N°
317
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 avril 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par Mme Danièle POURTAUD sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l' harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (n° E-1011),
Par Mme
Danièle POURTAUD
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Adrien Gouteyron,
président
; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis
Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar,
vice-présidents
; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André
Maman, Mme Danièle Pourtaud,
secrétaires
;
MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean-Paul Bataille, Jean
Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel
Charzat, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Michel
Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre
Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger
Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre,
Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc,
MM. Pierre Martin
,
Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar,
Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux,
Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, Franck Sérusclat,
René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
Voir le numéro :
Sénat : 541
(1997-1998).
Union européenne. |
Mesdames, Messieurs,
La proposition de directive sur laquelle porte la proposition de
résolution qui nous est soumise représente une nouvelle et
importante étape dans l'harmonisation du droit de la
propriété littéraire et artistique entreprise au
début des années 1990 dans la perspective de la
réalisation du marché intérieur.
Elle procède, comme les cinq directives qui l'ont
précédée, d'une démarche d'harmonisation prudente,
centrée sur l'élimination des obstacles à la libre
circulation des biens et des services et sur la volonté de
développer des activités " novatrices ". Cette approche
modeste, qui évite de trancher entre des traditions juridiques
nationales partagées entre copyright et droit d'auteur,
privilégie cependant une conception plus " économiste "
que personnaliste de la propriété littéraire et artistique.
Mais la proposition de directive sur l'harmonisation de certains aspects du
droit d'auteur et des droits voisins dans la société de
l'information se distingue de ses devancières par sa portée plus
large et une ambition plus vaste.
Elle entend en effet, en transposant dans le droit communautaire les deux
Traités adoptés en 1996 au sein de l'OMPI, définir les
conditions de protection des auteurs, des artistes, des producteurs et des
diffuseurs qui contribueront aux " contenus " véhiculés
dans les réseaux de la société de l'information, ou
incorporés dans des supports multimédias.
Sans se limiter, du reste, à l'environnement numérique, elle
propose donc une harmonisation :
- de la définition des droits patrimoniaux,
- des exceptions que peuvent leur apporter les droits nationaux,
- et, dans une mesure nettement plus limitée, des moyens d'assurer la
protection de ces droits.
Cette harmonisation est attendue et nécessaire, même si elle
n'apporte pas de réponses à toutes les questions que
soulève la protection du droit d'auteur et des droits voisins dans la
société de l'information.
Au cours de son audition devant la commission, le 17 mars dernier, sur le droit
d'auteur dans la société de l'information, Mme Catherine
Trautmann, ministre de la culture et de la communication, a manifesté le
souhait que la proposition de directive soit rapidement adoptée, tout en
notant que des améliorations pourraient être apportées
à son dispositif.
En examinant la proposition de résolution qui nous est soumise à
la lumière des négociations et des travaux du Parlement
européen auxquels a déjà donné lieu la proposition
de directive, votre rapporteur a souhaité s'associer à la
position favorable à l'adoption de la directive prise par le
gouvernement, tout en partageant son souci de mieux encadrer certaines de ses
dispositions ou d'en préciser la portée, et d'être attentif
aux incidences qu'auront d'autres négociations sur la protection du
droit d'auteur dans la société de l'information.
*
* *
I. L'HARMONISATION DES DROITS PATRIMONIAUX DES AUTEURS ET DES TITULAIRES DE DROITS VOISINS
L'harmonisation prévue par la proposition de directive
ne
porte que sur les droits patrimoniaux : la proposition de directive ne
fait aucune référence au droit moral.
Dans le Livre Vert sur les droits d'auteurs et les droits voisins dans la
société de l'information
1(
*
)
la Commission avait posé la
question de l'opportunité d'une harmonisation des règles
nationales relatives au droit moral, mais elle avait conclu, dans la
communication sur le suivi du Livre Vert
2(
*
)
, qu'il était
" encore
prématuré de procéder à des initiatives
concrètes d'harmonisation ".
On doit sans doute s'en
féliciter car compte tenu de la divergence des droits nationaux,
l'entreprise serait difficile. Elle risquerait, surtout, d'aboutir à une
définition du droit moral très en-deçà de celle que
retient le droit français.
Mais, s'il paraît sage que le droit communautaire ne se préoccupe
pas d'harmoniser le droit moral, il est un peu regrettable qu'il paraisse
totalement ignorer son existence et qu'il ne soit fait mention, dans un texte
proposant une harmonisation ambitieuse du droit de la propriété
littéraire et artistique, que des aspects patrimoniaux du droit d'auteur.
C'est pourquoi il serait sans doute souhaitable, pour lever toute
ambiguïté, que, comme d'autres directives plus sectorielles, les
directives " câble-satellite " et " durée du droit
d'auteur ", la proposition de directive dispose expressément
qu'elle n'affecte pas les dispositions des Etats membres relatives au droit
moral.
Les droits définis et harmonisés par la proposition de directive,
qui ne remet pas en cause le droit de location et de prêt prévu
par la directive n° 92/100, sont au nombre de trois : le droit
de reproduction, le droit de communication du public et un droit distinct de
distribution soumis à épuisement.
Les deux premiers, qui, concernent toutes les catégories d'oeuvres et
toutes les formes d'exploitation, correspondent aux deux composantes, en droit
français, du droit d'exploitation : le droit de
représentation et le droit de reproduction. En revanche, il n'existe pas
en droit français de droit de distribution.
A. LE DROIT DE REPRODUCTION
Le
Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur ne comporte pas, comme cela avait
été primitivement envisagé, de définition de la
notion de reproduction dans l'environnement numérique. La
déclaration commune concernant le Traité prévoit
simplement que
" le droit de reproduction défini par la
Convention de Berne et les exceptions dont il peut être assorti
s'appliquent pleinement dans l'environnement numérique ",
et
qu'il
" est entendu que le stockage d'une oeuvre protégée
sous forme numérique sur un support électronique constitue une
reproduction "
, cette dernière phrase n'ayant toutefois pas
fait l'objet d'un accord unanime. Quant aux droits de reproduction reconnus aux
titulaires de droits voisins, ils sont définis dans les mêmes
termes que ceux de l'article 9 de la Convention de Berne.
Sur ces bases -assez peu contraignantes- la Commission des communautés
européennes a fait le choix, comme l'indique le commentaire des articles
de la proposition de directive, d'une
" définition large et
exhaustive du droit de reproduction ",
qui s'applique dans les
mêmes termes aux auteurs et aux titulaires de droit voisins
3(
*
)
.
L'article 2 de la proposition de directive définit en effet le droit de
reproduction comme
" le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la
reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen
et sous quelque forme que ce soit ".
Cette définition couvre
" tous les actes de reproduction, qu'ils
s'accomplissent en ligne ou hors ligne, sous une forme matérielle ou
immatérielle ".
Pour l'essentiel, cette définition confirme des solutions qui
étaient déjà largement admises. Il n'a en effet jamais
été contesté que les produits hors ligne (CD, CD-Rom)
relevaient du droit de reproduction, de même que les reproductions
matérielles faites à partir d'une communication en ligne (sortie
sur imprimante, enregistrement). Il est aussi très
généralement considéré -comme le préconisait
déjà en 1994 le rapport de la commission présidée
par Pierre Sirinelli- que le droit de reproduction s'applique au stockage
numérique (dans un serveur, dans la mémoire d'un ordinateur) et
à toute fixation, même temporaire, permettant une communication de
l'oeuvre.
Mais la proposition de directive va plus loin que cela puisqu'elle inclut dans
la notion de " reproduction provisoire " toutes les reproductions
éphémères ou " volatiles " auxquelles peut
donner lieu le processus de communication en ligne mais aussi, par exemple, une
radiodiffusion.
On peut s'interroger sur l'intérêt d'une définition aussi
extensive.
Comme le notait la Commission dans la communication sur le suivi du Livre Vert,
alors qu'une grande majorité des réponses au Livre Vert
s'était prononcée en faveur d'une définition de la
reproduction qui
" englobe explicitement les actes électroniques
tels que le balayage optique ou le téléchargement dans les deux
sens ",
les positions semblaient
" moins claires en ce qui
concerne le régime à appliquer aux actes de reproduction
temporaires ou éphémères "
.
Par exemple, la réponse au Livre Vert du gouvernement français,
tout en soulignant que le code de la propriété intellectuelle
n'exige pas que la reproduction ait
" un minimum de
permanence ",
s'interrogeait
"
sur la
nécessité d'isoler les actes techniques au sein du processus de
communication et sur son utilité
"
et jugeait
"
plus pertinent de rechercher si les actes de reproduction sont
autonomes par rapport à la représentation
".
La Commission avait cependant conclu à la nécessité de
prendre en considération les reproductions volatiles
" pour
assurer une protection cohérente entre les Etats membres ".
Mais cette solution va-t-elle dans le sens d'une meilleure protection des
ayants droit ? On peut en douter, car devant l'impossibilité
matérielle de soumettre à autorisation toutes les reproductions
accessoires et contingentes que peut nécessiter une communication en
réseau ou une télédiffusion, on est fatalement
tenté de se passer de cette autorisation.
C'est d'ailleurs exactement ce que propose la directive, qui prévoit
d'assortir une définition très (trop) large de la reproduction
soumise à droit exclusif d'une exception très (trop) large
à ce droit exclusif.
On peut donc regretter que la proposition de directive ne fasse pas
prévaloir, comme le suggérait un excellent auteur, la logique du
droit d'auteur, selon laquelle
" ce qui déclenche l'application
du droit d'auteur est un acte d'exploitation ",
sur une logique
technique qui conduit à
" segmenter
artificiellement le
processus pour prétendre identifier des actes distincts de reproduction
qui sont d'ailleurs liés à un état de la technique
essentiellement variable "
4(
*
)
.
B. LE DROIT DE COMMUNICATION AU PUBLIC
Le Livre
Vert et la consultation à laquelle il a donné lieu ont mis en
évidence que la qualification juridique de la diffusion numérique
était une des questions sur lesquelles une harmonisation communautaire
apparaissait à la fois la plus nécessaire, car les solutions les
plus diverses étaient envisagées, et la plus difficile, en raison
même de cette diversité.
Le Livre Vert proposait ainsi d'assimiler "
par extension
" la
diffusion numérique à la location
5(
*
)
, suggestion qui n'a heureusement pas
rencontré un franc succès, et la consultation avait fait
apparaître des partisans du recours au droit de reproduction ou au droit
de distribution.
Pour sa part, le gouvernement français avait souligné que
"
l'acte essentiel d'exploitation
" était l'offre d'une
oeuvre ou d'éléments protégés par un droit voisin
à travers le réseau, et que par conséquent la nature du
droit mis en jeu par les services en ligne était "
celle d'un
droit de communication au public et, plus précisément en droit
français, du droit de représentation appartenant à
l'auteur
".
Cette analyse, conforme à la jurisprudence des tribunaux
français
6(
*
)
, est celle qui
a été finalement défendue par la Commission et les Etats
membres lors de la conférence diplomatique de l'OMPI de décembre
1996, et celle qui a été retenue par les Traités
" droit d'auteur " et " droits voisins ".
L'article 3 de la proposition de directive transpose fidèlement les
dispositions de ces deux Traités.
1. Le droit de communication au public reconnu aux auteurs
L'article 3-1 de la proposition de directive impose de
reconnaître aux auteurs un droit exclusif de communication au public, ce
droit incluant "
la mise à disposition du public de leurs
oeuvres de telle manière que chaque membre du public peut y avoir
accès de l'endroit et au moment qu'il choisit
individuellement ".
Selon le commentaire de l'article, cette formule un peu lourde a pour objet de
préciser que le droit de communication au public "
couvre les
actes de transmission interactifs à la demande
" et de
confirmer "
qu'il y a aussi communication au public lorsque plusieurs
personnes non liées (membres du public) peuvent avoir accès
individuellement, à partir d'un endroit et à des moments
différents, à une oeuvre se trouvant sur un site accessible au
public
".
Cette confirmation est inutile en droit français, pour lequel la notion
de public ne doit pas être interprétée de manière
restrictive : le droit de représentation est mis en jeu dès
lors qu'une oeuvre est mise à la disposition d'un public potentiel. Peu
importe que ce public soit ou non rassemblé dans un même lieu, que
l'oeuvre lui soit ou non communiquée au même moment, peu importe,
même, qu'aucun membre de ce public ne bénéficie finalement
de la représentation. L'inscription d'un film au catalogue d'un service
de vidéo à la demande ou la mise à disposition d'une
oeuvre sur un site Internet mettent donc en jeu le droit de
représentation, au même titre qu'un spectacle en salle ou une
télédiffusion.
•
Le problème des communications privées
Le considérant n° 15 de la proposition de directive précise
que le droit de communication au public reconnu "
ne couvre pas les
communications privées "
, sans donner d'ailleurs aucune
définition de ce qu'il faut entendre par communication privée.
Cette réserve inquiète les titulaires de droit, qui ont
observé que la transmission en ligne estompait la distinction
traditionnelle entre communication publique et communication privée et
qu'elle rendait très facile la communication d'oeuvres
protégées entre particuliers.
Le Parlement européen s'est fait l'écho de cette
préoccupation en adoptant un amendement préconisant que le fait
qu'une transmission ait lieu entre deux personnes ne suffise pas à la
faire considérer comme une communication privée.
S'il n'est évidemment pas question de remettre en cause l'exception
liée à l'usage privé d'une oeuvre " dans un cercle de
famille ", ni d'envisager de porter atteinte au secret des
correspondances, il convient sans doute, en effet, de rappeler que la
communication d'une oeuvre entre particuliers est en principe
protégée par le droit d'auteur au même titre que sa mise
à la disposition " du public en général ".
Il serait en tout cas souhaitable, pour votre commission, que soit
précisée la portée de la notion de " communication
privée ".
2. Le droit reconnu aux titulaires de droits voisins
L'article 3-2 de la proposition de directive ne
reconnaît aux
titulaires de droits voisins un droit exclusif de communication au public qu'en
cas de transmission interactive, ce qui recouvre les services de radiodiffusion
ou de télévision à la demande et la communication des
oeuvres accessibles sur un serveur ou un réseau.
En revanche, comme le souligne le commentaire de l'article 3, ce droit ne
s'applique pas aux services de radiodiffusion
" y compris les services
dits quasi-à la demande ",
le critère du choix
individuel conduisant à exclure
" les oeuvres offertes dans le
cadre d'un programme défini à l'avance ".
La diffusion
dans le cadre de tels programmes de phonogrammes du commerce pourrait donc
rester soumise à un régime de licence légale, comme c'est
actuellement généralement le cas.
Cette
summa divisio
entre les services interactifs et les autres est
vivement critiquée par les titulaires de droits voisins, et en
particulier par les producteurs de phonogrammes, qui font valoir que le
numérique a pour conséquence une explosion de l'offre de services
musicaux thématiques permettant une programmation très
" ciblée ".
Ces services, qu'ils soient diffusés par voie hertzienne, par
câble ou sur Internet
(" webcasting "),
sont
susceptibles de faire à la vente de supports une concurrence du
même ordre que celle des services interactifs et ils multiplient par
ailleurs les risques de piratage.
Dans la communication sur le suivi du Livre Vert, la Commission n'a pas
nié que
" la radiodiffusion multichaînes pourrait avoir
des répercussions considérables sur les formes primaires
d'exploitation des phonogrammes et autres objets
protégés "
et elle constatait que, au cas où des
mesures s'avèreraient nécessaires, elles devraient être
prises au niveau communautaire pour prévenir des approches nationales
divergentes qui seraient génératrices de "
distorsions
dans les activités de radiodiffusion
".
Elle concluait cependant que la radiodiffusion numérique était
encore
" balbutiante "
et qu'on ne pouvait encore en mesurer
les conséquences pour les titulaires de droits. Elle se bornait donc
à annoncer son intention de
" continuer à suivre
l'évolution du marché "
avant de proposer, si
nécessaire, des mesures législatives.
Compte tenu de la rapidité des évolutions, cet attentisme peut
n'être pas sans danger, notamment dans les Etats membres où
l'édition phonographique joue un rôle économique et
culturel important. On peut à cet égard rappeler que les
Etats-Unis ont mis en place depuis 1995
7(
*
)
un dispositif permettant de soumettre
au droit exclusif la diffusion de phonogrammes par les services
audionumériques dont la programmation ne respecte pas un ensemble de
conditions destinées à limiter la concurrence qu'ils peuvent
représenter pour les ventes de disques. Par exemple, ne peuvent
bénéficier de la licence légale que les services qui
n'annoncent pas leur programmation à l'avance, qui ne diffusent pas plus
d'un certain nombre de titres extraits du même support ou du même
interprète sur une période de temps donnée, qui ne
permettent pas de changement automatique de canal...
Il semble donc urgent, en particulier pour assurer à l'industrie
phonographique européenne une protection équivalente à
celle dont bénéficie l'industrie américaine, que les
instances communautaires affinent leur analyse des nouveaux services de
diffusion musicale et proposent, si elles s'avéraient
nécessaires, des mesures permettant d'assurer un juste équilibre
entre la volonté de développer ces services et la
nécessité de protéger les titulaires de droits.
Au niveau national, la tenue prochaine des Etats généraux du
disque pourra déjà permettre, comme l'a annoncé la
ministre de la culture et de la communication, d'amorcer la réflexion
sur cette question.
C. LE DROIT DE DISTRIBUTION
Le
traité " droit d'auteur " de l'OMPI reconnaît aux
auteurs le droit exclusif d'autoriser la mise à disposition du public de
l'original et d'exemplaires de leurs oeuvres
" par la vente ou tout
autre transfert de propriété "
et autorise les Etats
à déterminer
" les conditions
éventuelles "
de l'épuisement de ce droit.
L'article 4 de la proposition de directive transpose ces dispositions en
imposant aux Etats membres de reconnaître aux auteurs
8(
*
)
un droit exclusif
" sur toute
forme de distribution au public par la vente ou tout autre moyen "
et
de prévoir l'épuisement communautaire de ce droit à la
première vente
" ou autre transfert de
propriété ".
Il paraît indispensable de préciser la portée de cet
article dont la rédaction est susceptible d'interprétations qui
pourraient remettre en cause la doctrine française du droit de
destination, qui soulève quelques interrogations quant à son
application aux oeuvres originales, et qui pourrait, enfin, faire obstacle
à l'organisation de la " chronologie des
médias ".
1. Le problème de la compatibilité entre la proposition de directive et l'exercice du droit de destination.
En
doctrine -et en droit positif- la règle de l'épuisement du droit
de distribution, qui s'applique sous des formes diverses dans la
quasi-totalité des Etats membres, s'oppose à la conception du
droit de destination qui prévaut en France et en Belgique.
Le droit de destination, inclus dans une définition
" synthétique " du droit de reproduction, permet à
l'auteur de contrôler la diffusion des exemplaires de son oeuvre et les
utilisations secondaires de ces exemplaires, notamment aux fins d'une
communication de l'oeuvre au public : il est donc incompatible avec un
droit de distribution qui serait " consommé " dès la
première mise sur le marché.
De deux choses l'une, par conséquent :
- ou bien l'article 4 de la proposition de directive a simplement pour objet
d'assurer que la distribution commerciale des biens protégés par
un droit d'auteur ou un droit voisin se fera dans des conditions compatibles
avec l'unité du marché intérieur et avec sa protection, ce
qui n'oblige pas à remettre en cause le droit de destination ;
- ou bien, la Commission entend imposer un droit de destination soumis à
épuisement, ce qui imposera d'en tirer les conséquences au niveau
du droit national.
• Le commentaire de l'article 4 semble aller dans le sens de la
première hypothèse en définissant l'épuisement
communautaire par référence à la jurisprudence de la Cour
de justice des Communautés européennes et par opposition à
l'épuisement international.
* Dans la jurisprudence de la CJCE, en effet, l'épuisement communautaire
ne se réfère pas à l'épuisement des droits tels que
le définit la théorie du droit d'auteur.
Les décisions de la Cour relatives à l'épuisement
communautaire du droit d'auteur et des droits voisins n'ont jamais eu pour
objet de trancher en faveur de telle ou telle conception du droit de la
propriété littéraire et artistique, mais simplement de
faire prévaloir le principe de la libre circulation des biens sur des
dispositions nationales pouvant avoir pour effet un cloisonnement du
marché intérieur
.
Selon cette démarche, un droit de distribution soumis à
épuisement national, qui autorise un titulaire de droit à
s'opposer à la mise en circulation dans un Etat membre de biens
distribués, avec son consentement, dans un autre Etat membre
9(
*
)
, est contraire aux principes du
Traité. En revanche, l'imposition, en vertu du droit de destination,
d'un droit de reproduction mécanique pour l'usage public des
phonogrammes n'est pas contraire au principe de la libre circulation s'il
s'applique de manière non discriminatoire
10(
*
)
.
* Quant à la suppression de la possibilité pour les Etats membres
d'appliquer le principe d'un épuisement international du droit de
distribution, elle n'est en rien contradictoire avec le droit de destination.
• Les termes de l'exposé des motifs de la proposition de
directive, non plus que la rédaction de l'article 4 ne permettent
cependant pas d'exclure que la Commission souhaite faire prévaloir, dans
l'ensemble de l'Union, le principe de l'application d'un droit de distribution
soumis à épuisement.
Cette harmonisation du droit de distribution aurait sans doute une
portée assez limitée, car si la quasi-totalité des Etats
membres appliquent des règles relevant du droit de distribution, ce
pavillon unique recouvre des marchandises assez diverses, notamment dans les
Etats membres où le droit de distribution se rattache à un droit
de publication (Pays-Bas, pays scandinaves).
Elle aurait cependant des conséquences en droit français, car
elle pourrait conduire à remettre en cause un certain nombre de
prérogatives reconnues aux auteurs par la jurisprudence sur le fondement
du droit de destination : le droit de reproduction mécanique,
déjà cité, mais aussi le droit de location, le droit de
s'opposer à la commercialisation de supports (livres, films) mis au
rebut et, plus généralement, le droit de s'opposer à tout
usage des exemplaires d'une oeuvre qui n'est pas conforme à la
destination pour laquelle ils ont été mis en circulation.
Il faut également rappeler que c'est en raison de l'existence du droit
de destination que les dispositions de la directive 92/100 relatives au droit
de location et de prêt n'ont pas été transposées en
droit français : la suppression du droit de destination rendrait
donc cette transposition nécessaire.
Votre commission souhaite donc que soient précisées la
portée de l'article 4 et ses conséquences possibles sur le
droit de destination.
2. Le problème de l'épuisement du droit de distribution de l'original des oeuvres
Le
principe de la distinction entre la propriété
" matérielle " d'une oeuvre et celle des droits de
propriété littéraire et artistique sur cette oeuvre est un
principe fondamental du droit d'auteur français qui a été
consacré par la loi du 9 avril 1910 et qui s'applique à
toutes les catégories d'oeuvres, et en particulier aux oeuvres des arts
graphiques et plastiques.
En vertu de ce principe, l'aliénation de l'original d'une oeuvre
protégée n'emporte aucune cession des droits d'exploitation de
cette oeuvre : l'acquéreur du manuscrit d'une oeuvre
littéraire ou musicale ne peut s'en faire l'éditeur, non plus que
le propriétaire d'un tableau, d'une sculpture ou d'une oeuvre
architecturale ne peut exercer le droit de reproduction détenu par
l'auteur, ni s'opposer à l'exercice de ce droit.
Il convient donc de s'assurer que les dispositions de l'article 4 ne
contreviennent pas à ce principe, et d'abord de s'interroger sur la
portée pratique du droit de distribution d'une oeuvre originale, et
surtout de l'épuisement communautaire de ce droit, qui n'a pas beaucoup
de sens puisqu'il s'agit d'un objet qui est par définition unique.
La solution la plus logique semblerait donc être que l'article 4 ne
mentionne pas les oeuvres originales.
A défaut, il faut en tout cas
qu'il soit clairement exclu que l'épuisement du droit de distribution
puisse avoir de conséquences sur l'exercice des autres droits
patrimoniaux et, bien entendu, qu'il puisse faire obstacle à l'exercice
du droit moral.
3. Le problème de la chronologie des médias
Comme la
Cour de Justice l'a admis, et comme la proposition de directive le confirme,
l'épuisement communautaire ne s'applique pas au droit de
représentation (ou de communication au public) d'une oeuvre, mais
seulement à la distribution de supports matériels.
Cependant, la mise sur le marché de supports peut porter atteinte aux
modes d'exploitation de l'oeuvre fondés sur le droit de
représentation.
C'est sur cette constatation que se fondent les dispositifs organisant, dans le
cas de l'exploitation des oeuvres cinématographiques,
l'échelonnement dans le temps, pour ne pas nuire à l'exploitation
en salle, des différents mode de diffusion de l'oeuvre (exploitation en
salle, diffusion télévisée, commercialisation et location
de vidéogrammes).
La Cour de justice a admis la compatibilité de cette " chronologie
des médias " avec les principes du Traité de Rome
11(
*
)
, et la directive 92/100 prévoit
que les droits de location et de prêt ne peuvent être
exercés de façon contraire à la chronologie des
médias telle que reconnue par la Cour de justice.
Dans le même esprit, l'article 7 de la directive
" Télévision sans frontières " modifiée
prévoit que
" les Etats membres veillent à ce que les
radiodiffuseurs qui relèvent de leur compétence ne diffusent
pas d'oeuvres cinématographiques en dehors des délais convenus
avec les ayants droit ",
afin d'éviter que la diffusion
télévisée interfère avec l'exploitation en salle.
En revanche, l'article 4 de la proposition de directive pourrait s'opposer
à ce que la chronologie des médias s'applique également
à la vente de vidéogrammes, puisqu'il interdira en principe aux
titulaires de droits de s'opposer à leur libre circulation dans le
marché intérieur dès lors qu'ils auront été
distribués dans un Etat membre. Peu importerait donc, par exemple, qu'un
film ne soit sorti en salle dans un autre Etat membre que plusieurs mois
après sa sortie en France : il ne serait pas possible de s'opposer
à la mise en vente simultanée de cassettes de ce film en France
et dans cet Etat membre.
Pour votre commission, il est donc indispensable qu'il soit
précisé, par exemple au niveau des considérants de la
directive, que l'application de l'article 4 de la proposition de directive ne
fera pas obstacle au respect de la chronologie des médias.