Projet de loi, relatif à la réduction négociée du temps de travail

SOUVET (Louis)

RAPPORT 30 (1999-2000) - Commission des Affaires sociales

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Table des matières




N° 30

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 octobre 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif à la réduction négociée du temps de travail ,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ.) : 1786 rect., 1826 et T.A. 366

Sénat
: 22 (1999-2000).


Travail.

LISTE DES TABLEAUX ET ENCADRÉS


PREMIÈRE PARTIE

 

Chronologie 35 heures

100

" Selon vous, quelle est parmi les raisons suivantes celle qui constitue le plus aujourd'hui un frein à l'embauche ? "


103

La mesure qui paraît la plus efficace pour réduire le chômage - Evolution 1996-1999 de la première réponse


104

" Pour lutter contre le chômage, le Gouvernement propose de ramener à 35 heures la durée hebdomadaire du travail. Vous, personnellement, pensez-vous qu'une telle mesure créera effectivement des emplois ? "



105

DEUXIÈME PARTIE

 

" Le pari des 35 heures est en bonne voie mais il n'est pas gagné "
(Gaëtan Gorce, rapport sur la mise en oeuvre des 35 heures)


109

Accords d'entreprise signés dans le cadre de la loi du 13 juin 1998
(données au 1 er septembre 1999)


112

Les différentes définitions de la durée du travail

113

Les salariés à 35 heures dans le champ de la loi de juin 1998

115

Les différents délais

115

L'évolution comparée de l'emploi dans les établissements ayant et n'ayant pas réduit la durée du travail


117

Les embauches prévues par catégorie socioprofessionnelle

119

Population active par groupe socioprofessionnel

119

Evolution des plans sociaux et des licenciements économiques

120

Les modalités du temps de travail dans les conventions, selon le secteur d'activité des entreprises


121

Taux de recours à la modulation par secteur
Accords de RTT signés entre juin 1998 et mars 1999


122

La réorganisation du travail

123

Le nouveau temps de travail des salariés à temps plein

124

La durée hebdomadaire maximale prévue par l'accord

125

Le Centre des jeunes dirigeants d'entreprises (CJD) estime que la loi Aubry II ne permet pas les conditions du succès de la réduction du temps de travail (RTT)



128

Le syndicat des indépendants considère que le projet de loi est inapplicable pour les toutes petites entreprises (TPE)


130

La Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) souhaite que le taux de rémunération des heures supplémentaires soit fixé à 10 % de manière pérenne .



131

TROISIÈME PARTIE

 

Les recommandations de l'OCDE pour l'emploi

139

Estimation du nombre d'emplois ayant bénéficié d'un effet d'aubaine

141

Perception du passage aux 35 heures

144

Réduction du temps de travail et création d'emplois

146

L'OFCE estime les effets possibles sur l'emploi du projet de loi entre 0 et 640.000 emplois


148

Taux de chômage standardisé

150

Durée " légale " du travail

152

Le temps de travail en Europe

153

Travailler moins ne sert pas l'emploi

153

Des résultats passables sur le front de l'emploi - Taux de chômage comparé entre la France et l'Europe des 15


154

Productivité comparée du travail

155

QUATRIÈME PARTIE

 

Détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail


158

Elections prud'homales du 10 décembre 1997 - Résultats (métropole) - Collège Salariés en % exprimés


159

Position par rapport au référendum tel qu'il est prévu par le projet de loi

165

Le mandatement prévu par les partenaires sociaux selon l'article 6
de la loi n° 96-985 du 12 novembre 1996


166

Le mandatement " AUBRY " selon paragraphe III de l'article 3
de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998


168

Les accords de réduction du temps de travail

169

Les accords avec mandatement par taille et secteur d'activité

170

CINQUIÈME PARTIE

 

Nature juridique et application de la convention collective

174

Nombre de salariés concernés par la réduction du temps de travail dans le cadre de la loi de Robien


177

L'accord du 28 juillet 1998 dans le secteur de la métallurgie

181

Principales réserves et exclusions prononcées lors de la procédure d'extension des accords et avenants


186

SIXIÈME PARTIE

 

Les effectifs de la fonction publique

193

Temps de travail hebdomadaire dans la fonction publique de l'Etat

198

Temps de travail hebdomadaire dans la fonction publique territoriale

199

SEPTIÈME PARTIE

 

Le SNAPEI considère que le projet de loi ne prend pas en compte la situation particulière des établissements spécialisés


205

Temps de travail hebdomadaire dans la fonction publique hospitalière

209

HUITIÈME PARTIE

 

Les entreprises de transport souhaitent obtenir des aménagements du projet de loi qui prennent en compte les spécificités de leur profession


222

Le temps de travail des cadres en Europe

228

M. Bernard Brunhes doute que la loi puisse être applicable par les entreprises dès le 1 er janvier 2000


231

M. Jean-Emmanuel Ray considère que la nouvelle loi pourrait être difficilement applicable par les entreprises dès le 1 er janvier 2000


233

Régime des heures supplémentaires

236

NEUVIÈME PARTIE

 

L'historique des allégements de charges sur les bas salaires (1993 - 1997)

238

La part des exonérations de cotisations dans le budget emploi

239

Exonérations de cotisations prises en charge par l'Etat, compensées au régime général


239

Les exonérations non compensées

240

Les propositions du Sénat en matière d'allégement de charges sociales

242

Les déclarations de Mme Nicole Péry au Sénat le 29 juin 1998
(Journal officiel des Débats, Sénat, séance du 29 juin 1998, p. 3565)


243

Les crédits destinés à la réduction du temps de travail

244

Loi Aubry - Coût d'un emploi créé

246

Nouveau barème d'exonérations applicable à un salarié à temps complet dans une entreprise à 35 heures (en remplacement de la ristourne dégressive actuelle)



248

Accès aux allégements de charges

249

Comparaison entre la " ristourne Juppé " et de la " ristourne Aubry "

250

La " ristourne Juppé " : coût salarial pris en charge

250

La " ristourne Aubry " : coût salarial pris en charge

251

Extrait du rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire de juin 1999, p. 47-48


253

Clef de répartition des " retours " pour les finances publiques

254

Le financement du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales en 2000


256

La taxation des heures supplémentaires : des évaluations différentes

257

Le financement " à terme "

258

Pertes de recettes en 2000 des administrations publiques

259

Impact sur les entreprises en 2000 des mesures prises dans le cadre de la RTT

261

Les prêts de l'Unedic

265

L'Etat et les régimes complémentaires d'assurance vieillesse

266

Nouveau plan de financement du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales en 2000


268

Le nouveau plan de financement " à terme "

269

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE MME MARTINE AUBRY, MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ

Le jeudi 21 octobre 1999, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a procédé à l'audition de Mme Martine Aubry , ministre de l'emploi et de la solidarité , sur le projet de loi n° 1786 (rectifié) (AN) relatif à la réduction négociée du temps de travail .

Dans son propos liminaire, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a souligné que l'objectif de la réduction du temps de travail était de favoriser l'emploi et que la démarche du Gouvernement était fondée sur le recours à la négociation collective. Elle a rappelé que la loi du 13 juin 1998 avait fixé un cap, l'abaissement de la durée légale de travail, en renvoyant aux partenaires sociaux le soin d'en négocier les modalités de son anticipation.

Evoquant le bilan de la loi du 13 juin 1998, elle a observé que 109 accords de branche, couvrant 8 millions de salariés, avaient été signés, 66 de ces accords ayant été étendus. Elle a considéré que, seuls, deux accords ne feraient pas l'objet d'une extension, l'accord de la métallurgie, l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) n'ayant pas demandé l'extension avant l'an 2000, et l'accord signé par le secteur " carrières et matériaux " qui comprenait des clauses illégales. Elle a déclaré que 16.500 accords d'entreprises avaient été signés concernant 2,3 millions de salariés.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a déclaré que ces accords avaient permis 130.000 engagements de créations ou de préservations d'emplois, 85 % représentant des embauches. Elle a estimé que ces engagements équivalaient à la baisse du chômage constatée en 1998. Elle a observé que ces engagements étaient encore à réaliser compte tenu des délais nécessaires aux embauches.

Mme Martine Aubry a souligné que 115.000 des 130.000 engagements de créations ou de préservations d'emplois correspondaient à des embauches qui n'auraient pas eu lieu en l'absence de mise en oeuvre de la réduction du temps de travail. Elle a considéré que le dispositif de suivi des accords avait permis d'établir que seuls 10 % des engagements concernaient des embauches qui auraient eu lieu en tout état de cause. Elle a déclaré que l'amélioration de l'emploi consécutive à la réduction du temps de travail devrait être de 100.000 emplois par an pendant les années de négociation.

Mme Martine Aubry a observé que les accords signés se plaçaient dans les hypothèses les plus favorables établies par les modèles économétriques en 1998, le financement de la compensation salariale étant assuré par des gains de productivité de 3 à 3,5 %, une modération salariale de 2 à 2,5 % et les aides de l'Etat.

Elle a observé que la souplesse permettait de répondre à la fois aux besoins des entreprises et à ceux des salariés. Elle a remarqué que plus de la moitié des accords de modulation comprenait une amplitude horaire comprise entre 30 et 39 heures. Elle a souligné que, seuls, 9 % des accords prévoyait une durée maximale du travail de 42 heures et plus. Elle a évoqué les progrès concernant les délais de prévenance et la meilleure prise en compte des souhaits des salariés concernant l'organisation du travail. Elle a cité l'exemple d'une entreprise de l'Est de la France, où les salariés avaient demandé à travailler 6 jours sur 7 afin de pouvoir disposer de temps libre l'après-midi, alors que dans une autre entreprise, proche d'Orléans, les salariés avaient demandé à regrouper le travail sur 4 jours afin de limiter les temps de transport.

Mme Martine Aubry a déclaré que 91 % des accords avaient été conclus par tous les syndicats présents dans l'entreprise signataire, et que deux tiers des salariés avaient pu choisir la forme de la réduction du temps de travail appliquée par leur entreprise.

Elle a observé que la négociation avait permis des avancées sur des sujets comme la réduction du temps de travail appliquée aux cadres. Elle a rappelé que le projet de loi prévoyait la distinction entre trois catégories de cadres, les dirigeants, les cadres travaillant en équipe et les cadres rémunérés sur la base d'un forfait de jours travaillés par an.

Mme Martine Aubry a estimé que le projet de loi s'inspirait largement des accords conclus par les partenaires sociaux. Elle a considéré que les accords de branche étaient tous pris en compte dans ce second texte à l'exception des clauses illégales comme le travail le dimanche, la formation prévue uniquement en dehors du temps de travail ou les forfaits horaires pour toutes les catégories de cadres. Elle a observé que la majeure partie des accords de modulation sur l'année prévoyait un plafond aux alentours de 1.600 heures par an.

Mme Martine Aubry a considéré que le projet de loi confortait la négociation collective à travers notamment un délai supplémentaire d'un an pendant lequel s'appliquerait un régime transitoire.

Elle a évoqué deux amendements adoptés à l'Assemblée nationale qui avaient prévu pour l'un que la mise en place d'un plan social devait être précédée d'une négociation sur la réduction du temps de travail et, pour l'autre, un dispositif particulier permettant aux entreprises de moins de 20 salariés qui négocieraient la réduction du temps de travail par étape, avant l'an 2000, de bénéficier d'allégements de cotisations de sécurité sociale.

Après avoir souligné que l'objectif de l'emploi restait essentiel, Mme Martine Aubry a déclaré que le projet de loi n'était pas dirigé contre les entreprises. Elle a rappelé qu'il associait une baisse des charges à un engagement d'embauche et a précisé que le Gouvernement réaliserait chaque année un bilan des emplois créés du fait de la baisse des charges après avis de la commission nationale de la négociation collective.

Mme Martine Aubry a considéré que le projet de loi se bornait à fixer un calendrier pour la réduction du temps de travail et les garanties dont pourraient bénéficier les salariés. Elle a évoqué les dispositions relatives au nouveau régime du travail à temps partiel qui permettaient, dans certains cas, au salarié de refuser une modification de ses horaires de travail.

Elle a indiqué que les salariés payés au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) bénéficieraient d'une garantie mensuelle de leur rémunération dans le cadre de la réduction du temps de travail, de même que les salariés nouvellement embauchés. Elle a rappelé qu'un amendement adopté par l'Assemblée nationale avait prévu que les entreprises créées postérieurement à la loi pourraient bénéficier des aides incitatives à la réduction du temps de travail, si elles respectaient le principe de la garantie de la rémunération mensuelle des salariés payés au SMIC.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a observé que la durée maximale du travail sur douze semaines avait été ramenée à 44 heures hebdomadaires et qu'un régime transitoire avait été établi concernant la rémunération des heures supplémentaires qui permettrait aux entreprises de limiter le surcoût des quatre premières heures du travail à 10 % au lieu de 25 %. Elle a rappelé que ces 10 % seraient versés au salarié dans le cas où l'entreprise aurait signé un accord de réduction du temps de travail ou au fonds de financement des allégements de charges dans le cas contraire.

Elle a considéré que le projet de loi se limitait à fixer les clauses d'un ordre public social en évoquant, par exemple, le principe adopté à l'Assemblée nationale d'un repos continu hebdomadaire de 35 heures, composé du repos hebdomadaire de 24 heures et du repos quotidien de 11 heures prévu par une directive européenne.

Elle a souligné que la simplification des dispositifs de modulation avait été accompagnée de la fixation d'un délai de prévenance de 7 jours en cas de modification des horaires. Elle a observé que le projet de loi avait accepté le principe qu'une partie de la formation pourrait être réalisée en dehors du temps de travail pour autant qu'elle correspond à un projet personnel ou à une démarche du salarié.

Mme Martine Aubry a estimé que la réforme des cotisations sociales, organisée par l'article 12 du projet de loi, poursuivait deux objectifs : un abaissement structurel du coût du travail de 5 % à destination notamment de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises (PME) et une compensation du coût de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail.

Elle a estimé qu'il n'était pas possible de chiffrer les créations d'emplois auxquelles devraient procéder les entreprises en échange des allégements de cotisations sociales. Citant l'exemple d'un côté de la téléphonie ou de la pharmacie et de l'autre celui de l'habillement, elle a souligné l'hétérogénéité des situations des différents secteurs d'activités au regard de leur capacité à créer des emplois.

Elle a déclaré qu'elle avait souhaité privilégier la négociation pour définir le niveau de création d'emplois correspondant à chaque catégorie d'entreprises. A cet égard, elle a justifié le recours à un accord majoritaire qui constituait une garantie concernant la prise en compte de l'objectif de création d'emploi au cours de la négociation.

Mme Martine Aubry a estimé à terme le coût global du dispositif financier à 105 milliards de francs, dont 65 milliards de francs consacrés à la baisse des charges sous la forme d'une réforme de la ristourne dégressive et 40 milliards de francs à l'aide structurelle à la réduction du temps de travail. Elle a considéré que les 40 milliards de francs équivalaient à un abattement de charges sociales de 4.500 francs par salarié pour chaque entreprise ayant signé un accord de réduction du temps de travail. Elle a observé que le coût d'un emploi lié à la réduction du temps de travail, dans le cadre de la deuxième loi, serait de 55.000 francs annuels, soit un coût bien inférieur à tous les autres dispositifs.

Mme Martine Aubry a déclaré que les modalités de financement de la baisse de charges différeraient de celles de l'aide structurelle à la réduction du temps de travail. Elle a considéré que les 25 milliards de francs d'allégements de charges supplémentaires seraient financés pour moitié par une contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB), et pour moitié par la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Concernant les 40 milliards de francs restants, elle a rappelé que le Gouvernement avait envisagé une contribution de l'Etat, de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) et des régimes de la sécurité sociale à la hauteur des " retours " dont chacun d'entre eux pourrait bénéficier du fait de la réduction du chômage. Pour 2000, la contribution de l'UNEDIC était estimée entre 7 et 7,5 milliards de francs contre 5,6 milliards de francs pour les organismes de sécurité sociale et 4,3 milliards de francs pour le budget de l'Etat, soit 17,5 milliards de francs en tout.

M. Louis Souvet, rapporteur, s'est interrogé sur la conformité des accords signés au regard des dispositions adoptées dans le cadre du second projet de loi et sur le dispositif du financement du projet de loi compte tenu du désaccord existant entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que le Sénat avait examiné, le 29 juin 1998, la proposition de loi " Poncelet " tendant à alléger les charges sur les bas salaires et qu'à cette occasion, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle, avait déclaré que le Gouvernement n'avait pas fait de la poursuite des allégements de charges une priorité pour trois raisons : le niveau des charges patronales ne lui semblait pas un obstacle majeur à l'emploi, l'efficacité des allégements de charges lui semblait relative et le financement d'une telle mesure lui semblait difficile.

Il a observé que le Gouvernement prévoyait aujourd'hui 25 milliards de francs d'allégement de charges supplémentaires qui s'ajoutaient aux 40 milliards de francs de la ristourne Juppé. Il a demandé à Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, comment elle expliquait l'évolution de la position du Gouvernement depuis un an.

M. Louis Souvet, rapporteur, a par ailleurs déclaré que les établissements du secteur sanitaire, social et médico-social considéraient que le délai d'agrément des accords d'établissements ayant été porté à 6 mois, le conventionnement nécessitant 1 à 2 mois et la mise en oeuvre de l'accord 2 à 3 mois supplémentaires, ils ne pourraient bénéficier des aides, ni mettre en place le dispositif de réduction du temps de travail entre le 1 er janvier et le 1 er juin 2000, alors même que des accords avaient été signés.

M. Louis Souvet, rapporteur , s'est interrogé sur la situation de ces établissements dans cet intervalle de 6 mois ; il a souhaité savoir si le Gouvernement envisageait des dispositions pour neutraliser la contrainte juridique supplémentaire que rencontraient les établissements du secteur sanitaire, social et médico-social compte tenu de la procédure d'agrément. Il a demandé si un report, au 1er juillet 2000, de l'application des 35 heures à ces établissements était envisageable.

M. Charles Descours, après avoir indiqué qu'il avait cru comprendre que l'UNEDIC pourrait ne pas avoir à verser la contribution évoquée de 5 à 7 milliards de francs pour 2000 a souhaité savoir où en était dans ces conditions le financement du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

M. Charles Descours s'est interrogé sur les conséquences politiques et sociales d'une contribution du régime général évaluée à 5,5 milliards de francs, observant que cette contribution était censée faire l'objet d'une négociation et était simultanément chiffrée sous la forme d'une " provision " inscrite dans les comptes pour 2000 par la commission des comptes de la sécurité sociale, dont le montant avait été confirmé par les déclarations du Gouvernement à l'Assemblée nationale. Il a souhaité connaître les modalités de la consultation de la commission des comptes de la sécurité sociale prévue à l'article 11, paragraphe XVI du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail pour définir les règles de calcul du montant et de l'évolution de la contribution des régimes sociaux. Il s'est interrogé sur la position du Conseil d'Etat quant au mode de fixation de cette contribution. Il a demandé, en outre, quels étaient les régimes de protection sociale concernés.

En réponse à M. Louis Souvet, rapporteur, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a déclaré que les accords signés étaient directement applicables avant d'observer que les heures travaillées au-delà du plafond de 1.600 heures prévu dans le cadre des accords de modulation entreraient simplement dans le régime des heures supplémentaires.

Mme Martine Aubry a déclaré que le Gouvernement s'était opposé aux propositions de loi déposées par MM. Jacques Barrot à l'Assemblée nationale et Christian Poncelet au Sénat parce qu'elles n'étaient pas financées, sinon par les salariés et les ménages, qu'en revanche, ses propres déclarations depuis 1993 étaient claires quant à la baisse des charges sur les bas salaires.

Evoquant la question relative à la situation des établissements du secteur sanitaire, social et médico-social, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a reconnu que face au problème posé, un décret publié en juin 1999 avait prévu un délai de trois mois après l'agrément des accords pendant lequel les établissements, qui procèdent à l'application directe de l'accord, pourront bénéficier de l'aide incitative au barème du premier semestre 1999.

En réponse à M. Charles Descours, elle a noté que l'Etat avait versé 35 milliards de francs à l'UNEDIC depuis 1993, alors même que la situation financière de ce régime s'était redressée dès 1994. Elle a expliqué que l'Etat respecterait en tout état de cause l'engagement pris par les précédents gouvernements de rembourser le prêt de 10 milliards de francs contracté en 1993 par l'UNEDIC. Elle a reconnu que la contribution demandée à l'UNEDIC, dans le cadre du financement de la réduction du temps de travail, était contestée. Elle a rappelé que le Gouvernement s'était, dès le 7 septembre devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, déclaré prêt à trouver une solution négociée. Elle a indiqué qu'il était nécessaire que l'Etat et l'UNEDIC trouvent un accord réglant l'ensemble des contentieux existants. Elle a mentionné à cet égard le contentieux relatif à la prise en charge des cotisations des contrats emplois-solidarité, des emplois-jeunes et la prise en charge par l'UNEDIC des cotisations retraite de base des chômeurs et a estimé que le travail avait avancé et que l'UNEDIC et le Gouvernement étaient d'accord sur l'état des problèmes et sur les chiffres.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a déclaré que le financement des 35 heures était, de toute façon, assuré pour 2000, grâce à la taxation des heures supplémentaires dont il était jusque-là prévu qu'elle serait affectée à la réserve de trésorerie du fonds de financement. Elle a indiqué qu'elle présenterait une solution à l'Assemblée nationale le mardi 26 octobre. Elle a précisé qu'elle comprenait la demande de rigueur dans les finances publiques, mais que ni la ristourne bas salaires, ni la loi famille du 25 juillet 1994 n'avaient été financées par le précédent Gouvernement.

Concernant la provision de 5,6 milliards de francs inscrite dans les comptes du régime général pour 2000, elle a indiqué que la commission des comptes de la sécurité sociale était bien consultée sur l'affectation des excédents de la sécurité sociale, et avait clairement fait apparaître un excédent prévisionnel de 7,5 milliards de francs ramené à 2 milliards de francs par l'inscription d'une provision de 5,6 milliards de francs destinée au financement des 35 heures. Elle a confirmé que la commission des comptes serait à nouveau consultée pour l'examen du décret en Conseil d'Etat prévu à l'article 11 paragraphe XVI.

Elle a par ailleurs confirmé que le Conseil d'Etat, dans son avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, n'avait émis aucune objection de principe à l'égard d'une contribution des organismes de protection sociale au financement des 35 heures. Il avait seulement observé qu'une telle contribution, dès lors qu'elle ne résultait pas d'un accord avec les intéressés, était un impôt dont le Parlement devait fixer l'assiette et le taux.

Elle a indiqué que la contribution demandée aux organismes de protection sociale concernait les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, mais qu'il existait un problème, en raison des dettes anciennes de l'Etat vis-à-vis de ces deux régimes (prise en compte des cotisations FNE).

M. Jean Chérioux a remarqué que l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la prise en compte des heures de surveillance dans la définition du travail effectif avait posé un problème aux associations du secteur sanitaire, social et médico-social que l'amendement voté par l'Assemblée nationale ne suffisait pas à régler, notamment au regard de l'apurement du passé.

Il a estimé que l'ensemble des procédures pourrait coûter 7 milliards de francs aux associations, ce qui représentait 30 % de leur budget annuel. Il a considéré qu'une solution pourrait consister à valider les conventions collectives non étendues, ce qui permettrait d'éviter le développement prévisible d'un fort contentieux.

M. Alain Gournac a observé que plusieurs branches professionnelles, dont les représentants de commerce et le secteur du nettoyage, étaient toujours inquiètes quant à la légalité de leur accord au regard du projet de loi.

Il a souhaité savoir quels seraient les délais et les modalités de mise en oeuvre du système d'assurance chômage subsidiaire, prévu par l'article L. 351-22 du code du travail, dans l'hypothèse où la convention entre l'UNEDIC et les partenaires sociaux ne serait pas renouvelée.

M. André Jourdain a fait part de l'inquiétude du secteur de l'artisanat sur la compatibilité de l'accord de branche avec le projet de loi. Il s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles le projet de loi ne prévoyait aucune disposition relative au multisalariat.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a considéré que le projet de loi s'inscrivait dans le prolongement de la loi du 13 juin 1998, et qu'il répondait bien aux attentes tant en termes de lutte contre le chômage que de projet de société. Elle a remarqué qu'il apportait des solutions au problème des cadres, du double SMIC, du délai de prévenance et du temps partiel choisi. Néanmoins, elle a souhaité que la question de la formation fasse l'objet d'un réexamen complet et que la question du travail précaire soit mieux prise en compte.

M. Guy Fischer a constaté que cette deuxième loi répondait à une demande de l'ensemble du corps social. Il a déclaré que son groupe proposerait d'enrichir le texte, notamment sur les questions relatives aux heures supplémentaires, aux cadres, au SMIC et au licenciement individuel du fait de la mise en oeuvre d'un accord de réduction du temps de travail. Il s'est interrogé sur les perspectives de réduction du temps de travail dans la fonction publique.

M. Serge Franchis , après avoir déclaré, à titre personnel, qu'il avait toujours été favorable au partage du temps de travail, a regretté que la question des travaux pénibles n'ait pas été prise en compte par le projet de loi. Il s'est étonné que la taxe générale sur les activités polluantes soit amenée à financer les allégements de charges, alors qu'il existait des besoins immenses dans le domaine de l'environnement. Il a souligné les problèmes que posait la nouvelle définition du travail effectif, notamment au regard de la question du temps d'habillage pour les entreprises d'abattage.

M. Jean Delaneau, président, a estimé qu'il existait une contradiction entre le souhait affiché par le Gouvernement de réserver une place importante à la négociation collective et l'article premier du projet de loi, qui prévoyait le principe d'un abaissement autoritaire de la durée légale du travail. Il a considéré que le texte, tel qu'il avait été amendé par l'Assemblée nationale, réduisait encore le champ d'intervention des partenaires sociaux. Il s'est interrogé sur le contenu du paritarisme, compte tenu, notamment, des dispositions envisagées relatives au financement des 35 heures.

En réponse aux différents intervenants, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a estimé qu'il faudrait effectivement trouver une solution qui permette de préserver la situation financière des associations du secteur sanitaire, social et médico-social. Elle a toutefois remarqué que la validation rétroactive des accords signés ne devait pas remettre en cause des situations qui correspondaient à un temps de travail effectif.

Elle a considéré que l'ensemble des accords de branche était applicable, notamment ceux des secteurs des transports, du nettoyage et de l'artisanat.

Mme Martine Aubry a déclaré qu'elle ne souhaitait pas que la convention entre l'Etat et les partenaires sociaux sur l'UNEDIC soit remise en cause, mais que, le cas échéant, le Gouvernement pourrait proroger par décret le système d'indemnisation du chômage.

Elle s'est déclarée favorable au multisalariat en soulignant néanmoins que sa mise en oeuvre posait des difficultés relatives notamment au régime des cotisations sociales et au principe de la déclaration par le salarié de ses activités à tout employeur.

Mme Martine Aubry a observé que le Gouvernement avait travaillé avec l'UPA afin de définir les dispositions propres à adapter la loi aux besoins des PME. Elle a fait part d'un souci commun de modernisation des conditions de travail dans le secteur de l'artisanat qui permette de résorber la pénurie de vocation constatée aujourd'hui, notamment dans les métiers de bouche et d'hôtellerie.

Mme Martine Aubry a estimé qu'il était temps de revoir la loi de 1971 en réorientant les fonds vers la formation et la préparation des salariés à l'avenir.

Elle a rappelé que le Premier ministre avait annoncé, le 27 septembre dernier, un projet de loi destiné à lutter contre la précarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a déclaré que, dans la fonction publique hospitalière, la nécessité de réduire le temps de travail devrait probablement s'accompagner de créations d'emplois.

Evoquant la question des travaux pénibles, elle a observé qu'un amendement adopté à l'Assemblée nationale avait traité la question du travail en cycle continu.

Mme Martine Aubry a considéré que la modification de la définition du travail effectif prenait en compte l'évolution de la jurisprudence. Elle a observé que les problèmes que pouvaient rencontrer les secteurs de l'agro-alimentaire et du commerce de viande étaient sans doute dus au fait qu'ils n'avaient pas pris en compte l'évolution de la jurisprudence sur cette question.

En réponse à M. Jean Delaneau, président, Mme Martine Aubry a déclaré qu'elle aurait, elle aussi, préféré ne pas avoir à recourir à la loi pour favoriser la réduction du temps de travail, mais que l'intervention législative trouvait sa raison d'être dans les faibles résultats de l'accord interprofessionnel de 1995 et de la loi du 11 juin 1996. Elle a observé que la loi se limitait à définir les clauses d'ordre public social relatives à la durée légale, à la durée maximale du travail et à la définition des modulations. Elle a considéré que le projet de loi avait cherché à conserver un équilibre entre les garanties apportées par la loi aux salariés et les modalités d'application de la réduction du temps de travail renvoyées à la négociation collective.

II. AUDITIONS DU MERCREDI 29 SEPTEMBRE 1999

A. AUDITION DE M. ADRIEN BEDOSSA, VICE-PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE DES PROFESSIONS LIBÉRALES (UNAPL)

Réunie le mercredi 29 septembre 1999, sous la présidence de M. Jacques Bimbenet, vice-président , puis de M. Jean Delaneau, président , la commission a engagé son programme d'auditions sur le projet de loi n° 1786 (rectifié) (AN) relatif à la réduction négociée du temps de travail .

M. Jacques Bimbenet, vice-président a rappelé que M. Louis Souvet, rapporteur de la loi du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, avait présenté le 30 juin dernier à la commission un premier bilan d'application de cette loi ; qu'à l'issue de cette communication, la commission avait pressenti M. Louis Souvet pour rapporter le second projet de loi qui a été adopté en conseil des ministres le 28 juillet 1999, afin qu'il puisse commencer ses travaux dès la mi-septembre.

M Jacques Bimbenet, vice-président , a indiqué que naturellement cette nomination serait confirmée lorsque le texte du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, serait transmis au Sénat, probablement le 19 octobre.

La commission a tout d'abord entendu M. Adrien Bedossa, vice-président de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL).

Dans son propos liminaire, M. Adrien Bedossa a rappelé que l'UNAPL comprenait 296.000 adhérents employant 1,5 million de salariés. Il a souligné que 50 % de ces entreprises comprenaient moins de dix salariés et 80 % moins de vingt salariés. Dans ces conditions, et compte tenu du délai supplémentaire accordé aux entreprises de moins de vingt salariés pour mettre en place la réduction du temps de travail, il a expliqué que les entreprises du secteur libéral avaient temporisé, sans refuser a priori de discuter de la réduction du temps de travail dans une perspective d'accroissement de la flexibilité.

M. Adrien Bedossa a déclaré que l'UNAPL avait souhaité quatre mesures incitatives qui permettraient aux professions libérales de créer davantage d'emplois.

Il lui a semblé tout d'abord que des dispositions particulières relatives aux groupements d'employeurs devaient être adoptées. Il a cité, à ce propos, une expérience dans le Languedoc faisant apparaître la possibilité de créer 22 emplois équivalents temps plein.

De même, il a souhaité que soit créé un " chèque premier emploi " considérant qu'il faciliterait les embauches.

Ensuite, il a estimé qu'il convenait que le statut de collaborateurs libéraux ne fasse plus l'objet, de la part des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), d'une requalification en contrat de salariés, comme c'est le cas actuellement, avec pour conséquence de freiner le mouvement des recrutements.

Enfin, il a estimé que la question de la qualification des personnels était cruciale pour les petites entreprises du secteur libéral, et qu'il était par conséquent nécessaire de consacrer la 36 e heure hebdomadaire à la formation continue. Cette heure, payée par l'entreprise, pourrait ainsi être comptabilisée de manière à constituer un capital formation, majoré par l'entreprise, afin de permettre aux salariés de disposer, par exemple, d'un droit à la formation de six mois tous les dix ans.

M. Adrien Bedossa a observé que ces revendications n'avaient pas été reprises dans le projet de loi et, qu'en conséquence, les entreprises du secteur restaient très attentistes voire réticentes à s'engager dans un processus d'anticipation de la réduction du temps de travail. Il a rappelé que depuis vingt ans, le secteur des professions libérales avait créé des emplois à un rythme de 3 à 3,4 % par an, sans attendre la loi du 13 juin 1998.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur , qui lui demandait si le projet de loi avait repris les dispositions des accords de branche signés par les employeurs du secteur libéral, M. Adrien Bedossa a déclaré que cela n'avait pas été le cas, notamment pour les dispositions spécifiques relatives à la formation continue.

Concernant le bilan du mandatement dans le cadre de la loi Aubry, M. Adrien Bedossa a répondu à M. Louis Souvet, rapporteur, que cette disposition n'était pas sans rappeler le délégué de site que voulaient créer les lois Auroux. Il a observé que le recours à un salarié mandaté extérieur à l'entreprise se heurtait à des réticences de la part des employeurs et du personnel.

M. Louis Souvet, rapporteur, l'ayant interrogé sur les dispositions prévoyant qu'un accord doit être signé par un ou plusieurs syndicats majoritaires dans l'entreprise, M. Adrien Bedossa a déclaré que ces accords n'avaient aucun sens dans une entreprise ne comportant que quelques salariés. Il a rappelé que la négociation collective répondait à des règles particulières dans ces petites entreprises, comme le dialogue direct et l'absence de formalisme.

En réponse à M. Louis Souvet, rapporteur, qui s'interrogeait sur l'éventuelle contradiction du projet de loi avec la directive européenne relative au travail à temps partiel, M. Adrien Bedossa a estimé que la nouvelle définition du travail à temps partiel était effectivement contradictoire avec le principe des 35 heures payées 39.

Il a ajouté que le pacte européen pour l'emploi privilégiait l'échange d'expériences et l'employabilité, deux concepts qui lui semblaient être étrangers à la démarche du Gouvernement.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a souhaité savoir combien de salariés étaient couverts par un accord sur la réduction du temps de travail dans le secteur des professions libérales. Elle a souhaité connaître la position de l'UNAPL sur les allégements de charges.

M. André Jourdain a observé que le projet de loi ne comportait aucune disposition relative au développement des groupements d'employeurs et au travail à temps partagé contrairement à ce que laissaient entendre les déclarations du Gouvernement.

M. Jacques Machet a souligné que le coût financier du projet de loi était estimé entre 80 et 100 milliards de francs et que les partenaires sociaux s'opposaient au principe d'une contribution à ce financement.

En réponse aux différentes questions des intervenants, M. Adrien Bedossa a déclaré que deux branches signataires d'accords sur la réduction du temps de travail, celle des experts comptables et celle des agents d'assurance, comprenaient respectivement 40.000 et 30.000 salariés. Il a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'accord d'entreprise en expliquant ce phénomène par le lien très fort qui unissait les entreprises et la branche dans ce secteur.

Il a confirmé que les entreprises du secteur des professions libérales attendraient le plus possible avant de mettre en oeuvre la réduction du temps de travail.

M. Louis Souvet, rapporteur, a observé que l'expérience des accords signés et non repris dans le projet de loi invitait effectivement ces entreprises à adopter un comportement attentiste.

Evoquant les allégements de charges, M. Adrien Bedossa a fait part de son inquiétude que les entreprises de ce secteur soient exclues du bénéfice de ces aides.

Il a constaté qu'il y avait une très forte demande en faveur de dispositions particulières aux groupements d'employeurs, remarquant que nombre d'entreprises souhaitaient partager une secrétaire ou un informaticien.

En conclusion, M. Adrien Bedossa a déclaré qu'il ne comprenait pas pourquoi le volet emploi avait été abandonné dans le second texte relatif à la réduction du temps de travail.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Guy Fischer ont déclaré partager ce sentiment d'incompréhension.

B. AUDITION DE M. MICHEL COQUILLON, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS (CFTC)

Ensuite, la commission a entendu M. Michel Coquillion , secrétaire général adjoint de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).

Dans son propos liminaire, M. Michel Coquillion a rappelé le regret de la CFTC que l'accord du 31 octobre 1995 sur l'aménagement du temps de travail pour l'emploi n'ait pas débouché sur une vraie démarche dans les branches et les entreprises en faveur de l'emploi. Il a constaté que c'est cet échec qui avait ouvert la voie à une démarche législative. Il a observé que la négociation sur les 35 heures était un exercice très difficile eu égard à son caractère transversal qui remet en cause des domaines aussi différents que la rémunération, l'organisation de l'entreprise, la formation ainsi que le régime des cadres.

Il a estimé que le succès de cette négociation reposait sur l'existence d'une volonté commune d'aboutir. Il a souligné que le contexte social était défavorable aux salariés pour trois raisons : les entreprises souhaitent que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail soit réalisée à coût constant, les salariés, faiblement syndiqués et mobilisés, n'opposent pas de résistance déterminée aux revendications des employeurs, et la démarche juridique, qui laisse place à une négociation suivie d'une loi, a joué comme un " piège " obligeant le législateur soit à remettre en cause les accords signés soit à légaliser des déréglementations importantes.

M. Michel Coquillion a estimé que le défi majeur du second texte relatif à la réduction du temps de travail consistait à sortir de cette impasse juridique. Il a déclaré que la CFTC demandait la négociation d'un accord interprofessionnel validé par la loi sur tous les sujets qui, dans les accords de branche, pouvaient apparaître comme dérogatoires ou illicites. Il a considéré que cette négociation ne devait pas être renvoyée aux entreprises ou aux établissements sauf à rendre supplétives la loi, la négociation interprofessionnelle et la négociation de branche, ce à quoi la CFTC s'était opposée lors de la négociation du 31 octobre 1995.

M. Michel Coquillion a déclaré que le projet de loi proposé devait être fortement amélioré pour répondre aux exigences de la CFTC, notamment en matière d'emploi et de conciliation des temps de vie.

Il a estimé que ce projet de loi ne remettait pas en cause les accords négociées dans les branches ou les entreprises, si ce n'était sur des dispositions non conformes au code du travail renvoyées à la négociation. Il a néanmoins regretté que des dispositions résultant d'un accord national interprofessionnel ou couvertes par la loi ou la jurisprudence aient été renvoyées à la négociation de branche ou d'entreprise.

M. Michel Coquillion a considéré que la CFTC avait eu gain de cause sur un certain nombre de dispositions du projet de loi, il a cité l'exclusion des jours fériés dans la comptabilisation des jours faisant l'objet d'une réduction du temps de travail, la réduction du contingent d'heures supplémentaires pour les entreprises qui ont recours à la modulation, le maintien du salaire pour les salariés au SMIC, l'amélioration du compte épargne temps et la reconduction du mandatement.

M. Michel Coquillion a estimé toutefois que le projet de loi présentait encore de graves lacunes sur des problèmes comme le temps de travail réel et les moyens de le contrôler, le maintien des salaires réels, la nature des embauches et l'accès aux négociations des 35 heures.

Il a observé que plusieurs points méritaient d'être précisés tels que le forfait cadre, la modulation unique, les contreparties des aides versées aux entreprises, le temps partiel et la nécessité d'un accord " majoritaire " pour bénéficier des allégements de charge.

En définitive, M. Michel Coquillion a considéré que ce projet de loi présentait des lacunes et des risques graves pour les employés concernés. Il a remarqué qu'une absence de contrôle de la durée du travail pourrait amener de nombreux salariés qui travaillaient 45, 50 ou plus de 60 heures actuellement payées 39 heures à faire à l'avenir le même nombre d'heures payées 35 heures.

Il s'est inquiété de ce que le texte légalise la dérive du temps de travail des cadres et que l'insuffisant encadrement de la modulation puisse ouvrir la porte à une précarisation totale de l'horaire de travail.

Il a constaté que le risque était grand que ce texte donne lieu à une baisse importante des revenus des salariés, une dégradation de leurs conditions de vie par la généralisation de l'annualisation, du travail du samedi et du dimanche, ainsi que par la légalisation de la dérive du forfait cadre, ceci alors même que les créations d'emplois pourraient être très faibles.

M. Michel Coquillion a estimé que faute d'une révision en profondeur du texte proposé, les effets attendus sur l'emploi ainsi que les conditions de vie des nombreux salariés pourraient été sacrifiés à l'idéologie.

Revenant sur les articles du projet de loi, il a estimé que la définition du temps de travail devait être mieux encadrée de manière à tenir compte des déplacements professionnels, des pauses et des astreintes.

Il a considéré, à propos de l'article 5, qu'il conviendrait de préciser les différentes catégories de cadres et de décompter précisément les heures supplémentaires dans le forfait.

Evoquant le compte épargne temps, il a déclaré qu'il devait être alimenté et vidé rapidement à travers par exemple le financement de formations. Il a souligné que la CFTC n'était pas hostile au coïnvestissement sous réserve qu'il respecte le principe du volontariat.

Il a insisté sur la nécessité d'un engagement en termes de création d'emplois de la part des entreprises qui recevront des aides financières.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur , sur la compatibilité du projet de loi avec la directive européenne sur le temps partiel, M. Michel Coquillion a reconnu que le risque que des entreprises essaient d'embaucher des salariés à 34 heures payées 34 heures était réel, de même que le risque de contentieux pour ceux qui étaient déjà rémunérés sur la base de 35 heures.

Evoquant le mandatement et le référendum, M. Michel Coquillion a déclaré que le choix du référendum pour valider des accords constituait une erreur majeure de nature à remettre en cause l'existence même des syndicats minoritaires. Il a souligné que le dialogue social ne reposait pas sur la démocratie élective mais sur une présomption de représentativité.

Il a estimé que ce débat sur la représentativité syndicale n'avait pas sa place dans un texte relatif à la réduction du temps de travail.

M. André Jourdain, après avoir remarqué que les artisans ne trouvaient pas toujours les salariés qualifiés qu'ils recherchaient, a observé que le projet de loi ne définissait pas rigoureusement les délais de prévenance dans le cadre des changements d'horaires, ce qui pourrait avoir des conséquences dommageables pour les multisalariés.

M. Alain Gournac a souhaité connaître l'attitude qu'adopterait la CFTC si aucune modification n'était apportée au projet de loi.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est demandé si le projet de loi répondait bien aux contraintes du dialogue social dans les PME. Elle a désiré connaître la position de la CFTC sur la possibilité, pour pallier les difficultés constatées à trouver des " négociateurs ", de se référer à une " logique de territoire ".

M. Guy Fischer a demandé à M. Coquillion si cette loi marquait un pas supplémentaire vers la déréglementation.

En réponse aux différents intervenants, M. Michel Coquillion a déclaré que l'adaptation de l'offre à la demande du travail illustrait un problème relatif aux formations. Il a estimé que plus de jeunes devraient s'orienter vers les métiers de l'artisanat.

Il a souligné que la CFTC était favorable au multisalariat, citant l'exemple du directeur des ressources humaines (DRH) que plusieurs PME pouvaient partager entre elles.

Il a confirmé que la CFTC se plaçait dans une optique de modification du projet de loi sans préciser quelle serait l'attitude de ce syndicat si ce texte n'était pas sensiblement modifié à l'issue du débat parlementaire.

Il a estimé que le concept de délégué de bassin d'emploi n'était pas très éloigné de celui de salarié mandaté.

Il a confirmé que le projet de loi légalisait certaines dispositions relatives à la flexibilité contenues dans les accords signés en réaffirmant que c'était là la conséquence de l'attitude des employeurs qui n'avaient pas souhaité venir sur le terrain de l'emploi.

C. AUDITION DE M. ARNOLD BRUM, CHEF DU SERVICE DES AFFAIRES SOCIALES DE LA FÉDÉRATION NATINALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES (FNSEA)

Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Arnold Brum , chef du service des affaires sociales de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).

Répondant aux questions de M. Louis Souvet, rapporteur , M. Arnold Brum a souhaité faire part des observations de la FNSEA sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

Il a déclaré que la notion de " durée collective de travail " évoquée aux articles 2, 11 et 12 du projet de loi n'était définie par aucun texte législatif et que la notion voisine d'horaire collectif n'était pas applicable à l'agriculture. Dans ces conditions, il s'est interrogé sur le fait de savoir si la décision de l'employeur de faire exécuter des heures supplémentaires constituait ou non une modification de l'horaire collectif.

Dans l'hypothèse où la réalisation des heures supplémentaires devait être considérée comme une modification d'horaire, il a observé que l'entreprise ne se trouverait plus dans la situation où la durée collective de travail est inférieure ou égale à la durée légale ; les quatre premières heures supplémentaires donneraient lieu alors à une bonification réduite de 15 % et à une contribution de 10 %. A l'inverse, a-t-il a souligné, si les heures supplémentaires n'étaient pas considérées comme une modification d'horaire, la bonification serait systématiquement de 25 %.

M. Arnold Brum a souligné que la FNSEA dénonçait, en tout état de cause, la création d'une contribution qui avait pour effet de priver le salarié de la juste rémunération de son travail.

Evoquant les articles 3, 4 et 11 prévoyant que la durée annuelle du travail ne pouvait dépasser 1.600 heures, M. Arnold Brum a observé que ce seuil ne tenait pas compte de trois faits : tous les jours fériés ne sont pas chômés, tous les salariés n'ont pas droit à cinq semaines de congés payés et tous les salariés qui ont droit à cinq semaines de congés ne les prennent pas forcément tous les ans. Il en a conclu que la règle de 1.600 heures pouvait donc conduire à qualifier d'heures supplémentaires les heures effectuées par un salarié qui n'aurait jamais travaillé plus de 35 heures par semaine en moyenne.

Il a estimé que la référence à 1.600 heures par an devait être supprimée, la notion de 35 heures en moyenne par semaine travaillée lui apparaissant comme suffisante.

Evoquant le titre du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, il a constaté que c'était en réalité la réduction des charges patronales qui faisait l'objet d'une négociation et non la réduction de la durée du travail puisque l'accord des syndicats était indispensable pour obtenir les allégements de charges, même si la durée légale de 35 heures était respectée par l'entreprise.

M. Arnold Brum s'est interrogé sur le recours au référendum afin de sanctionner un accord conclu entre l'employeur et un salarié mandaté. Il a estimé que le risque de désaveu aurait pour conséquence une absence de recours à ce dispositif.

M. Arnold Brum a remarqué que la réduction du temps de travail dans les entreprises de moins de 50 salariés à travers un accord de branche pourrait connaître le même sort, cet accord ou cette convention devant fixer la durée du travail et préciser les modalités d'organisation et de décompte, autant de dispositions qui ne lui ont pas semblé relever du niveau de la branche.

Evoquant la nécessité dans certains cas de recourir au référendum dans les entreprises de moins de 11 salariés, il a considéré que l'obligation faite à un employeur d'un ou deux salariés d'obtenir leur approbation pour bénéficier des aides n'avait aucun sens compte tenu de la position de dépendance de ces salariés par rapport à l'employeur.

M. Arnold Brum a considéré que les modalités d'obtention des allégements de charges, compte tenu de leur complexité et de leur inadaptation aux petites et moyennes entreprises (PME), constitueraient un obstacle à la réduction négociée du temps de travail.

Il a déclaré que la FNSEA proposait que dans les entreprises de moins de 50 salariés, la réduction du temps de travail puisse être organisée selon les modalités prévues par une convention ou un accord de branche étendu comme cela était prévu par la loi du 13 juin 1998. Il a observé que cette disposition avait permis la conclusion d'un accord national dans le secteur de l'agriculture le 3 février 1999, étendu par un arrêté interministériel du 8 avril 1999. Il a constaté que cet accord prévoyait plusieurs modalités de réduction du temps de travail, obligeait les accords d'entreprise conclus avec des salariés mandatés à respecter ces modalités et permettait à l'employeur de choisir directement lesdites modalités de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail si l'entreprise avait moins de 11 salariés et si la négociation avec un salarié mandaté avait échoué.

M. Arnold Brum a redouté que le bénéfice de l'allégement de charges puisse être suspendu par simple décision de l'administration dès lors que les horaires de travail pratiqués dans l'entreprise étaient " incompatibles " avec les limites de 35 heures par semaine ou 1.600 heures par an, ou encore lorsque le salarié avait effectué un nombre d'heures supplémentaires dépassant le contingent fixé par décret.

Il a estimé que la suspension de l'allégement dans des conditions aussi peu précises faisait courir le risque d'arbitraire et n'encourageait pas les entreprises à négocier la réduction du temps de travail.

M. Arnold Brum a considéré que l'article 15 relatif à la modification du contrat de travail, s'il devait être voté en l'état, pourrait être la source d'innombrables litiges.

Il a observé que la décision de l'employeur d'appliquer la loi et de fixer l'horaire de travail à 35 heures, en l'absence d'accord d'entreprise, constituerait une modification du contrat de travail, de même que des modifications connexes relatives au temps de pause, au repos compensateur et à l'annualisation, même prévues par un accord d'entreprise.

Evoquant le principe selon lequel le licenciement d'un salarié serait réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse si ce dernier refusait une modification de son contrat de travail consécutivement à la signature d'un accord, M. Arnold Brum a souligné que tout salarié ayant intérêt à quitter l'entreprise pourrait en conséquence prétendre avoir été licencié et obliger l'employeur à lui verser des indemnités de licenciement. A cette occasion, les salariés de plus de 57 ans pourraient même prétendre au bénéfice des allocations de chômage jusqu'à leur retraite.

Il a dénoncé le fait que le licenciement pourrait être considéré comme abusif et l'employeur condamné à des dommages et intérêts lorsque la durée du travail serait réduite en l'absence d'accord, alors même qu'il ne s'agirait pour l'employeur que d'appliquer la loi. Il a estimé que l'application dans l'entreprise d'un horaire égal à la durée légale du travail et les conséquences qui en résultaient sur la rémunération et l'organisation du temps de travail ne devaient pas constituer une modification du contrat de travail.

Evoquant l'article 16 relatif au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), il a rappelé qu'il était prévu qu'au 1 er juillet 2005, le SMIC horaire aurait augmenté de façon à rendre la garantie mensuelle sans objet. Il en a conclu que d'ici cinq ans, le SMIC horaire devrait donc rattraper le 11,4 % de différentiel entre 152 heures et 169 heures, l'évolution de l'indice des prix entre 1999 et 2005 et la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat du " salaire mensuel de base ouvrier " (SMBO). Il a ainsi évalué à au moins 15 % l'augmentation du pouvoir d'achat du SMIC horaire en 2005 par rapport à 1999.

M. Arnold Brum a déclaré qu'il convenait, dans ces conditions, d'adopter des dispositions transitoires permettant d'amortir le choc de l'augmentation du SMIC. Il a suggéré que le SMIC horaire soit indexé sur le seul indice des prix pendant deux ans, que la garantie mensuelle soit indexée sur le seul indice des prix et que l'augmentation de 11,4 % du SMIC soit reportée au-delà du 1 er juillet 2005.

III. AUDITIONS DU MARDI 5 OCTOBRE 1999

A. AUDITION DE M. GEORGES RIFFARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION DES ÉTABLISSEMENTS HOSPITALIERS DE L'ASSISTANCE PRIVÉE (FEHAP)

Réunie le mardi 5 octobre 1999 sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a poursuivi son programme d'auditions sur le projet de loi n° 1786 (rectifié) (AN) relatif à la réduction négociée du temps de travail.

La commission a tout d'abord entendu M. Georges Riffard, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers de l'Assistance privée (FEHAP).

M. Georges Riffard a rappelé que la loi du 13 juin 1998 avait placé les établissements devant les termes d'une alternative : soit s'engager dans le processus de négociation, soit attendre la mise en oeuvre obligatoire de la réduction du temps de travail au 1 er janvier 2000. Toutefois, dans ce dernier cas, l'absence d'aides de l'Etat ne pouvait qu'entraîner de graves difficultés budgétaires pour les établissements.

A cet égard, il a estimé que les dépenses strictement liées à l'application des 35 heures au 1 er janvier 2000 entraînaient une augmentation salariale de 12,6 %, compte tenu des heures supplémentaires majorées, en soulignant que cette augmentation n'était pas compatible avec le niveau des enveloppes de financement limitées à environ 2 % de hausse annuelle.

Soulignant que la FEHAP devant choisir " entre le choléra et la myxomatose ", avait opté pour le moindre mal et s'était engagée dans le processus de négociation sur la réduction du temps de travail (RTT), M. Georges Riffard a précisé que l'accord signé le 4 mars 1999, après plus d'un an de négociations et trois additifs successifs, avait fait l'objet d'un refus d'agrément du ministre de l'emploi et de la solidarité au début du mois d'août. Il a ajouté que la FEHAP avait introduit un recours gracieux contre la décision de refus.

Rappelant que la convention collective du 31 octobre 1951 recouvrait 148.000 salariés dans 2.200 établissements sanitaires, sociaux ou médico-sociaux, il a souligné que l'accord du 4 mars 1999 s'était traduit par la signature d'environ 1.000 accords dans les établissements, la plupart ayant été signés avant le 1 er juillet 1999 pour bénéficier de l'aide maximale et que plus d'un salarié sur deux, relevant de la convention collective, était aujourd'hui concerné par un accord d'entreprise ou d'établissement.

Il a rappelé que la FEHAP avait, à l'origine, préconisé le principe de l'agrément d'un accord national, modulable, qui aurait été ensuite décliné au niveau de chaque établissement, les services extérieurs de l'Etat n'ayant alors qu'à vérifier la conformité des aménagements locaux au regard de la loi du 13 juin 1998 et de l'accord national.

Il a souligné toutefois que cette proposition de la FEHAP n'avait pas été retenue par le Gouvernement qui avait estimé que tous les accords et décisions unilatérales portant sur la RTT devaient être soumis à l'agrément du ministre au sens de l'article 16 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975.

Il a estimé que, dans le secteur social et médico-social, 3.000 accords au total avaient été transmis au ministère pour agrément et que leur examen nécessiterait une période de six mois au moins. Il a souligné la difficulté soulevée par le fait que des accords signés en décembre ne prendraient juridiquement effet qu'en juin 2000, c'est-à-dire après la date butoir du 1 er janvier 2000 prévue par la loi du 13 janvier 1998 pour l'application des " 35 heures ".

Il a constaté que les établissements en question pourraient être mis dans l'obligation d'appliquer la RTT sans aide de l'Etat, au cours du premier semestre 2000, ce qui entraînerait une hausse de la masse salariale de 6 % en 2000.

Il a estimé nécessaire que les établissements sociaux et médico-sociaux bénéficient d'une dérogation transitoire permettant de reporter au 1 er juillet 2000 la date de mise en oeuvre obligatoire de la RTT. Il a estimé important que les établissements sociaux et médico-sociaux ne perdent pas le bénéfice des négociations longues conduites au cours du premier semestre 1999 qui avaient conduit à la signature de plus de 1.000 accords dans le secteur couvert par la convention du 31 octobre 1951.

M. Louis Souvet, rapporteur, a fait part du désarroi de certains gestionnaires vis-à-vis des règles d'application de la loi. Il s'est interrogé sur l'origine des retards intervenus pour agréer l'accord du 4 mars 1999, sur l'articulation de l'accord signé par la FEHAP avec l'accord de la branche professionnelle du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif (UNIFED) du 1 er avril 1999 agréé le 25 juin et étendu le 4 août. Il s'est demandé si le projet de loi remettait en question certains aspects des accords signés dans les établissements. Il s'est inquiété du financement de la RTT par les employeurs du secteur hospitalier privé et s'est posé des questions sur le sort particulier réservé aux établissements publics.

M. Jean Delaneau, président, s'est interrogé sur l'éventualité de reporter d'un an la date de mise en oeuvre obligatoire de la RTT.

En réponse, M. Georges Riffard a indiqué qu'il n'avait pas d'explications officielles du retard pour l'agrément de l'accord FEHAP.

Selon certaines hypothèses, l'accord remettrait en cause le principe d'annualité budgétaire, ce qui semble toutefois relever d'une erreur d'interprétation selon M. Georges Riffard .

Par ailleurs, l'accord ne permettrait pas d'assurer un équilibre salarial du fait du caractère insuffisant des retenues sur les salaires. Sur ce point, M. Georges Riffard a précisé que l'accord FEHAP prévoyait deux retenues, portant respectivement sur 2,58 % et 0,26 % du salaire, qui étaient plus élevées que celles fixées dans d'autres accords signés par les organismes nationaux du secteur médico-social non lucratif et agréés par le ministre.

Enfin, il a évoqué l'argument de " proximité " avec la fonction publique hospitalière, tout en s'interrogeant sur la portée de ce motif dans la mesure où le secteur médico-social n'est pas comparable en importance au secteur hospitalier.

Concernant l'accord UNIFED, il a rappelé qu'il avait été convenu en 1998 de distinguer, pour l'application de la loi sur la RTT, trois niveaux : l'accord de branche devait porter sur toutes les dispositions relatives à l'aménagement du temps de travail et à l'organisation de la flexibilité ; les avenants aux conventions collectives devaient régler les questions relatives à la durée du travail, au maintien des salaires et aux embauches ; enfin, les situations particulières devaient être traitées par les accords d'entreprise ou d'établissement.

M. Georges Riffard s'est donc félicité de l'agrément de l'accord de l'UNIFED mais a souhaité que, par cohérence, l'agrément des accords signés par les deux autres niveaux de négociations intervienne maintenant le plus rapidement possible.

Concernant le projet de loi, il a observé que les dispositions prévues pour les cadres ou pour les salariés à temps partiel correspondaient largement aux choix effectués dans le cadre de l'accord de la FEHAP. En revanche, il a souhaité que soient mentionnés non seulement les accords étendus mais également les accords de branche agréés dans le texte du projet de loi afin d'éviter toute incertitude juridique pour l'avenir.

Concernant le financement de la RTT, il a souligné que cette dernière devrait entraîner mécaniquement une embauche supplémentaire de 6 à 7 % dans la mesure où les gains de productivité dans le secteur étaient difficiles à dégager et où le service auprès des personnes prises en charge revêtait un caractère permanent. Il a indiqué que le financement était assuré à la fois par les retenues sur salaires et par l'aide de l'Etat qui représenterait entre 2,5 et 3,5 % du salaire moyen.

Il n'a pas souhaité porter de jugement sur la situation du secteur public hospitalier.

Concernant le moratoire d'un an, il a souligné que la demande de la FEHAP portait sur un report de six mois seulement et qu'elle était motivée uniquement par le caractère exorbitant du droit commun de la procédure d'agrément prévue à l'article 16 de la loi du 30 juin 1975.

En réponse à M. Jean Delaneau, président, M. Georges Riffard a souligné que le blocage des rémunérations intervenu en 1999 à la suite de la signature des accords devrait faire l'objet de report d'année en année une fois l'accord agréé.

M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur l'intention affichée par le Gouvernement d'éviter toute dérive budgétaire dans le secteur social et médico-social à l'occasion de la mise en oeuvre de la RTT. Il s'est interrogé sur le financement du dispositif au-delà des cinq ans prévus par la loi pour le versement des aides. Il s'est demandé si le délai de six mois ne pouvait pas être réduit en pratique. Il s'est interrogé sur l'incidence des mesures relatives à la tarification dans le secteur social et médico-social.

M. Paul Blanc s'est également interrogé sur la situation financière des établissements sociaux et médico-sociaux dans un délai de cinq ans.

M. Jean Chérioux a rappelé que l'aide de l'Etat devait diminuer progressivement au cours des cinq prochaines années et s'est enquis de l'incidence de la récente jurisprudence de la Cour de cassation sur les règles de compensation des heures de veille.

M. Claude Huriet s'est demandé si la mise en oeuvre de la RTT n'aurait pas pour conséquence d'augmenter la participation demandée aux familles des personnes prises en charge dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

En réponse, M. Georges Riffard a souligné que la situation des usagers était une préoccupation de la FEHAP, en particulier dans les 600 établissements d'hébergement pour personnes âgées. Il a souligné qu'il était important de mettre en oeuvre le plus rapidement possible la RTT, afin de pouvoir obtenir les aides de l'Etat et d'éviter d'être dans l'obligation de reporter le coût salarial sur d'autres financeurs.

Il a précisé qu'à l'expiration de la période de cinq ans, les établissements continueraient à appliquer les mesures de modération salariale et à bénéficier de l'aide structurelle versée pour chaque salarié qui correspondait environ à 1,7 % de la masse salariale, ainsi que de l'incidence des allégements structurels de l'échelle des rémunérations. Il a considéré que les recettes correspondraient environ à 5 % de la masse salariale, admettant qu'un problème pourrait se poser pour les établissements qui auraient procédé à 7 % d'embauches supplémentaires.

S'agissant des délais d'examen par le ministère, il a rappelé que, sur les 2.000 accords relatifs au secteur social et médico-social déposés avant le 1 er juillet 1999, seuls une vingtaine d'accords avaient été agréés par l'administration. Il s'est donc interrogé sur la capacité de la commission compétente à examiner environ 3.000 accords au total d'ici au 1 er janvier 2000.

Il a redouté que l'opération d'agrément des accords soit déléguée dans les services extérieurs de l'Etat, ce qui risquerait de conduire à de multiples rejets pour de simples motifs de précaution.

Il a estimé que le problème de la tarification applicable aux établissements d'hébergement pour personnes âgées était indépendant de celui de la RTT. Il s'est félicité que la nouvelle tarification permette de mieux répartir les charges, tout en soulignant que le problème majeur était celui du niveau des enveloppes de financement.

Enfin, il a regretté le comportement évolutif de la Cour de cassation sur le problème de la compensation des heures de veille, en soulignant que les dettes cumulées de certains établissements pouvaient dépasser 50 % de leur budget annuel.

Il a estimé souhaitable une solution législative qui renverrait aux conventions collectives nationales agréées une compétence en matière de fixation des compensations des heures d'astreinte et qui prévoirait en outre qu'aucun nouveau contentieux ne pourrait être ouvert après la promulgation de la loi.

B. AUDITION DE M. MICHEL JALMAIN, SECRÉTAIRE NATIONAL DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT)

Puis la commission a entendu M. Michel Jalmain, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

M. Louis Souvet, rapporteur, a souhaité connaître le bilan que dressait la CFDT des accords conclus dans le cadre de la loi du 13 juin 1998, et son opinion sur la reprise, par le projet de loi, des dispositions signées par les partenaires sociaux. Il s'est interrogé sur la procédure du mandatement, ainsi que sur la question de la représentativité syndicale que le projet de loi posait indirectement. Il a souhaité également connaître la position de la CFDT sur la prise en charge du financement des allégements de charges sociales par les régimes sociaux.

Après avoir rappelé que la CFDT avait depuis longtemps fait de la réduction négociée du temps de travail une priorité de son action, M. Michel Jalmain a estimé que le bilan des accords passés dans le cadre de la loi du 13 juin 1998 et de la loi " de Robien " était encourageant et prouvait que la réduction du temps de travail (RTT) était créatrice d'emplois.

Il s'est félicité que le dialogue social ait été relancé au sein des entreprises et que la RTT ait ouvert un nouvel espace de négociation.

Il a observé que 115 accords de branche avaient été signés, en rappelant que ce résultat était inattendu dans la mesure où la loi du 13 juin 1998 privilégiait la négociation d'entreprise.

Puis il a indiqué que la CFDT tirait quatre enseignements de l'application de la loi du 13 juin 1998.

Tout d'abord, la réduction du temps de travail a permis des embauches supplémentaires dans les entreprises où elle est effectivement appliquée.

De plus, elle permet une approche différente par les salariés des questions relatives à la flexibilité du travail en mettant en avant l'amélioration des conditions de travail.

Ensuite, les salariés portent un jugement positif sur la RTT : 70 à 75 % des salariés concernés ne souhaitent pas revenir à la situation antérieure lorsqu'ils bénéficient d'un accord sur la RTT.

Enfin, la RTT apparaît comme un instrument de relance du dialogue social et de la négociation collective, y compris dans les petites entreprises qui devront mettre en oeuvre obligatoirement la RTT en 2004 seulement, mais qui ont été beaucoup plus nombreuses que prévu à signer des accords.

M. Michel Jalmain a considéré que le projet de loi reprenait " à 90 % " le contenu des accords signés dans le cadre de la loi du 13 juin 1998.

Puis il a évoqué les principales modifications du projet de loi demandées par la CFDT. Il a considéré tout d'abord que la majoration de salaire pour heures supplémentaires devrait être de 50 % dès la 43 e heure.

Il a demandé, dans une logique de création d'emploi, que le repos compensateur corresponde aux heures supplémentaires effectuées et ne corresponde pas à la seule majoration de ces heures.

Il a souhaité que, dans les entreprises de moins de dix salariés, le repos compensateur, applicable à partir de la 131 e heure supplémentaire, soit de 100 % au lieu de 50 %, pour rester dans la logique de création d'emploi.

Le deuxième point concerne la durée annuelle maximale de travail qui a été fixée à 1.600 heures dans le projet de loi alors que quelques accords, notamment dans le secteur du bâtiment, prévoient une durée supérieure. M. Michel Jalmain a considéré que l'horaire maximum sur douze semaines devrait être réduit à 42 heures hebdomadaires au lieu de 46 heures actuellement prévues.

En troisième lieu, le projet de loi ne définit pas assez clairement la catégorie des cadres pour lesquels un régime de convention de forfait peut être mis en oeuvre.

Enfin, se pose la question du lien entre la formation professionnelle et la réduction du temps de travail.

M. Michel Jalmain a rappelé qu'il existait déjà un accord interprofessionnel de 1991 autorisant la prise en charge de 25 % du temps de formation en dehors du temps de travail, mais il a souligné que cette disposition était très peu appliquée en pratique sauf pour quelques catégories de cadres. Il a estimé que cet accord de 1991 devait être rediscuté par les partenaires sociaux ou que la question pourrait être abordée dans un projet de loi relatif à la formation professionnelle.

S'agissant des leçons à tirer du mandatement, M. Michel Jalmain a estimé que, si quelques dizaines d'accords négociés par des salariés mandatés pouvaient paraître contestables, ceux-ci n'en demeuraient pas moins réguliers au sens de la loi. Il a précisé que les sujets litigieux, portant notamment sur la possibilité de travailler le samedi, étaient largement " subjectifs " et pouvaient être appréciés au regard des circonstances locales.

D'une manière générale, il a estimé que le recours au mandatement avait eu des aspects positifs en soulignant que 45 % des accords étendus avaient été signés dans le cadre de cette procédure, pourtant vivement critiquée par certains en 1998.

Concernant le référendum dans l'entreprise, M. Michel Jalmain a estimé que cette procédure pouvait se comprendre lorsqu'un ou des syndicats majoritaires veulent s'opposer à des accords conclus par un ou des syndicats minoritaires. En revanche, il a regretté que le projet de loi introduise automatiquement une validation de l'accord par référendum lorsque celui-ci est conclu par une ou des organisations syndicales minoritaires, par un salarié mandaté ou par décision de l'employeur.

Il a estimé que l'institutionnalisation du référendum par la loi fournissait un moyen de contournement des organisations syndicales, alors que ces dernières sont nécessaires pour permettre un dialogue social construit et efficace.

Il a estimé que le référendum ne manquerait pas de réveiller des comportements corporatistes et individualistes. Rappelant qu'un accord sur la réduction du temps de travail était toujours le résultat d'un compromis équilibré mais parfois difficile et que l'intérêt collectif n'était pas la somme des intérêts particuliers, il a souligné le risque que des accords soient remis en cause au cours des campagnes provoquées par les référendums au détriment des organisations signataires.

Il a souhaité que le référendum ne soit pas obligatoire lorsque l'accord est conclu dans une entreprise pourvue de délégués syndicaux ou par des personnels mandatés ; il s'est prononcé en revanche en faveur d'une amélioration du recours au droit d'opposition des syndicats en tenant compte des suffrages exprimés aux élections professionnelles.

S'agissant de la représentativité syndicale, il a indiqué que la CFDT était prête à débattre du décret du 31 mars 1966, tout en soulignant que cette question était indépendante de celle de la RTT.

Enfin, concernant le financement des allégements de charges sociales par les régimes sociaux, M. Michel Jalmain s'est déclaré très défavorable à l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en rappelant que les régimes gérés par l'Association des régimes de retraites complémentaires (ARRCO) et par l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) connaissaient déjà des difficultés et que, par ailleurs, il était souhaité une meilleure indemnisation du chômage par l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).

C. AUDITION DE MME MICHELLE BIAGGI, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL-FORCE OUVRIÈRE (CGT-FO), ACCOMPAGNÉE DE M. JEAN-CLAUDE MAILLY, ASSISTANT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

Enfin, la commission a procédé à l'audition de Mme Michelle Biaggi, secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO), accompagnée de M. Jean-Claude Mailly, assistant du secrétaire général .

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, concernant le bilan de la loi du 13 juin 1998, Mme Michelle Biaggi a déclaré que les 120.000 créations d'emplois prises en compte dans le bilan de la loi du 13 juin 1998 comprenaient également des emplois créés en application de la loi " de Robien ". Elle a estimé que ces promesses d'emplois devaient encore se réaliser étant donné le délai d'un an laissé aux employeurs pour procéder aux embauches.

Elle a observé que les salariés en place subissaient le contrecoup des 35 heures sous la forme d'une augmentation du stress et la suppression de certains temps de pause et d'habillage.

Elle a considéré que le projet de loi était très complexe et difficilement lisible. Après avoir rappelé que Force ouvrière avait toujours souhaité privilégier les accords de branche par rapport aux accords d'entreprises, elle a regretté que le projet de loi adopte une démarche contraire. Elle a remarqué que l'accord dans la métallurgie avait eu pour avantage d'établir un cadre au niveau de la branche alors que les employeurs menaçaient de dénoncer la convention collective.

Mme Michelle Biaggi a estimé que la modération salariale mise en oeuvre par la plupart des accords relatifs à la réduction du temps de travail était inacceptable et elle a indiqué que son organisation demandait une négociation annuelle sur les rémunérations.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, sur la compatibilité du projet de loi avec la directive européenne relative au travail à temps partiel, Mme Michelle Biaggi a déclaré que la définition du travail à temps partiel envisagée dans la directive ne satisfaisait pas Force ouvrière. Elle a estimé que cette définition pouvait entraîner une incitation au travail à temps partiel subi, de même qu'un effet d'aubaine pour l'employeur à travers les incitations financières liées au travail à temps partiel.

Elle a considéré qu'il était anormal que le projet de loi institue un salaire minimum de croissance (SMIC) " à compartiments " pour les salariés dont la durée du travail aura été abaissée à 35 heures. Elle a observé qu'un délai de cinq ans serait nécessaire pour faire converger cette double échelle du SMIC au moyen de " coups de pouce ". Elle a estimé que ce mécanisme aurait pour conséquence de bloquer l'évolution des salaires situés au-dessus du SMIC. Elle a regretté que trois embauches sur quatre réalisées dans le cadre de la RTT donnaient lieu à des contrats à durée déterminée éventuellement à temps partiel. Elle a également observé que certains de ces emplois à durée déterminée, créés à l'occasion de la RTT, étaient dévolus à des salariés qui occupaient auparavant un statut d'intérimaire dans la même société.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, sur le bilan de mandatement, Mme Michelle Biaggi a rappelé que Force ouvrière n'était pas, à l'origine, favorable au mandatement. Elle a remarqué que le bilan n'était pas bon et que cette procédure n'avait notamment pas entraîné -comme cela aurait été souhaitable- de création de sections syndicales ou d'instances représentatives. Elle a estimé que le recours au mandatement pouvait constituer une manoeuvre de contournement des syndicats. Elle a considéré qu'il aurait été préférable de désigner des délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 50 salariés. Elle a réaffirmé l'opposition de Force ouvrière à la technique du mandatement.

En réponse à deux questions de M. Louis Souvet, rapporteur, M. Jean-Claude Mailly a jugé que la question de la représentativité syndicale et celle du financement des allégements de charges constituaient les deux " dégâts collatéraux " des 35 heures, ces deux sujets n'ayant rien à voir avec le texte.

Concernant la représentativité syndicale, il a déclaré que Force ouvrière refusait de traiter ce thème dans le cadre de la discussion sur les 35 heures. Evoquant les accords majoritaires, il a observé que la rédaction de l'article 11 donnait un pouvoir de veto aux organisations syndicales sur la possibilité pour l'entreprise de bénéficier des nouveaux allégements. Il a estimé que ce n'était pas là le rôle de ces organisations. Il a remarqué que seule la CGT soutenait cette disposition qui constituait, en réalité, un " cavalier " au sein du projet de loi.

Poursuivant sur la question du financement des allégements de charges sociales, M. Jean-Claude Mailly a observé que le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail était lié au projet de loi de financement de la sécurité sociale et prévoyait une contribution des régimes sociaux qui pourrait atteindre jusqu'à 20 milliards de francs pour l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).

Il s'est interrogé sur les conséquences qu'aurait ce prélèvement sur les cotisations et les prestations et il a observé qu'un tel dispositif revenait à faire financer une partie des allégements de charges par les chômeurs, les retraités ou les assurés sociaux.

M. Jean-Claude Mailly a observé que ces mesures intervenaient de surcroît au moment même où allaient débuter les négociations relatives à la renégociation de la convention UNEDIC et risquaient de les compromettre. Il a souligné qu'existait un accord entre l'ensemble des partenaires sociaux pour refuser le principe de cette contribution. Il a contesté par ailleurs le postulat selon lequel la réduction du temps de travail procurerait des recettes supplémentaires aux régimes de protection sociale, estimant indispensable une évaluation préalable des effets sur l'emploi réel, hors effets d'affichage et effets d'aubaine.

En réponse à une question de M. Philippe Nogrix qui s'interrogeait sur l'attitude des syndicats vis-à-vis de la modération salariale inscrite dans les accords relatifs à la RTT, Mme Michelle Biaggi a confirmé que Force ouvrière ferait en sorte de renégocier les salaires tous les ans, sans tenir compte de la modération salariale résultant de la RTT.

M. Serge Franchis s'est interrogé sur l'intérêt qu'il pourrait y avoir à réduire le montant des cotisations salariales d'un employé payé au SMIC pour conserver le niveau de sa rémunération suite à une baisse de la durée du travail, de préférence à la création d'un double barème. Il a observé que la finalité affichée de ce projet de loi était l'emploi et que cet objectif nécessitait des concessions de part et d'autre.

M. Jean-Claude Mailly a considéré qu'il existait un débat sur le fait que la réduction du temps de travail pouvait avoir pour objet la création d'emplois. Il a rappelé que Force ouvrière estimait qu'il n'y avait pas de corrélation statistique entre les deux variables et que plus des trois quarts des emplois créés depuis deux ans étaient dus à la croissance. Il a souligné que la réduction du temps de travail ne constituait que la troisième source de création d'emplois, loin derrière les emplois-jeunes.

Il a jugé que nul ne pouvait prendre l'engagement qu'il n'y aurait pas de hausse de salaires dans les cinq ans et que l'amoindrissement de la part des cotisations sociales dans le financement de la protection sociale posait un problème de fond étant donné qu'il n'appartenait pas aux partenaires sociaux de gérer le produit de l'impôt.

Mme Michelle Biaggi a déclaré que Force ouvrière n'était pas favorable à des accords de réduction du temps de travail signés par des groupements d'employeurs, en raison du problème posé par le choix de la convention de branche applicable.

IV. AUDITIONS DU MERCREDI 6 OCTOBRE 1999

A. AUDITION DE MME MARYSE DUMAS, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT) DE M. ROLAND METZ, ANIMATEUR DU SECTEUR GARANTIES COLLECTIVES, ET DE M. MICHEL DONEDDU, SECRÉTAIRE NATIONAL DE L'UNION GÉNÉRALE DES INGÉNIEURS, CADRES ET TECHNICIENS DE LA CGT (UGICT-CGT)

Réunie le mercredi 6 octobre 1999 sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a poursuivi son programme d'auditions sur le projet de loi n° 1786 (rectifié) (AN) relatif à la réduction négociée du temps de travail.

La commission a tout d'abord entendu Mme Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail (CGT), M. Roland Metz, animateur du secteur garanties collectives, et M. Michel Doneddu, secrétaire national de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT (UGICT-CGT).

Evoquant en introduction les rapports entre la loi et la négociation collective, Mme Maryse Dumas a estimé que la loi devait contribuer à la relance de la négociation collective en mettant les salariés en position de force face aux représentants du patronat. Elle a considéré que la réduction de la durée hebdomadaire du travail constituait une nouvelle conquête sociale, de nature à favoriser les créations d'emplois.

Mme Maryse Dumas a ensuite abordé les huit points de la position de la CGT.

Elle a affirmé que la CGT contestait le projet d'allégement de cotisations sociales prévu à l'article 12 à la fois sur la forme, puisqu'il résultait d'une décision unilatérale du Premier ministre, et sur le fond, dans la mesure où il aboutissait à instituer un système de cotisations sociales progressives préjudiciable aux augmentations de salaire.

Elle a aussi revendiqué l'augmentation du SMIC horaire de 11,4 % à la date de mise en oeuvre de la réduction du temps de travail, soit en 2000 pour les grandes entreprises et 2002 pour les petites, estimant qu'une telle augmentation ne se traduirait pas par celle du coût du travail : en effet, la masse salariale des entreprises demeurerait inchangée en l'absence d'embauche. C'est pourquoi elle a souhaité que les aides publiques aillent aux créations d'emploi et non aux salaires.

Mme Maryse Dumas a indiqué que, pour que la réduction de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures se traduise par une amélioration des conditions de travail des salariés, il convenait de réduire également les durées maximales du travail journalière, hebdomadaire, sur douze semaines et en continu.

Elle a précisé que la CGT demandait le retrait de l'article 10 du projet de loi, qui permettait d'exclure le temps de formation du temps de travail.

Mme Maryse Dumas a ensuite abordé la question des heures supplémentaires et souhaité que le régime actuellement prévu à partir de la 40 e heure s'applique dès la 36 e aux dates prévues pour l'entrée en vigueur des 35 heures. Elle a aussi estimé que la totalité des heures supplémentaires devrait être comptabilisée dans le contingent, que ces heures aient fait l'objet d'une rémunération ou d'un repos compensateur.

Elle a affirmé que les cadres devaient bénéficier de la réduction du temps de travail au même titre que l'ensemble des salariés et estimé possible d'établir le décompte horaire de leur durée du travail.

Assimilant l'annualisation du temps de travail à une flexibilité inefficace pour favoriser les créations d'emploi, elle a fait part de l'opposition totale de son organisation syndicale à cette méthode de gestion du temps de travail.

Prenant acte toutefois de son existence, Mme Maryse Dumas a indiqué que la CGT formulait en conséquence des revendications pour en contenir la mise en oeuvre. Elle a ainsi déclaré que les motifs du recours à la modulation ou à l'annualisation devaient être sévèrement encadrés, que celui-ci devait être précisé par des accords de branche et d'entreprise, que la modulation ou l'annualisation ne devait pas s'appliquer au temps partiel et qu'elle devait faire l'objet d'une programmation très à l'avance, avec un délai de prévenance de huit jours minimum. En outre, les contreparties actuelles, à savoir une durée du travail hebdomadaire calculée à l'année inférieure à la durée légale et un contingent d'heures supplémentaires limité à 80 heures, devaient être conservées.

Mme Maryse Dumas a ensuite évoqué le temps partiel, dont elle a estimé que sa diffusion au sein du monde du travail aggravait les inégalités entre les femmes et les hommes. Elle a déclaré que les salariés travaillant à temps partiel devaient bénéficier de la réduction du temps de travail prévue par la loi, soit par un retour au temps plein, soit par une augmentation de salaire de 11,4 %, soit encore par une diminution du temps de travail avec maintien du salaire. Elle a fait part de son opposition au temps partiel intermittent, auquel faisait référence le projet de loi.

Elle a enfin affirmé l'opposition de la CGT au référendum patronal, la CGT étant en revanche favorable à la diminution du seuil d'effectifs pour la désignation de délégués syndicaux et à ce que la signature par les syndicats majoritaires soit érigée en condition de validité, parmi d'autres, des accords d'entreprise.

M. Louis Souvet, rapporteur, faisant référence aux huit points abordés par Mme Maryse Dumas, lui a demandé lequel était le plus important pour la CGT.

Il a souhaité connaître le bilan que traçait la CGT des accords conclus dans le cadre de la loi du 13 juin 1998, ainsi que du " mandatement Aubry ", ainsi que les positions de la confédération sur l'éventuelle réforme des dispositions réglementaires de 1966 concernant la représentativité syndicale et sur la participation des régimes sociaux au financement des allégements de charges sociales, prévues par le projet de loi.

Mme Maryse Dumas a rappelé que la CGT était un syndicat qui n'avait pas vocation à amender ou voter un projet de loi, et qui ne devait donc pas établir une hiérarchie dans ses huit revendications.

Dressant le bilan -qu'elle a qualifié de mitigé- des accords conclus dans le cadre de la loi du 13 juin 1998, elle a estimé toutefois qu'il démontrait que la réduction du temps de travail pouvait être à l'origine de nombreuses créations d'emplois. Elle a cependant considéré que les accords conclus concernaient trop peu d'entreprises et de salariés et que les négociations laissaient apparaître des situations de blocage dans de grandes entreprises. Répondant à une question de M. Jean Delaneau, président , elle a confirmé que 120.000 emplois avaient été créés ou sauvegardés, mais que ce résultat n'était pas suffisant pour améliorer la situation du marché du travail.

Elle a rappelé les réticences de la CGT à l'égard du mandatement, rappelant que son organisation demandait l'abaissement des seuils pour la création de délégués syndicaux et souhaitait plus généralement renforcer les droits syndicaux dans les petites entreprises.

Elle a confirmé que la CGT était favorable à la notion d'accord majoritaire ; elle a estimé que les syndicats majoritaires devaient obtenir une primauté dans la négociation collective, les organisations minoritaires se voyant ouvrir l'exercice d'un droit d'opposition.

Elle a affirmé, s'agissant de la question de la représentativité syndicale, que, si certains considéraient que les dispositions réglementaires de 1966 avaient empêché la " balkanisation " syndicale, elles avaient également contribué à la faiblesse du taux de syndicalisation en France.

Mme Maryse Dumas a fait part de l'opposition de la CGT à toute ponction financière des régimes de protection sociale pour financer les allégements de charges sociales. Alors que quatre chômeurs sur dix seulement sont aujourd'hui indemnisés par l'UNEDIC, elle a estimé que cet organisme avait mieux à faire que de contribuer à un tel financement.

M. Serge Franchis lui a demandé s'il existait, en France, une institution ou un syndicat qui apporte véritablement son soutien au projet de loi sur la réduction négociée du temps de travail.

M. Guy Fischer, prenant acte des propos de Mme Maryse Dumas selon lesquels les allégements de charges généralisés ne favorisaient pas l'emploi, lui a demandé si la CGT pouvait formuler une proposition établissant un lien entre le versement des aides publiques et les créations d'emplois.

Mme Nicole Borvo l'a interrogée sur la distinction opérée par le projet de loi entre diverses catégories de cadres.

Enfin, Mme Marie-Madeleine Dieulangard a demandé à la représentante de la CGT comment résoudre les contradictions existant entre certaines dispositions du projet de loi et des stipulations d'accords collectifs déjà signées. Elle lui a également demandé si ce projet de loi comportait suffisamment de dispositions incitant à réduire la durée du travail jusqu'à 32 heures.

Répondant aux orateurs, Mme Maryse Dumas a estimé que le projet de loi n'allait pas assez loin en matière de réduction du temps de travail, puisqu'il tendait à établir une norme au niveau des 35 heures, au lieu d'inciter les entreprises à aller au-delà.

Elle s'est déclarée favorable à l'évaluation des effets de toutes les aides publiques à l'emploi actuellement versées aux entreprises, puis à une réforme des cotisations sociales patronales distinguant des cotisations basées sur le salaire et des cotisations établies sur la base du rapport existant dans l'entreprise entre les salaires et la valeur ajoutée. Une telle réforme, qui permettrait de taxer les revenus financiers, serait de nature à favoriser les créations d'emploi.

Elle a également considéré que l'obtention des aides publiques devait être soumise à trois conditions : la réduction effective du temps de travail, la conclusion d'un accord majoritaire et la réalisation d'un taux d'embauches nouvelles de 6 % au moins pour toute réduction de la durée du travail de 10 %.

Evoquant de possibles contradictions entre des accords déjà conclus et le projet de loi actuellement en discussion, elle a souligné la différence de nature existant entre les accords collectifs, dont le contenu traduit l'état d'un rapport de force à un moment et en un lieu donné, et la loi qui doit édicter des dispositions générales et protectrices.

Elle a à cet égard cité l'exemple de l'accord textile qui avait été signé par plusieurs organisations syndicales, dont la CGT. Elle a observé que tous les syndicats signataires avaient émis des réserves sur ses stipulations concernant le régime des heures supplémentaires et qu'ils avaient souhaité que la seconde loi sur la réduction du temps de travail contribue à en améliorer le contenu.

Elle a enfin rappelé que la CGT s'engageait de toutes ses forces en faveur de la réduction du temps de travail. Rappelant qu'au cours de ce siècle, seulement quatre lois avaient réduit le temps de travail, elle a affirmé que son organisation syndicale ne manquerait pas le rendez-vous que constituait le présent projet de loi, la preuve étant faite désormais que, sans loi de réduction du temps de travail, il n'y avait pas de réduction du temps de travail.

Complétant les propos de Mme Maryse Dumas, M. Michel Doneddu a évoqué la situation des cadres, catégorie de salariés la plus mal traitée par le projet de loi. S'il s'est déclaré favorable à l'institution d'une catégorie de " cadres dirigeants ", à condition de bien la définir, il a estimé que la distinction entre deux autres catégories de cadres isolées par le projet de loi, les cadres à horaire prédéterminé et les cadres à horaire non prédéterminé, n'avait pas de sens. Il a enfin regretté que la situation des femmes-cadres soit trop souvent ignorée et affirmé que le lien établi au sein des entreprises entre responsabilités et disponibilité constituait une des premières causes de la discrimination dont elles étaient victimes.

B. AUDITION DE M. JEAN DELMAS, PRÉSIDENT DE L'UNION PROFESSIONNELLE ARTISANALE (UPA)

Puis la commission a entendu M. Jean Delmas, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA).

M. Jean Delmas a rappelé que l'artisanat avait clairement affirmé son opposition, à l'occasion du débat sur la première loi relative aux 35 heures, à l'obligation de réduction généralisée du temps de travail. Constatant que cette volonté politique était aujourd'hui devenue loi de la République, l'UPA avait cependant choisi la voie du dialogue plutôt que celle de l'affrontement. Il apparaissait en effet stérile de choisir la voie de l'opposition systématique et plus utile de tenter d'obtenir des aménagements de la deuxième loi pour rendre supportables, pour les entreprises artisanales, ces nouvelles contraintes très importantes.

M. Jean Delmas a estimé que l'application de la première loi confirmait que le passage aux 35 heures pouvait s'avérer intéressant pour les grandes entreprises, être négociable pour les entreprises de taille moyenne dont le volume d'activité croît mais se révélait inapplicable pour la majorité des toutes petites entreprises. Il a ajouté que, compte tenu de leur taille -3 salariés en moyenne-, les entreprises artisanales ne disposaient pas d'un service juridique interne pour mener une réflexion sur l'organisation du temps de travail : dans ces conditions, seule la négociation de branche apparaissait réellement adaptée aux spécificités des entreprises artisanales.

M. Jean Delmas a expliqué que c'était dans cet esprit que l'UPA avait signé une convention avec Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises (PME), au commerce et à l'artisanat, le 21 octobre 1998.

Il a précisé que cette convention poursuivait trois objectifs : permettre la réalisation d'études de faisabilité sur le passage aux 35 heures dans les différentes branches professionnelles, permettre l'information des entreprises artisanales sur le contenu et les modalités de mise en oeuvre des accords de branche qui ont été conclus et permettre l'accompagnement des artisans désireux d'appliquer un accord de branche.

Après avoir souligné que sur les 26 branches professionnelles de l'artisanat, 14 accords avaient déjà été signés et couvraient plus de 70 % des salariés de l'artisanat, il a reconnu que le nombre d'entreprises qui était passé aux 35 heures dans le cadre de l'application de ces accords de branche restait marginal.

M. Jean Delmas a ajouté que le contenu de ces accords permettait d'apporter quelques enseignements. La réduction du temps de travail était ainsi envisageable dans les secteurs d'activité où l'annualisation a un sens, comme dans le bâtiment. Il a précisé à cet égard que l'accord de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) reposait ainsi sur l'annualisation rendue possible par des périodes où l'activité extérieure est difficile.

M. Jean Delmas a souligné que la création d'emplois était possible dans les secteurs où l'accroissement de l'activité est réel. Il a fait observer que d'autres secteurs, comme celui de l'alimentation, ne parvenaient pas à signer des accords dignes de ce nom. Il a expliqué que le secteur de l'alimentation était notamment confronté à des amplitudes d'ouverture importante, à une concurrence acharnée de la grande distribution, à un recours systématique aux heures supplémentaires, qui se traduisaient, pour les salariés, par un supplément de salaire important, et par des difficultés structurelles de recrutement. Il a jugé que le passage aux 35 heures allait aggraver ces difficultés de recrutement.

M. Jean Delmas a indiqué que l'UPA avait également demandé du temps au Gouvernement, car le passage brutal aux 35 heures, même fin 2002, était tout simplement impossible dans ses entreprises qui comptent en moyenne 3 salariés. Il a observé que, fort de ce constat, l'UPA avait formulé un certain nombre de propositions d'amendements qui lui semblaient minimalistes, mais qui n'avaient pas rencontré l'assentiment de la majorité plurielle. Il a précisé que ces propositions portaient sur plusieurs points essentiels.

Il a souhaité tout d'abord que l'on puisse aménager le régime des heures supplémentaires. Expliquant que les entreprises de l'artisanat travaillent au-delà de 39 heures par semaine et que le passage à 35 heures, sans aucun gain possible de productivité, allait donc poser de graves difficultés, il a demandé, pour les entreprises de 20 salariés au plus, la pérennisation du taux de majoration de 10 % entre la 36 e et la 39 e heure. Il a jugé en effet indispensable que la rémunération de la 36 e à la 39 e heure, après application du taux de majoration des heures supplémentaires, ne soit pas supérieure au coût actuel des heures supplémentaires.

M. Jean Delmas a également demandé une extension du régime applicable aux heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent de 130 heures dans les entreprises de 10 salariés au plus à celles de 20 salariés au plus. Il a considéré que cette mesure permettrait en outre de limiter les pertes de salaires des salariés effectuant de manière structurelle des heures supplémentaires.

Il a jugé essentiel de conserver, pour les petites entreprises, des éléments de souplesse indispensables à la mise en oeuvre d'une réduction du temps de travail, même annualisée, et a demandé, par conséquent, la suppression de la réduction du contingent d'heures supplémentaires à 90 heures en cas de modulation et le maintien du contingent de 130 heures.

Après avoir rappelé que nombre d'entreprises artisanales effectuaient aujourd'hui 42 heures, M. Jean Delmas a insisté sur la nécessité de maintenir le paragraphe VIII de l'article 2 qui prévoit un passage progressif indispensable pour le déclenchement du contingent d'heures supplémentaires, soit 37 heures en 2002 et 36 heures en 2003.

M. Jean Delmas a souligné que l'allégement des cotisations patronales ne devait pas être une contrepartie de l'obligation de réduire le temps de travail. Il a estimé que, dès lors que l'Etat renchérissait le coût du travail en diminuant le temps de travail, il devait compenser le coût de cette mesure. L'allégement des cotisations patronales était donc une nécessité à partir du moment où l'obligation de passer aux 35 heures entraînait un renchérissement du coût du travail de 11,4 %, sans possibilité de gain de productivité pour la plupart des entreprises artisanales.

Il a jugé regrettable que cette réforme soit assimilée à une nouvelle aide aux entreprises qui pourront appliquer les 35 heures. Il a donc demandé que toutes les entreprises bénéficient des allégements si l'horaire légal était fixé à 35 heures.

M. Jean Delmas a rappelé que le Gouvernement et la commission des affaires culturelles de l'Assemblée avaient fait un pas en direction des entreprises artisanales en acceptant deux amendements pour aider les entreprises de moins de 20 salariés à absorber le coût et la charge des 35 heures. Un premier amendement permettait aux entreprises qui réduisent le temps de travail progressivement, dans le cadre d'un accord de branche étendu, de bénéficier de l'aide incitative sans passage immédiat et effectif aux 35 heures. Un second amendement allégeait les démarches administratives nécessaires à l'obtention de cette aide dans le cadre d'un accord offensif. Il a demandé que ce dispositif soit étendu aux accords défensifs.

S'agissant du temps de travail effectif, M. Jean Delmas a indiqué que l'UPA était tout à fait hostile au durcissement de la définition du temps de travail effectif qui, s'il était retenu, entraînerait de nombreuses renégociations d'accords de branche et serait inapplicable dans les petites entreprises. En outre, cette définition paraissait contraire au projet de directive européenne, ce qui mettrait la France dans une situation inconfortable. Il a considéré que cette disposition, si elle était adoptée, ajouterait à la complexité de ce projet de loi, dont il se demandait tout simplement si les chefs d'entreprise seraient en mesure de comprendre tous les méandres. Il a rappelé à cet égard que l'on assistait, depuis plusieurs années, à une multiplication des contentieux dont cette loi risquait d'être une source inépuisable.

Enfin, s'agissant du lien entre réduction du temps de travail et contrat de travail, M. Jean Delmas a souhaité que le refus du salarié d'accepter ses nouvelles conditions de travail, résultant d'une obligation légale, soit assimilé à une démission et ne donne donc pas lieu à indemnisation de la part de l'employeur. Il a jugé totalement anormal que le chef d'entreprise supporte la charge d'un licenciement dont il n'est pas responsable.

M. Louis Souvet, rapporteur, a souhaité savoir quel bilan l'UPA dressait des accords conclus dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 13 juin 1998 et du " mandatement Aubry ". Il s'est enquis de l'opinion de l'UPA sur le principe des accords majoritaires et sur la question de la représentativité syndicale. Il a souhaité connaître la position de cette organisation sur le projet du Gouvernement de faire participer les régimes de protection sociale au financement des allégements de charges sociales.

En réponse à M. Louis Souvet, rapporteur, M. Pierre Burban , secrétaire général de l'UPA , a indiqué que si 70 % des salariés de l'artisanat étaient couverts par un accord de branche relatif à la RTT, le nombre d'entreprises artisanales appliquant effectivement ces accords devait être très faible. Il a précisé que 12.000 artisans, sur les 430.000 qui emploient au moins un salarié, avaient participé à des réunions d'information sur ces accords de branche. Il a ajouté qu'environ 800 entreprises artisanales appliquaient aujourd'hui ces accords de branche.

M. Jean Delmas a souligné que la question des accords majoritaires ne se posait pas dans les entreprises artisanales qui comptaient, en moyenne, seulement 3 salariés. Il s'est déclaré favorable aux accords de branche et hostile à l'idée de délégués de site.

Après avoir rappelé que l'UPA souhaitait une baisse des cotisations patronales, M. Jean Delmas a indiqué que l'UPA ne s'était pas encore prononcée sur les modalités de financement des allégements de charges sociales.

Mme Annick Bocandé a souligné la diversité des entreprises et a jugé que ces dernières ne pouvaient être toutes traitées de la même façon par la loi. Après avoir fait observer les difficultés de recrutement que connaissaient certaines branches de l'artisanat, elle a souhaité connaître le nombre d'emplois que ce secteur était susceptible de créer. Elle s'est demandé si la seconde loi sur la réduction du temps de travail pouvait favoriser le recrutement dans les entreprises artisanales.

Evoquant le manque de personnels qualifiés dont souffrait l'artisanat, M. Philippe Nogrix a souhaité savoir quel était le délai pour former les personnels nécessaires. Il s'est interrogé sur les raisons de la désaffection des jeunes pour les métiers de l'artisanat. Il a souligné que les recrutements des entreprises artisanales dépendaient avant tout de leur volume d'activité et qu'il paraissait difficile de fixer, par une loi, l'augmentation de cette activité. Il a souhaité connaître l'impact sur l'emploi de la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les travaux à domicile annoncée par le Gouvernement.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean Delmas a indiqué que la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) estimait que cette baisse de la TVA pouvait créer environ 45.000 emplois. Evoquant les difficultés de recrutement dans les secteurs du bâtiment et de la restauration, il a souligné que l'UPA venait de signer une convention avec les ministres de l'emploi, du commerce et de l'artisanat et de l'éducation nationale afin d'aider les entreprises à former des jeunes et à les recruter. Il a considéré que la désaffection des jeunes pour ces métiers provenait de l'image un peu archaïque des activités artisanales et des contraintes spécifiques liées aux activités de certaines branches. Il a jugé qu'il faudrait plusieurs années pour inverser cette tendance.

M. Jean Delmas s'est refusé à donner une évaluation du nombre d'emplois susceptibles d'être créés dans l'artisanat, mais a jugé que le potentiel était remarquable.

C. AUDITION DE M. DENIS KESSLER, VICE-PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF) ET DE M. BERNARD BOISSON, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Denis Kessler, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et de M. Bernard Boisson, directeur des affaires sociales .

Dans son propos liminaire, M. Denis Kessler a estimé que la voie d'une généralisation des 35 heures choisie par le Gouvernement n'était pas favorable au développement des entreprises et de l'emploi en France et a formé, à l'encontre du projet de loi, plusieurs critiques de fond.

Il a observé que le projet de loi isolait la France de ses partenaires européens. Il a constaté que contrairement à ce qui avait été dit il y a deux ans, aucun pays n'avait suivi la voie tracée par le Gouvernement français alors que, simultanément, chacun d'entre eux avait réduit son taux de chômage de manière plus accentuée que la France, ceci sans recourir à la réduction du temps de travail.

M. Denis Kessler a souligné que ce projet de loi rationnait l'activité des entreprises et des salariés et freinait l'expansion économique. Il a estimé que les dispositions prévues par ce texte réduisaient la capacité productive de chaque salarié de près de 300 heures, soit 15 % de la durée du travail, compte tenu du nouveau régime d'heures supplémentaires.

M. Denis Kessler a souligné également combien la réduction du temps de travail était contraire aux intérêts des salariés. Il a déclaré que seules 30.000 des 120.000 créations d'emplois annoncées correspondaient à des créations véritables, ce qui réduisait d'autant l'impact de ce projet sur le chômage. Il a insisté sur l'évolution du SMIC qui devrait aboutir, à terme, à un renchérissement du coût du travail, compte tenu de la création d'un double barème. Il a observé que le blocage des salaires consécutif à la réduction du temps de travail aurait pour conséquence une diminution du pouvoir d'achat des salariés.

M. Denis Kessler a considéré que le projet de loi entravait la flexibilité du travail. Il a souligné que, contrairement à ce qui avait été évoqué en octobre 1997, le nouveau texte ne prévoyait pas d'accès direct à la flexibilité, contrepartie nécessaire de la RTT. Il a considéré qu'il y avait ainsi une asymétrie entre les 35 heures acquises et la flexibilité qui devait être négociée. Il s'est interrogé, en outre, sur l'intérêt qu'il pouvait y avoir pour les employeurs à négocier, si tous les paramètres étaient, d'ores et déjà, fixés par la loi.

M. Denis Kessler a souligné combien le projet de loi portait atteinte au dialogue social. Il a déclaré que, contrairement aux engagements des pouvoirs publics, ce nouveau texte ne respectait pas les accords de branche ou d'entreprise conclus. Il a relevé quatre domaines qui étaient particulièrement concernés par cette remise en cause : les clauses relatives aux durées annuelles de travail, les dispositions concernant la rémunération et les forfaits sans référence horaire des personnels d'encadrement, les dispositions relatives à l'organisation de la formation professionnelle en dehors du temps de travail et les nouveaux contingents conventionnels d'heures supplémentaires.

M. Denis Kessler a estimé que le dialogue social était ainsi " bafoué " par le contenu du second projet de loi et il a observé que cela constituait un événement extrêmement grave, qui remettait en question la pratique de la négociation collective depuis 1945. Il a observé que le recours, par le Gouvernement, à la notion d'ordre public social réduisait d'autant la sphère de la négociation, et remettait en cause tout le dialogue social.

Il a considéré que, jusqu'à présent, la loi s'était limitée à fixer un seuil de garanties pour les salariés, à charge pour les accords collectifs de prévoir des stipulations plus favorables. Il a estimé que cette nouvelle loi remettait en question le niveau intermédiaire de la branche, voire celui de l'accord d'entreprise. Il a qualifié la démarche du Gouvernement de " renversement historique et copernicien ".

M. Denis Kessler a relevé " l'inimaginable complexité " du projet de loi, avouant au passage que certaines dispositions restaient encore obscures pour le MEDEF lui-même. Dans ces conditions, il s'est interrogé sur la façon dont la loi pourrait être appliquée par une petite entreprise dépourvue de directeur des ressources humaines. Evoquant la possibilité, pour l'inspecteur du travail, de déroger au régime des heures supplémentaires lorsque l'entreprise bénéficiait d'une commande exceptionnelle, il a souligné combien l'aide financière devenait aléatoire et dépendante de l'interprétation de l'administration.

M. Denis Kessler a insisté sur la démotivation des cadres, consécutive au nouveau régime instauré par le projet de loi. Il a relevé la difficulté à distinguer trois catégories de cadres selon la fonction, alors qu'il s'agissait en définitive de personnels titulaires des mêmes diplômes. Il s'est interrogé sur les modalités de passage d'une catégorie à une autre.

M. Denis Kessler a observé que le projet de loi favoriserait une hausse des coûts salariaux à travers notamment les majorations du SMIC nécessaires pour combler l'écart entre la garantie mensuelle et la rémunération des salariés payés au SMIC sur une base de 39 heures à l'horizon de 2005.

M. Denis Kessler a considéré que les 105 milliards de francs évoqués comme montant total des allégements de charges constituaient une somme considérable. Evoquant les 40 milliards de francs prélevés sur les régimes sociaux, il a souligné que, dans le cas du régime des retraites complémentaires, ces prélèvements reviendraient à amputer les droits des retraités.

Rappelant que le projet de loi subordonnait la plupart des décisions à l'accord des syndicats, M. Denis Kessler a observé qu'un nombre considérable d'entreprises ne disposaient pas de délégué syndical, que le taux de syndicalisation était de 4,2 %, soit le plus faible de toute l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et que les entreprises rencontraient des problèmes pour trouver un interlocuteur.

M. Denis Kessler a observé que le projet de loi favorisait un contrôle administratif de la gestion quotidienne des entreprises, source de nombreux contentieux, que redoutaient déjà les responsables d'entreprises.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, relative à la manifestation organisée par le MEDEF le lundi 4 octobre, M. Denis Kessler a déclaré que cet événement avait démontré la représentativité de l'organisation patronale. Il a rappelé que le MEDEF représentait avec la CGPME la totalité des branches et l'ensemble des entreprises comme l'avait montré ce rassemblement de 30.000 chefs d'entreprises. Il a déclaré que ces derniers avaient confirmé leur totale hostilité au projet de loi considéré comme une " loi contre les entreprises ".

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, relative à la façon dont le projet de loi avait repris les dispositions des accords de branche, M. Denis Kessler a estimé qu'un accord, qui constituait un tout, ne pouvait être repris à 90 % et qu'en conséquence on ne pouvait pas dire que le projet de loi reprenait les dispositions des accords de branche.

M. Louis Souvet, rapporteur, l'ayant interrogé sur la question du référendum, M. Denis Kessler a déclaré que le MEDEF n'y était pas favorable, car il était attaché à la représentativité syndicale, facteur de stabilité. Il a évoqué à ce propos la confusion existant dans le secteur bancaire dont l'accord de branche, signé par un syndicat, avait été étendu par Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, avant d'être annulé par le juge.

M. Louis Souvet, rapporteur, ayant posé une question sur le débat relatif à la représentativité syndicale introduit par le projet de loi, M. Denis Kessler a estimé que ce débat était nécessaire, mais qu'il ne trouvait pas sa place à l'occasion de la discussion d'un texte relatif à la réduction du temps de travail.

M. Bernard Boisson a considéré que le mandatement constituait un autre exemple du non-respect par le Gouvernement des accords signés. Il a rappelé que les partenaires sociaux avaient prévu en 1995 la possibilité de négocier des accords avec les délégués du personnel. Il a observé que cet accord renouvelé en avril dernier nécessitait une validation législative sur laquelle le Gouvernement refusait pour l'instant de se prononcer. Il a considéré que le mandatement ne devait pas être exclusif de tout autre dispositif comme, par exemple, le recours aux délégués du personnel.

En réponse à une question de M. Charles Descours sur l'attitude qui serait celle du MEDEF dans l'hypothèse où le Gouvernement persisterait à vouloir faire financer les 35 heures par les régimes de protection sociale, M. Denis Kessler a déclaré que son organisation quitterait les organismes paritaires. Il a rappelé que le patronat s'était engagé avec les syndicats de salariés depuis 1945 dans la cogestion de la protection sociale, soit sous la forme d'un paritarisme " pur " (Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), Association générale des institutions de retraite des cadres et Association des régimes de retraites complémentaires (AGIRC-ARRCO)), soit dans le cadre d'un paritarisme " bousculé par un étatisme de plus en plus fort " (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS)). Il a considéré que le MEDEF ne pouvait pas accepter, sans réagir, que la signature des partenaires sociaux ne soit pas respectée et que les fonds des régimes sociaux soient " siphonnés " par le Gouvernement. Il s'est interrogé, en outre, sur la constitutionnalité du paragraphe 16 de l'article 11 du projet de loi qui dispose que le mode de calcul de la contribution des régimes sociaux sera déterminé par un décret en conseil d'Etat.

En réponse à Mme Nicole Borvo qui soulignait l'importance des aides accordées aux entreprises, M. Denis Kessler a déclaré que le MEDEF n'était pas demandeur d'aides publiques, car elles se traduisaient par une aggravation des prélèvements sur les entreprises.

Il a souligné par ailleurs que la RTT qui avait à l'origine un objectif de création d'emplois privilégiait désormais le développement des loisirs et favorisait le temps libre subventionné.

En réponse à une question de M. André Jourdain sur les conséquences du projet de loi pour les entreprises, M. Denis Kessler a considéré que si le projet de loi devait être " gauchi ", il n'en deviendrait que plus inapplicable. Il a estimé qu'il provoquerait sans aucun doute des délocalisations, une augmentation du travail au noir et plus généralement un développement de l'économie grise.

M. Philippe Nogrix s'étant interrogé sur le dispositif de conseil prévu par la première loi et sur l'impact respectif de la croissance et des 35 heures sur l'évolution de l'emploi, M. Denis Kessler a déclaré que l'impact des 35 heures n'était pas perceptible par rapport au rythme normal de création d'emplois en phase haute du cycle conjoncturel. Il a constaté par ailleurs que pour un même taux de croissance, la France ne créait pas plus d'emplois que ses voisins. Il a considéré enfin que les 35 heures auraient pour effet de renchérir le coût du travail et de renforcer la substitution du facteur capital au facteur travail.

M. Bernard Boisson a estimé que l'aide au conseil prévue par la première loi avait renforcé la pression exercée sur les entreprises en les incitant à se lancer dans un processus de réduction du temps de travail. Il a déclaré que les organisations patronales avaient été plus prudentes dans leurs conseils prodigués à leurs adhérents.

D. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS VEYSSET, MEMBRE DU BUREAU ET PRÉSIDENT DE LA COMMISSION SOCIALE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (CGPME) ET DE M. GEORGES TISSIÉ, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES

Enfin, la commission a entendu M. Jean-François Veysset, membre du bureau et président de la commission sociale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, M. Jean-François Veysset a déclaré tout d'abord que le succès de la manifestation organisée conjointement par la CGPME et le MEDEF le 4 octobre dernier avait dépassé toutes ses espérances. Il a affirmé que cette nouvelle loi était mal perçue par les chefs d'entreprise sur le terrain. Il a fait part de son étonnement que M. François Hollande, Premier secrétaire du parti socialiste, ait participé à la contre-manifestation organisée par la Confédération générale du travail (CGT) au même moment.

M. Louis Souvet, rapporteur, s'étant interrogé sur le bilan que faisait la CGPME de la loi du 13 juin 1998, M. Georges Tissié a estimé que le projet de loi ne reprenait pas nombre de stipulations contenues dans les accords de branche. Il a cité l'exemple du contingent d'heures supplémentaires qui avoisinait les 180 heures dans les secteurs de la métallurgie, du commerce et de la réparation automobile et du bâtiment et des travaux publics, alors que le projet de loi maintenait un contingent de 130 heures. Il a estimé que la durée maximale du travail de 1.600 heures prévue dans le cadre d'un recours à l'annualisation contredisait nombre d'accords signés.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, relative au mandatement, M. Jean-François Veysset a déclaré que le mandatement dans les entreprises de moins de onze salariés constituait un " leurre complet ". Il a regretté que le projet de loi n'ait pas prévu la possibilité de signer un accord avec les délégués du personnel dans des entreprises de moins de cinquante salariés. Il a estimé que les syndicats ne pouvaient pas espérer retrouver, en favorisant le recours au mandatement, leur audience passée dont il a rappelé qu'elle continuait à baisser depuis deux ans. Il a considéré que nombre d'entreprises préféreraient renoncer aux aides publiques plutôt que de devoir composer avec des salariés mandatés. Il a estimé que le mandatement prévu par la loi du 13 juin 1998 était beaucoup plus lourd que celui prévu par la loi du 12 novembre 1996 en application de l'accord interprofessionnel de 1995.

M. Jean-François Veysset a déclaré que le principe des accords majoritaires tel qu'il était énoncé à l'article 11 du projet de loi était inadmissible. Il a considéré que l'hypothèse d'un référendum aurait pour conséquence la destruction de l'autorité du chef d'entreprise.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, sur le financement des allégements de charges sociales, M. Jean-François Veysset a déclaré que les dispositions prévues par le projet de loi étaient très préoccupantes étant donné la fragilité de l'équilibre financier des régimes sociaux. Il a rappelé que le Parlement avait créé, il y a quelques années, un nouvel impôt, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), afin de rétablir l'équilibre des comptes sociaux et s'est étonné que le Gouvernement puisse envisager, dans ces conditions, de ponctionner des régimes sociaux toujours convalescents.

M. Jean-François Veysset a déclaré que la CGPME quitterait les organismes paritaires de concert avec le MEDEF si le principe d'une contribution des régimes sociaux au financement des 35 heures devait être maintenu. Il a toutefois précisé que son organisation n'entendait pas se rendre complice d'une rupture recherchée du dialogue social. Il a fait part de son sentiment que les syndicats n'accepteraient pas le principe d'une contribution forcée des régimes sociaux au financement des allégements de charges.

M. Jean-François Veysset a estimé que le débat parlementaire devait être l'occasion d'expliquer à l'opinion publique qu'une partie de la rémunération des heures supplémentaires entre 35 et 39 heures ne bénéficierait pas aux salariés mais à un fonds ayant pour mission de financer les allégements de charges sociales. Il a rappelé que la règle normale devait être que les majorations bénéficient aux salariés ; il a estimé également que le taux de rémunération des heures supplémentaires entre la 35 e et la 39 e heure devait être fixé de manière pérenne à 10 %.

Evoquant la flexibilité, M. Jean-François Veysset a estimé que le projet de loi remettait en cause les dispositions existantes en promouvant un système unique et rigide qui limitait la durée annualisée du travail à 1.600 heures, soit 34 heures par semaine, ce qui lui semblait insuffisant.

Concernant l'évolution de l'emploi, M. Jean-François Veysset a observé que la reprise de l'activité avait d'ores et déjà permis la création d'emplois dans le cadre des 39 heures. Il a considéré que cette loi accentuait la pénurie sur le marché du travail, rappelant que des classes d'apprentissage ou de formation professionnelle avaient déjà dû être fermées faute de candidats éligibles. Il a constaté que nombre de chômeurs étaient tellement éloignés d'une situation d'emploi qu'il était difficile de les former et que, dans ces conditions, l'impact de la réduction du temps de travail sur la création d'emplois était pour le moins incertain.

M. Jean-François Veysset a déclaré que ce projet de loi favoriserait les concurrents européens au détriment des entreprises françaises et conforterait en France le développement du travail dissimulé.

En réponse à une question de M. André Jourdain relative à l'attitude de la CGPME si le projet de loi devait être adopté sans de substantielles modifications, M. Jean-François Veysset a déclaré qu'il serait nécessaire que les PME se mobilisent pour signifier leur refus que la France devienne un " désert économique ".

En réponse à une question de M. Philippe Nogrix relative au groupement d'employeurs et au multisalariat, M. Jean-François Veysset a estimé que le groupement d'employeurs constituait une piste dynamique pour les PME, susceptible de favoriser l'autoformation. Il a regretté la complexité des dispositions relatives au groupement d'employeurs dans le projet de loi

V. AUDITIONS DU MARDI 12 OCTOBRE 1999

A. AUDITION DE M. JEAN-MARC ICARD, SECRÉTAIRE NATIONAL CHARGÉ DE L'EMPLOI À LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT-CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES CADRES (CFE-CGC)

Réunie le mardi 12 octobre 1999, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a poursuivi son programme d' auditions sur le projet de loi n° 1786 (rectifié) (AN) relatif à la réduction négociée du temps de travail .

La commission a tout d'abord entendu M. Jean-Marc Icard, secrétaire national chargé de l'emploi à la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC).

M. Jean-Marc Icard, secrétaire national de la CFE-CGC,
a tout d'abord souhaité rappeler que son organisation syndicale n'avait pas demandé une loi sur la réduction du temps de travail. Il a souligné que la CFE-CGC avait été signataire de l'accord interprofessionnel de 1995 et que c'est l'absence de volonté de négocier des organisations patronales qui avait amené le Gouvernement à légiférer. Evoquant la loi du 13 juin 1998, M. Jean-Marc Icard a souligné que son organisation s'était déclarée favorable à une loi qui permettrait de créer des emplois, ceci d'autant plus qu'il avait été dit que la deuxième loi reprendrait le contenu des accords signés par les partenaires sociaux, notamment pour les dispositions relatives aux cadres.

Revenant sur le projet de loi, M. Jean-Marc Icard a considéré qu'il ne donnait pas satisfaction à la CFE-CGC, notamment pour ce qui était des dispositions relatives aux cadres. Il a estimé que le forfait journalier restaurait " le servage des cadres ", il a considéré par ailleurs que la définition des cadres dirigeants était trop imprécise.

Il a déclaré que la catégorie des cadres-dirigeants devait se limiter aux mandataires sociaux, non régis par la convention collective de leur branche d'activité et ayant des responsabilités qui les amenaient à définir les stratégies politiques, économiques et financières de l'entreprise.

M. Jean-Marc Icard a estimé que les employeurs avaient tendance à considérer que les cadres du comité de direction voire certains directeurs de magasins pouvaient être considérés comme des cadres-dirigeants, ce qui ne lui semblait pas acceptable.

Il s'est déclaré d'accord avec la notion de cadre intégré dans les équipes de travail et soumis au droit commun. Il a estimé que les forfaits avec référence mensuelle ou annuelle présentaient un intérêt, mais il s'est élevé contre la formule du forfait-jour, sans limitation d'horaire, qui pourrait amener un cadre à travailler 13 heures de suite. Il s'est déclaré très inquiet sur le renvoi à la négociation de branche de la définition des limites horaires pour le forfait-jour.

Il a rappelé qu'un cadre travaillait actuellement jusqu'à 46 heures en moyenne par semaine, soit 2.100 heures par an, et que la formule du forfait pourrait théoriquement permettre une durée annuelle du travail des cadres proche des 2.800 heures par an.

Ce faisant, il s'est interrogé sur la réalité de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail pour les cadres.

M. Jean-Marc Icard a souligné qu'un cadre qui refuserait les conséquences d'un accord de réduction du temps de travail pourrait faire l'objet d'une procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Il a insisté sur la situation particulière des femmes exerçant des fonctions de cadre qui se voyaient souvent interdire l'accès aux plus hautes responsabilités pour des raisons liées à une insuffisante disponibilité.

Il a fait part du risque que plusieurs catégories de salariés fassent l'objet d'un basculement dans la catégorie des cadres payés au forfait, citant l'exemple des agents de maîtrise, et que le chef d'entreprise puisse ainsi détourner la législation sur la durée du travail.

M. Jean-Marc Icard a estimé que le conditionnement des aides financières à la signature d'un accord majoritaire porterait un rude coût à la négociation contractuelle. Il a fait observer le risque de chantage de la part des chefs d'entreprise et la possibilité que les salariés refusent l'accord soumis à référendum. Il a considéré qu'il fallait laisser les organisations syndicales prendre leurs responsabilités.

Il a considéré que la CFE-CGC acceptait de discuter de la question de la représentativité, mais pas au détour d'une loi sur la réduction du temps de travail.

M. Jean-Marc Icard a déclaré que son organisation syndicale était tout à fait opposée au principe d'un financement des allégements de cotisations sociales par les organismes de sécurité sociale. Il a estimé que cela revenait à demander au salarié de payer la " baisse des charges ".

Il a qualifié d'" usine à gaz " le dispositif relatif aux heures supplémentaires prévu par le projet de loi, estimant qu'il était très difficile à mettre en oeuvre pour les petites et moyennes entreprises (PME).

Il a souligné le risque que les employeurs saisissent le prétexte de la nouvelle définition du travail à temps partiel pour demander à leurs salariés de travailler 34 heures par semaine payées sur la base de 34 heures.

Il a regretté l'absence de la référence à la création d'emplois dans le projet de loi en observant que, sans ces créations, les cadres seraient encore plus sollicités. Il a considéré que les allégements de cotisations sociales ne créeraient pas d'emploi et s'est déclaré favorable au principe d'un allégement des charges pour le premier cadre.

Il a estimé que la formation, qui fait l'objet d'un article 10 dans le projet de loi, relevait du domaine de la négociation collective.

Enfin, M. Jean-Marc Icard a estimé que le projet de loi aurait pour conséquence une remise en cause des conventions collectives et des classifications.

Il a souhaité que la négociation collective détermine quelles étaient les catégories de cadres qui pourraient bénéficier du forfait et de la formation, en suggérant qu'en cas d'absence d'accord, tous les cadres se voient appliquer le droit commun en matière de durée du travail.

M. Jean Delaneau, président, a fait observer qu'il lui semblait que la CFE-CGC souhaitait que certaines matières soient laissées à la négociation collective.

M. Jean-Marc Icard a confirmé que la loi devait être un cadre incitant à la négociation. Il a regretté que le projet de loi " ouvre une porte et la referme aussitôt ".

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, qui l'interrogeait sur la compatibilité du projet de loi avec les accords signés, M. Jean-Marc Icard a estimé que certains accords devraient être modifiés notamment sur le nombre de jours de travail des cadres au forfait.

En réponse à M. Louis Souvet, rapporteur, M. Jean-Marc Icard s'est déclaré opposé au principe de l'exclusion du bénéfice des aides financières des cadres rémunérés au forfait.

M. Louis Souvet, rapporteur , l'ayant interrogé sur la question de la représentativité des syndicats, M. Jean-Marc Icard a déclaré que son organisation syndicale n'était pas opposée à une discussion sur le décret de 1966, mais il a souligné que cette question n'avait pas à être traitée dans le cadre de ce projet de loi.

Il a souhaité, à cet égard, que la CFE-CGC puisse être considérée comme représentative de l'ensemble des salariés et non seulement des cadres.

M. André Jourdain a observé que la CFE-CGC n'était pas opposée à la définition de plusieurs catégories de cadres. Il s'est interrogé sur la possibilité que plusieurs entreprises puissent recruter des cadres en commun à travers la formule du multisalariat.

M. Guy Fischer a considéré que les cadres souhaitaient se voir appliquer les 35 heures et s'est interrogé sur la possibilité d'un abaissement sur plusieurs années de la durée du travail pour cette catégorie de salariés.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Marc Icard a estimé que la négociation collective devait déterminer la répartition des cadres entre les différentes catégories, la loi ne constituant en la matière qu'un recours en cas d'échec. Il a reconnu que le projet de loi ne comportait aucune disposition relative au multisalariat et s'est déclaré favorable au développement du groupement d'employeurs pour les cadres.

Il a estimé que si l'on diminuait l'horaire de travail des cadres sans diminuer la charge de travail, il n'y aurait aucun changement. Il s'est déclaré favorable à une baisse du temps de travail des cadres par palier.

B. AUDITION DE M. DENIS GAUTIER-SAUVAGNAC, PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE POUR L'EMPLOI DANS L'INDUSTRIE ET LE COMMERCE (UNEDIC), ACCOMPAGNÉ DE M. DOMINIQUE CHERTIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL

Puis la commission a entendu M. Denis Gautier-Sauvagnac, président de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), accompagné de M. Dominique Chertier, directeur général.

M. Denis Gautier-Sauvagnac, président de l'UNEDIC,
a souhaité préciser, de prime abord, que l'UNEDIC étant un organisme paritaire, il veillerait à ce que ses propos reflètent l'opinion commune des gestionnaires de l'assurance chômage. Puis il a souhaité répondre aux questions du rapporteur et des membres de la commission.

M. Louis Souvet, rapporteur, a souhaité savoir si l'UNEDIC avait été amenée à prendre officiellement position sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

Il a observé que l'article 11 du projet de loi prévoyait que les organismes gérant des régimes de protection sociale contribuent au financement d'un fonds assurant la compensation intégrale des allégements de cotisations sociales. Il a souhaité savoir, en conséquence, si la lettre de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que les exonérations de cotisations sociales sont remboursées intégralement " aux régimes concernés par le budget de l'Etat ", était respectée.

Il s'est interrogé sur la technique du calcul de la contribution de l'UNEDIC au regard du texte de l'article 11-XVI du projet de loi, souhaitant savoir s'il s'agissait de procéder à une analyse fine du statut des embauchés ou, au contraire, de considérer que tout embauché était un chômeur en puissance.

Il s'est demandé si la fixation, par décret en Conseil d'Etat, des règles de calcul de l'évolution de la contribution des organismes sociaux aux allégements de charges constituait l'amorce d'une indexation, voire d'une forfaitisation de cette contribution.

M. Louis Souvet, rapporteur, a souhaité connaître le rôle de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui, selon l'article 11 du projet de loi, doit être consultée sur les règles de calcul de cette contribution.

Il a souhaité savoir quelle serait techniquement la situation de l'assurance chômage au 1 er janvier 2000 si la convention UNEDIC n'était pas renouvelée par les partenaires sociaux.

Enfin, M. Louis Souvet, rapporteur, s'est interrogé, de façon générale, sur l'état des relations financières entre l'Etat et l'UNEDIC.

En réponse aux questions du rapporteur, M. Denis Gautier-Sauvagnac a déclaré que l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage n'avait pas été amené à prendre une position officielle dès lors qu'à la différence des caisses de sécurité sociale, la consultation de l'UNEDIC sur le projet de loi n'était pas prévue par les textes. Il a indiqué toutefois que l'UNEDIC avait eu l'occasion d'exprimer indirectement son sentiment, le 29 septembre dernier, lors de la réunion de son bureau. L'ensemble des gestionnaires s'étaient alors unanimement refusé à une remise en cause de l'accord de 1995 relatif au remboursement d'un prêt souscrit par l'UNEDIC, qui prévoyait une prise en charge par l'Etat d'une partie de ce remboursement à hauteur de 10 milliards de francs. En tant que gestionnaires, comme en tant que partenaires sociaux, ils avaient considéré, à cette occasion, qu'il n'appartenait pas à l'UNEDIC d'utiliser le produit des cotisations pour financer le budget de l'Etat.

S'agissant de la compensation intégrale par le budget de l'Etat des exonérations de charges sociales, M. Denis Gautier-Sauvagnac, président de l'UNEDIC, a estimé que la lettre de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale n'était à l'évidence pas respectée.

Pour ce qui est du mode de calcul d'une contribution de l'UNEDIC au financement des exonérations de charges sociales, il a considéré qu'il était absolument impossible de " décortiquer " les cotisations perçues pour mesurer ce qui relevait des emplois créés du fait des 35 heures. Il a affirmé que l'argent du chômage devait aller aux chômeurs, soit à travers une amélioration de l'indemnisation, soit à travers des allégements de cotisations sociales créateurs d'emplois.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a estimé que la définition, par décret en Conseil d'Etat, des règles de calcul de la contribution, signifiait que l'Etat se substituait aux partenaires sociaux pour fixer les cotisations d'assurance chômage et que, ce faisant, on assistait à un tournant dans notre vie sociale, après cinquante ans de paritarisme. Il a observé qu'il s'agissait là moins d'une question relative à l'indexation ou à la forfaitisation de la contribution qu'un problème de respect des partenaires sociaux. Il a estimé que le projet de loi portait ainsi un coup fatal à la politique contractuelle et au paritarisme.

Il a confirmé que la commission des comptes de la sécurité sociale, dont le projet de loi prévoit l'avis sur le mode de calcul de la contribution, n'était pas compétente dans le domaine de l'assurance chômage.

Evoquant la situation de l'assurance chômage dans l'hypothèse où la convention relative à l'UNEDIC ne serait pas renouvelée par les partenaires sociaux, M. Denis Gautier-Sauvagnac, président de l'UNEDIC, a rappelé qu'il existait des dispositions législatives prévoyant ce cas de figure. Il a évoqué l'article L. 351-22 du code du travail qui prévoyait qu'en cas d'absence de convention, la continuité du service de l'assurance chômage était assurée par un établissement public national à caractère administratif qui assurait le recouvrement des contributions et le paiement des prestations. Il a souligné que le pouvoir réglementaire se voyait confier la charge de l'organisation de ce système de substitution, y compris pour ce qui concernait les conditions d'équilibre du régime. Il a conclu que, dans cette hypothèse, l'UNEDIC n'existerait plus sous sa forme actuelle.

S'agissant des relations financières entre l'Etat et l'UNEDIC, M. Denis Gautier-Sauvagnac a rappelé que trois dossiers étaient en débat : le premier portait sur la question des 10 milliards déjà évoquée sur lequel la position de l'UNEDIC était claire : elle ne paierait pas ; le deuxième dossier était relatif à la prise en charge de la couverture chômage d'un certain nombre de dispositifs en faveur de l'emploi (emplois-jeunes, emplois-ville, fonds national de l'emploi (FNE), allocation formation reclassement (AFR)) qui constituait une question récurrente pouvant être résolue dans la transparence ; le troisième dossier, enfin, concernait l'affaire du " recyclage ", selon la terminologie gouvernementale, des exonérations de cotisations sociales dans le cadre des 35 heures sur laquelle la quasi-totalité des partenaires sociaux s'était prononcée négativement.

M. Louis Souvet, rapporteur, ayant souhaité savoir si le risque d'implosion des régimes de sécurité sociale et d'assurance chômage était réel dans l'hypothèse de l'adoption du projet de loi, M. Denis Gautier-Sauvagnac, président de l'UNEDIC, a affirmé qu'il était sûr de la détermination d'au moins un des partenaires sociaux à quitter les organismes paritaires.

M. Charles Descours s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles la commission des comptes de la sécurité sociale serait à même d'émettre un avis sur le mode de calcul de la contribution demandée aux organismes sociaux, y compris l'UNEDIC, et sur les réserves financières constituées par l'UNEDIC pour couvrir ses engagements à venir.

Il a déclaré qu'il proposerait, en tant que rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale, de supprimer les dispositions du projet de loi de financement, qui prévoyaient une participation des organismes sociaux au financement des allégements de charges, et a souhaité que le Gouvernement ne doute pas de la détermination des partenaires sociaux à assurer le respect de leurs prérogatives.

En réponse à M. Charles Descours, M. Denis Gautier-Sauvagnac s'est déclaré incompétent, au titre de ses fonctions de responsable de l'assurance chômage, pour se prononcer sur les règles de fonctionnement de la commission des comptes de la sécurité sociale. Il a indiqué que les comptes de l'assurance chômage atteignaient à peine à l'équilibre, après pourtant deux années de croissance de l'économie.

Evoquant la situation comptable de l'UNEDIC, il a estimé que les 27 milliards de francs disponibles en trésorerie correspondaient à des dettes exigibles soit immédiatement, soit au plus tard en 2002 et qu'une partie de ces fonds permettait d'assurer le besoin en fonds de roulement, c'est-à-dire le paiement des engagements infra-mensuels. Il a estimé la marge de manoeuvre à 15 milliards de francs, soit un mois de prestations, et a considéré qu'il s'agissait là de l'indispensable filet de sécurité dont avait besoin le régime d'assurance chômage.

M. Denis Gautier-Sauvagnac, président de l'UNEDIC , a déclaré que, face à cette trésorerie, le régime d'assurance chômage affichait 30 milliards de francs de dettes dont 24 milliards de francs d'engagements provisionnés, notamment 12,6 milliards de francs pour l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) et 1,8 milliard de francs pour l'allocation spéciale du fonds national pour l'emploi (ASFNE). Il a considéré que la situation nette de l'UNEDIC était ainsi à la limite du négatif.

En réponse à la remarque de M. Charles Descours, M. Denis Gautier-Sauvagnac a constaté, qu'au jour d'aujourd'hui, les négociations n'étaient toujours pas engagées pour le renouvellement de la convention UNEDIC, qui expirait pourtant au 31 décembre de cette année.

M. Guy Fischer a souhaité savoir si l'UNEDIC pourrait prendre en charge les cotisations retraites des chômeurs.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a estimé que la question du respect des partenaires ne pouvait être divisée, les accords signés devaient être respectés, ainsi que leur autonomie à fixer les recettes et les dépenses du régime d'assurance chômage.

C. AUDITION DE M. EMILE ZUCCARELLI, MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE LA RÉFORME DE L'ETAT ET DE LA DÉCENTRALISATION

Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.

M. Emile Zuccarelli
a tout d'abord rappelé qu'actuellement la loi du 13 juin 1998 était seulement applicable aux salariés du secteur marchand et qu'elle ne concernait pas les agents de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale.

Il a indiqué que, lors de la négociation de l'accord salarial du 10 février 1998, après avoir été sollicité par les représentants syndicaux sur la mise en application de la réduction du temps de travail (RTT) dans le secteur public, il avait estimé nécessaire que soit établi au préalable un état des lieux.

Il a rappelé que cet état des lieux, confié à M. Jacques Roché, conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes, lui avait été remis en février 1999 et qu'il avait fait l'objet d'une concertation avec les représentants des syndicats du personnel et des organisations d'élus locaux. Il a souligné que le résultat de ces rencontres bilatérales avait été retracé dans le rapport remis au Parlement, le 22 juin 1999, conformément à l'obligation prévue à l'article 14 de la loi du 13 juin 1998.

Il a souligné qu'il avait à nouveau pris contact avec les organisations syndicales et les associations représentatives d'élus locaux en septembre dernier pour faire avancer le dossier.

Il a précisé que l'objectif du Gouvernement était de faire bénéficier les fonctionnaires de " l'avancée sociale " que constitue la règle des 35 heures de travail hebdomadaire au même titre que les autres salariés.

L'objectif est également de saisir cette occasion pour améliorer le service public tout en prolongeant le dialogue social au niveau déconcentré, le plus près possible du terrain.

Il a précisé que la RTT devait s'appliquer aux fonctionnaires qui travaillaient en moyenne annuelle plus de 35 heures par semaine, les autres devant, en première analyse, conserver les mêmes horaires qu'actuellement.

Il a estimé possible de déboucher, d'ici à trois mois, sur un accord relatif à l'aménagement et à la RTT qui serait valable pour l'ensemble des trois fonctions publiques.

Cet accord, à la fois suffisamment précis et suffisamment souple, devrait ensuite être adapté au niveau de chaque fonction publique et pour la fonction publique d'Etat, pour chaque ministère. Enfin, la négociation devrait avoir lieu au niveau des entités administratives déconcentrées, c'est-à-dire au niveau des services de l'Etat, des établissements hospitaliers et des collectivités locales employeurs.

S'agissant du contenu de l'accord " inter-fonctions publiques ", il a précisé que celui-ci aurait pour objet de mettre à jour l'environnement réglementaire pour définir des notions de base, telles que la notion de temps de travail, de travail de nuit, d'astreinte ou de temps choisi, de poser quelques objectifs généraux, et de transposer en droit interne des directives européennes.

M. Jean Delaneau, président, s'est interrogé sur les conséquences législatives de cet accord.

M. Emile Zuccarelli a effectivement considéré qu'un projet de loi pourrait apparaître nécessaire, notamment au regard du principe de libre administration des collectivités locales, pour les dispositions applicables à la fonction publique territoriale.

M. Louis Souvet, rapporteur, s'est interrogé sur la constatation émise dans le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) de 1997 qui faisait état d'un sureffectif de 10 % au minimum dans les trois fonctions publiques, soit près de 500.000 agents en trop, pour un coût de 150 milliards de francs par an.

Il s'est demandé si la RTT serait considérée comme une occasion de maîtriser, voire de réduire, les effectifs dans les fonctions publiques. Il s'est interrogé sur le coût du passage aux 35 heures hebdomadaires de travail. Il s'est demandé si la RTT serait financée par un développement de la flexibilité dans la fonction publique, par un blocage des salaires des fonctionnaires ou par des augmentations d'impôts.

En réponse, M. Emile Zuccarelli a souligné que le rapport de l'IGF de 1997 n'avait pas été réalisé à la demande du ministère de la fonction publique mais qu'il résultait d'une initiative de M. Jean Choussat. Il a précisé qu'il ne partageait pas les analyses exposées dans ce rapport, tout en regrettant que son auteur n'ait pas précisé dans quel secteur il estimait excédentaire le nombre de fonctionnaires.

Evoquant les diverses demandes transmises par les élus relatives à l'insuffisance numérique d'infirmières, d'enseignants et de policiers dans les services de l'Etat, il a rappelé qu'il avait déclaré que " les besoins du service public étaient illimités, mais que ses moyens étaient limités ". Il a souligné que le nombre des fonctionnaires était un choix politique effectué sous la contrainte du respect des équilibres économiques internes et externes.

Concernant le rapport de M. Roché, il a indiqué que celui-ci ne posait pas la question de la RTT dans la fonction publique en termes de créations d'emplois et il a précisé que le Gouvernement n'analysait pas le passage aux 35 heures de travail hebdomadaire dans le secteur public de la même façon que dans le secteur marchand.

Il a rappelé que le secteur marchand n'avait pas effectué de créations nettes d'emplois au cours des quinze ou vingt dernières années, alors que, dans le même temps, le secteur public avait augmenté ses effectifs de 20 %, ce qui avait contribué à lutter contre le chômage.

Il a considéré que les éléments qui permettaient le financement de la RTT dans la loi du 13 juin 1998 ne pouvaient pas être transposés dans le secteur public : en effet, les gains de productivité ne suscitent pas de recettes supplémentaires, mais un meilleur service pour l'usager ; l'augmentation de la pression fiscale n'est pas une hypothèse à l'ordre du jour ; enfin, la modération salariale est difficile à faire jouer dans un domaine où la grille salariale est uniforme et centralisée et où toute modification du point de rémunération joue à la fois pour les actifs et pour les retraités.

Il a souligné, à nouveau, que l'emploi n'était pas un objectif dans la démarche de réduction du temps de travail dans la fonction publique, mais qu'il s'agissait de lui appliquer une avancée sociale.

S'agissant de la flexibilité, faisant part de ses réticences à l'égard de ce terme dont le sens a parfois été dévoyé, il a indiqué que le rapport Roché se référait à la notion " d'annualité " à des fins statistiques pour comparer sainement le temps de travail des différents fonctionnaires et prendre en compte les différents régimes de congé ou de récupération.

Il s'est déclaré incapable d'évaluer le coût de la mise en oeuvre de la RTT dans les fonctions publiques, tout en soulignant que ce coût devrait rester compatible avec les grands équilibres financiers de la Nation et que chaque collectivité employeur devrait faire face à ses responsabilités.

M. Alain Gournac s'est inquiété que l'on puisse discuter de la RTT dans la fonction publique sans préalablement et prioritairement calculer son coût ; il a évoqué l'inquiétude des maires sur le coût des modalités du passage aux 35 heures. Evoquant la démarche d'amélioration de la qualité des services et de certification poursuivie dans sa commune, il a souligné que la RTT devrait aller de pair avec une meilleure adaptation des horaires en vue d'améliorer le service rendu au public.

M. André Jourdain a considéré qu'au cours des quinze dernières années, le secteur marchand avait créé 1,7 million d'emplois et en avait supprimé 802.000, ce qui faisait apparaître un solde positif. Il a émis des doutes sur le fait que les fonctionnaires, dont la durée de travail est aujourd'hui inférieure à 35 heures, admettent que leurs horaires ne soient pas réduits. Il a souhaité un assouplissement des règles de cumul entre un emploi public et un emploi privé, notamment pour les secrétaires de mairie des petites communes travaillant à temps partiel.

M. Jacques Bimbenet s'est interrogé sur les conséquences financières de la mise en oeuvre des 35 heures hebdomadaire de durée du travail dans les services départementaux d'incendie et de secours.

En réponse, M. Emile Zuccarelli a indiqué qu'il n'était pas étonné des réticences exprimées par les responsables des collectivités locales, mais il a observé que ces dernières procédaient souvent à des avancées sociales dans la plus grande dispersion, ce qui rendait la situation particulièrement complexe.

Il a observé, à cet égard, que 25 % des communes avaient déjà mis en oeuvre une durée hebdomadaire moyenne de travail égale ou inférieure à 35 heures, tout en soulignant que les communes en question n'étaient pas celles dont les ressources étaient les plus importantes. Dans ces conditions, il a observé qu'il serait difficile de prévoir une subvention compensatrice de l'Etat.

De même, il a souligné que le temps de présence effectif en caserne des sapeurs-pompiers dans les services d'incendie et de secours variait entre 90 et 140 jours par an selon les collectivités locales, en observant que cette disparité n'était pas un facteur d'équité.

S'agissant de l'amélioration du service rendu, il a estimé qu'il serait " malheureux " de ne pas saisir l'occasion de la mise en place de la RTT pour chercher à mieux satisfaire les besoins des usagers.

Concernant le cumul d'emplois, il a indiqué que le Conseil d'Etat avait récemment transmis un rapport au Gouvernement qui allait dans le sens de l'autorisation du cumul avec un emploi privé en cas d'occupation d'un emploi public " à temps très partiel ".

Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est inquiétée de la perception par le public des informations telles que celles contenues dans le rapport de l'IGF de 1997. Elle a souhaité que les négociations sur la RTT soient utilisées pour favoriser une réorganisation des services. Elle s'est interrogée sur le calendrier de négociations envisagé par le Gouvernement.

M. Claude Domeizel a approuvé la démarche consistant à rechercher un accord préalable valable pour l'ensemble des trois fonctions publiques. Il a souligné la difficulté que poserait la coexistence au sein d'une même collectivité publique, d'agents de droit privé bénéficiant de la RTT, et de fonctionnaires de droit public dont la durée hebdomadaire moyenne de travail serait maintenue à 39 heures.

M. Michel Esneu a douté que l'on puisse diminuer le temps de travail dans la fonction publique sans créer d'emplois, sauf à courir le risque d'un moindre service offert.

M. Guy Fischer a approuvé la démarche du ministre tout en évoquant l'importance des besoins nouveaux à satisfaire, en particulier dans les banlieues sensibles. Il s'est demandé si les élus seraient bien responsables de la mise en oeuvre de la RTT vis-à-vis de leurs services.

En réponse, M. Emile Zuccarelli a souligné, s'agissant du rapport de M. Choussat, que le Gouvernement estimait, en général, que l'on avait tort de stigmatiser les fonctionnaires. Rappelant que les fonctionnaires, pour 96 % d'entre eux, travaillaient directement sur le terrain, il a considéré que ces derniers étaient utiles et qu'il n'y avait pas aujourd'hui " de fonctionnaires en trop ". Il a indiqué que l'objectif du Gouvernement était bien de passer aux 35 heures hebdomadaires de travail dans les services publics, en facilitant leur réorganisation, et sans surcharge financière excessive.

S'agissant du calendrier, il a précisé que le Gouvernement espérait signer un accord-cadre d'ici au 1 er janvier 2000, que les dispositions applicables à chaque fonction publique pourraient être fixées au 1 er janvier 2001 et que la mise en place concrète de la RTT dans le secteur public pourrait donc se faire à partir de 2002.

Il a admis que la coexistence d'agents de droit privé et de fonctionnaires sous statut, au sein d'une même entité, entraînerait temporairement un problème délicat à gérer en particulier dans les hôpitaux.

Concernant la fonction publique territoriale, il a confirmé que le responsable élu de la collectivité locale serait le seul responsable de la mise en oeuvre de la RTT dans ses services, tout en n'excluant pas une concertation approfondie avec les associations représentatives d'élus locaux lors de la période de négociation sur les mesures générales.

M. Jean Delaneau, président, s'est interrogé sur la façon dont la RTT pourrait permettre certaines avancées, s'agissant en particulier de l'avenir des emplois-jeunes et de la mise en oeuvre des nouvelles technologies.

M. Emile Zuccarelli a considéré que la mise en oeuvre de la RTT offrait une occasion pour améliorer le dialogue social dans la fonction publique et mettre en oeuvre des réformes en termes de mobilité, de formation et de gestion des ressources humaines. Il a estimé que les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), avec lesquelles les nouvelles générations de fonctionnaires semblaient très familiarisées, entraîneraient des changements importants et rapides de l'organisation administrative.

VI. EXAMEN DU RAPPORT

Le mercredi 27 octobre 1999, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur le projet de loi n° 22 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la réduction négociée du temps de travail.

M. Louis Souvet, rapporteur,
a rappelé que le Gouvernement avait déposé, le 28 juillet dernier, un projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail et que ce projet de loi, sensiblement amendé et complété par une quinzaine d'articles supplémentaires, avait été adopté par l'Assemblée nationale le 19 octobre dernier.

Il a observé que la discussion de ce texte intervenait dix-huit mois après celle d'un premier texte déjà relatif à la réduction du temps de travail, en soulignant l'existence d'une différence essentielle entre ces deux textes : la loi du 13 juin 1998 fixait le principe d'un abaissement de la durée légale du travail à 35 heures par semaine à compter du 1 er janvier 2002 et dès le 1 er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés, alors que le nouveau projet de loi met en oeuvre ce principe.

Il a souligné que l'abaissement de la durée légale du travail ne se traduisait pas mécaniquement par une baisse de la durée effective du travail, son effet indirect étant un renchérissement du coût du travail pour les entreprises qui ne réduiraient pas la durée collective du travail.

Il a considéré que le débat ne portait pas aujourd'hui sur le principe de la réduction du temps de travail. Il a estimé en effet que l'opposition actuelle avait beaucoup oeuvré pour favoriser une réduction du temps de travail négociée en considérant que, dans un contexte de chômage massif, aucune piste ne devait être négligée.

Il a rappelé que la commission avait toujours été en pointe dans cette démarche, notamment lors de la discussion de la loi du 11 juin 1996 dite " loi de Robien " qui incitait les entreprises à réduire la durée collective du temps de travail, ainsi que lors de la discussion de la première loi Aubry, il y a dix-huit mois. Le Sénat avait alors voté les propositions de la commission qui privilégiaient une nouvelle fois une réduction volontaire du temps de travail selon un barème révisé de la " loi Robien " afin de maîtriser le coût budgétaire du dispositif, de préférence à un abaissement de la durée légale du travail.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé qu'il avait déclaré à cette occasion que " librement négociée, associée à une souplesse indispensable à la compétitivité de l'économie, la réduction du temps de travail pouvait sans doute créer des emplois ou en préserver dans certaines entreprises, en fonction du contexte qui est propre à chacune, contexte économique, contexte social, contexte psychologique également, c'est-à-dire volonté commune ".

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que, depuis deux ans, la France était le seul pays au monde à avoir engagé une démarche de réduction de la durée légale du travail, cette question étant même devenue l'alpha et l'omega du débat économique et de la négociation collective. Il a observé qu'aucune autre réforme d'envergure n'avait été menée, que ce soit en termes d'allégements de cotisations sociales, de flexibilité, de réforme du marché du travail ou encore de formation professionnelle.

Il a estimé, dans ces conditions, que la comparaison du bilan de la loi du 13 juin 1998 d'une part et des résultats obtenus par les autres grands pays européens d'autre part, dans la lutte contre le chômage, devait permettre de porter un premier jugement sur la validité de l'option choisie par le Gouvernement.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que bilan de la loi du 13 juin 1998, en termes de créations d'emplois, ne pouvait pas être considéré comme satisfaisant.

Il a rappelé que le Gouvernement avait annoncé début septembre que les accords avaient donné lieu à environ 120.000 engagements de créations d'emplois, dont près de 18.000 emplois préservés et près de 19.000 créés par le secteur public, ce qui lui a semblé bien peu compte tenu des moyens mis en oeuvre par le Gouvernement pour inciter l'ensemble des entreprises françaises à signer un accord.

Il a remarqué que 98,8 % des entreprises occupant au moins un salarié n'avaient pas signé d'accord de réduction du temps de travail et que 90 % des salariés du secteur marchand n'étaient pas couverts par un accord.

Il a noté que les 120.000 créations ou préservations d'emplois ne représentaient que 0,58 % des effectifs actuels du secteur marchand.

Il a rappelé que la croissance à elle seule avait généré la création de 500.000 emplois dans le secteur marchand en deux ans.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que le bilan présenté par le Gouvernement n'était donc pas à la hauteur des enjeux : 3 millions de chômeurs, un chômage de longue durée qui se maintient, une segmentation du marché du travail qui se confirme, alors même que la présentation des résultats de la loi du 13 juin 1998 n'était pas exempte de tout reproche.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré qu'il était aujourd'hui démontré que les 85.000 créations d'emplois annoncées (hors secteur public et hors emplois " préservés ") ne constituaient que des promesses d'embauches qui restaient encore à réaliser comme l'avait reconnu Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, lors de son audition par la commission. Il a observé qu'on ne pouvait dire, aujourd'hui, précisément combien d'emplois avaient été effectivement créés du fait de la loi du 13 juin 1998 et que ce fait à lui seul légitimait sa perplexité sur le dispositif dans son ensemble.

Par ailleurs, M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné que 6 des 15.000 accords concernaient à eux seuls près de 600.000 des 2,2 millions de salariés couverts par un accord d'entreprise ou d'établissement, soit 27,5 % du total des effectifs concernés. Il a déclaré que ces accords avaient été signés par Electricité de France (EDF), Télédiffusion de France (TDF), la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), le Conseil général de la Nièvre, les Mines de potasse d'Alsace et La Poste, en remarquant que la prise en compte de ces structures publiques pouvait biaiser sensiblement le bilan.

Il s'est interrogé sur la véritable signification des 85.000 créations d'emplois annoncées dans le cadre des accords aidés, considérant qu'un certain nombre de ces emplois correspondait à des effets d'aubaine.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que le Gouvernement estimait à 15.000 les créations d'emplois relevant des effets d'aubaine. Il a estimé que ce chiffre ne pouvait être rapporté aux 120.000 engagements de créations ou de préservations d'emplois, compte tenu des 18.800 emplois relevant du secteur public et des 16.300 emplois créés ou préservés par des entreprises qui n'avaient pas reçu une aide financière.

Il a constaté que ces 15.000 emplois devaient être rapprochés des 85.000 emplois créés ou préservés par des entreprises ayant signé un accord aidé, ce qui représentait déjà un effet d'aubaine d'environ 18 %. Il a observé à ce stade que ce chiffre de 18 % ne distinguait pas entre emplois créés ou préservés, sachant toute l'ambiguïté que comportait la notion d'emploi " préservé ". Dans ces conditions, il a estimé que les chiffres du rapport préparé par le Gouvernement illustraient que les accords signés en vertu de la loi du 13 juin 1998 avaient permis 70.000 promesses d'embauches (82 % des 85.000 emplois prévus par les accords aidés) et non 120.000 comme on pouvait le croire en écoutant des lectures plus accommodantes.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré, néanmoins, que ce chiffre de 70.000 créations d'emplois ne pouvait, lui aussi, constituer une bonne approximation du nombre d'emplois créés, compte tenu de la technique retenue par le Gouvernement pour mesurer les effets d'aubaine.

Il a rappelé que le rapport présenté par le Gouvernement le 20 septembre dernier expliquait, en effet, que la mesure de l'effet d'aubaine avait été obtenue en comparant les entreprises ayant signé un accord Aubry avec celles qui, appartenant à un même secteur et ayant une taille comparable, n'avaient pas signé d'accord. Il a observé que les experts du ministère de l'emploi estimaient que la rupture observée dans l'évolution des effectifs de ces entreprises constituait une mesure de l'effet sur l'emploi de la réduction du temps de travail. M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que le raisonnement, développé à la page 13 du tome I du bilan, serait correct si l'on ne constatait pas avec étonnement à la page 6 du tome II, dans les annexes, un graphique tout à fait intéressant, et bien peu mis en valeur, qui expliquait que l'évolution des deux catégories d'entreprises examinées par les services du ministère différait déjà entre 1990 et 1996, c'est-à-dire avant le vote de la loi Robien et bien avant celui de la première loi Aubry.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que cela signifiait que, bien qu'appartenant à un même secteur et ayant la même taille, les entreprises ayant signé un accord n'étaient pas comparables à celles qui n'en avaient pas signé, l'évolution de l'emploi dans les entreprises signataires étant spontanément plus favorable.

Il a considéré que, paradoxalement, les données rassemblées dans les annexes du rapport publié le 20 septembre par le Gouvernement démontraient que l'effet d'aubaine jouait à plein et que les entreprises qui avaient signé un accord en promettant d'embaucher étaient celles qui avaient déjà tendance à embaucher, c'est-à-dire celles qui bénéficiaient d'un avantage compétitif.

M. Louis Souvet, rapporteur, s'est interrogé sur la véritable mesure de l'effet d'aubaine. Il a rappelé que le Centre des jeunes dirigeants (CJD) estimait que 50 % des emplois créés relevaient de l'effet d'aubaine, que les chambres de commerce et d'industrie estimaient ce chiffre à 70 % tandis que M. Bernard Brunhes considérait que la " quasi-totalité " des embauches réalisées relevait de l'anticipation, c'est-à-dire littéralement de l'effet d'aubaine. M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que ces estimations ramenaient entre 25.000 et 43.000 le nombre d'emplois créés en vertu de la loi du 13 juin 1998.

Observant que 6,7 milliards de francs avaient été inscrits au budget en 1998 et 1999 pour financer la loi du 13 juin 1998, il a noté que si l'on retenait la fourchette haute de l'estimation, soit 43.000 vrais emplois créés, chaque emploi créé aurait été financé par l'Etat à hauteur de 156.000 francs (268.000 francs par emploi si l'on retenait l'hypothèse basse de 25.000 emplois créés hors effet d'aubaine). Il s'est interrogé sur le fait de savoir si cet argent n'aurait pas été mieux employé à réduire le coût du travail ou à développer la formation professionnelle.

M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné que l'ensemble des pays européens avait bénéficié d'un retour de la croissance depuis 1997.

Il a observé que le taux de chômage français, supérieur à 11 % en 1999, était parmi les plus élevés de l'Union européenne, ce taux étant aujourd'hui de 7 % en Suède, 6,5 % en Irlande et au Royaume-Uni, 4,5 % au Portugal, en Autriche et au Danemark, 3,3 % aux Pays-Bas. Il a estimé que cette comparaison n'était pas à l'avantage de la politique de l'emploi menée par le Gouvernement, la France étant, en effet, le pays, parmi ceux qui avaient les plus hauts taux de chômage en 1997, à avoir obtenu les moins bons résultats depuis deux ans en termes de réduction du chômage.

Il a observé, que, depuis deux ans, la Suède, l'Irlande et la Finlande, trois pays qui avaient un taux de chômage compris entre 10 et 12 %, avaient réduit celui-ci de 20 à 33 % contre seulement 11 % pour la France. Il a remarqué que seule l'Italie avait obtenu des résultats moins favorables que la France, en termes de baisse du taux de chômage, soulignant qu'elle était le seul pays également à avoir manifesté un intérêt pour les 35 heures, bien qu'elle ait, depuis, renoncé à mener une politique d'abaissement généralisé de la durée du travail.

M. Louis Souvet, rapporteur, a conclu, aux termes de cette analyse du bilan réalisé par le Gouvernement, que les emplois n'étaient pas au rendez-vous de la loi du 13 juin 1998.

Il a cependant reconnu que la loi du 13 juin 1998 n'avait pas été sans conséquence, la centaine d'accords de branche et les 15.000 accords d'entreprise étant une réalité. Il a souligné que, sous la contrainte exercée par la perspective de la seconde loi, les partenaires sociaux avaient été amenés à négocier ce dont les entreprises avaient besoin : la flexibilité. Il a estimé que cette loi avait fait " tomber des tabous " sur l'organisation du travail, les salariés ayant dû accepter un accroissement de la flexibilité contre une amélioration des conditions de travail et une réduction du temps de travail. Il a remarqué que les accords signés avaient prévu, dans plus de 42 % des cas, une fluctuation des horaires, dans 25,2 % un redéploiement des qualifications des salariés et dans 21 % une augmentation de l'amplitude des horaires d'ouverture. Par comparaison, il a noté que seuls 18 % des accords avaient prévu une augmentation de la durée d'utilisation des équipements. Il a souligné que, selon les chiffres communiqués dans le bilan du 20 septembre, 12 % des salariés concernés par le nouveau temps de travail avaient une durée annuelle du travail supérieure à 1.600 heures et 21 % des accords prévoyaient une durée du travail hebdomadaire maximale supérieure à 44 heures.

Il a insisté sur ces deux points, compte tenu du fait que le second projet de loi avait prévu que le plafond de l'annualisation serait abaissé à 1.600 heures et la durée maximale du travail à 44 heures.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que les partenaires sociaux étaient peu nombreux à considérer le bilan de la loi du 13 juin 1998 comme satisfaisant.

Il a observé que le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) restaient résolument opposés à ce texte. Evoquant le Centre des jeunes dirigeants d'entreprises (CJD), il a observé que 200 de ses 500 adhérents, qui avaient décidé de mettre en oeuvre la loi Aubry, avaient renoncé en cours de route à négocier la réduction du temps de travail compte tenu de la complexité et de la rigidité des procédures, de l'absence d'interlocuteurs du côté salarié et des difficultés à mettre en oeuvre la modulation du temps de travail.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que M. Jean Delmas, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA) avait déclaré, lors de son audition, que la loi du 13 juin 1998 s'était révélée impossible à appliquer pour la majorité des toutes petites entreprises du fait notamment de leur déficit d'expertise juridique.

Il a observé que, globalement, les syndicats de salariés redoutaient qu'à une première loi Aubry " réformant " la négociation collective, à travers une certaine pratique du mandatement, succède une seconde loi réorganisant le paysage syndical, à travers, par exemple, la pratique des " accords majoritaires ".

Il a souligné que les désaccords entre le Gouvernement d'une part et les partenaires sociaux d'autre part, portaient sur cinq points : la capacité de ce dispositif à créer des emplois, l'ouverture inopinée d'un débat sur la représentativité syndicale, l'articulation du second projet de loi avec les accords déjà signés, la question du financement et l'application des 35 heures aux trois fonctions publiques qui posait un problème de coût considérable.

Il a rappelé que l'article 2 de la loi du 13 juin 1998 appelait les partenaires sociaux à " négocier d'ici les échéances fixées à l'article premier (2000 ou 2002 selon la taille de l'entreprise), les modalités de réduction effective de la durée du travail adaptées aux situations des branches et des entreprises ".

Il a observé que les employeurs estimaient que les entreprises avaient " joué le jeu " et respecté la loi, " chacun ayant négocié selon les exigences de sa profession dans un dialogue parfaitement classique " et qu'ils considéraient, maintenant, que les accords étendus ne seraient pas opérationnels, compte tenu du refus du Gouvernement de reprendre les dispositions des accords concernant notamment le régime des cadres, la durée du travail en cas d'annualisation, le développement de la formation en dehors du temps de travail ou encore le nombre d'heures supplémentaires effectivement applicable.

Examinant le contenu des accords de branche, M. Louis Souvet, rapporteur, a constaté qu'ils prenaient en compte des exigences communes. Il a observé que plusieurs branches avaient retenu un contingent élevé d'heures supplémentaires, citant la métallurgie et le bâtiment et les travaux publics (BTP) (180 heures), les services de l'automobile (182 heures), la propreté (190 heures), le textile et l'habillement (175 heures). Concernant l'annualisation, il a observé que les durées annuelles retenues étaient souvent supérieures à 1.600 heures par an, comme pour le BTP (1.645 heures) ou la métallurgie, les services à l'automobile ou les industries chimiques (1.610 heures).

M. Louis Souvet, rapporteur, a indiqué que certains accords prévoyaient qu'une partie importante de la formation aurait lieu en dehors du temps de travail (services à l'automobile).

Concernant la compensation de la baisse de salaire en cas de réduction d'horaire, il a observé que les accords de branche se partageaient entre ceux qui renvoyaient aux accords d'entreprise et ceux qui posaient le principe d'une compensation sur les salaires réels.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que la procédure d'extension avait déjà constitué une première occasion de remise en cause des accords, leur examen s'étant fait à partir du cadre légal actuel, c'est-à-dire du droit existant. Il s'est demandé s'il ne fallait pas comprendre que la loi du 13 juin 1998 ouvrait un droit à l'expérimentation pour autant que les dispositions adoptées n'étaient pas sans lien avec l'objet de la loi et rejoignaient sur la forme la procédure des ordonnances législatives qui habilite le Gouvernement à adopter des actes de portée législative à " durée déterminée ".

Il a déclaré que les dispositions qui avaient fait l'objet d'une exclusion au motif d'une absence de base légale n'avaient rien de scandaleux, citant l'annualisation individuelle, le décompte en jours du forfait annuel de la durée du travail, la prise en compte des salariés à temps partiel dans la modulation, le remplacement de la rémunération des heures complémentaires par du repos, l'abondement par les repos compensateurs légaux et les majorations pour heures supplémentaires du compte épargne-temps ou encore la non-assimilation à du temps de travail effectif du temps consacré aux actions de formation prévues par le plan de formation.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que l'étendue des réserves et des exclusions illustrait le fait que le Gouvernement ne souhaitait pas encourager l'innovation dans le contenu des accords, ce qui était contradictoire avec l'esprit même de la loi du 13 juin 1998. Il a observé que les employeurs pouvaient tout à fait, dans ces conditions, dénoncer le " double-jeu " du Gouvernement qui exerçait un droit de regard sur le contenu des accords tout en précisant que les dispositions étendues " ne préjugeaient pas du contenu de la seconde loi ".

M. Louis Souvet, rapporteur, a constaté que la négociation sur la réduction du temps de travail avait donc été sérieusement " encadrée " par l'absence de possibilité d'innover et qu'il apparaissait aujourd'hui que, non seulement les partenaires sociaux n'avaient pu négocier ce qu'ils souhaitaient, c'est-à-dire " les modalités de réduction effective de la réduction du temps de travail adaptées aux situations des branches et des entreprises " mais qu'il leur faudrait renégocier certains accords sur des clauses fondamentales comme l'annualisation du temps de travail, le régime des heures supplémentaires, la formation professionnelle, le temps de travail des cadres ou les salaires, compte tenu des dispositions figurant dans le présent projet de loi.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé, en conséquence, que le projet de loi ne reprenait pas le contenu des accords signés, mais qu'il se limitait à tenir compte des " enseignements des accords conclus ", ce qui lui semblait très différent. Il a remarqué que si la loi du 13 juin 1998 avait pu être présentée comme une loi-cadre sur la réduction du temps de travail, ce nouveau texte constituait un recadrage brutal compte tenu notamment des amendements souvent très contraignants adoptés à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé les principales dispositions du projet de loi.

Il a déclaré que l'article premier était sans doute le plus emblématique puisqu'il confirmait le principe de la réduction de la durée légale à 35 heures au 1 er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et au 1 er janvier 2002 pour les autres. Il a remarqué que l'article 2 modifiait le régime des heures supplémentaires pour tenir compte de l'abaissement de la durée légale prévu par l'article premier. Il a souligné que l'article 3 unifiait et simplifiait le régime des modulations autour des 35 heures, tandis que l'article 4 pérennisait la possibilité d'organiser la réduction du temps de travail sous forme de journées ou de demi-journées de repos. Il a observé que l'article 5 distinguait trois catégories de cadres et que l'article 6 modifiait le régime du temps partiel.

M. Louis Souvet, rapporteur, a insisté sur l'article 11 du projet de loi relatif aux allégements de cotisations sociales pour les entreprises ayant conclu un accord de réduction du temps de travail. Il a observé que le paragraphe XVI de cet article prévoyait que ces allégements seraient financés par les régimes de protection sociale, d'assurance chômage et par l'Etat. Il a déclaré que l'article 12 définissait le barème d'allégement de cotisations sociales. Il a souligné que l'article 14 validait les accords conclus avant l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi mais seulement pour un an, tandis que l'article 15 traitait des conséquences du refus par un salarié d'accepter une modification de son contrat de travail consécutive à la réduction du temps de travail. Il a observé que l'article 16 garantissait les revenus des salariés rémunérés au niveau du SMIC et passés aux 35 heures.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré que l'étendue des dispositions du projet de loi comme leur complexité, notamment en ce qui concernait le régime des heures supplémentaires, illustrait bien le " recadrage " opéré par le Gouvernement à l'occasion de l'examen de ce projet de loi. Il a déclaré qu'il ne s'agissait plus seulement d'abaisser la durée légale du travail mais aussi de renforcer l'encadrement du pouvoir de gestion des chefs d'entreprise.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré que le débat à l'Assemblée nationale avait pris un tour très idéologique, l'objectif de création d'emplois étant clairement passé au second rang derrière la dimension sociale du projet de loi.

Il a cité Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, déclarant, au début de sa présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale, que " les enjeux de la loi étaient clairs : non seulement rechercher un meilleur équilibre quantitatif entre le temps de travail, le temps pour soi, le temps pour les autres, mais aussi améliorer la qualité de la vie de travail comme de la vie personnelle " à travers le sport, le bricolage, le jardinage, la culture, la flânerie... Il a rappelé que la discussion avait inscrit le projet de loi " au coeur des grandes luttes sociales de notre pays pour l'amélioration des conditions de vie, pour la défense et le développement de l'emploi ".

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré que l'adoption de nombreux amendements présentés quelquefois conjointement par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, les membres du groupe socialiste et les membres du groupe communiste, avait sensiblement durci le texte. Par ailleurs, il a souligné que des articles additionnels avaient été adoptés sans rapport direct avec la réduction " négociée " du temps de travail, ceux-ci réécrivant de nombreuses dispositions du code du travail.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que le plus emblématique de ces ajouts " idéologiques " était sans doute l'amendement à l'article premier, déposé par la commission et les membres du groupe socialiste, qui imposait aux employeurs projetant un plan social d'engager préalablement une négociation tendant à la conclusion d'un accord sur la réduction du temps de travail (amendement " Michelin ").

Il a considéré que ces durcissements étaient perceptibles tout le long du texte, la définition du travail effectif (article premier ter) ayant été modifiée pour inclure le temps nécessaire à la restauration, les temps consacrés aux pauses ainsi que certains temps d'habillage et de déshabillage.

Il a observé que les horaires d'équivalence avaient été strictement encadrés (article premier quater) de même que les astreintes (article premier quinquies). Il a souligné que le délai de prise du repos compensateur avait été réduit de six mois par un amendement à l'article 2.

Il a remarqué que la durée maximale du travail hebdomadaire avait été abaissée à 44 heures par un article additionnel 2 bis et qu'un repos hebdomadaire de 35 heures avait été créé par un article additionnel 2 ter, sans possibilité de dérogation, contrairement à ce que prévoyait la directive européenne.

Il a noté que le régime unique de modulation de l'article 3 avait été durci par un amendement qui prévoyait que l'accord devait préciser les données économiques et sociales justifiant le recours à la modulation, qu'un article 4 bis avait renforcé les modalités de contrôle du repos dominical.

Il a souligné que la catégorie des cadres dirigeants de l'article 5 avait été strictement délimitée.

Par ailleurs, il a observé que des conditions supplémentaires pour obtenir le bénéfice des allégements de cotisations sociales prévus à l'article 11 avaient été introduites.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que les modifications apportées par l'Assemblée nationale avaient toutes privilégié le renforcement et le durcissement de " l'ordre public social " de préférence à l'élargissement du champ d'intervention des partenaires sociaux. Il a remarqué que " l'ancrage à gauche " du texte revendiqué par Mme Martine Aubry et M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour l'Assemblée nationale, avait donc été confirmé et accentué par la première lecture à l'Assemblée nationale.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que les auteurs du projet de loi avaient souhaité le situer dans la lignée des " grandes lois de gauche " sur le renforcement des garanties accordées aux salariés.

Il a observé que les effets de ces " grandes " lois contredisaient souvent leurs objectifs, en considérant qu'elles avaient, non seulement tendance à privilégier l'amélioration des conditions de travail des salariés en place au détriment des perspectives d'emploi pour les chômeurs, mais aussi à faire que les contraintes imposées aux chefs d'entreprise les amènent à augmenter encore la productivité, la substitution du facteur capital au facteur travail, et donc à pénaliser l'emploi salarié.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré qu'au-delà d'un principe, la réduction du temps de travail, et d'une méthode, l'abaissement de la durée légale du travail, il existait donc une véritable rupture entre la vision de la société qui portait ce projet de loi et les convictions profondes que partageait la majorité des membres de la commission. Il a remarqué que, bien que les " 35 heures " aient constitué la 23 ème des 110 propositions de M. François Mitterrand en 1981, elles n'avaient pas été appliquées, la durée légale ayant simplement été ramenée de 40 à 39 heures. Toutefois, il a observé que l'idée était restée, notant qu'en 1982, deux des inspirateurs du présent projet de loi, MM. Yves Barou et Jacques Rigaudiat, écrivaient déjà que la réduction du temps de travail était la seule voie permettant d'éviter la solution néo-libérale. Il a observé que ces deux auteurs considéraient alors que " travailler deux heures par jour, et 40.000 heures tout au long de sa vie ", ce vieux rêve de " l'humanité était aujourd'hui à notre portée " en concluant que " le droit à la paresse était d'abord une conquête à réaliser avant que d'être une jouissance à savourer ".

Sans dénier l'importance des loisirs pour les salariés, M. Louis Souvet, rapporteur, a souhaité réaffirmer combien le travail restait aujourd'hui pour lui un principe de liberté indispensable à la cohésion de la société. Il a rappelé ce qu'avait expliqué Max Weber, à savoir que la division du travail qui caractérisait nos économies contraignait chaque individu à travailler pour les autres et constituait ainsi un puissant facteur d'unité et de solidarité.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré préférer penser avec Hannah Arendt que " la condition humaine du travail est la vie elle-même " plutôt que de considérer le travail comme une aliénation. Il a rappelé à cet égard les termes de la première phrase du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ".

Il a estimé que la commission ne pouvait pas accepter ce texte en l'état. Il a remarqué que ses objections se trouvaient aujourd'hui renforcées par les incertitudes qui entouraient le financement du dispositif.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que le 29 juin 1998 lors du débat sur la proposition de loi relative à l'allégement des charges sur les bas salaires dont le premier signataire était M. Christian Poncelet alors président de la commission des Finances, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, avait déclaré au Sénat que le Gouvernement n'avait pas souhaité poursuivre cette politique d'allégement des charges sociales pour trois raisons : le niveau des charges ne constituait pas selon lui un obstacle certain à l'emploi, l'efficacité des allégements de charges lui semblait relative et le financement d'un tel dispositif lui apparaissait comme difficile.

M. Louis Souvet, rapporteur, a remarqué que le Gouvernement était aujourd'hui revenu sur ses deux premières objections, reconnaissant que le coût du travail constituait bien un obstacle à l'emploi et que les allégements de charges étaient efficaces, mais il a observé que le troisième point relatif au financement continuait à lui poser un problème.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que le Gouvernement avait en effet prévu dans ce projet de loi un allégement de cotisations sociales spécifique pour les entreprises signataires d'un accord de réduction du temps de travail ayant abaissé la durée collective du travail à 35 heures au plus. Il a observé que tout emploi inscrit dans ce cadre donnerait droit, à partir de l'an 2000, à un abattement de cotisations patronales compris entre 21.500 francs par an au niveau du SMIC et 4.000 francs à 1,8 SMIC et au-delà. Il a souligné que les entreprises qui ne seraient pas éligibles au nouveau dispositif continueraient de bénéficier de la ristourne dégressive sur les bas salaires (" ristourne Juppé ").

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré qu'à plusieurs reprises, le Gouvernement avait fait état d'une estimation d'une baisse de 4 à 5 % du coût salarial pour un salarié à 1,6 SMIC, une fois pris en compte l'effet " négatif " des 35 heures.

Il a souligné que le financement des allégements de cotisations sociales était assuré par un fonds de financement créé par l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale auquel se référait le paragraphe XVI de l'article 11 du présent projet de loi.

Il a déclaré que ce fonds avait un double objectif : financer les aides accordées aux entreprises passant aux 35 heures et financer les allégements de charges sociales sur les bas salaires. Il a observé que ce fonds était alimenté par des recettes d'origines diverses : une fiscalité affectée (pas moins de trois prélèvements : droits sur tabacs, contribution sociale sur les bénéfices, taxe générale sur les activités polluantes) et, dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, examinée présentement, une contribution de l'Etat, de l'UNEDIC et des régimes de sécurité sociale.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que pour l'an 2000, le financement de la ristourne " Juppé " sur les bas salaires actuelle était assuré par 85,5 % des droits sur les tabacs dans la limite de 39,5 milliards de francs.

Il a observé que l'extension de la ristourne " Juppé " actuelle sur les bas salaires serait financée par le conglomérat improbable de la taxe générale sur les activités polluantes (3,2 milliards de francs) et de la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (4,3 milliards de francs).

Il a remarqué que les 17,5 milliards de francs résultant directement des 35 heures devaient être financés en 2000 par une contribution de l'Etat à hauteur de 18 %, une contribution des régimes de protection sociale à hauteur de 32 % et une contribution de l'UNEDIC à hauteur de 50 %.

Il a également rappelé que le produit de la contribution de 10 % sur les quatre heures supplémentaires entre 35 et 39 heures, payée par les entreprises dont la durée collective du travail n'aurait pas été abaissée à 35 heures, serait affecté au fonds.

Concernant le financement du fonds " à terme ", M. Louis Souvet, rapporteur, a observé que l'exposé des motifs de l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale indiquait que " les dépenses seraient de l'ordre de 100 à 110 milliards de francs par an ". Il a remarqué que le coût proprement dit des 35 heures atteindrait alors 40 milliards de francs et l'extension de la " ristourne Juppé " 25 milliards de francs, les 40 premiers milliards de francs d'allégements devant être toujours financés par les tabacs et les 25 milliards supplémentaires par la taxe générale sur les activités polluantes et la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés. Il a observé que la contribution des organismes sociaux et de l'Etat était estimée à 40 milliards de francs.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que la majorité des membres de la commission ne pouvait qu'être très défavorable à ce plan de financement.

Il a estimé que l'affectation des droits sur les tabacs à un fonds de financement mélangeant allégements et aides pérennes à la réduction du temps de travail ne répondait en rien à un impératif de santé publique.

Il a considéré que la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, dont l'affectation au fonds de financement était proposée à l'article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale constituait, en réalité, une majoration déguisée de l'impôt sur les sociétés, le produit de la taxe générale sur les activités polluantes étant détourné de son objet qui devrait être la réparation des dommages causés à l'environnement.

Par ailleurs, M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que demander des contributions à la sécurité sociale et à l'UNEDIC pour financer des allégements de charges et la réduction du temps de travail constituait un détournement de la finalité des ressources de ces régimes, compte tenu notamment des ambiguïtés qui entouraient la notion de " recyclage " des bénéfices à attendre des créations d'emplois dans le cadre des 35 heures.

Il a observé que les gestionnaires des régimes sociaux et les partenaires sociaux avaient réaffirmé en juillet et en septembre leur opposition totale à cette contribution.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré qu'en maintenant son dispositif jusqu'au terme de la première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement avait pris le risque de mettre fin au paritarisme dans les régimes sociaux, ce qui lui semblait très grave.

Au surplus, M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que ces contributions présentaient le caractère d'impositions, le législateur étant seul compétent pour fixer les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ", comme le précisait l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958.

M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné que l'annonce par le Gouvernement de l'abandon du principe d'une contribution de la part des régimes sociaux et de l'assurance chômage, si il devait être salué comme un " retour à la raison ", ne laissait pas moins la question du financement en suspens.

Il a observé que le Gouvernement avait annoncé que cette contribution serait remplacée par une fraction des droits de consommation sur les alcools. Ce faisant, il a considéré qu'en privilégiant le financement des allégements de charges et la réduction du temps de travail au détriment du financement futur des retraites, le Gouvernement semblait contredire lui-même sa priorité de " sauvegarder les régimes par répartition " par l'intermédiaire du fonds de réserve.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré qu'en dépit des annonces faites par le Gouvernement, le financement des 35 heures pour 2000 n'était pas assuré à hauteur de 8 milliards de francs et qu'à terme, le plan de financement montrait un " trou " d'une vingtaine de milliards de francs.

M. Louis Souvet, rapporteur, en a conclu que le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail n'était toujours pas financé.

M. Louis Souvet, rapporteur, a pris acte des reculs et des hésitations du Gouvernement. Il a souhaité proposer une solution radicale aux problèmes posés par ce projet de loi en le modifiant selon quatre principes.

Il a souhaité supprimer les dispositions relatives à l'abaissement de la durée légale du travail, et notamment l'article premier (abaissement de la durée légale du travail), l'article 2 (régime des cadres), l'article 11 (allégement de charges subordonné à la réduction du temps de travail), l'article 12 (barème de l'allégement), l'article 16 (double-SMIC) et l'article 17 (35 heures dans le secteur agricole).

Il a présenté des corrections aux dispositions adoptées à l'Assemblée nationale pour durcir le texte en supprimant ou en amendant notamment les articles premier bis (contreparties à l'aménagement du temps de travail), premier ter (modification de la durée du travail effectif) et 4 bis (renforcement du contrôle du travail dominical).

Il a proposé d'enrichir les dispositions non liées à l'abaissement de la durée légale du travail par des amendements importants, notamment sur les articles 3 (régime unique de modulation), 6 (travail à temps partiel), 9 (compte épargne-temps).

Il a souhaité développer la négociation collective et garantir l'application des accords à travers l'adoption de quatre amendements créant des articles additionnels : le premier appelle les partenaires sociaux à participer à une conférence nationale sur le développement de la négociation collective, le deuxième valide pour cinq ans les clauses des accords conclu en application de la loi du 13 juin 1998, le troisième valide l'accord signé par les partenaires sociaux le 8 avril 1999 qui reconduit le mandatement tel qu'il avait été défini par l'accord interprofessionnel de 1995 et, enfin, le quatrième prévoit que les établissements du secteur sanitaire, social et médico-social pourront bénéficier de l'aide prévue par la première loi Aubry jusqu'en juin 2000 afin de tenir compte des contraintes spécifiques auxquelles doivent faire face ces établissements du fait de la procédure d'agrément.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a considéré que les conclusions du rapporteur sur le bilan de la loi du 13 juin 1998 étaient sombres et sans nuance. Elle a estimé que le nouveau projet de loi, en associant étroitement la loi et le recours à la négociation collective, permettait d'affirmer des garanties pour les salariés et d'assurer une application sur le terrain au plus près des réalités. Elle a constaté que la première loi avait permis une reprise du dialogue social dans les entreprises. Rappelant que les simples incitations à la négociation n'avaient pas donné beaucoup de résultats après avoir cité l'accord interprofessionnel de 1995 et la loi du 11 juin 1996, elle a réaffirmé la nécessité d'une loi pour promouvoir la réduction du temps de travail.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard ayant observé que M. Louis Souvet, rapporteur, considérait que le projet de loi privilégiait dorénavant un projet de société et un renforcement des garanties sociales des salariés, s'est félicitée que la dimension sociale ne soit pas absente de ce texte.

Elle a observé que le projet de loi proposait un dispositif dégressif d'allégement des cotisations sociales dont pouvait bénéficier l'essentiel des entreprises françaises.

M. André Jourdain a déclaré qu'il aurait préféré que la commission propose d'adopter une exception d'irrecevabilité. Il a rappelé que les organisations d'employeurs considéraient que les dispositions des accords n'avaient pas été reprises entièrement par le second projet de loi.

M. André Jourdain , évoquant le financement du dispositif, a observé que le montant de la contribution de 10 % liée aux heures supplémentaires étant estimé à 7 milliards de francs, cela signifiait qu'un milliard d'heures supplémentaires était pris en compte. Il a estimé que ce milliard d'heures supplémentaires entre 35 et 39 heures correspondait au fait que dix millions de salariés n'étaient pas passés à 35 heures, ce qui illustrait l'échec du dispositif.

M. Guy Fischer a exprimé la volonté du groupe communiste républicain et citoyen de clarifier nombre de points de ce projet de loi et de sécuriser certains articles afin d'affirmer un objectif de créations d'emplois. Il a déclaré que les allégements de cotisations sociales opérés depuis une dizaine d'années n'avaient pas donné de résultats tangibles et a estimé que les nouveaux allégements prévus devaient être subordonnés à des engagements de la part des entreprises bénéficiaires. Il a considéré que la France n'était pas le pays où le coût du travail était le plus élevé et qu'au contraire le rapport entre le capital et le travail s'était dégradé.

M. Guy Fischer a déclaré que les propositions du rapporteur revenaient à supprimer l'essentiel du texte adopté par l'Assemblée nationale et illustraient l'existence de deux philosophies complètement opposées sur la réduction du temps de travail. Il a considéré qu'une loi était nécessaire afin de libérer du temps pour les salariés. Il a affirmé que son groupe s'opposerait aux propositions de la commission des affaires sociales.

M. Jean Chérioux a déclaré que la question de la réduction du temps de travail n'était pas au centre du débat et que les différences d'appréciation reposaient plutôt sur les modalités à retenir. Il a considéré qu'il n'était pas réaliste de s'en remettre à la loi et qu'il convenait de laisser une plus grande latitude aux partenaires sociaux. Il a observé que la négociation sur la réduction du temps de travail aurait tout intérêt à trouver sa place dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire.

Mme Annick Bocandé a souligné les faibles résultats en termes d'emplois de la loi du 13 juin 1998. Elle s'est inquiétée des modalités de financement de ce dispositif et notamment du fait que la taxe générale sur les activités polluantes soit détournée de son objectif premier, c'est-à-dire la réparation des dommages causés à l'environnement.

M. Serge Franchis a estimé que le projet de loi était moins moderne que ne le pensaient ses auteurs. Il a considéré que si l'objectif de créations d'emplois n'était pas atteint cela signifierait qu'une occasion avait été manquée. Il a souhaité connaître les modalités d'articulation des différentes aides relatives à la réduction du temps de travail.

M. Philippe Nogrix a fait part de son désaccord sur la vision qui sous-tendait ce projet de loi qui a tendance à ne pas tenir compte des modalités d'application et des oppositions qui se manifestaient, y compris sur le terrain. Concernant le financement, il s'est étonné que des ressources soient détournées de leur objet, notamment en ce qui concernait la taxe générale sur les activités polluantes. Il a évoqué la question de l'application des 35 heures dans le secteur public qui demeurait une inconnue. Il a souligné les problèmes que posait l'abaissement de la durée légale pour les établissements du secteur social compte tenu des contraintes spécifiques liées à la procédure d'agrément.

M. Claude Domeizel a considéré que les conclusions du rapporteur étaient très catégoriques et s'est interrogé sur la contradiction qu'il y avait à supprimer l'essentiel des dispositions du texte tout en prônant le développement de la réduction du temps de travail.

M. Claude Huriet a souligné les conséquences de l'abaissement de la durée légale du travail sur l'augmentation des coûts salariaux des entreprises. Il a déclaré que de nombreuses entreprises avaient déjà des problèmes pour recruter des salariés possédant les qualifications requises.

En réponse aux différents intervenants, M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné les difficultés qu'il avait pu rencontrer dans l'examen d'un texte dont le Gouvernement avait changé l'ensemble des modalités de financement en cours d'examen. Il a considéré que le Gouvernement avait semé ainsi un grand désordre dans l'organisation de la procédure d'examen du projet de loi.

Il a déclaré qu'aux termes de ses nombreuses auditions, la majorité de ses interlocuteurs s'interrogeaient sur la façon dont ce projet de loi pourrait être appliqué. Il a estimé que l'application des 35 heures dans le secteur public poserait d'énormes difficultés, notamment au niveau local.

M. Louis Souvet, rapporteur, a réaffirmé qu'il existait des visions différentes de l'évolution de la société et que cette opposition reposait notamment sur la place qui devait être accordée au travail. Il a rappelé que le projet de loi ne tenait pas les engagements pris en 1998 concernant la reprise des clauses des accords signés.

Il a observé que l'intérêt d'une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité avait perdu de son intérêt depuis que le Gouvernement avait renoncé à mettre à contribution les régimes sociaux et l'assurance chômage.

Concernant la question des allégements de charges, M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat, avait déclaré en 1998 que les allégements de charges ne constituaient pas une priorité du Gouvernement ; il a salué la récente volte-face du Gouvernement sur ce sujet.

M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré qu'il n'y avait pas de contradiction entre les dispositions proposées et le souhait de favoriser une réduction du temps de travail étant donné la place qui était réservée aux partenaires sociaux dans le cadre du nouveau dispositif.

Concernant les articulations des différentes aides à la réduction du temps de travail, M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré qu'il avait demandé par écrit à Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, un récapitulatif de ces aides. Il a précisé qu'il n'avait pas encore reçu de réponses à ce questionnaire bien qu'il avait souhaité les obtenir avant le 27 octobre.

M. Jean Delaneau, président, a souhaité rappeler les termes du huitième alinéa du Préambule à la Constitution du 27 octobre 1946, selon lesquels " tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ". Il a considéré que telle était la philosophie du dispositif d'amendements proposés par le rapporteur.

Ensuite la commission a procédé à l'examen des articles et des amendements proposés par le rapporteur.

Elle a adopté un premier amendement tendant à insérer un article additionnel avant l'article premier prévoyant que les partenaires sociaux seraient appelés à participer à une conférence nationale sur le développement de la négociation collective.

Elle a adopté ensuite un second amendement tendant également à insérer un article additionnel avant l'article premier validant, dans la limite de cinq ans, les clauses des accords conclu en application de la loi du 13 juin 1998.

La commission a adopté un amendement de modification de l'article premier du projet de loi supprimant les paragraphes I, II et IV de cet article et coordonnant ces suppressions avec les dispositions de l'article premier de la loi du 13 juin 1998 au regard de la suppression de l'abaissement de la durée légale du travail.

Elle a adopté un amendement tendant également à insérer un article additionnel avant l'article premier bis afin de valider l'accord signé par les partenaires sociaux sur le renouvellement du dispositif relatif au mandatement.

Elle a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel avant l'article premier bis pour prévoir que les établissements du secteur sanitaire, social et médico-social pourront bénéficier de l'aide prévue à l'article 3 de la loi du 13 juin 1998 jusqu'au 1 er juin 2000.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article premier bis (affirmation des contreparties pour le salarié de l'aménagement du temps de travail).

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article premier ter , prévoyant que le temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé, est rémunéré selon des modalités fixées par convention ou accord collectif de travail.

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article premier quater tendant à prévoir, en l'absence de décret, la possibilité pour les partenaires sociaux de définir des durées d'équivalence.

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article premier quinquies relatif à la définition de l'astreinte.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 2 relatif au régime des heures supplémentaires dans le cadre de l'abaissement de la durée légale du travail.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 2 bis relatif à l'abaissement de la durée maximale du travail hebdomadaire.

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article 2 ter afin de prendre en compte les dispositions d'une directive sur le repos hebdomadaire minimal.

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article 3 relatif à un régime unique de modulation des horaires de travail.

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article 4 relatif à la réduction du temps de travail par l'attribution de journées ou de demi-journées de repos.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 4 bis qui renforce le contrôle et l'interdiction du travail hebdomadaire.

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article 5 relatif à la durée et à la rémunération du travail des cadres.

Elle a adopté une nouvelle rédaction de l'article 6 relatif au travail à temps partiel, comportant huit modifications aux différents paragraphes de cet article.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 6 bis relatif à l'abrogation d'un dispositif d'exonération de charges sociales pour les contrats de travail à temps partiel.

Elle a adopté conformes les articles 7 (travail intermittent) et 8 (dispositions relatives aux congés) du projet de loi.

Elle a adopté un amendement qui modifie plusieurs dispositions de l'article 9 (compte épargne-temps).

Elle a adopté un amendement qui modifie plusieurs dispositions de l'article 10 relatif à la possibilité d'organiser des périodes de formation pour partie en dehors du temps de travail.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 10 bis portant sur la transposition de certaines dispositions d'une directive européenne du 22 juin 1999 relative à la protection des jeunes au travail.

Elle a adopté trois amendements de suppression des différents paragraphes de l'article 11 relatif à un allégement de cotisations sociales pour les entreprises signant un accord de réduction du temps de travail et prévoyant ses modalités de financement.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 11 bis prévoyant des dispositions relatives au SMIC pour les salariés des entreprises créées postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 12 qui définit le nouvel allégement de cotisations sociales lié à la réduction du temps de travail.

Elle a adopté un amendement de modification de l'article 12 ter relatif à la réduction du temps de travail par étapes des entreprises de moins de vingt salariés.

Elle a adopté un amendement comportant plusieurs modifications de l'article 12 quater relatif aux formalités administratives imposées aux entreprises de moins de vingt salariés applicables pour bénéficier de l'aide financière à la diminution du temps de travail.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 12 quinquies relatif à l'adaptation de certaines dispositions du projet de loi à la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Elle a adopté un amendement de modification de l'article 13 relatif aux groupements locaux d'employeurs.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 14 relatif à une validation partielle des accords signés en application de la loi du 13 juin 1998.

Elle a adopté un amendement modifiant l'article 15 relatif au licenciement d'un salarié refusant les conséquences de l'application d'un accord de réduction du temps de travail.

Elle a adopté un amendement modifiant l'article 15 bis qui exonère du paiement de la contribution Delalande l'entreprise ayant licencié un salarié refusant la modification de son contrat de travail consécutive à la mise en place d'un accord de réduction du temps de travail.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 16 garantissant la rémunération des salariés payés au SMIC en cas de réduction du temps de travail au motif que cet article était intrinsèquement lié à la baisse de la durée légale du travail, supprimée par la commission à l'article premier.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 17 qui abaisse à 35 heures par semaine la durée légale du travail des salariés agricoles.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 18 relatif à la présomption de salariat qui constitue un " cavalier législatif ".

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 19 relatif à l'information du comité d'entreprise sur les aides reçues par l'entreprise, dépourvu de portée normative.

Elle a adopté un amendement qui propose une nouvelle rédaction de l'article 20 relatif à un rapport sur la mise en oeuvre de l'allégement de cotisations prévu par le projet de loi.

La commission a approuvé à sa majorité le projet de loi ainsi amendé.

" La réduction de la durée du travail (...) peut créer des emplois, beaucoup d'emplois "

Martine Aubry

(JO - débat AN - 27 janvier 1998 - p. 977)

" La réduction du temps de travail crée des emplois, beaucoup d'emplois "

Martine Aubry

(JO - débat AN - 5 octobre 1999, p. 6861)

" On peut estimer à environ 30.000 à 40.000 les emplois déjà créés à cette date pour l'ensemble des accords. "

Réponse de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité à un questionnaire écrit de M. Louis Souvet, rapporteur, 28 octobre 1999

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a été saisi, le 19 octobre 1999, d'un projet de loi au titre erroné dont le dispositif est déjà périmé.

Un titre erroné : le Gouvernement peut-il en effet parler de réduction " négociée " du temps de travail quand il abaisse autoritairement la durée légale ?

Un dispositif périmé : le financement du projet de loi en tant qu'il prévoyait une taxation des organismes de protection sociale, a été totalement remis en question par le Gouvernement quelques jours après son adoption sans modification par l'Assemblée nationale.

Jamais probablement un projet de loi n'aura donc été présenté et examiné dans une telle confusion, de surcroît selon la procédure d'urgence déclarée par le Gouvernement.

Confusion quant à ses objectifs

La réduction du temps de travail devrait " créer des emplois, beaucoup d'emplois " . Il est prématuré de tirer un bilan de la première loi Aubry car, si le compteur des aides tourne déjà, les créations ou préservations d'emplois restent des " promesses ".

Toutefois, à la lecture du second projet de loi, la réduction du temps de travail apparaît désormais comme un objectif en soi.

Les aides que le projet de loi institue ne sont pas liées à des créations d'emplois, même si le texte adopté par l'Assemblée nationale se veut ambigu et peut laisser en définitive un pouvoir exorbitant d'appréciation à l'Administration.

Parallèlement, le Gouvernement fait son " chemin de Damas " et découvre tardivement le mérite de l'allégement des charges sur les bas salaires.

Mais il entend fusionner ces allégements avec les aides aux 35 heures et réserver ce nouveau barème aux seules entreprises dotées d'un " accord fixant la durée collective du travail à 35 heures " .

En seront ainsi exclues, sans raison, les entreprises qui, indépendamment de leur volonté, n'auront pu conclure un accord, quand bien même elles seraient à 35 heures, de même que celles qui, sans être à 35 heures, supporteront toutefois le coût de l'abaissement de la durée légale.

Confusion quant à la méthode

La loi du 13 juin 1998 qui restait volontairement floue quant aux conséquences qui s'attachent à la baisse de la durée légale du travail, appelait les partenaires sociaux à " négocier les modalités de réduction effective de la durée du travail adaptées aux situations des branches et des entreprises ".

Face, d'une part, à l'échéance non négociable, fixée par la même loi, d'une baisse de la durée légale du temps de travail, compte tenu, d'autre part, des aides substantielles qui étaient accordées pour inciter à une anticipation de cette échéance, prenant acte, enfin, de la promesse que la seconde loi reprendrait à son compte la teneur des accords conclus, les partenaires sociaux ont négocié.

Le Gouvernement ne se fait pas faute de se féliciter du nombre et de la qualité des accords conclus.

Cependant, le Gouvernement, en " s'inspirant " du contenu des accords, opère des choix entre les clauses et n'en retient que certaines, ce qui revient à nier toute négociation qui est faite de concessions réciproques permettant d'atteindre un équilibre.

En outre, " le nouvel espace de négociation " que prétend ouvrir le projet de loi est corseté par les précisions, limites et détails que son dispositif comporte, de sorte que l'espace de la négociation s'apparente à une peau de chagrin.

Confusion quant aux financements

Depuis deux ans, le Gouvernement s'obstine à vouloir faire financer les 35 heures par les organismes gérant la protection sociale des Français, malgré l'opposition formelle, résolue et unanime de l'ensemble des partenaires sociaux.

En décembre 1997, dès le dépôt du premier projet de loi sur la réduction du temps de travail, le Gouvernement affirmait, dans son exposé des motifs, son intention de ne compenser que partiellement à la sécurité sociale les exonérations de charges liées aux 35 heures.

En juin 1999, le ministre de l'économie et des finances, dans son rapport pour le débat d'orientation budgétaire, développait à nouveau et longuement la théorie du " recyclage ".

Le 28 juillet 1999, date de son dépôt, le projet de loi sur la réduction négociée du temps de travail prévoyait une " contribution " des organismes de protection sociale dont le Conseil d'Etat s'est inquiété que ni le taux, ni l'assiette ne soient fixés par la loi, dès lors qu'il s'agissait d'une " imposition ".

Le 21 septembre 1999 , dès la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, le Gouvernement faisait " inscrire au budget de la sécurité sociale " , selon l'expression significative de la ministre de l'emploi et de la solidarité, une provision de 5,6 milliards de francs.

Parallèlement, le Gouvernement annonçait que la " part de l'UNEDIC était provisionnée à hauteur de 5 à 6 milliards de francs " . Cette dernière somme a crû d'autant plus vite que son principe était plus vivement contesté par les gestionnaires de l'UNEDIC : 5 à 6 milliards de francs le 30 septembre, 5 à 7 milliards de francs le 7 octobre, 7 milliards de francs le 12 octobre, 7 à 7,5 milliards de francs le 21 octobre.

Le 19 octobre 1999, l'Assemblée nationale adoptait, en première lecture, le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail et votait sans modification " l'imposition " des organismes sociaux dont le Sénat est donc saisi.

Le 25 octobre 1999, le ministère de l'emploi et de la solidarité annonçait le retrait du dispositif.

A l'évidence, le financement des 35 heures, pas plus que la réduction du temps de travail, n'a été négocié.

Les " mesures de rechange " annoncées reposent en outre sur une double contradiction.

En privant le fonds de solidarité vieillesse d'une partie du droit sur les alcools, les 35 heures assèchent l'un des modes d'alimentation du fonds de réserve pour les retraites, ce fonds étant pourtant la seule mesure que le Gouvernement a annoncée au titre de la réforme des retraites.

En faisant reposer désormais le financement des 35 heures sur la taxation des heures supplémentaires, le Gouvernement met en place un système incohérent : plus nombreuses seront les entreprises qui passent à 35 heures, plus les aides seront élevées mais plus faible sera le produit de la taxation des heures supplémentaires. Ainsi plus la dépense croît, plus la recette se dérobe.

En réalité, le projet de loi n'est pas financé sauf à alourdir encore les impôts nouveaux que crée la loi de financement (taxe générale sur les activités polluantes et contribution sociale sur les bénéfices) ou à taxer, indirectement cette fois, la sécurité sociale et l'UNEDIC qui, initialement, devaient couvrir plus de la moitié du surcoût du projet de loi dès 2000 et plus des trois quarts " à terme ".

*

* *

Lors de l'examen de la loi du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail, le Sénat avait récusé la baisse générale et autoritaire de la durée légale du travail.

Il s'était en revanche montré favorable à une réduction de la durée effective du travail sur la base d'une démarche volontaire et adaptée à la situation de chaque secteur d'activité, de chaque entreprise.

Il avait enfin tenu à réaffirmer explicitement le principe de la compensation intégrale aux régimes de sécurité sociale des exonérations de charges décidées par l'Etat.

Ce faisant, il avait affirmé solennellement son attachement au dialogue social, à la négociation entre les partenaires sociaux et au paritarisme qui caractérise l'organisation de notre système de protection sociale depuis plus de cinquante ans.

Face au second projet de loi, la commission des Affaires sociales, dans sa majorité, a voulu à nouveau donner la priorité au dialogue social.

Elle propose, bien entendu, de supprimer la taxation des organismes sociaux qui, pour être périmée au vu des déclarations récentes du Gouvernement, n'en figure pas moins " noir sur blanc " à l'article 11 du projet de loi soumis au Sénat.

Elle récuse, comme elle l'avait fait lors de la première loi Aubry, l'abaissement général et autoritaire de la durée légale du travail.

Elle purge en conséquence le texte des dispositions qui sont liées à cette baisse de la durée légale et qui ont pour conséquence de multiplier les situations d'inégalité non justifiée : inégalité entre les entreprises au regard des aides réservées à certaines alors que toutes supporteront le surcoût des 35 heures ; inégalité entre les salariés au regard de la rémunération des heures supplémentaires ou du régime du double SMIC.

Elle estime indispensable que les accords conclus par les partenaires sociaux en application de la loi du 13 juin 1998 soient respectés et puissent s'appliquer dès lors naturellement qu'ils ne sont pas contraires aux principes de l'" ordre public social absolu ".

Elle estime également indispensable que l'accord interprofessionnel d'avril 1999 sur la négociation collective soit pris en compte dans la loi.

Elle renvoie enfin, le plus largement possible à la négociation pour les autres dispositions du projet de loi (définition du régime des cadres, définition des durées d'équivalence...).

Mais surtout, elle constate qu'au-delà du débat anachronique sur les 35 heures dans lequel s'enlise notre pays, la vraie question est celle des moyens de développer et d'enrichir la négociation collective, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises, et d'améliorer la représentation des salariés.

Ce débat, que le projet de loi esquisse de façon confuse dans un cadre étroit, la commission des Affaires sociales propose de le traiter vraiment par la tenue d'une conférence nationale sur le développement de la négociation collective.

Chronologie 35 heures

1998

13 juin - La loi sur la réduction du temps de travail est promulguée.

28 juillet - La Fédération nationale des coopératives laitières signe avec ses syndicats le premier accord de branche.

28 juillet - L'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) obtient un accord avec trois syndicats.

18 août - Accord entre le Syndicat patronal des fabricants de sucre et trois syndicats.

10 septembre - Accord dans l'artisanat du bâtiment (CAPEB).

16 octobre - Accord à l'Union des industries textiles.

21 octobre - Convention entre les professions artisanales et le ministère de l'emploi pour un accompagnement à la réduction du temps de travail dans les très petites entreprises.

6 novembre - Accord de branche dans le bâtiment et les travaux publics.

10 novembre - Accord à la Fédération des entreprises de nettoyage.

24 novembre - Accord dans la grande distribution (supermarchés).

16 décembre - Le Gouvernement annonce que 1.055 accords ont été signés dans les entreprises, prévoyant la création ou la sauvegarde de 8.178 emplois.

1999

9 janvier - Accord à Air France (personnels au sol).

25 janvier - Accord à EDF-GDF.

10 février - Publication du rapport Roché sur le temps de travail des fonctionnaires.

1 er mars - Accord à PSA-Peugeot-Citroën.

17 mars - Accord à La Poste.

26 avril-7 mai - Grève des conducteurs SNCF refusant les propositions de leur direction sur les 35 heures.

17 mai - Les ministres de l'emploi et des finances présentent au Premier ministre un projet de création de taxes nouvelles pour aider au financement des 35 heures.

20 mai - Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, présente un " bilan d'étape " des négociations sur les 35 heures.

22 juin - Dans Le Monde, Martine Aubry fait connaître les grandes lignes de la deuxième loi sur les 35 heures.

22 juin - Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, écrit aux présidents des deux assemblées parlementaires pour leur faire part d'un calendrier de négociations pour les fonctionnaires.

27 juillet - Le Gouvernement annonce que 11.551 accords d'entreprise ont été signés, prévoyant la création ou la sauvegarde de 101.809 emplois.

28 juillet - Adoption du second projet de loi en Conseil des ministres.

20 septembre - Présentation par le Gouvernement du bilan sur l'application de la loi du 13 juin 1998 intitulée " Les enseignements des accords sur la réduction du temps de travail ". Mme Martine Aubry annonce la signature de plus de 15.000 accords prévoyant la création ou la sauvegarde de 120.000 emplois.

19 octobre - Adoption en première lecture par l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

25 octobre - Le Gouvernement renonce au principe du financement de la réduction du temps de travail par une contribution des régimes sociaux et de l'assurance chômage.

27 octobre - La commission des Affaires sociales du Sénat prend acte du recul du Gouvernement sur la question du financement, propose de supprimer les dispositions relatives à la durée légale du travail dans le projet de loi et propose la convocation d'une conférence nationale sur le développement de la négociation collective tout en validant les accords conclus en application de la loi du 13 juin 1998.

I. LES FRANÇAIS CONTINUENT À DOUTER DU BIEN-FONDÉ DES 35 HEURES

Depuis 1984, la Direction de l'animation de la recherche des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'emploi commande une enquête concernant la façon dont l'opinion publique perçoit le chômage, l'indemnisation des chômeurs et les politiques de l'emploi.

L'enquête réalisée en 1999 1( * ) apporte des précisions intéressantes sur les attentes des Français en matière de politique de l'emploi.

Les cotisations sociales trop élevées demeurent en effet aux yeux de nos concitoyens le principal frein à l'embauche, devant les difficultés rencontrées par les entreprises pour trouver du personnel compétent (16 %), les complexités administratives (13 %) et le manque de souplesse dans les procédures de licenciement et dans la réglementation du travail.

Par rapport à l'enquête de 1998, on observe une baisse du nombre de réponses concernant le niveau des charges sociales mais celui-ci reste incontestablement en tête des réponses données. La montée en charge et les résultats sensibles de la politique d'allégements massifs mis en oeuvre, en plusieurs étapes, depuis 1993 expliquent sans doute pour une bonne part ce sentiment.

La hausse de 6 points du nombre de réponses mettant en cause les difficultés des entreprises pour trouver du personnel compétent coïncide avec une absence d'initiative depuis 1997 de la part du Gouvernement en matière de formation professionnelle. Il convient enfin de souligner que le nombre de réponses mettant en avant la complexité et la rigidité des réglementations comme principal frein à l'emploi a augmenté de près de 6 points, cela au moment même où le Gouvernement s'évertue à mettre en place une réduction autoritaire du temps de travail qui constitue une source de rigidité supplémentaire pour les entreprises.

" Selon vous, quelle est parmi les raisons suivantes celle qui constitue le plus aujourd'hui un frein à l'embauche ? "

En pourcentage

 

Début 1998

Début 1999

Les cotisations sociales trop élevées

62,6

48,2

Les difficultés des entreprises pour trouver du personnel compétent

10,1

16,3

Les complexités administratives

8,2

12,8

Le manque de souplesse dans les procédures de licenciement et la réglementation du travail trop contraignante pour les employeurs


7,1


10,3

Les niveaux de salaires trop élevés

6,5

7,7

Ne sait pas

5,5

4,7

Ensemble

100,0

100,0

Source : Enquête " Attitudes à l'égard du chômage, de son indemnisation et des politiques d'emploi ", IPSOS/MES-DARES.

Les solutions que préconisent les Français interrogés dans le cadre de cette enquête pour réduire le chômage sont cohérentes avec l'analyse qu'ils font des causes de ce phénomène.

Les allégements de charges sociales recueillent 31,8 % d'opinions favorables et constituent donc très nettement la mesure la plus efficace pour réduire le chômage aux yeux des personnes interrogées, suivent des aides en matière de formation (21,1 %) et un développement des préretraites (9,5 %).

Le nombre d'opinions favorables aux allégements de charges sociales des employeurs n'a cessé d'augmenter depuis quatre ans ; il a augmenté de plus de 50 % depuis l'annonce de la mise en oeuvre des 35 heures.

A cet égard, une réduction générale de la durée du travail n'est considérée comme une mesure efficace pour réduire le chômage que par 9,1 % des sondés (en baisse de 1,2 point depuis l'année dernière), soit trois fois moins de réponses que pour les allégements de charges sociales.

La mesure qui paraît la plus efficace pour réduire le chômage
Evolution 1996-1999 de la première réponse

En pourcentage

Classement par ordre décroissant des réponses en 1999

Début 1996

Début 1997

Début 1998

Début 1999

Des allégements généraux des charges sociales des employeurs

18,5

20,2

30,4

31,8

Des aides en matière de formation

13,4

13,9

14,3

21,1

Un développement des préretraites

16,6

16,0

9,9

9,5

Une réduction générale de la durée du travail (1)

-

-

10,3

9,1

Des aides spécifiques aux entreprises pour " embaucher " (2)

14,2

14,6

16,1

7,8

Un développement du temps partiel (3)

21,1

20,2

4,7

5,7

Un développement des emplois publics ou associatifs (travaux d'intérêt général, ...)

5,6

6,0

3,6

5,0

un développement des emplois de proximité (aides ménagères, assistantes maternelles, ...)

7,2

6,3

4,5

4,9

L'annualisation du temps de travail (1)

-

-

4,0

3,2

Ne sait pas

3,4

2,8

2,2

1,9

Ensemble

100,0

100,0

100,0

100,0

(1) - Cet item a été proposé en 1998.

(2) - Cette précision a été ajoutée en 1999.

(3) - En 1996 et 1997, cet item était formulé de la manière suivante : des aménagements du temps de travail (temps partiel, ...).

Sources : Enquêtes " Attitudes à l'égard du chômage, de son indemnisation et des politiques d'emploi ", CREDOC/DARES, puis, à partir de 1998, IPSOS/MES-DARES.


Bien entendu, il convient de considérer les résultats de cette enquête, commandée par le ministère de l'emploi, avec prudence. Mais la tendance que reflètent les réponses aux questions posées ne souffre pas l'équivoque. A la question " Pensez-vous que les 35 heures créeront effectivement des emplois ? ", 53,1 % des sondés ont répondu par la négative.

Cela signifie que non seulement les personnes interrogées ne considèrent pas que l'abaissement de la durée légale du travail hebdomadaire constitue une mesure efficace pour réduire le chômage, mais qu'une majorité d'entre elles estime qu'elle n'aura aucun effet positif en termes d'emploi.

Il serait intéressant de connaître l'opinion du ministère de l'emploi sur cette enquête qu'il a lui-même commandée ainsi que son analyse sur le décalage constaté entre une mesure qui constitue la clé des priorités gouvernementales en termes d'emploi et le sentiment que peuvent ressentir les Français à son égard.

Plusieurs réponses peuvent être avancées : il est possible que les Français n'arrivent pas à saisir tout l'intérêt des 35 heures, il est possible que le Gouvernement n'arrive pas à expliquer le bien-fondé de sa politique, il s'agirait alors d'un problème de communication, ou il est possible enfin que le Gouvernement ne conduit pas la politique adéquate, attendue par les Français et considérée par eux comme efficace et, dans ce cas, le Gouvernement devrait s'interroger sur l'intérêt de poursuivre dans cette voie.

" Pour lutter contre le chômage, le Gouvernement propose de ramener à 35 heures la durée hebdomadaire du travail. Vous, personnellement, pensez-vous qu'une telle mesure créera effectivement des emplois ? "

En pourcentage

 

Début 1998

Début 1999

 

Actifs

Salariés

Ensemble

Actifs

Salariés

Ensemble

Oui

41,7

46,2

39,4

45,0

46,9

41,8

Non

55,1

50,6

56,2

51,5

49,2

53,1

Ne sait pas

3,2

3,2

4,4

3,5

3,9

5,1

Ensemble

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Source : Enquête " Attitudes à l'égard du chômage, de son indemnisation et des politiques d'emploi ". IPSOS/MES-DARES.

II. LES PARTENAIRES SOCIAUX ET LE GOUVERNEMENT NE S'ACCORDENT PAS SUR LE BILAN DE LA PREMIÈRE LOI

A. LE PREMIER MINISTRE CONSIDÈRE QUE " L'ENGAGEMENT PRIS SERA TENU "2( * )

1. Le Gouvernement et la majorité réaffirment leur volonté d'imposer les 35 heures aux entreprises et aux salariés

Le débat sur la seconde loi " Aubry " a été engagé sous le signe du volontarisme politique, il s'inscrit à cet égard dans le prolongement du débat sur la première loi " Aubry ".

Comme l'illustrent les propos tenus par M. Lionel Jospin, Premier ministre 3( * ) , le Gouvernement entend s'acquitter d'une promesse électorale avant tout, " l'engagement pris sera tenu " .

On peut rappeler que le programme 4( * ) du parti socialiste pour les élections législatives de 1997 prévoyait de " ramener progressivement la durée légale du temps de travail de 39 heures à 35 heures, sans diminution de salaire ". Il envisageait que " cela se (ferait) par la négociation entre partenaires sociaux, l'Etat ayant pour rôle de donner le cap et de fixer le calendrier ". Il proposait " qu'une loi-cadre, qui (aurait) également pour objet de lutter contre les horaires abusifs et les heures supplémentaires, (donne) l'impulsion à ce mouvement historique " .

Les propos de M. Lionel Jospin, Premier ministre, mettent l'accent sur la nécessité de réussir les 35 heures.

Toutefois ils restent obscurs sur plusieurs points ; que signifie par exemple le propos selon lequel il ne s'agirait " pas d'une loi contre les entreprises " ? Les auditions des représentants des organisations d'employeurs auxquelles a procédé votre commission des Affaires sociales semblent démontrer qu'il existe un désaccord profond sur ce point entre l'appréciation du Premier ministre et celle des chefs d'entreprises .

On peut par ailleurs s'interroger sur l'évolution de la position du Gouvernement par rapport à la question des 35 heures. Il apparaît en effet, lorsque l'on compare les propos récents du Premier ministre au programme du parti socialiste de 1997, que le Gouvernement a été amené à renoncer à une simple " impulsion " de la négociation collective sur la réduction du temps de travail pour adopter finalement le principe d'une seconde loi-cadre. Le contenu du projet de loi ne se limite pas, en effet, à " tirer les conséquences législatives " des accords signés par les partenaires sociaux, ni même à seulement en tenir compte, " il tient compte des enseignements des accords conclus " , ce qui est très différent.

Après avoir fixé un " cap " en 1998 de manière directive, le Gouvernement persiste et signe un projet de loi qui, comme votre Commission s'emploiera à le démontrer dans ce rapport, désavoue le contenu des accords signés par les partenaires sociaux.

La négociation collective apparaît dès lors comme subsidiaire. Le Gouvernement n'ayant manifestement pas été satisfait par les accords conclus, (dans le cas contraire, il aurait simplement procédé à une " validation législative "), il n'a pas hésité à reprendre en main la mise en oeuvre des 35 heures qu'il avait un instant laissée aux partenaires sociaux.

Dans ces conditions, on peut légitimement s'interroger sur ce que signifie l'expression " un texte (...) qui donne toute sa place à la négociation entre partenaires sociaux " . Votre rapporteur s'interroge sur l'ironie, peut-être involontaire, des propos du Premier ministre.

2. Le bilan présenté par le Gouvernement le 20 septembre 1998 sur la loi du 13 juin 1998

a) Le bilan présenté par le Gouvernement ne satisfait que partiellement les termes de l'article 13 de la loi du 13 juin 1998

L'article 13 de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail prévoyait qu'" au plus tard le 30 septembre 1999, et après concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport établissant le bilan de l'application de la présente loi. Ce bilan portera sur le déroulement et les conclusions des négociations prévues à l'article 2, ainsi que sur l'évolution de la durée conventionnelle et effective du travail et l'impact des dispositions de l'article 3 sur le développement de l'emploi et sur l'organisation des entreprises ".

Ce même article 13 prévoyait également que ce " rapport présentera les enseignements et orientations à tirer de ce bilan pour la mise en oeuvre de la réduction de la durée légale du travail prévue à l'article premier, en ce qui concerne notamment le régime des heures supplémentaires, les règles relatives à l'organisation et à la modulation du travail, les moyens de favoriser le temps partiel choisi, la place prise par la formation professionnelle dans les négociations et les modalités applicables au personnel d'encadrement ".

Cet article prévoyait enfin que ce " rapport précisera également les conditions et les effets de la réduction du temps de travail compte tenu de la taille des entreprises. Il analysera plus particulièrement les moyens de développer l'emploi dans les petites et moyennes entreprises et les incidences des relations entre les entreprises donneurs d'ordre et les entreprises sous-traitantes ".

En application de cet article 13 de la loi du 13 juin 1998, le Gouvernement a effectivement préparé et rendu public le 20 septembre 1999, un rapport intitulé " les enseignements des accords sur la réduction du temps de travail " 5( * ) .

Votre commission des Affaires sociales tient à souligner que ce volumineux document ne satisfait qu'imparfaitement au texte de l'article 13 de la loi du 13 juin 1998 .

Au-delà des " enseignements des accords ", le rapport aurait dû également s'interroger sur les " orientations à tirer de ce bilan " comme le précise le texte de cet article . Il aurait dû aussi analyser " plus particulièrement les moyens de développer l'emploi dans les PME et les incidences des relations entre les entreprises donneurs d'ordre et les entreprises sous-traitantes ".

Or ce volumineux rapport, compilation de tableaux, données et annexes en tout genre, se garde bien de définir des orientations à partir de ce bilan, comme d'ailleurs des moyens de développer l'emploi dans les PME ; il dresse tout au plus un état des lieux complaisant des accords conclus.

Manifestement, le Gouvernement a considéré que les " orientations " que devait contenir le rapport relevaient en fait du projet de loi, lequel a d'ailleurs été adopté en Conseil des ministres deux mois avant la présentation du rapport...

C'est en tout cas ce que laisse entendre l'exposé des motifs de ce dernier : " ainsi que cela avait été prévu par l'article 13 de la loi du 13 juin 1998 précitée (sic), la présente loi a pour objet, après cette phase d'incitation et d'expérimentation à grande échelle, de déterminer les conditions de la généralisation du processus tenant compte du résultat des négociations " 6( * ) .

On peut s'interroger sur cette démarche du Gouvernement qui tend à laisser croire que la première loi Aubry prévoyait un second texte qui toucherait toutes les matières évoquées à l'article 13 de la loi du 13 juin 1998. Ne s'agit-il pas là d'une tentative visant à justifier un texte qui, par son essence, constitue une véritable réforme du code du travail, voire même des règles d'organisation et de fonctionnement de la négociation collective, alors qu'il n'était question à l'origine pour le Gouvernement que d'" acter " la baisse de la durée légale du travail ? Ce faisant, le Gouvernement semble signifier qu'il n'est pas satisfait des accords signés par les partenaires sociaux et donc du sort que ces derniers ont réservé à la mise en oeuvre des 35 heures.

" Le pari des 35 heures est en bonne voie mais il n'est pas gagné " 7( * )
(Gaëtan Gorce, rapport sur la mise en oeuvre des 35 heures)

Dans un premier rapport d'information sur la mise en oeuvre des 35 heures, daté du 10 mars 1999 (1) , M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale, a dressé un état des lieux après huit mois d'application de la loi. Assez satisfait, il a considéré que " d'ores et déjà, la loi du 13 juin 1998 (avait) largement atteint son objectif " 8( * ) .

Il a par ailleurs reconnu que la démarche du Gouvernement relevait du pari , entérinant en cela le constat de la commission d'enquête sénatoriale. Il a estimé que certaines " incertitudes juridiques " pouvaient freiner le rythme des négociations et que " certaines interrogations soulevées par le texte gagneraient à être levées " notamment au regard du " problème de la prévalance du contrat de travail sur l'accord collectif " 9( * ) .

Il a considéré que " contrairement à une vision statique de l'économie, trop souvent répandue, la réduction du temps de travail ne (reposait) pas sur l'idée d'un partage de l'emploi (mais qu'elle visait) bien plutôt à permettre un partage des revenus de la croissance en faveur de l'emploi ".

Concernant les créations d'emplois à attendre des 35 heures, M. Gaëtan Gorce a estimé que " le mouvement qui s'annonçait (semblait) vérifier la deuxième des trois hypothèses de travail avancées par la direction de la prévision à l'été 1998 " 10( * ) .

Il a prévu que " le chiffre de 100.000 emplois pourrait être atteint du fait de la réduction du temps de travail d'ici la fin de cette année " , ce qui permettrait selon lui d'atteindre les " 250.000 emplois créés au minimum à l'horizon 2002 " . Il a même déclaré que "le nombre d'emplois créés au 1 er janvier 2002 pourrait s'établir à 450.000 " si le rythme actuel se poursuivait 11( * ) .

En écrivant que " la réduction ample du temps de travail oblige à une remise à plat de l'organisation du travail " 12( * ) , M. Gaëtan Gorce, rapporteur de l'Assemblée nationale, admet le caractère contraignant pour les entreprises des 35 heures.

Dans cet esprit, il précise qu' " en faisant adopter en juin 1998 la première loi, le Gouvernement de M. Lionel Jospin a décidé un changement de méthode radical visant à lever le blocage paradoxal et récurrent de la négociation sur la réduction de la durée du travail, en substituant à une obligation de moyens (...)une quasi-obligation de résultats avant une échéance inscrite dans la loi " 13( * )

En reconnaissant que la " réduction du temps de travail implique que soit abordée dans un même mouvement la quasi-totalité des questions qui concernent la vie de l'entreprise " 14( * ) , le rapporteur de l'Assemblée nationale souligne l'étendue du choc que représentent les 35 heures pour les entreprises.

Concernant le contenu des accords signés, M. Gaëtan Gorce a observé que près de la moitié des accords de réduction du temps de travail comportait un dispositif d'annualisation 15( * ) . Pendant les débats, la majorité de l'Assemblée nationale avait rejeté le principe de l'annualisation, le contenu des accords tend à contredire les souhaits de la majorité.

A propos des chefs d'entreprises, le rapporteur de l'Assemblée nationale a observé que " les principales inquiétudes (venaient) de manière générale de petites entreprises en particulier de services, disposant de faibles marges de productivité " 16( * ) .

Il a considéré que l'équilibre de la mise en oeuvre des 35 heures reposait sur un " triptyque réduction et aménagement du temps de travail/négociations salariales pour permettre la viabilité économique de l'accord pour l'entreprise/contrepartie en temps d'emploi " 17( * ) . Il est donc logique que les accords " s'accompagnent dans la plupart des cas d'une modération ou d'un gel des augmentations ultérieures " 18( * ) .

Ces menaces sur le pouvoir d'achat de salariés n'ont pas été sans conséquences sur le climat social et sur la conflictualité des rapports entre partenaires sociaux.

A cet égard, on ne peut qu'être surpris par la réaction du rapporteur de l'Assemblée nationale qui considère que " bien loin de s'inquiéter de la montée de la conflictualité dans certaines négociations emblématiques, comme à Peugeot Citroën, ne doit-on pas au contraire se féliciter de voir ainsi se réintroduire l'idée qu'un bon accord est aussi le résultat d'un rapport de forces ? " 19( * )

Les lois sur les 35 heures auraient ainsi également pour vertu d'inciter à la grève afin que les salariés puissent obtenir des avantages aux dépens de leurs entreprises. Votre rapporteur comprend mal en quoi l'emploi pourrait sortir gagnant de cette démarche.

Evoquant le second projet de loi 20( * ) , M. Gaëtan Gorce a estimé que le pouvoir d'achat des salariés les moins bien rémunérés devrait être garanti sans mettre en cause la compétitivité des entreprises. Il a souhaité que le temps choisi soit facilité et la formation professionnelle développée. Il a par ailleurs considéré que la question du temps de travail des cadres devrait être clarifiée.

b) Un bilan plus que modeste compte tenu des moyens mis en oeuvre et de la détermination du Gouvernement

A la fin août 1999, le bilan du Gouvernement évaluait à 15.000 le nombre d'accords conclus au titre de la loi du 13 juin 1998, ces accords couvrant 2.168.000 salariés et prévoyant la création ou le maintien de 120.273 emplois.

On peut rappeler que, dans le cadre de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998, le bénéfice de l'aide financière incitative était lié à la mise en oeuvre effective de l'abaissement de la durée du travail. Les embauches quant à elles devaient être réalisées dans un délai d'un an à compter de la réduction du temps de travail. Les annonces de créations d'emplois, prévues par les accords, ne correspondent donc pas forcément à des créations effectives.

Dans son rapport présenté en septembre sur le bilan de la loi Aubry, le ministère de l'emploi considère que le délai entre la baisse de la durée du travail et les embauches n'est pas calculable, " le recul n'étant pas assez important " 21( * ) .

Dans ces conditions, les 120.000 créations d'emplois ne constituent que des promesses dont l'effet sur l'évolution de l'emploi est discutable. Cette analyse est partagée par MM. Jean-Paul Fitoussi et Bernard Brunhes qui ont chacun considéré, lors de leur audition 22( * ) par votre rapporteur, que seule la croissance expliquait la création d'emplois et que les annonces de créations d'emplois ne devaient être considérées que comme des promesses dont la réalisation méritait d'être vérifiée.

Dans ces conditions, on peut également observer que les aides financières prévues dans le cadre de la loi du 13 juin 1998 (2,8 milliards de francs en 1998, 3,5 milliards de francs en 1999, 4,3 milliards de francs en 2000) " courent " avant même la création effective des emplois . Votre commission remarque en conséquence que la loi du 13 juin 1998 incitait déjà plus à la signature d'un accord sur la réduction du temps de travail qu'à la création d'emplois ; le second projet de loi ne fait que renforcer cette logique.

Accords d'entreprises signés dans le cadre de la loi du 13 juin 1998
(données au 1 er septembre 1999)

 

Total

Accords d'entreprises éligibles aidés*

Accords d'entreprises éligibles non aidés*

Accords d'entreprises non éligibles*

Nombre d'accords

15.026

14.599

421

6

Effectifs concernés

2.168.329

1.088.591

482.599

597.139

Créations ou maintien d'emplois

120.273

85.064

16.389

18.820

Source : MES (cf. document de référence n° 1), fin août 1999

* Les entreprises éligibles sont celles qui font partie du champ défini par la loi du 13 juin 1998 pour le bénéfice des allégements de cotisations sociales. Les accords aidés sont ceux qui remplissent les conditions pour bénéficier de ces allégements en termes de réduction du temps de travail (- 10 %) et de créations ou de maintiens d'emplois (6 %).

Il convient d'observer que 17.627 des 120.273 emplois concernés par les accords sur la réduction du temps de travail correspondent à des emplois préservés. Lorsque l'on exclut les 18.820 emplois créés dans le secteur public, il apparaît que les accords signés prévoient la création potentielle de seulement 83.826 emplois.

•  Le bilan présenté par le Gouvernement signifie a contrario que :

- 98,8 % des entreprises occupant au moins un salarié n'ont pas signé d'accord de réduction de la durée du travail à 35 heures (15.026 accords au 1 er septembre 1999 pour 1.160.900 entreprises occupant au moins un salarié) ;

- 89,3 % des entreprises de plus de 20 salariés n'ont pas signé d'accord (8.754 accords pour 81.900 entreprises de plus de 20 salariés) ;

- 90 % des salariés du secteur marchand ne sont pas couverts par un accord (2.168.329 salariés sont couverts mais il convient de retirer les 597.139 salariés relevant du secteur public, il reste donc 1.571.190 salariés couverts par un accord à rapporter aux 14.500.000 salariés du secteur marchand).

Enfin, les créations nettes d'emplois résultant de ces accords, si elles se réalisaient dans les deux années à venir, représenteraient 0,58 % des effectifs actuels du secteur marchand (120.273 emplois auraient été créés ou préservés par ces accords dont il convient de déduire 18.820 emplois relevant du secteur public et 17.627 emplois dont la suppression aurait été évitée, soit 83.826 créations nettes d'emplois annoncées à rapporter aux 14.500.000 emplois du secteur marchand). Rappelons que la croissance à elle seule a généré 550.000 emplois dans le secteur marchand en deux ans.

Aux accords d'entreprise, il convient d'ajouter plus d'une centaine d'accords de branche couvrant plus de 8 millions de personnes.

De manière plus subjective, le bilan du Gouvernement évalue à 15.000 les emplois constituant un effet d'aubaine, ce qui ne correspond pas aux estimations rassemblées par votre commission des Affaires sociales 23( * ) .

Lorsque l'on examine le détail des accords signés, on remarque que six accords non éligibles couvrent 597.139 salariés soit 27,5 % du total des effectifs concernés. Ils ont été signés par EDF, la SNCF, TDF, le Conseil général de la Nièvre, les Mines de potasse d'Alsace et la Poste.

Ces six accords ont permis de créer 18.820 emplois, soit plus de 15,6 % du total des emplois créés. Il fait peu de doutes que la prise en compte de ces accords " fausse " considérablement les données rassemblées étant donné l'influence de la tutelle lorsqu'il s'agit d'un établissement public et le mode de fonctionnement de ces établissements.

Les différentes définitions de la durée du travail

La durée légale du travail est fixée à 39 heures par semaine depuis l'ordonnance de janvier 1982, puis à compter du 1 er janvier 2000 (entreprises de plus de 20 salariés) ou 2002 (entreprises d'au plus 20 salariés), par la loi du 13 juin 1998. Elle correspond au seuil de déclenchement des heures supplémentaires et du chômage partiel.

La durée offerte du travail est une durée collective, correspondant à l'horaire collectif affiché. Elle ne concerne que les salariés à temps complet, ceux à temps partiel ayant une durée fixée individuellement par leur contrat de travail.

La durée effective du travail est une durée individuelle, déclarée par chaque salarié interrogé par l'enquête annuelle sur l'emploi de l'INSEE. Elle inclut les personnes à temps partiel mais ne tient compte de l'absentéisme, des jours de congés, des heures supplémentaires, du chômage partiel que dans la mesure où la personne interrogée les déclare.

Concernant la baisse de la durée collective du travail , force est de constater que le bilan est maigre : " au total, 660.000 salariés à temps complet étaient concernés par des durées hebdomadaires collectives inférieures à 35 heures dès la fin mars 1999 dans le champ des établissements de plus de 10 salariés " 24( * ) . Ces 660.000 salariés représentent 4,5 % des salariés du secteur marchand. La baisse de la durée du travail est donc peut-être une réalité pour les établissements ayant engagé une démarche de réduction du temps de travail, mais elle est encore très loin de concerner l'ensemble des salariés du secteur marchand.

Les 660.000 salariés dont la durée collective du travail est déjà inférieure à 35 heures doivent être comparés aux 2.525.000 salariés " concernés " par un accord de réduction du temps de travail " Robien " ou " Aubry " dont on ne sait trop quelle est leur durée collective de travail effective compte tenu du bilan présenté par le ministère de l'emploi.

Les salariés à 35 heures dans le champ de la loi de juin 1998

en milliers et en %

 

Entreprises de plus de 20 salariés

Entreprises de 20 salariés et moins

Total

Ensemble des salariés

10.000

4.300

14.300

dont :

 
 
 

Salariés à temps partiel

1.200

900

2.100

Salariés à temps complet

8.800

3.400

12.200

 

(100 %)

(100 %)

(100 %)

dont :

 
 
 

A 35 heures avant novembre 1996 (*)

220

30

250

 

(2,5 %)

(0,9 %)

(2,0 %)

A 35 heures de novembre 1996 à juin 1998**

270

10

280

 

(3,1 %)

(0,3 %)

(2,3 %)

A 35 heures depuis juin 1998**

1.960

35

1.995

 

(22,3 %)

(1,0 %)

(16,4 %)

Total à 35 heures

2.450

75

2.525

 

(27,8 %)

(2,2 %)

(20,7 %)

Restant à passer à 35 heures

6.350

3.325

9.675

 

(72,2 %)

(97,8 %)

(79,3 %)

(*) Estimation. Ces effectifs comprennent principalement les salariés postés en continu.

(**) c'est-à-dire concernés par un accord de RTT " Robien " ou " Aubry "

Source : MES-DARES, août 1999




Concernant les délais de mise en oeuvre et de l'apparition de l'" effet emploi " , le bilan établi par les services du ministère de l'emploi estime que les embauches se concrétisent environ trois mois en moyenne après la mise en oeuvre de l'accord. Au total, compte tenu des six à neuf mois nécessaires pour négocier, l'ensemble du processus dure souvent plus d'un an.

Les différents délais

 

De l'accord à la convention

De la convention à la baisse de la durée

De la baisse de la durée à l'embauche des salariés prévus

Conventions " Robien "

2 mois (1)

2 mois (2)

3 mois (2)

Conventions " Aubry "

3 mois (1)

NC (3)

(1) Source : MES-DARES : base des conventions " Robien " ou " Aubry ", juin 1999.

(2) Source : MES-DARES : confrontation des bases des conventions " Robien " ou " Aubry " et des enquêtes trimestrielles ACEMO.

(3) Non calculable, le recul n'est pas assez important.


Votre commission des Affaires sociales observe que, selon les données fournies par le ministère de l'emploi (cf. tableau ci-dessus), le délai de trois mois qui sépare la baisse de la durée du travail du moment où les salariés sont effectivement embauchés correspond aux conventions " Robien ". Le ministère semble considérer que ce délai n'est pas calculable compte tenu du faible recul pour les conventions " Aubry ". Dans ces conditions, il semble tout à fait imprudent d'essayer de déterminer quel a pu être l'effet des promesses d'emplois sur l'évolution récente du chômage.

Si l'on essaie néanmoins d'estimer cet effet, il ressort des nombreuses auditions 25( * ) auxquelles a procédé votre rapporteur, qu'une très faible proportion de ces promesses d'emplois semble avoir été réalisée, compte tenu des différents délais administratifs et des contraintes propres que rencontrent les entreprises qui cherchent à embaucher.

•  Le ministère de l'emploi a essayé d'estimer l'évolution comparée de l'emploi dans les établissements ayant et n'ayant pas réduit la durée du travail. Les premières données confirment le fait que les entreprises qui ont signé une convention Robien ou Aubry ont pu créer plus d'emplois que celles qui ne l'avaient pas fait.

Un élément important doit être souligné, l'effet brut sur l'emploi semble être plus important pour les accords Robien que pour les accords Aubry, ceci tendrait à confirmer le fait 26( * ) que les entreprises qui se sont engagées les premières, chronologiquement, dans un processus de réduction du temps de travail étaient sans doute les plus dynamiques en matière de créations d'emplois. Dans ces conditions on a tout lieu d'être réservé sur les perspectives de créations d'emplois dans le cadre de la généralisation de la réduction du temps de travail.

L'évolution comparée de l'emploi dans les établissements ayant
et n'ayant pas réduit la durée du travail

Note : L'évolution des indices correspondant aux établissements " Robien " comprend à la fois un effet de diffusion (les établissements entrant progressivement dans le dispositif), et un effet de mise en oeuvre du dispositif. La baisse au 4 ème trimestre 1998 est à prendre avec précaution puisqu'elle se produit lors du changement de l'enquête trimestrielle ACEMO, et lors d'un trimestre de basse saison.

Source : MES-DARES : base des conventions " Robien " et enquêtes trimestrielles ACEMO, juin 1999

Note : Les établissements " Aubry " retenus ici ont signé une convention jusqu'en mars 1999, tous les établissements n'ont pu mettre en oeuvre le dispositif de réduction du temps de travail et réaliser l'ensemble des embauches.

Source : MES-DARES : base des conventions " Aubry " et enquêtes trimestrielles ACEMO, juin 1999.



Les simulations macro-économiques réalisées avant le vote de la loi de juin 1998 qui étudiaient les effets d'une réduction effective de la durée du travail de 10 % sur un champ comparable à celui de la loi, aboutissaient à un résultat compris entre 250.000 et 700.000 emplois créés ou préservés en cinq ans. Une étude de l'OFCE chiffrait l'effet du dispositif à 450.000 emplois au bout de trois ans mais elle s'était limitée aux entreprises de plus de 20 salariés. Par ailleurs, la Direction de la prévision du ministère de l'économie avait proposé, toujours pour les seules entreprises de plus de 20 salariés, plusieurs scénarios avec un effet emploi allant de 0, voire un effet négatif pour certaines hypothèses extrêmes, jusqu'à 510.000, ce qui correspond à environ 700.000 pour l'ensemble des entreprises.

Le bilan réalisé par le ministère de l'emploi considère que les 120.273 créations ou maintiens d'emplois prévus par les accords signés jusqu'à la fin août représentent un taux moyen d'engagements sur l'emploi de 5,5 %. Il estime que ces " premiers résultats " de la loi de juin 1998 se situent bien sur la " pente " tracée par les scénarios précédents.

A cet égard, votre commission des Affaires sociales rappelle combien les résultats des modèles économétriques sont dépendants des hypothèses formulées au départ 27( * ) . Elle souligne également que l'OFCE 28( * ) considère qu'il n'est pas possible de chiffrer avec précision les emplois qui pouvaient être créés du fait des deux lois Aubry les résultats étant dépendants de l'attitude des différents acteurs en présence.

•  L'analyse des embauches prévues dans le cadre de la loi du 13 juin 1998 en termes de catégories professionnelles illustre une certaine déformation des profils des salariés embauchés par rapport à la structure de la population active au bénéfice des ouvriers et des employés.

Les embauches prévues par catégorie socioprofessionnelle
(en % du total des embauches)

Source : MES-DARES, base des conventions " Aubry ", juin 1999.

Il apparaît à la lecture des résultats du bilan préparé par le ministère de l'emploi que les entreprises ayant participé à la réduction du temps de travail ne sont pas véritablement représentatives de la structure de l'économie française. Ces entreprises comprennent 75 % d'ouvriers et d'employés alors que ces deux catégories représentent 57 % de la population active. A contrario , elles ne comprennent que 27 % de cadres et de professions intermédiaires alors que ces deux catégories représentent plus de 32 % de la population active, soit une hausse de quatre points par rapport à 1990.

Population active par groupe socioprofessionnel

 

1990

1998

Agriculteurs exploitants

4,8

2,7

Artisans, commerçants et chefs d'entreprise

7,7

6,5

Cadres et professions intellectuelles supérieures

10,2

12,2

Professions intermédiaires

18,4

19,8

Employés

27,7

29,6

Ouvriers

29,2

27,2

Ensemble (1)

100,0

100,0

(1) Y compris militaires du contingent et chômeurs n'ayant jamais travaillé.

Source : Insee, enquêtes Emploi, 1999


La forte proportion d'ouvriers dans les salariés embauchés dans le cadre de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail laisse penser que ce dispositif est tourné vers l'industrie et les entreprises organisées de manière " taylorienne ".

Ceci n'est pas sans soulever des questions dans une économie de plus en plus tournée vers l'immatériel et les activités à forte valeur ajoutée. On peut s'interroger sur la prise en compte par la loi Aubry I des réalités du marché du travail qui se caractérise aujourd'hui par une grande hétérogénéïté. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'appliquer des solutions uniformes imaginées en fonction d'un paradigme fordiste dépassé mais de " concevoir le droit du travail comme un nouvel ensemble cohérent qui évite le fractionnement du marché du travail. Il s'agit de corriger les inégalités liées à la formation initiale, de stimuler une gestion prévisionnelle de l'emploi et de favoriser une " implication patrimoniale " des salariés qui parviennent dans le même temps à protéger la relation salariale des aléas de la finance " 29( * ) .

•  Le bilan présenté par le ministère de l'emploi considère, chiffres à l'appui, que " grâce à la réduction du temps de travail, des plans sociaux ont pu être évités et s'ils ne l'ont pas été, se sont traduits par de moindres licenciements économiques ".

Evolution des plans sociaux et des licenciements économiques

 

1996

1997

1998

1999

 

1 er semestre

2 e semestre

1 er semestre

2 e semestre

1 er semestre

2 e semestre

1 er semestre

Nombre de plans sociaux modifiés

976

913

829

699

679

537

669

Evolution (1) en %

+ 108.5

+ 39.4

- 15

- 23.4

- 18.1

- 23.3

- 1.5

Licenciements économiques en milliers

226.1

219.3

215.2

196.4

169.1

158.3

146.8

Evolution (1)

+ 9.2

+ 8.5

- 4.8

- 10.4

- 21.4

- 19.4

- 13.2

Source : MES-DARES-ANPE : tableau de bord des politiques d'emploi et BMST

(1) Par rapport à la même période de l'année précédente.


Votre commission des Affaires sociales s'étonne des conclusions du ministère de l'emploi. L'analyse des données fait en effet apparaître une tendance à la baisse des licenciements économiques perceptible dès le premier semestre 1997, de même pour les plans sociaux, ceci 18 mois avant le vote de la loi du 13 juin 1998. Les licenciements économiques évoluent avec l'activité économique et l'influence des 35 heures revendiquée par le ministère de l'emploi semble relever plus de l'autosuggestion que de la démonstration.

•  Les modalités de la réduction du temps de travail semblent très variées, elles sont souvent cumulées dans les grandes entreprises. Elles prennent la forme d'une modulation annuelle dans un cas sur deux.

Les modalités du temps de travail dans les conventions,
selon le secteur d'activité des entreprises

 

Agriculture

Construction

Industrie

Services

Ensemble

Annualisation

76,1

50,0

62,7

38,5

48,0

Jours de repos sur l'année

47,8

32,1

47,1

44,3

43,5

Ponts et jours fériés

4,4

9,8

8,9

4,9

6,7

Semaines courtes et longues alternées

8,7

20,1

28,6

23,0

24,0

Réduction hebdomadaire (1/2 journée ou journée)

39,1

26,7

47,4

51,8

46,9

Journées plus courtes

17,4

22,6

43,5

42,9

39,8

Source : MES-DARES base des conventions " Aubry ", juin 1999

L'analyse des données illustre l'extraordinaire besoin de souplesse des entreprises. Lorsque l'on s'intéresse à la répartition sectorielle des entreprises ayant eu recours à des dispositifs de modulation, on constate que les secteurs de l'agriculture (83,3 %), de l'industrie (61,5 %) et de la construction (74,2 %) semblent les plus concernés. Il semblerait que ces entreprises aient trouvé prétexte à la signature d'un accord de réduction du temps de travail pour obtenir une " réforme du code du travail " qui leur permette de sortir du carcan d'une réglementation construite sur le modèle d'une organisation taylorienne de l'atelier.

Taux de recours à la modulation par secteur
Accords de RTT signés entre juin 1998 et mars 1999

 

Proportion d'accords prévoyant une modulation (type I, II, III)

Agriculture

83,3 %

Industrie :

61,5 %

Industrie agro-alimentaire

76,5 %

Industrie des biens de consommation

67,0 %

Industrie automobile

46,1 %

Industrie des biens d'équipement

50,6 %

Industrie des biens intermédiaires

59,8 %

Industrie énergétique

0,9 %

Construction

74,2 %

Services :

40,5 %

Commerce

46,5 %

Transports

44,6 %

Activité financière

24,7 %

Activité immobilière

28,2 %

Services aux entreprises

41,6 %

Services aux particuliers

51,5 %

Service action sociale

26,6 %

Source : MES-DARES, base des accords d'entreprise, juin 1999

Lecture : 83,3 % des accords de RTT signés dans l'agriculture ont prévu un dispositif de modulation

La réorganisation du travail

en % des conventions

Source : ministère de l'emploi et de la solidarité

Le mouvement de réorganisation consécutif à la mise en oeuvre des accords " Aubry " n'a pas concerné que les horaires, il a également pris la forme d'un redéploiement des qualifications des salariés (25,2 %), d'une augmentation de l'amplitude d'ouverture (20,8 %), d'une augmentation de la durée d'utilisation des équipements (17,7 %) et d'un développement de certaines fonctions (17,5 %).

Le nouveau temps de travail des salariés à temps plein
(durée annuelle)

en % de salariés à temps plein concernés

Source : MES-DARES, base des conventions, juin 1999

NB : La durée annuelle est calculée à partir des éléments fournis par les entreprises sur leur nombre de jours de repos, de jours fériés et leur durée hebdomadaire moyenne. Si ces informations ne sont pas disponibles, on prend la durée annuelle qu'ils déclarent.

En ce qui concerne le nouveau temps de travail des salariés à temps plein, il apparaît que 11,9 % des salariés ont une durée annuelle du travail supérieure à 1.600 heures. On peut s'interroger sur les conséquences du second projet de loi sur l'organisation du travail de ces entreprises étant donné que celui-ci limite la durée annuelle à 1.600 heures en cas de recours à l'annualisation. Le respect de cette limite étant une condition de l'obtention des aides financières, on peut imaginer que ces entreprises pourraient être gravement pénalisées pour avoir négocié le mode d'organisation du travail qui leur semblait le mieux correspondre à leurs contraintes.

Par ailleurs, il fait peu de doute que la proportion d'entreprises ayant besoin de recourir à des durées annuelles du travail élevées pourrait être au moins aussi élevée dans l'ensemble de l'économie que parmi celles passées aux 35 heures, étant donné notamment le retard pris par le secteur de la métallurgie du fait du refus d'extension de l'accord signé par cette branche, décidé par Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi. Dans ces conditions, la mise en oeuvre de la seconde loi Aubry pourrait être très délicate pour un nombre considérable d'entreprises.

La durée hebdomadaire maximale prévue par l'accord

 

Ensemble (%)

- Moins de39 heures

9

- 39 heures

19

- 40 heures

14

- 41 heures

4

- 42 heures

16

- 43 heures

1

- 44 heures

8

- 45 heures

4

- 46 heures

8

- 47 heures

1

- 48 heures

8

* Ne se prononcent pas

8

TOTAL

100

 
 

Durée maximale moyenne

42 heures

Source : MES, Enquête IFOP auprès des chefs d'entreprise, juillet 1999

Concernant la durée hebdomadaire maximale prévue par l'accord, votre commission observe que 72 % des entreprises ont prévu une durée maximale supérieure à 39 heures par semaine et que la durée maximale moyenne est de 42 heures. Là encore, le sort des entreprises qui ont négocié une durée maximale " élevée " reste incertain.

En définitive, il apparaît que les entreprises semblent avoir eu recours à toutes les dimensions de flexibilité pour réorganiser le travail à la suite de la mise en oeuvre d'un accord " Aubry ".

Dans ces conditions, on pourrait effectivement considérer, à l'instar de certains partenaires sociaux 30( * ) , que la réduction du temps de travail a été envisagée par nombre d'entreprises comme une contrepartie à la flexibilité . Il en résulte une question subséquente : les emplois créés dans le cadre des accords " Aubry " doivent-ils être portés au crédit de la réduction du temps de travail ou à celui de la flexibilité ?

B. LES ORGANISATIONS D'EMPLOYEURS DÉNONCENT LE BILAN DE LA LOI DU 13 JUIN 1998 DE MANIÈRE UNANIME

Il ressort très nettement des auditions auxquelles ont procédé votre commission des Affaires sociales et votre rapporteur que le bilan de la loi du 13 juin 1998 et le contenu du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail ne satisfont pas les organisations d'employeurs. Le désaccord est si profond que l'on peut légitimement s'interroger sur les propos de M. Lionel Jospin, Premier ministre, lorsqu'il déclare que le projet de loi ne sera " pas une loi contre les entreprises " 31( * ) . Manifestement, les chefs d'entreprises ne partagent pas cet avis.

1. Le MEDEF reste résolument opposé à la loi du 13 juin 1998

Le CNPF était résolument opposé à la loi du 13 juin 1998. Il semble que le MEDEF n'ait pas changé d'avis.

M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, conteste le principe même des 35 heures : " Potion magique pour une majorité plurielle fébrile d'une " politique vraiment à gauche ", les 35 heures sont de plus en plus considérées par les esprits lucides comme un poison diffus à effet retard menaçant pour l'économie française 32( * ) "

Revenant sur les conditions de la négociation collective depuis le vote de la première loi, il estime que les entreprises ont " joué le jeu " et respecté la loi : " Chacun a négocié selon les exigences de sa profession dans un dialogue parfaitement classique. Or le résultat de ces négociations a été systématiquement ignoré par le projet de la seconde loi. On a préféré donner la priorité à des principes politiques pour rassembler une majorité parlementaire lors du débat (...). Ce projet méprise et bafoue les négociations conclues entre partenaires sociaux responsables . Il impose des dispositions que les entrepreneurs jugeront non seulement inapplicables mais inacceptables 2 "

Evoquant l'attitude du Gouvernement par rapport aux accords signés par les partenaires sociaux, il considère qu' " en imposant par la loi un contenu qui ne s'était pas dégagé des négociations de branche, le législateur risque de casser le dialogue social 2 "

Auditionné par votre commission des Affaires sociales 33( * ) , M. Denis Kessler, vice-président du MEDEF, a déclaré que les 30.000 chefs d'entreprises ayant participé à la manifestation du 4 octobre avaient confirmé " leur totale hostilité au projet de loi considéré comme une loi contre les entreprises ".

Evoquant la contribution prévue à l'article 11 du projet de loi, il a prévenu que " dans l'hypothèse où le Gouvernement persisterait à vouloir faire financer les 35 heures par les régimes de protection sociale, (son) organisation quitterait les organismes paritaires ".

2. La CGPME et le CJD mettent en avant les difficultés rencontrées par les PME pour s'adapter à cette loi

Comme le MEDEF, la CGPME considère que le nouveau projet de loi est mal perçu par les chefs d'entreprise sur le terrain.

Auditionné 34( * ) par votre commission des Affaires sociales, M. Jean-François Veysset, président de la commission sociale de la CGPME, a déclaré que " la CGPME quitterait les organismes paritaires de concert avec le MEDEF si le principe d'une contribution des régimes sociaux au financement des 35 heures devait être maintenu ". Il a regretté que le nouveau projet de loi ne reprenne pas nombre de stipulations contenues dans les accords de branche.

Rejoignant l'UPA, la CGPME considère que les lois sur les 35 heures pourraient accentuer la pénurie de personnel qualifié sur le marché du travail. M. Jean-François Veysset a déclaré à cet égard que certaines classes d'apprentissage ou de formation professionnelle avaient déjà dû être fermées faute de candidats éligibles.

Il apparaît en effet que nombre de chômeurs sont très éloignés d'une situation d'emploi. Dans ces conditions, la CGPME considère que l'impact de la RTT sur la création d'emplois est incertain.

Le Centre des jeunes dirigeants d'entreprises (CJD) estime que la loi Aubry II ne permet pas les conditions du succès de la réduction du temps de travail (RTT)

Auditionnés le mardi 21 septembre par le rapporteur, MM. Laurent Degroote, président, et Yves Pinaud, secrétaire général, ont estimé que les obstacles à la réduction du temps de travail, mis en évidence dans le rapport d'expérimentation 35( * ) , étaient toujours d'actualité : " la loi, centrée sur la réduction obligatoire du temps de travail, ne fait que changer une norme et ne tient pas compte de la diversité qui existe entre les entreprises et qui ne fait que s'accroître " a réaffirmé M. Laurent Degroote.

Les dirigeants du CJD ont estimé que sur les 500 entreprises qui avaient commencé à négocier sur les 35 heures, entre 150 et 200 avaient décidé de renoncer en raison notamment de la complexité et de la rigidité des procédures, de l'absence d'interlocuteurs du côté salarié et des difficultés à mettre en oeuvre la modulation du temps de travail. A cet égard, les représentants du CJD ont rappelé que la réduction du temps de travail ne devait pas être considérée comme un objectif mais comme une contrepartie à la flexibilité permettant de reconstituer l'harmonie des temps sociaux et privés. Ils ont souligné combien, dans leur esprit, modulation et annualisation du temps de travail devaient être indissociables de la réduction du temps de travail. Ils ont regretté à cet égard que le second projet de loi ne prévoie pas explicitement le principe de la flexibilité . Ils ont constaté que le projet de loi alourdissait le code du travail au lieu de l'assouplir.

MM. Laurent Degroote et Yves Pinaud ont rappelé combien le dialogue social restait peu développé dans les petites PME qui constituent pourtant l'essentiel des deux millions d'entreprises en France. Ils ont souligné l'intérêt qu'il y aurait à développer le référendum dans l'entreprise afin d'aboutir à des accords. Ils ont rappelé qu'à l'heure actuelle l'attentisme dominait , " 98 à 99 % des entreprises ayant décidé de ne pas bouger et d'attendre le vote de la loi ".

Ils ont estimé que l'attentisme était renforcé par l'attitude des inspecteurs du travail qui procédaient à des interprétations " très libres " du texte de loi et empêchaient l'innovation et l'expérimentation.

Ils ont insisté sur la nécessité de redéfinir les relations entre la branche et l'accord d'entreprise selon le principe de subsidiarité, ce dernier niveau de négociation devant être privilégié. Concernant le nombre d'emplois créés par les accords sur les 35 heures, ils ont déclaré que, parmi les 500 entreprises du panel, celles qui avaient abouti à un accord avaient recruté en moyenne 8 % d'effectifs supplémentaires alors que la loi prévoyait 6 %. Toutefois, ils ont souligné que la moitié de ces embauches auraient eu lieu de toute façon considérant que le taux d'aubaine était proche des 50 %. Ils ont estimé que le taux de 12,5 % cité par Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, n'était pas significatif puisqu'il prenait en compte l'ensemble des entreprises, y compris les entreprises publiques qui représentent l'essentiel des effectifs concernés.

Concernant le détail de la seconde loi, MM. Laurent Degroote et Yves Pinaud ont déclaré qu'ils ne souhaitaient pas que l'on revienne sur la définition du travail effectif qui, bien que différente de celle édictée par la directive européenne du 23 novembre 1993, était un progrès par rapport aux incertitudes qui s'étaient fait jour.

Ils ont estimé que le second texte, comme le premier, ne faisaient pas assez la lumière entre ce qui relevait de l'accord de branche et de l'accord d'entreprise.

Ils ont enfin considéré que l'article 15 du projet de loi relatif aux conséquences d'une modification du contrat de travail individuel à la suite d'une réduction du temps de travail n'était pas satisfaisant puisqu'il prévoyait un licenciement à la charge de l'employeur. Ils ont déclaré qu'en l'espèce, l'accord collectif devait primer sur le contrat de travail.

En conclusion, MM. Laurent Degroote et Yves Pinaud ont souhaité que la loi Aubry II intègre plus de souplesse et favorise le dialogue social de manière plus réaliste. Ils ont estimé que la maîtrise des coûts salariaux était indispensable et que cette loi devait permettre une évolution forte du droit du travail.

3. L'UPA et le SDI considèrent que la loi du 13 juin 1998 n'encourage pas l'emploi dans les très petites entreprises

Votre commission des Affaires sociales a auditionné 36( * ) M. Jean Delmas, président de l'UPA. Celui-ci a rappelé l'opposition de l'UPA au premier texte. Il a déclaré que son application s'était révélée impossible pour la majorité des toutes petites entreprises, notamment du fait de leur déficit d'expertise juridique. Il a considéré que malgré la signature de quatorze accords de branche, le nombre d'entreprises qui était passé aux 35 heures restait marginal . Il a souligné que la signature d'un accord dans l'artisanat était le plus souvent lié à la mise en oeuvre d'un dispositif d'annualisation.

Evoquant le marché du travail qui ne permet pas toujours aux artisans de trouver du personnel qualifié, il a jugé que le passage aux 35 heures allait aggraver ces difficultés de recrutement.

Le syndicat des indépendants considère que le projet de loi est inapplicable pour les Toutes Petites Entreprises (TPE)

Auditionné par M. Louis Souvet, rapporteur, le mercredi 29 septembre 1999, le Syndicat des indépendants, représenté par MM. Marc Sanchez et J-P. Sudaka, a estimé que le projet de loi tel qu'il était rédigé pourrait bloquer le développement des plus petites entreprises. Il a observé que seuls 2 % des entreprises de moins de 20 salariés avaient signé un accord Aubry. Il a considéré que les règles relatives aux heures supplémentaires seraient beaucoup trop rigides pour les TPE. Il a regretté que le Gouvernement ne reprenne pas les accords signés dans le second projet de loi. Il a considéré que le recours au salarié mandaté pour signer des accords dans les TPE était inapplicable et que la rédaction de l'article 15 était dangereuse.

Le Syndicat des indépendants a demandé que les entreprises de moins de 20 salariés soient exclues du texte. A défaut, il souhaite que le contingent d'heures supplémentaires défini par la branche prévue sur le contingent légal et que la majoration des heures supplémentaires soit de 5 % entre la 35 ème et la 39 ème heure.

4. La FNSEA considère que les modalités d'application des 35 heures sont peu adaptées au monde agricole

Auditionné 37( * ) par votre commission des Affaires sociales, M. Arnold Brum, chef du service des affaires sociales de la FNSEA, a déclaré que les notions d'horaire collectif et de " durée collective du travail " n'étaient pas applicables à l'agriculture. Il a observé que les modalités d'adoption d'un accord de réduction du temps de travail ouvrant droit à un allégement de cotisations sociales (mandatement, référendum, accord majoritaire...) n'avaient pas beaucoup de sens dans des structures ne comprenant que quelques salariés.

La Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP)
souhaite que le taux de rémunération des heures supplémentaires
soit fixé à 10 % de manière pérenne.

Votre rapporteur a auditionné, mercredi 22 septembre 1999, une délégation de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris conduite par Mme Sylviane Bouillet-Larousse, présidente de la commission du travail et des questions sociales.

Les membres de la délégation ont observé que les entreprises qui avaient négocié dans le cadre de la loi du 13 juin 1998 étaient " celles qui avaient les moyens de le faire " et qui, ce faisant, avaient " saisi l'opportunité de se réorganiser ". Ils ont constaté que le nombre total d'accords signés restait modeste et qu'il concernait les PME dans une très forte proportion. Considérant que les accords signés n'étaient pas représentatifs de la situation des entreprises françaises en général, la délégation a estimé que le Gouvernement ne suivait pas la bonne démarche en généralisant le passage à la réduction du temps de travail sur la base de ces accords.

Les membres de la délégation de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris se sont étonnés que Mme Martine Aubry ait pu estimer à 12,5 % le nombre des emplois ayant bénéficié d'un effet d'aubaine. Ils ont considéré, en s'appuyant sur des enquêtes réalisées par les chambres de commerce, que cet effet d'aubaine était sans doute plus proche des 70 %. Ils ont qualifié la méthodologie employée par le Gouvernement pour estimer ce taux de 12,5 % d'" étonnante ".

M. Philippe Pinon a considéré que ce projet de loi " visait à interdire aux Français de travailler ". Il a regretté que le Gouvernement n'ait pas tenu compte de certaines dispositions que comportaient les accords signés. Il a estimé qu'il convenait de respecter l'autonomie de la contractualisation en droit du travail.

La délégation a estimé qu' " en participant à la réduction et à l'aménagement du temps de travail, les heures supplémentaires avaient acquis un caractère d'utilité durable qui justifiait de pérenniser le taux spécifique de majoration de 10 % " .

La délégation de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris a déclaré au rapporteur que la coexistence de deux normes de référence pour la rémunération minimale (le SMIC horaire et la garantie mensuelle) allait considérablement compliquer la tâche des entreprises. Elle a également estimé que les allégements de charges envisagés au niveau du SMIC (21.500 francs) ne permettraient pas de compenser le surcoût occasionné. Les membres de la délégation ont rappelé que la Chambre de commerce et d'industrie de Paris avait proposé de résoudre la question du maintien du pouvoir d'achat des salariés payés au SMIC par l'institution d'une ristourne dégressive, applicable sur la part salariale des cotisations sociales e