettraient de prendre la
révision constitutionnelle et à évaluer leurs
conséquences au regard des principes fondamentaux de notre
démocratie.
I. LA RECHERCHE D'UNE RÉPONSE À UN CONSTAT DÉPLORÉ
A. UN CONSENSUS SUR LE CONSTAT ET SUR LA NÉCESSITÉ DE TROUVER UN REMÈDE
1. La participation des femmes à la vie publique en France et à l'étranger
Malgré les termes de l'ordonnance du 21 avril 1944,
selon lesquels "
les femmes sont électrices et éligibles
dans les mêmes conditions que les hommes
" et en dépit
d'une évolution enregistrée lors des dernières
consultations électorales, force est de constater que le taux de
présence des femmes dans les assemblées parlementaires et
locales, inférieur, comme dans tous les pays du monde, à leur
importance numérique dans le corps électoral, l'est davantage en
France que dans la plupart des pays démocratiques.
Le pourcentage d'élues à
l'Assemblée nationale
n'a
pas connu d'évolution sensible au cours des trente années suivant
la Libération (5,6 % pour la première Assemblée
constituante en 1945 ; 6 % en 1993).
Ce chiffre a
progressé de 80 %
lors des élections
législatives de
juin 1997
(10,9 %, soit
63 députés sur 577), le nombre de candidatures
féminines étant passé de 19,4 % à 23 %
d'une élection à l'autre.
L'évolution entre 1993 et 1997 s'est effectuée sans adoption de
mesures contraignantes ou incitatives et sans modification du mode de scrutin.
On notera à cet égard que, lors des élections
législatives de 1986, au scrutin proportionnel, 24,7 % des
candidats et 5,9 % des élus étaient des femmes.
Il apparaît donc qu'en 1997, les partis politiques ont adopté une
attitude plus volontariste que dans le passé, en présentant plus
souvent les femmes dans des circonscriptions susceptibles d'être
remportées.
L'effectif des femmes au sein du
Sénat
(19 membres sur 321,
soit 5,9 % du total) devrait connaître une progression comparable
à celle enregistrée ces dernières années dans les
collectivités territoriales qui forment l'essentiel de son corps
électoral, un décalage dans le temps étant inhérent
à son mode d'élection.
Au total, le
Parlement
compte donc 82 femmes parmi ses
893 membres (9,18 %).
Près de 30 % des Français élus au
Parlement
européen
en 1994 sont des femmes (20 % en 1984).
Une évolution comparable a été perceptible lors des
dernières élections locales en l'absence de toute modification
des modes de scrutin.
Le pourcentage des femmes membres de
conseils municipaux
a
évolué de 14 % en 1983 à 17,7 % en 1989, pour
atteindre 21,7 % en 1995 (110.986 élues).
A la suite des élections municipales de 1995, 2.904 femmes ont
accédé aux fonctions de maire (7,6 % au lieu de 5,4 %
en 1989), dont 11 femmes dans les 226 communes de plus de
30.000 habitants.
Les femmes constituent, depuis 1998, le quart de l'effectif des
conseils
régionaux
(24,16 % exactement), au lieu de 10,5 % en 1992,
les candidatures féminines étant passées de 27 %
à 36,9 % d'un scrutin à l'autre.
Pour les
conseils généraux
, l'évolution est moins
forte, la proportion des candidates étant passée de 13 %
à 15 % et, celle des élues, de 5,9 % à
7,4 %.
Une seule femme est président d'un conseil général et deux
exercent les fonctions de président de conseil régional.
Le tiers des membres du
Gouvernement
(9 sur 28) sont des femmes.
Toute comparaison avec les autres pays doit être effectuée avec
prudence et en tenant compte de traditions, de régimes institutionnels
et de modes de scrutin différents.
Selon les statistiques de l'Union interparlementaire, mises à jour
à la date du 5 décembre 1998, l'effectif féminin des
Parlements dans le monde (assemblée unique ou deux assemblées) se
situe à 13 % (9,18 % en France).
Ce pourcentage est de 13,3 % dans les chambres uniques ou dans les
chambres basses (10,9 % pour l'Assemblée nationale en France) et de
10,9 % dans les chambres hautes (5,9 % pour le Sénat
français).
Par régions du monde, c'est en Europe du Nord que les femmes figurent en
plus grande proportion au Parlement (37,6 %). Sur l'ensemble du continent
européen, les femmes parlementaires constituent 14,4 % de
l'effectif total (12,6 % sans les pays nordiques).
Le taux de présence des femmes au Parlement s'établit à
15,7 % dans le continent américain, soit 23,2 % au Canada et
12,1 % aux Etats-Unis (9 % au Sénat).
La Suède est l'Etat dans lequel on dénombre le plus fort
pourcentage de femmes dans une chambre basse (42,7 %). L'Allemagne en
compte 30,9 %, l'Espagne 24,7 % et le Royaume-Uni 18,2 %.
La mission commune d'information du Sénat chargée
d'étudier la place et le rôle des femmes dans la vie publique,
présidée par Mme Nelly Ollin et dont le rapporteur
était M. Philippe Richert
2(
*
)
, relevait que le taux significatif de
femmes dans les assemblées politiques en Suède n'empêchait
pas les femmes de ce pays de n'occuper que 10% des postes d'encadrement dans
les entreprises privées et 30% dans l'Administration. Ces taux
s'établissent, en France, respectivement à 22% et 40%.
L'Italie se situe à un niveau proche de celui de la France (11,1 %)
qui, parmi les Etats membres de l'Union européenne, ne
précède que la Grèce (6,3 %).
Le constat ne suffit pas pour déterminer la manière d'assurer une
meilleure présence des femmes dans la vie publique.
Encore faut-il connaître les méthodes utilisées dans les
autres pays pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes
aux mandats et fonctions.
2. Seuls cinq pays dans le monde, dont un seul en Europe, ont fixé des quotas de femmes pour les candidatures aux élections
Contrairement à une idée reçue, rares
sont les
pays qui ont adopté des quotas -voire la parité- pour la
participation des femmes aux assemblées élues.
Aux
Etats-Unis
, la législation établissant des
" discriminations positives " n'a jamais concerné la
représentation politique des femmes ou de minorités.
En Europe du Nord, le pourcentage des femmes au sein des assemblées
politiques (37,6 %) provient essentiellement du fait que les partis
politiques ont fixé des règles internes de quota. Aucune mesure
contraignante n'a jamais été prise dans ces pays.
En
Norvège
, si une loi du 9 juin 1978 a institué
des quotas de représentation des femmes au sein des commissions
administratives locales, son article 21 exclut expressément de
cette obligation les assemblées élues des départements et
des communes.
L`
Italie
a bien adopté, le 25 mars 1993, une loi selon
laquelle, dans certaines communes, "
sur les listes de candidats, aucun
des deux sexes ne peut être, en principe, représenté dans
une proportion supérieure à deux tiers
" mais cette
disposition a été invalidée par la Cour constitutionnelle
(sentence n° 422 du 12 septembre 1995).
En Europe, seule la Belgique dispose d'une législation
contraignante
, à savoir la loi du 24 mai 1994 visant
à promouvoir une répartition équilibrée des hommes
et des femmes sur les listes de candidature aux élections.
Ce texte interdit, pour toutes les élections, que le nombre de candidats
d'un même sexe figurant sur une liste excède
" une
quotité de deux tiers du total constitué par la somme des
sièges à pourvoir pour l'élection et du nombre maximum
autorisé de candidats suppléants
".
Les résultats décevants de la première application de ce
texte, lors des élections locales du 9 octobre 1994 (20 %
d'élues, soit un taux inférieur à celui de 21,7 %
enregistré en France en 1995, sans législation contraignante,
pour l'élection des conseillers municipaux) tiennent à
l'absence de prescription sur la place des candidats sur une liste
et au
calcul du quota
par rapport au nombre des candidats titulaires
et
suppléants
.
En dehors de la Belgique, aucun pays européen n'a donc établi
de quotas obligatoires pour les candidatures aux élections.
En
Suisse,
pays dans lequel le suffrage féminin a
été introduit en 1971, une "
initiative
populaire
" ayant recueilli 109.713 signatures,
déposée le 21 mars 1995, préconise l'inscription dans la
Constitution fédérale de la parité entre les femmes et les
hommes. Elle est
en instance d'examen
.
Selon cette proposition, la différence entre le nombre de femmes et le
nombre d'hommes
élus
au Conseil national dans un canton ne
pourrait être supérieure à un. Chaque " canton
entier " élirait une femme et un homme au Conseil des Etats.
Le Conseil fédéral suisse, défavorable au projet
,
relève en particulier qu'"
un candidat pourrait ne pas être
élu alors qu'il a obtenu davantage de voix qu'un candidat élu,
pour le seul motif qu'il n'est pas du même sexe
".
Le Conseil fédéral indique aussi que "
les cantons ne
pourraient plus désigner deux hommes ou, comme dans les cantons de
Zurich et de Genève, deux femmes au Conseil des Etats
".
Il estime que "
si les femmes restent nettement
sous-représentées dans les autorités, leur nombre est en
constante augmentation
" et considère que "
les mesures
prévues par l'initiative ne représentent pas le bon moyen
d'atteindre une représentation équitable des femmes en
politique
", estimant que celle-ci "
incombe avant tout aux
partis politiques
".
La commission des institutions politiques du Conseil national propose
,
dans le rapport qu'elle a établi sur cette initiative, une
instauration temporaire de quotas
(pour les trois prochains
renouvellements généraux),
portant sur les candidatures
et
non sur les élus.
Les femmes constitueraient
au moins un tiers
des candidatures
sur
chaque liste présentant des candidats des deux sexes. Les listes
présentant exclusivement des candidatures féminines seraient
admises. Celles présentant des candidatures exclusivement masculines
seraient admises jusqu'à la fin de 2007, si elles étaient
apparentées à des listes de même dénomination
présentant uniquement des femmes et si le quota d'un tiers des femmes
était atteint entre les différentes listes apparentées.
La possibilité pour l'électeur de modifier la composition des
listes, par
panachage
, serait maintenue
sans restriction
.
Quoi qu'il en soit, l'initiative est en instance au Parlement suisse, avant un
éventuel référendum.
La situation n'est pas sensiblement différente en dehors du continent
européen.
Selon une étude de l'Union interparlementaire publiée en janvier
1997
3(
*
)
,
seuls quatre
pays non européens ont institué un quota obligatoire
de
candidatures de femmes au Parlement, à savoir l'
Argentine
(30 %), le
Brésil
(20 %), la
Corée
(20 %) et le
Népal
(5 %).
Par ailleurs, la Constitution des
Philippines
promulguée en 1987
stipule que "
pour trois législatures consécutivement
à l'entrée en vigueur de la Constitution, les sièges
alloués aux candidats des listes de partis sont pourvus à
moitié, comme prévu par la loi, par sélection ou
élection de représentant(e)s des ouvriers, des paysans, des
populations pauvres des agglomérations urbaines, des communautés
culturelles indigènes, des
femmes
, de la jeunesse et d'autres
secteurs spécifiés par la loi, hormis les milieux
confessionnels
".
En
Chine
, une décision du 3 avril 1992 a prévu que
"
le pourcentage des femmes députées à la
8ème législature ne devrait pas être inférieur
à celui de la 7ème législature
".
Au
Costa Rica
, un projet tendant à contraindre les partis
politiques à adopter le principe de la "
représentation
proportionnelle des femmes dans leurs structures et aux mandats
électifs
", a été écarté par le
Tribunal électoral suprême.
En conclusion, les pays démocratiques où les meilleurs
résultats sont atteints en matière de parité dans les
faits apparaissent être ceux qui ont combiné des scrutins de liste
à la proportionnelle et l'action volontariste des partis, sans aucune
mesure législative contraignante.
3. Le débat sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions
Nul
ne conteste aujourd'hui la nécessité d'encourager la
participation des femmes à la vie publique.
La discussion porte sur les solutions à trouver et sur les
conséquences que celles-ci pourraient avoir sur la conception
française traditionnelle de la démocratie.
A cet égard, le débat sur l'égal accès des femmes
et des hommes aux mandats et fonctions ne peut se réduire à la
question de l'égalité des sexes, d'une manière plus
générale, sauf à vouloir se limiter à une vision
manichéenne.
L'égalité en droit est en effet déjà établie
par le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de
1946 (
" la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des
droits égaux à ceux de l'homme "
), auquel le premier
alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 donne une valeur
constitutionnelle.
Sa traduction dans la législation a été progressive, la
pleine capacité civile de la femme ayant fait l'objet de modifications
importantes du code civil depuis les années 1960. Le droit social est
régulièrement complété afin de réaliser
l'égalité des chances, sans distinction de sexe.
Le droit de vote et l'éligibilité des femmes, dans des conditions
identiques à celles fixées pour les hommes, auraient pu
être déduits de l'article VI de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 (égale admissibilité aux
emplois publics sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs
talents). Ce droit, établi à l'initiative du
Général de Gaulle par l'ordonnance du 21 avril 1944, a
été ensuite inscrit à l'article 4 de la Constitution
de 1946, puis à l'article 3 de la Constitution de 1958 (sont
électeurs les nationaux français majeurs des deux sexes).
Le débat d'aujourd'hui est bien différent et nul, qu'il soit
favorable ou défavorable à la présente réforme
constitutionnelle, ne songe à les comparer.
L'égal accès à l'éligibilité étant
établi en droit, il reste à déterminer comment sa mise en
oeuvre peut se traduire par un nombre d'élues en rapport avec le nombre
des citoyennes sans remettre en cause les principes constitutionnels de la
souveraineté nationale, de l'égalité et de la
liberté de l'électeur.
Tel est l'enjeu du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis.
Selon les uns, dès lors que l'éligibilité est
établie en droit de la même façon pour tous, le citoyen,
donc le candidat, donc l'élu, ne peut être distingué selon
des caractéristiques particulières, qu'elles tiennent à la
race, la religion, la culture ou le sexe.
Toute différenciation briserait l'unité du corps
électoral, pourrait susciter des revendications de la part de telle ou
telle catégorie de la société et conduire au
communautarisme.
L'institution de quotas, ou de la parité, jetterait en outre un doute
sur la compétence de ses bénéficiaires.
Selon les autres, le sexe constituerait le seul élément
indissociable de la notion même de personne, que l'on ne pourrait pas
assimiler à un groupe social déterminé. L'instauration de
la parité entre les femmes et les hommes ne serait donc pas de nature
à justifier des revendications paritaires de la part de certaines
catégories.
La parité n'apporterait pas une protection privilégiée
mais serait la mise en oeuvre de principes constitutionnels qui, à
défaut, resteraient abstraits, la Déclaration de 1789 n'ayant pas
été suivie immédiatement de l'abolition de l'esclavage ou
de la reconnaissance du droit de vote des femmes, par exemple.
Seul un examen attentif de ces arguments, auquel votre commission a
procédé, permet d'apporter une réponse à la
question posée par le projet de loi constitutionnelle.
On remarquera que la revendication de quotas et celle tendant à la
parité sont relativement récentes.
Jusqu'à la fin des années 1980, les mouvements féministes
se sont assez peu intéressés à la question de la
représentation politique, leurs revendications étant
centrées sur l'égalité des droits civils et sur
l'égalité des chances en matière sociale.
Après que Mme Françoise Giroud, secrétaire
d'Etat à la condition féminine, eut proposé, en 1977, de
fixer un quota de 15 % de candidatures féminines aux
élections municipales, le Gouvernement de l'époque a
déposé un projet de loi établissant ce quota à
20 %. Adopté par l'Assemblée nationale, le texte n'a pas
été soumis au Sénat.
L'idée est reprise en 1982, l'Assemblée nationale et le
Sénat votant à la quasi-unanimité un amendement au projet
de loi sur le mode d'élection des conseillers municipaux, limitant
à 75 % la proportion des candidats d'un même sexe pouvant
figurer sur une liste.
Cette disposition ayant été déclarée non conforme
à la Constitution par le Conseil constitutionnel, l'introduction
éventuelle de quotas est apparue subordonnée à une
révision constitutionnelle préalable.
A partir de 1992, des associations se crééent et publient des
manifestes en faveur de la parité entre les femmes et les hommes.
On remarquera que cette revendication n'a pas été soutenue par
d'autres qui avaient participé auparavant à des combats communs
avec les premières.
4(
*
)
La question de la participation des femmes à la vie politique est
évoquée au cours de la campagne électorale
présidentielle de 1995, M. Jacques Chirac proposant des
mesures incitatives à l'égard des partis,
déterminées en fonction de la proportion de femmes qu'ils
présenteraient aux élections et M. Lionel Jospin
souhaitant un
" débat national pour faire la parité au
cours des cinq prochaines années "
.
Le 6 juin 1996,
" L'Express "
publie un
" manifeste des dix pour la parité "
, signé par
des femmes responsables politiques de droite et de gauche, demandant une
politique volontariste des partis et du Gouvernement, l'adoption de mesures
incitatives et s'il le faut une modification de la Constitution.
Un rapport de l'Observatoire de la parité, créé par
décret du 18 octobre 1995, se prononce en janvier 1997 pour
l'inscription de la parité dans la Constitution
5(
*
)
.
Un débat est organisé à l'Assemblée nationale sur
le sujet, le 11 mars 1997, à l'occasion duquel
M. Alain Juppé, à l'époque Premier ministre,
s'est déclaré partisan de réviser la Constitution pour
permettre à la loi d'instaurer, à titre temporaire, des
incitations aux candidatures féminines dans les élections au
scrutin de liste.
Peu à peu, les formations politiques portent une plus grande attention
à la place des femmes parmi leurs candidats et adoptent parfois des
règles internes contraignantes, ce qui s'est traduit par une
progression, ces dernières années, du nombre des candidates et
des élues, comme votre rapporteur l'a exposé
précédemment.
Après le dépôt du présent projet de loi
constitutionnelle, l'Assemblée nationale a adopté, lors de la
discussion du projet de loi relative au mode d'élection des conseillers
régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au
fonctionnement des conseils régionaux, un amendement imposant à
chaque liste d'assurer la parité entre candidats féminins et
masculins
Ce texte, maintenu par l'Assemblée nationale en lecture
définitive malgré l'exception d'inconstitutionnalité
soulevée par le Sénat, a été déclaré
non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel
(décision n° 99-407 DC du
14 janvier 1999), qui a ainsi confirmé la jurisprudence qu'il
avait établie en 1982.
4. Les engagements internationaux de la France
La recherche des moyens pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives doit aussi intégrer la portée exacte des engagements internationaux de la France.
a) Les traités internationaux
Les
conventions multilatérales prohibant toute discrimination fondée
sur le sexe concernent principalement les droits sociaux, économiques et
culturels.
Outre l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme de 1948, on citera en particulier le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels conclu dans le cadre de l'ONU
le 19 décembre 1966 (article 2-2), la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950 (article 14) et la Charte
sociale européenne du 3 mai 1996 (partie I, point 20),
conventions conclues dans le cadre du Conseil de l'Europe, ou encore de
diverses conventions négociées au sein de l'Organisation
internationale du travail (OIT).
En ce qui concerne strictement
l'égalité des droits
politiques
, il convient de se référer à la Convention
du 18 novembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes, dont l'ONU est
dépositaire, entrée en vigueur pour la France le
25 avril 1984 après l'autorisation de ratification
donnée par la loi n° 83-561 du 1er juillet 1983.
Selon l'article 7 de cette Convention,
" les Etats parties
prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la
discrimination à l'égard des femmes dans la vie politique et
publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions
d'égalité avec les hommes, le droit :
" a) de voter à toutes les élections et dans tous les
référendums publics et être éligibles à tous
les organismes publiquement élus ".
Les parties doivent donc, le cas échéant, éliminer la
discrimination des femmes dans le domaine de l'électorat et de
l'éligibilité.
L'article 1er de ce texte définit, aux fins de la Convention,
l'expression
" discrimination à l'égard des
femmes "
comme visant "
toute distinction, exclusion ou
restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de
compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou
l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la
base de l'égalité de l'homme et de la femme, des droits de
l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines
politique
, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre
domaine ".
Le droit français ne comporte à cet égard aucune
"
distinction, exclusion ou restriction fondée sur le
sexe "
ayant pour effet de compromettre le droit égal des
femmes en matière politique.
Par les dispositions plus générales de l'article 2 de la
Convention, les Etats parties s'engagent à :
" a) inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre
disposition législative appropriée le principe de
l'égalité des hommes et des femmes ".
La France a posé ce principe avec l'article VI de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (
" Tous
les citoyens (...) sont également admissibles à toutes
dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans
autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ")
et
avec le troisième alinéa du Préambule de la Constitution
de 1946
(" La loi garantit à la femme, dans tous les domaines,
des droits égaux à ceux de l'homme ").
Ce principe a été précisé, s'agissant de la
souveraineté nationale, par l'article 3 de la Constitution actuelle
(
" sont électeurs dans les conditions déterminées
par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes,
jouissant de leurs droits civils et politiques "
).
L'article 2 de la Convention fait également obligation aux Etats
d'"
assurer par voie de législation ou par d'autres moyens
appropriés l'application effective dudit principe "
, ce qui ne
comporte donc pas l'obligation formelle de choisir à cet effet une
solution déterminée, mais laisse les Etats libres des moyens pour
parvenir au but fixé et laisse entière, au demeurant, la notion
d'application effective du principe dès lors que
l'éligibilité est acquise et que la liberté des partis et
de l'électeur sont respectés.
Notre ancien collègue, M. Gérard Gaud, relevait dans
son rapport sur le projet de loi de ratification que cette Convention ne posait
" aucun problème d'application interne dans notre
pays "
, signifiant par là même que la ratification de la
Convention du 18 novembre 1979 n'impliquait pas, pour la France,
l'
obligation
de prendre des dispositions nouvelles pour se conformer
à celle-ci.
Au demeurant, cinq pays à travers le monde, dont un seul en Europe ont
choisi la voie des quotas.
La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
à l'égard des femmes n'impose donc aucunement à la France
d'adopter un régime de quotas, mais lui laisse le droit de choisir ce
moyen, si toutefois sa Constitution l'y autorise.
b) Le droit communautaire
Les
textes communautaires sur l'égalité entre les femmes et les
hommes s'appliquent essentiellement au
droit social
.
L'article 2 §1 de la directive 76/207 du
9 février 1976 prévoit que le principe de
l'égalité de traitement implique "
l'absence de toute
discrimination fondée sur le sexe ".
Son article 2 §4 prévoit cependant une exception à ce
principe d'égalité pour les mesures "
visant à
promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en
particulier en
remédiant aux inégalités de fait
qui
affectent les chances des femmes ".
Dans un arrêt Kalanke (17 octobre 1995), la Cour de justice des
communautés européennes avait conclu à
l'incompatibilité des quotas avec le principe de l'égalité
de traitement.
Modulant ensuite sa jurisprudence, la Cour de justice devait admettre
qu'une
priorité pouvait être accordée aux femmes, dès lors
qu'elle ne revêtait pas un caractère inconditionnel
(arrêt Marschall du 11 novembre 1997).
Le traité d'Amsterdam (article 2, point 7, insérant un
article 6A au traité instituant la Communauté
européenne) prévoit que "
dans les limites des
compétences que
(celui-ci)
confère à la
Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur
proposition de la Commission et après consultation du Parlement
européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de
combattre toute discrimination fondée sur le sexe (...) "
.
Les
mesures de discrimination positive
que prendrait l'Union
européenne, s'il était retenu une interprétation
autorisant celles-ci, ne pourraient pas cependant concerner
l'
éligibilité
aux mandats électoraux et fonctions
électives,
domaine qui relève de la compétence des
Etats
.
Le Traité d'Amsterdam prévoit aussi que "
pour assurer
concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes
dans la
vie
professionnelle
, le principe de
l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de
maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages
spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une
activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou
à prévenir ou compenser des désavantages dans leur
carrière professionnelle
"
On remarquera que, dans sa décision n° 97-394 du 31 décembre
1997 sur la conformité à la Constitution du Traité
d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel n'a formulé aucune objection
à cette disposition qui permet (sans les y contraindre) aux Etats de
prendre des mesures de discrimination positive
dans le domaine
professionnel
dans lequel les Etats-Unis ont tenté des
expériences dont les résultats sont contestés et qu'ils
n'ont jamais étendues au domaine électoral.
La jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel le
18 novembre 1982 et confirmée le 14 janvier 1999 se
limite en effet aux quotas
dans le domaine politique
.
5. Un projet de loi constitutionnelle, préalable nécessaire à toute mesure législative comportant une distinction entre candidats en raison de leur sexe
On sait
que, dans sa décision n° 82-146 du 18 novembre 1982,
le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la
Constitution une disposition législative comportant une distinction
entre candidats en raison de leur sexe.
En effet, lors de l'examen de la loi n° 82-974 du
19 novembre 1982 concernant le mode d'élection des conseillers
municipaux, le Parlement, à la quasi-unanimité des deux chambres,
avait adopté une disposition selon laquelle, dans les communes de plus
de 3.500 habitants, les listes de candidats ne peuvent compter plus de
75 % de personnes de même sexe.
Le Conseil constitutionnel a considéré que
" la
règle qui, pour l'établissement des listes soumises aux
électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur
sexe
(était)
contraire aux principes constitutionnels "
.
Le Conseil constitutionnel a dégagé ces principes à partir
du rapprochement de l'article 3 de la Constitution et de la
dernière phrase de l'article VI de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen.
Selon l'article 3 de la Constitution :
" La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce
par ses représentants et par la voie du référendum.
" Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer
l'exercice.
" Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions
prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et
secret.
" Sont électeurs, dans les conditions déterminées par
la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de
leurs droits civils et politiques. "
La dernière phrase de l'article VI de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen est ainsi rédigée :
" Tous les citoyens étant égaux
(aux yeux de la
loi)
sont également admissibles à toutes dignités,
places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre
distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. "
Le Conseil Constitutionnel en a conclu que
" la qualité de
citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des
conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une
raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une
raison tendant à préserver la liberté de l'électeur
ou l'indépendance de l'élu ; que ces principes de valeur
constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des
électeurs ou des éligibles ; qu'il en est ainsi pour tout
suffrage politique, notamment pour l'élection des conseillers
municipaux "
.
Le Conseil constitutionnel vient de confirmer cette jurisprudence à
propos de la loi relative au mode d'élection des conseillers
régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au
fonctionnement des conseils régionaux, qui contenait une disposition
selon laquelle
" chaque liste assure la parité entre candidats
féminins et masculins "
.
Dans sa décision n° 99-407 DC du
14 janvier 1999, il a, en effet, considéré que,
" en l'état, et pour les motifs énoncés dans la
décision susvisée du 18 novembre 1982, la
qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité
dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont exclus ni pour
une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ni pour
une raison tendant à préserver la liberté de
l'électeur ou l'indépendance de l'élu, sans que puisse
être opérée aucune distinction entre électeurs ou
éligibles en raison de leur sexe "
.
Il apparaît donc, sans ambiguïté, qu'une loi imposant des
quotas ou des candidatures paritaires contredirait le principe
d'universalité du suffrage et ne pourrait être adoptée
avant une révision préalable de la Constitution.