C. PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET SECRET DE L'INSTRUCTION
En 1995,
M. Pierre Truche, aujourd'hui premier président de la Cour de
cassation, s'exprimait en ces termes :
" Le temps de la justice
n'est pas celui des médias à un double titre : il n'est pas
pensable que la presse attende la phase publique d'un procès pour rendre
compte d'une affaire (...) en outre, quel média peut consacrer à
une affaire le temps de la justice ? "
2(
*
)
En 1994 et 1995, votre commission des Lois a consacré une grande part de
ses travaux à cette question, entendant nombre de
personnalités
3(
*
)
et
créant une mission d'information
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*
)
en son sein sur ce thème. La
mission d'information avait formulé un grand nombre de propositions
destinées à mieux concilier deux principes fondamentaux, celui de
la présomption d'innocence et celui de la liberté de
l'information.
Elle avait constaté que l'existence, dans notre droit, de multiples
dispositions destinées à assurer le respect de la
présomption d'innocence n'empêchait pas une médiatisation
très forte et parfois excessive de certaines affaires judiciaires, une
instruction parallèle, dégagée de toutes les règles
protectrices de l'individu imposées par la procédure
pénale, tendant à être conduite publiquement par la presse.
Elle avait pourtant rappelé que les dispositions législatives
existantes étaient pourtant loin d'être négligeables.
Ainsi, le code de procédure pénale prévoit-il
explicitement dans son article 11 que "
sauf dans le cas où
la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la
défense, la procédure au cours de l'enquête et de
l'instruction est secrète ".
L'
article
38 de la loi du 29 juillet 1881
punit
d'une amende de 25.000 F la publication d'actes d'accusation ou de tout
autre acte de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient
été lus en audience publique. La même peine est applicable
à la publication d'images reproduisant les circonstances d'un crime ou
d'un délit, sauf lorsque la publication est faite à la demande
écrite du juge d'instruction.
Les
articles 58 et 98 du code de procédure pénale
prévoient une sanction spécifique pour la divulgation, sans
l'autorisation de la personne mise en examen, de pièces provenant d'une
perquisition.
En ce qui concerne les mineurs, l'
article 14
de l'ordonnance du
2 février 1945
interdit la publication du compte rendu des
débats des tribunaux pour enfants ainsi que la publication de textes ou
illustrations concernant l'identité des mineurs délinquants.
Par ailleurs, le
code pénal
contient des dispositions
destinées à assurer au prévenu le droit à un
procès impartial. Il en est ainsi de l'article 434-16 qui incrimine
la publication, avant l'intervention de la décision juridictionnelle, de
commentaires tendant à exercer des pressions en vue d'influencer les
déclarations des témoins ou la décision des juridictions
d'instruction ou de jugement.
En ce qui concerne les voies de droit contre les atteintes à la
présomption d'innocence, le code civil permet tout d'abord la mise en
jeu de la responsabilité de la personne fautive.
En outre, l'
article 9-1 du code civil
permet à une personne
placée en garde à vue, mise en examen ou faisant l'objet d'une
citation à comparaître en justice, d'un réquisitoire du
procureur de la République ou d'une plainte avec constitution de partie
civile et présentée publiquement comme coupable de faits faisant
l'objet de l'enquête ou de l'instruction, de saisir le juge qui peut,
même en référé, ordonner l'insertion dans la
publication concernée d'un communiqué destiné à
faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence.
Les
articles 177-1 et 212-1 du code de procédure
pénale
permettent la publication, sur autorisation de la juridiction
d'instruction, d'une décision de non-lieu, afin de contrebalancer, a
posteriori, l'atteinte à la présomption d'innocence.
La
loi du 29 juillet 1881
contient plusieurs dispositions
permettant de remédier à une atteinte à la
présomption d'innocence :
- l'article 13 organise un droit de réponse au
bénéfice de toute personne nommée ou
désignée dans un journal ou écrit périodique ;
- l'article 32 sanctionne la diffamation commise envers un
particulier de 80.000 F d'amende et de six mois d'emprisonnement.
Enfin, en ce qui concerne plus spécifiquement l'audiovisuel, la loi du
29 juillet 1982 prévoit également la possibilité
d'obtenir ce droit de réponse, mais la demande doit être
formulée dans un délai de huit jours. A défaut de
diffusion du droit de réponse, l'intéressé peut saisir le
juge des référés qui peut ordonner la diffusion de la
réponse sous astreinte. Aucune sanction pénale n'est en revanche
prévue.
Le dispositif législatif est abondant. Il faut toutefois constater qu'il
n'est guère utilisé.