D. UN FONDS DE RÉSERVE ALIBI
1. La constitution de réserves dans les régimes par répartition : réflexions théoriques et expériences étrangères
L'économiste Laurent Vernière a consacré
une
récente étude à la question d'un fonds de réserve
pour les retraites
6(
*
)
,
étude que nous reprenons très largement ici.
Il constate que
de nombreux pays ont déjà organisé
l'accumulation de réserves collectives capitalisées au sein de
leurs régimes de retraite par répartition.
Les Etats-Unis, le
Canada et le Japon présentent à ce sujet des expériences
différentes quant aux objectifs assignés au fonds de
réserve, sa gestion financière, le calendrier et les
circonstances de l'utilisation des réserves collectées. Il y a
néanmoins deux points communs qui caractérisent ces
expériences.
En premier lieu, ces pays ont adopté depuis longtemps
le principe
d'un examen régulier des perspectives de leurs régimes de
retraite sur la base de projections financières à long terme
réalisées et publiées le plus souvent annuellement.
Ces travaux ont pour but d'examiner les conditions de l'équilibre
actuariel des régimes et l'adéquation des paramètres
choisis (taux de cotisation, règles de liquidation et d'indexation des
pensions, etc.)
En second lieu,
les réserves accumulées résultent
toujours d'un effort de surcotisation demandé aux actifs,
effort
d'autant mieux accepté qu'il est modéré et qu'il a lieu
lors de périodes favorables sur le plan démographique et
économique. La surcotisation est une forme d'épargne retraite non
individualisée qui permet de préfinancer collectivement une
partie des droits futurs à la retraite, en investissant l'épargne
accumulée dans des actifs financiers qui permettront de
transférer dans le futur les revenus nécessaires au financement
de ces droits.
Le montant des réserves accumulées dépend de
paramètres techniques tels que le taux et la durée de
surcotisation mais également, en amont, des objectifs assignés au
fonds de réserve. Trois types d'objectifs peuvent être
visés :
- le fonds de réserve est utilisé comme épargne de
précaution afin d'atténuer les à-coups du cycle
économique sur les soldes financiers.
Les réserves sont
équivalentes à de la trésorerie destinée à
couvrir les besoins de financement temporaires en période de basse
conjoncture. Cela suppose que le régime de retraite est
équilibré sur longue période ;
-
les réserves collectives d'un régime par
répartition sont accumulées puis utilisées pour lisser sur
une longue période l'évolution des taux de cotisation. C'est le
principe d'un fonds de lissage
. Le transfert d'épargne par
l'intermédiaire des réserves collectives capitalisées est
un moyen de préfinancer une fraction des charges et, en
conséquence, d'atténuer l'ampleur des hausses de cotisations
pesant sur certaines générations de cotisants. Avec
l'arrivée à l'âge de la retraite des
générations du baby-boom, les taux de cotisation retraite
devraient enregistrer en répartition pure, en l'absence de toute
réforme, de fortes hausses qui absorberont une part importante des gains
de pouvoir d'achat des salaires des actifs appartenant à des
générations creuses. Cette situation risque, d'une part, de
provoquer un " refus de cotiser " parce que les hausses brutales de
taux de cotisation apparaîtraient comme un prélèvement pur
sans lien avec les promesses de pension
7(
*
)
, d'autre part, de conduire à
des iniquités au regard du rendement implicite offert par le
régime aux générations successives. Les Etats-Unis ont
adopté cette démarche à partir de 1983 ;
-
les réserves sont accumulées pour constituer un
patrimoine de rapport permettant au régime par répartition de
compléter ses recettes courantes, tirées des cotisations
sociales, par les produits financiers encaissés.
C'est le
principe d'un fonds permanent
. Lorsque les taux d'intérêt
à long terme sont plus élevés que le taux de croissance de
la masse salariale, un fonds de réserve important est similaire à
un " troisième financeur " des pensions, à
côté des employeurs et des salariés. C'est la voie qui
semble être suivie par le Canada après la réforme du
régime des pensions en 1997.
Les trois objectifs diffèrent essentiellement par la taille du fonds de
réserve qui sera effectivement accumulé mais seuls les deux
derniers s'inscrivent dans un cadre de régulation à très
long terme des régimes de retraite.
La création du fonds de réserve en France semble retenir en
priorité la fonction de lissage des taux de cotisation, le
préfinancement devant alléger les charges qui pèseront sur
les actifs à partir de 2005.
Pour essayer d'évaluer le montant du fonds de réserve en fonction
de différentes cibles, Laurent Vernière a simulé
différentes politiques de surcotisation et d'abondement du fonds,
à l'aide d'une maquette fondée sur un programme d'optimisation
cherchant à minimiser les augmentations successives de taux de
cotisation.
•
Le fonds de réserve et la fonction de lissage des
taux de cotisation
La logique d'un fonds de réserve dans un régime de retraite par
répartition est de fournir une fonction d'assurance contre le risque
démographique.
Le risque démographique est caractérisé par la
détérioration brutale des indicateurs démographiques
à partir de 2005 lorsque les premières générations
nombreuses du baby-boom arriveront à l'âge de la retraite.
Pour
éviter ce " choc " qui se traduirait, dans un régime en
répartition pure, par une augmentation brutale et continue des taux de
cotisation qui risque d'avoir des effets négatifs sur les performances
de l'économie et le niveau de vie des actifs, une épargne
collective est accumulée préalablement au moment où la
situation démographique et économique est favorable, et
utilisée pour ensuite financer une partie des engagements du
régime
. Il y a en conséquence un préfinancement des
charges par une épargne collective investie dans des actifs financiers,
support pour transférer des revenus dans le futur.
Ce mécanisme revient à chercher une programmation des variations
de taux de cotisation de sorte que, dans un premier temps, une surcotisation
temporaire permet d'accumuler des réserves pour, dans un second temps,
diminuer le taux de cotisation par rapport à celui de la
répartition pure.
On obtient ainsi une évolution
régulière et programmée des taux de cotisation. Cependant
cette opération de lissage des taux de cotisation ne constitue pas et ne
se substitue pas à une réforme du régime de retraite
lorsque celui-ci n'est pas actuariellement équilibré. C'est une
politique d'accompagnement destinée à atténuer le choc de
ruptures brutales qu'impliquerait le maintien de la répartition pure.
La recherche d'une évolution lissée du taux de cotisation
retraite, c'est-à-dire la minimisation des variations successives du
taux, est l'objectif et la constitution d'un fonds de réserve est
l'instrument de ce lissage.
Un fonds de réserve peut être alimenté par deux
sources :
- une surcotisation temporaire : pendant la période
d'accumulation des réserves, les cotisations sont appelées
à un taux supérieur à celui de la répartition
pure ;
- un abondement extérieur, c'est-à-dire l'affectation
d'apports financiers externes au régime de retraite.
La taille du fonds de réserve va varier au cours du temps et
dépendre de plusieurs paramètres :
- la longueur de la période pendant laquelle la procédure de
lissage est mise en oeuvre. Au terme de cette période, deux situations
peuvent se présenter : soit le taux de cotisation rejoint le taux
de cotisation de la répartition pure après épuisement du
fonds de réserve, soit il est fixé à un niveau
inférieur au taux de la répartition pure avec un fonds de
réserve positif produisant des revenus financiers qui complètent
les recettes du régime,
- le montant des abondements externes durant toute la période de
lissage,
- le taux de surcotisation temporaire pendant la phase d'accumulation des
réserves,
- le taux de rendement des actifs financiers dans lesquels les
réserves sont investies.
Les trois premiers paramètres peuvent être
considérés comme des variables exogènes dans les mains du
décideur qui pourra les choisir en fonction des cibles qu'il vise :
la durée du lissage et le montant du fonds de réserve au terme du
lissage. Cette notion de cibles est importante car elle permet, d'une part, de
structurer la politique de retraite pour les 20 ou 30 années
à venir et, d'autre part, de fixer le taux de cotisation souhaité.
Le fonds de réserve créé par l'article 2 de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999 serait
utilisé pour consolider le régime général (la
CNAVTS) et les régimes alignés (Organic, Cancava, salariés
agricoles).
Compte tenu des masses financières en jeu dans chaque
régime
8(
*
)
, Laurent
Vernière a choisi de réaliser les simulations du fonds de
réserve à partir des projections de la seule CNAVTS qui est le
principal régime
9(
*
)
.
La simulation est réalisée
à législation
inchangée, en lissant le taux de cotisation apparent
10(
*
)
nécessaire pour financer les
pensions.
Le graphique suivant retrace l'évolution entre 1999 et 2040 du taux de
cotisation apparent nécessaire pour financer les pensions versées
par la CNAV tel qu'il résulte des exercices de projection menés
dans le cadre de la Mission de concertation sur les retraites. On observe que
ce taux devrait décroître entre 1999 et 2003 compte tenu du
dynamisme de la masse salariale et de la moindre progression des pensions
versées avant l'arrivée à l'âge de la retraite des
premières générations du baby-boom.
Taux
de cotisation apparent (en points)
Entre
2004 et 2035, le taux de cotisation apparent devrait croître de plus de
10 points puis enregistrer un ralentissement de sa progression jusqu'en
2040
.
L'examen du graphique montre que le fonds de réserve va
dépendre des cibles que se fixeront les pouvoirs publics. Deux cibles au
moins doivent être explicitées pour calibrer la programmation des
taux de cotisation et l'évolution du fonds de réserve :
- la longueur de période durant laquelle il est souhaitable de
lisser le taux de cotisation ;
- le taux de cotisation qu'il serait souhaitable d'atteindre au terme de
la période de lissage ou alternativement le niveau du fonds de
réserve en fin de période de lissage.
•
Les différents scénarios de constitution et
d'utilisation du fonds de réserve.
Les principales hypothèses concernant les simulations et les variables
exogènes sont les suivantes :
- les simulations se déroulent au plus sur la période de
2000-2040, l'année 1999 étant considérée comme
l'année de démarrage du fonds de réserve avec une dotation
de 2 milliards de francs,
- le champ des simulations se rapporte au lissage du taux de cotisation
apparent (sous plafond) nécessaire pour financer les pensions
versées par la CNAVTS,
- les projections à l'horizon 2040 des pensions et de l'assiette
des cotisations (la masse salariale plafonnée) sont issues des travaux
pour la commission de concertation sur les retraites,
- le taux d'intérêt à long terme, c'est-à-dire
le rendement des actifs financiers dans lesquels seraient investies les
réserves, est supérieur d'un point au taux de croissance de la
masse salariale de l'économie sur toute la période de
projection,
11(
*
)
conformément à l'hypothèse retenue pour les travaux de la
commission de concertation sur les retraites. C'est une hypothèse
habituelle dans ce type d'exercice,
- les pouvoirs publics choisissent le taux de surcotisation de
l'année 2000 et le programme d'optimisation détermine
simultanément le taux de cotisation lissé et l'évolution
du fonds de réserve, compte tenu de l'hypothèse retenue pour le
niveau du fonds en fin de période,
- conventionnellement, un abondement extérieur annuel, lorsqu'il
est versé, l'est à la date du 1
er
janvier et produit
des intérêts pour l'année en cours. On fait
également l'hypothèse, faute d'informations, que le taux de
cotisation de la répartition pure pour l'année 2041 est identique
à celui de l'année 2040. Les données monétaires
sont exprimées en francs constants de l'année 1998.
Dans un premier temps, un premier scénario de référence de
lissage du taux de cotisation est simulé, suivi de quatre variantes
portant sur le taux de surcotisation initial, le versement d'un abondement
extérieur, le niveau du rendement financier du fonds, la durée de
la période de lissage. Ces scénarios, notés de 1 à
5, permettent de fixer des ordres de grandeur et d'examiner la
sensibilité des résultats à la variation des variables
exogènes.
Dans un second temps, on s'intéresse au choix du niveau du fonds de
réserve en fin de période de lissage compatible avec un taux de
cotisation stable et inférieur au taux de la répartition pure.
•
Les cinq premiers différents scénarios de
lissage du taux de cotisation avec épuisement du fonds de réserve
en fin de période.
-
Le scénario 1
de référence :
surcotisation de 0,5 point en 2000, épuisement du fonds de
réserve en 2040, aucun abondement extérieur.
Dans ce cas, la période de surcotisation durerait 18 années, de
2000 à 2017. A partir de 2018 et jusqu'en 2040, le taux de cotisation
lissé serait inférieur au taux de cotisation apparent de la
répartition pure.
Le fonds de réserve atteindrait son maximum
en 2020, où il comptabiliserait 470,3 millions de francs de 1998
(3,7 points de PIB).
On observe que le taux de surcotisation serait croissant de 2000 à 2005,
année où l'écart par rapport au taux de la
répartition pure serait maximal (+ 1,76 point), puis diminuerait
régulièrement jusqu'en 2017. A partir de 2018, la diminution du
taux de cotisation par rapport au taux de la répartition pure serait
maximale en 2034 (- 1,36 point).
Mesuré en années de
prestations, le fonds de réserve atteindrait son maximum en 2015 avec
l'équivalent de 9 mois de prestations en réserves.
-
Le scénario 2
: surcotisation de + 1 point en 2000,
épuisement du fonds en 2040, aucun abondement extérieur.
La période de surcotisation s'étend de 2000 à 2015 et
le fonds de réserve atteint son maximum en 2019 avec 542 millions
de francs de 1998 (4,3 points de PIB).
La surcotisation maximale est
appelée en 2005 (+ 2,0 points par rapport au taux de la
répartition pure). Après 2015, la diminution du taux de
cotisation serait maximale en 2032 (- 1,32 point). Les variations annuelles du
taux lissé sont croissantes de + 0,13 point en 2001 à +
0,35 point en 2040.
Le fonds de réserve exprimé en
années de prestations atteindrait son maximum en 2014 avec 11 mois de
prestations.
La comparaison des deux scénarios montre qu'un taux de surcotisation
initial plus élevé conduit à des économies de
cotisations plus importantes ultérieurement.
-
Le scénario 3
: scénario 1 + abondement
extérieur annuel de 10 milliards de francs de 2000 à 2010.
A l'instar de l'abondement de 2 milliards de francs déjà
décidé pour 1999, on fait l'hypothèse que les pouvoirs
publics peuvent affecter au fonds de réserve l'équivalent d'une
dotation budgétaire annuelle de 10 millions de francs de l'année
2000 à l'année 2010.
Par rapport aux scénarios précédents, la période
de surcotisation est plus courte et s'étend de 2000 à 2014. Le
fonds de réserve atteint son maximum en 2019 avec 548,7 millions de
francs (4,4 points de PIB).
La surcotisation maximale est appelée en
2005 (+ 1 ,66 point par rapport au taux de la répartition pure,
soit 0,1 point de moins que dans le scénario 1). Après 2014, la
diminution du taux de cotisation serait maximale en 2032 avec - 1,5 point
par rapport au taux de la répartition pure (soit - 0,14 point
de plus par rapport au scénario 1).
Le fonds de réserve
exprimé en années de prestations atteindrait son maximum en 2013
avec plus de 11 mois de réserves
.
-
Le scénario 4
: scénario 1 et un taux
d'intérêt à long terme supérieur de
+ 1 point de 2000 à 2010.
Cette variante du scénario 1 permet de tester la sensibilité des
résultats à une modification du rendement financier obtenu par le
fonds dans le placement des réserves accumulées. On suppose que
le rendement financier est plus élevé d'un point de 2000 à
2010.
On observe que les résultats sont peu modifiés par rapport au
scénario 1.
La période de surcotisation s'étend de 2000
à 2016 et le fonds de réserve atteint son maximum en 2020 avec
478,9 millions de francs de 1998 (3,8 points de PIB),
soit
+ 8,6 millions de francs par rapport au scénario 1. Le taux de
surcotisation est à son maximum en 2005 avec + 1,75 point et,
après 2016, la réduction du taux de cotisation par rapport
à la répartition pure est maximale en 2033 avec - 1,33 point.
-
Le scénario 5
: lissage sur la période
2000-2035, + 0,5 point de surcotisation en 2000, épuisement du
fonds de réserve en 2035.
La période de surcotisation s'étend de 2000 à 2012 et
le fonds de réserve atteint son maximum en 2015 avec 298,8 millions de
francs de 1998 (2,5 points de PIB).
Le taux de surcotisation atteint son
maximum en 2005 avec + 1,47 point et après 2012, la
réduction du taux par rapport à la répartition pure est
maximale en 2025 avec - 0,89 point. Les variations annuelles du taux de
cotisation lissé sont croissantes de + 0,11 point en 2001 à
+ 0,42 point en 2040.
Le tableau récapitulatif suivant permet de visualiser l'ensemble des
résultats des cinq premiers scénarios.
Principaux résultats des cinq scénarios
|
scénario 1 |
scénario 2 |
scénario 3 |
scénario 4 |
scénario 5 |
Taux de surcotisation en 2000 |
0,5 point |
1 point |
0,5 point |
0,5 point |
0,5 point |
Période de lissage |
2000-2040 |
2000-2040 |
2000-2040 |
2000-2040 |
2000-2035 |
Abondement extérieur |
0 |
0 |
10 Mdf (1) |
0 |
0 |
Rendement financier |
|
|
|
+ 1 point (2) |
|
Période de surcotisation |
200-2017 |
2000-2015 |
2000-2014 |
2000-2016 |
2000-2012 |
Fonds de réserve maximum |
470,3 Mdf |
542 Mdf |
548,7 Mdf |
478,9 Mdf |
298,8 Mdf |
Année où le fonds est maximum |
2020 |
2019 |
2019 |
2020 |
2015 |
Fonds maximum en mois de prestations |
9 mois |
11 mois |
11 mois |
8,5 mois |
6,5 mois |
Taux de surcotisation maximum (3) |
+ 1,77 point |
+ 2,0 points |
+ 1,66 point |
+ 1,75 point |
+ 1,47 point |
Année où le taux est maximum |
2005 |
2005 |
2005 |
2005 |
2005 |
Réduction maximale du taux lissé (3) |
- 1,36 point |
- 1,51 point |
- 1,50 point |
- 1,37 point |
- 0,89 point |
Année de la réduction maximale |
2034 |
2032 |
2032 |
2033 |
2025 |
(1)
De 2000 à 2010
(2)
De 2000 à 2010
(3)
Par rapport au taux de la répartition pure.
On remarque que, quels que soient les scénarios, le fonds de
réserve ne dépasse pas, à son maximum, une année de
prestations et il est épuisé à la fin de la période
de lissage.
Ce résultat peut ne pas être satisfaisant ni souhaité. On
peut faire l'hypothèse qu'après 2035-2040, l'ensemble des
générations du baby-boom seront à la retraite, de telle
sorte que les indicateurs socio-démographiques (tel que le taux de
dépendance) seront certes dégradés mais stables. Dans ces
circonstances, il pourrait être judicieux de disposer d'un fonds de
réserve procurant au régime de retraite des recettes
financières d'un montant suffisant pour stabiliser durablement le taux
de cotisation à un niveau inférieur au taux de la
répartition pure.
•
Scénarios avec un fonds de réserve positif en
fin de période de lissage et un taux de cotisation inférieur au
taux de répartition pure
Deux cibles sont simultanément visées : le niveau du fonds
de réserve en fin de période de lissage et un taux de cotisation
inférieur au taux de la répartition pure et stable sur longue
période.
Faire jouer au fonds de réserve le rôle de " troisième
financeur " des régimes de retraite signifie que les gestionnaires
souhaitent bénéficier des rendements financiers plus
élevés que le rythme de croissance de la masse salariale pour
baisser significativement le taux de cotisation.
Les gestionnaires des régimes se trouvent devant des arbitrages
difficiles. Pour accumuler un fonds de réserve d'un niveau suffisant
pour diminuer le taux de cotisation de façon permanente, il est
nécessaire au préalable de surcotiser temporairement pendant une
période suffisamment longue, avec des taux de surcotisation qui peuvent
être élevés.
Il est probable que les
générations qui surcotiseront ne seront pas les mêmes que
celles qui bénéficieront de la baisse des taux de cotisations.
Ces dernières, par contre, pourraient bénéficier de
taux de cotisation plus faibles pendant une période très longue,
après le passage à la retraite des générations du
baby-boom.
Il y a donc un arbitrage intergénérationnel
difficile entre les cotisants d'aujourd'hui et les cotisants de demain.
Le
Canada semble avoir arbitré, à l'occasion de la réforme du
RPC, en faveur des futurs cotisants, c'est-à-dire les enfants et
petits-enfants des générations du baby-boom.
Deux scénarios ont été construits pour examiner la
faisabilité d'une telle politique :
-
Le scénario 6
: taux de surcotisation initial de
+ 0,5 point en 2000, lissage des taux jusqu'en 2040 qui se termine avec un
fonds de réserve égal à la masse salariale de
l'année 2040 (21,2 points de PIB).
Compte tenu d'une hypothèse de taux moyen de rendement financier des
réserves de 2,5 % par an, ce scénario induit que le taux de
cotisation après 2040 serait inférieur de 2,5 points au taux de
la répartition pure. Cela signifie que le taux lissé ne rejoint
pas le taux de la répartition pure.
Ce scénario rend bien compte des arbitrages qui devraient être
rendus :
- la période de surcotisation durerait jusqu'en 2031,
c'est-à-dire que les générations creuses de cotisants
après 2010 supporteraient pleinement la charge de la constitution d'un
fonds de réserve important en fin de période de lissage, alors
même qu'à législation inchangée, le taux de
cotisation devrait croître fortement,
- le taux de surcotisation serait de 3 et 4 points pendant près de
15 ans entre 2004 et 2020. Le taux de cotisation lissé passerait
par un maximum en 2031 puis diminuerait lentement pour se stabiliser à
un niveau inférieur d'environ 2,5 points par rapport au taux de la
répartition pure. Les bénéficiaires de cet effort de
surcotisation seraient les générations actives après 2031,
- le fonds de réserve représenterait en 2040 près de
3,3 années de prestations.
Une telle politique apparaîtrait particulièrement difficile
à mettre en oeuvre puisque l'effort de surcotisation serait
principalement réalisé par les générations dont on
souhaite a priori, via le fonds de réserve, alléger le coût
du financement des retraites.
Toutefois, cette appréciation devrait
être nuancée si la législation restait inchangée
dans le futur. En effet, en l'absence de toute réforme, les
générations actives après 2040 seraient toujours dans une
situation plus défavorable vis-à-vis du coût des retraites
que les générations antérieures, et en particulier
vis-à-vis des générations actives entre 2010 et 2020. Il
ne serait donc pas injustifié de " léguer " à
ces générations un fonds de réserve pour leur permettre de
diminuer ce coût.
Le scénario 6 montre également le rôle
prépondérant joué par le rendement financier du fonds de
réserve et donc l'intérêt d'une gestion financière
active de ce fonds. Toute augmentation durable de la performance
financière est rétrocédée aux cotisants sous la
forme soit d'une surcotisation plus faible, soit d'une plus forte diminution du
taux de cotisation en dessous du taux de la répartition pure. C'est la
démarche retenue par le Canada qui a créé, à
l'occasion de la réforme de 1997, un Office d'investissement
auprès du régime des pensions du Canada, organe chargé de
diversifier les placements des réserves afin d'en maximiser le
rendement.
-
Le scénario 7
examine l'impact d'un taux de rendement
financier plus élevé des réserves.
On fait l'hypothèse que le taux de rendement financier des
réserves est plus élevé d'un point sur la période
2000-2040 par rapport au scénario de référence. En fin de
période, le rendement financier moyen serait de 3,5 % par an. Ce
scénario est simulé avec un taux de surcotisation initial en 2000
de + 0,5 point et un niveau du fonds de réserve égal
à 60 % de la masse salariale en 2040 (12,7 points de PIB),
soit l'équivalent de 2 années de prestations. Avec ces
hypothèses, le taux de cotisation après 2040 pourrait être
inférieur de 2,1 points par rapport au taux de la
répartition pure.
Ce scénario est légèrement plus favorable que le
précédent :
- la période de surcotisation durerait jusqu'en 2026, avec un
taux de surcotisation dépassant 2 points de 2003 à 2013 et un
maximum de 2,8 points. Dès 2035, le taux de cotisation serait
inférieur de 2 points par rapport au taux de la répartition pure,
- le fonds de réserve en fin de période de lissage
représenterait près de deux années de prestations ce qui,
compte tenu d'un rendement annuel moyen de 3,5 %, permettrait de financer
7 % des pensions versées annuellement. C'est la
" contribution " du troisième financeur.
Fonds de réserve (en milliards de francs de 1998)
(en gras, année où le fonds est maximal)
|
Scénario 1 |
Scénario 2 |
Scénario 3 |
Scénario 4 |
Scénario 5 |
Scénario 6 |
Scénario 7 |
1999 |
2,0 |
2,0 |
2,0 |
2,0 |
2,0 |
2,0 |
2,0 |
2000 |
11,2 |
20,3 |
21,5 |
11,2 |
11,2 |
11,2 |
11,2 |
2001 |
28,1 |
45,9 |
48,7 |
28,1 |
26,8 |
35,9 |
32,5 |
2002 |
51,9 |
78,0 |
82,8 |
52,1 |
47,9 |
75,5 |
65,3 |
2003 |
82,5 |
116,4 |
123,5 |
83,0 |
74,5 |
130,2 |
109,8 |
2004 |
118,8 |
160,1 |
170,0 |
119,9 |
105,4 |
199,0 |
164,9 |
2005 |
159,3 |
207,1 |
220,0 |
161,3 |
139,4 |
279,8 |
228,9 |
2006 |
200,1 |
253,8 |
270,2 |
203,4 |
172,5 |
369,1 |
298,1 |
2007 |
239,0 |
298,1 |
318,4 |
244,0 |
202,7 |
464,3 |
370,3 |
2008 |
274,5 |
338,1 |
363,0 |
281,5 |
228,4 |
563,6 |
443,6 |
2009 |
306,4 |
374,1 |
404,0 |
316,0 |
249,7 |
666,9 |
517,9 |
2010 |
334,7 |
405,6 |
441,0 |
347,1 |
266,6 |
773,0 |
592,6 |
2011 |
359,7 |
433,3 |
464,4 |
371,9 |
279,6 |
882,8 |
668,2 |
2012 |
381,5 |
457,1 |
484,3 |
393,4 |
288,8 |
996,0 |
744,7 |
2013 |
400,6 |
477,7 |
501,1 |
412,2 |
295,0 |
1.112,9 |
822,3 |
2014 |
417,1 |
495,1 |
515,1 |
428,4 |
298,2 |
1.233,2 |
901,0 |
2015 |
431,0 |
509,2 |
526,0 |
441,9 |
298,8 |
1.355,9 |
980,1 |
2016 |
443,6 |
521,4 |
535,3 |
454,1 |
298,0 |
1.482,4 |
1.061,0 |
2017 |
454,7 |
531,7 |
542,9 |
464,8 |
295,9 |
1.612,2 |
1.143,4 |
2018 |
463,0 |
538,6 |
547,4 |
472,6 |
291,4 |
1.743,3 |
1.225,5 |
2019 |
468,3 |
542,0 |
548,7 |
477,5 |
284,4 |
1.875,1 |
1.306,9 |
2020 |
470,3 |
541,6 |
546,4 |
478,9 |
274,8 |
2.006,7 |
1.386,8 |
2021 |
469,5 |
538,2 |
541,3 |
477,7 |
263,5 |
2.138,2 |
1.465,7 |
2022 |
466,0 |
531,5 |
533,2 |
473,6 |
250,5 |
2.268,8 |
1.543,0 |
2023 |
458,7 |
520,7 |
521,2 |
465,7 |
235,0 |
2.396,8 |
1.617,4 |
2024 |
447,4 |
505,6 |
505,1 |
453,9 |
217,2 |
2.521,4 |
1.688,1 |
2025 |
431,7 |
486,0 |
484,7 |
437,7 |
196,9 |
2.641,6 |
1.754,5 |
2026 |
413,2 |
463,2 |
461,3 |
418,6 |
175,7 |
2.757,9 |
1.817,4 |
2027 |
391,5 |
437,1 |
434,8 |
396,3 |
153,8 |
2.869,4 |
1.876,3 |
2028 |
366,5 |
407,6 |
405,0 |
370,8 |
131,3 |
2.975,1 |
1.930,3 |
2029 |
338,1 |
374,6 |
371,8 |
341,9 |
108,3 |
3.073,9 |
1.978,8 |
2030 |
306,0 |
337,8 |
335,1 |
309,2 |
84,7 |
3.164,7 |
2.020,9 |
2031 |
272,3 |
299,6 |
297,0 |
275,0 |
63,2 |
3.248,6 |
2.058,3 |
2032 |
236,1 |
258,9 |
256,5 |
238,3 |
43,1 |
3.323,6 |
2.089,3 |
2033 |
198,1 |
216,7 |
214,6 |
200,0 |
25,4 |
3.389,6 |
2.114,0 |
2034 |
158,4 |
173,0 |
171,2 |
159,8 |
10,7 |
3.445,2 |
2.131,8 |
2035 |
117,8 |
128,7 |
127,2 |
118,8 |
0,0 |
3.490,3 |
2.142,7 |
2036 |
82,3 |
89,9 |
88,9 |
83,1 |
0,0 |
3.529,7 |
2.152,0 |
2037 |
52,5 |
57,2 |
56,5 |
52,9 |
0,0 |
3.562,3 |
2.159,4 |
2038 |
28,7 |
31,1 |
30,8 |
28,9 |
0,0 |
3.587,3 |
2.164,6 |
2039 |
11,4 |
12,2 |
12,1 |
11,4 |
0,0 |
3.603,6 |
2.167,1 |
2040 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
3.609,2 |
2.165,5 |
C'est à la lumière des enseignements de ces travaux théoriques et des expériences menées dans les pays étrangers que votre rapporteur portera un jugement sur le fonds de réserve créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
2. Le fonds de réserve créé par le Gouvernement : un instrument peu crédible
L'article 2 de la loi de financement de la
sécurité
sociale pour 1999 a créé, au sein du fonds de solidarité
vieillesse, un fonds de réserve pour les régimes d'assurance
vieillesse des salariés et des commerçants et artisans. Le champ
d'intervention de ce fonds est en effet limité aux régimes
concernés par la réforme de 1993, c'est-à-dire le
régime général, le régime de base des
salariés agricoles, l'ORGANIC et la CANCAVA.
Cet article prévoyait en outre l'alimentation du fonds de réserve
par une fraction fixée par arrêté des ministres
chargés de la sécurité sociale et du budget, du solde du
produit de la contribution sociale de solidarité des
sociétés (C3S) après affectation, conformément
à l'article L. 651-2 du code de la sécurité sociale, du
produit de cette contribution au régime d'assurance maladie des
travailleurs non salariés des professions non agricoles et des
régimes d'assurance vieillesse des professions indépendantes
(artisanales, industrielles et commerciales, libérales et agricoles) au
prorata et dans la limite de leurs déficits comptables. Selon les
prévisions annexées au projet de loi de financement pour 1999,
sur les 5,6 milliards de francs de C3S que percevrait le FSV au titre de
l'année 1999, 2 milliards seraient versés au fonds de
réserve.
La loi prévoyait enfin que le fonds serait abondé par tout ou
partie des excédents de la première section du FSV, dans les
conditions fixées par des arrêtés des ministres
chargés de la sécurité sociale et du budget ainsi que par
"
toute ressource qui lui serait affectée en vertu de
dispositions législatives
".
Lors du débat sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, le Sénat, à
l'initiative de votre commission des Affaires sociales, n'avait pas
rejeté le principe d'un tel fonds de réserve. Il avait cependant
souligné que la constitution d'un fonds de réserve n'a
véritablement de sens que si un certain nombre de conditions sont
effectivement respectées.
•
La constitution d'un fonds de réserve suppose que
les pouvoirs publics mènent effectivement une politique de retraite dans
une perspective à long terme.
Il faut en effet programmer l'accumulation puis l'utilisation des
réserves et, en conséquence, fixer un calendrier des taux de
cotisation sur une période suffisamment longue. Cette démarche ne
peut être acceptée que si les projections financières
à long terme des régimes de retraite sont
régulièrement établies et discutées afin de
clairement expliciter les engagements des différentes cohortes
.
Introduire des réserves capitalisées revient en effet à
rendre explicite le contrat qui lie les différentes
générations par l'intermédiaire de la technique de la
répartition, et plus particulièrement les
générations futures puisque les réserves sont
accumulées pour alléger le coût des retraites qu'elles
subiront. La mise en place d'un fonds de réserve devrait s'accompagner
rapidement de la création d'une instance chargée d'examiner
à intervalles réguliers l'équilibre à long terme
des régimes de retraite bénéficiaires du fonds de
réserve.
Or, force est de constater que rien de tel n'est observable dans notre
pays : le présent projet de loi témoigne au contraire de
l'attentisme du Gouvernement, qui repousse toujours les nécessaires
réformes destinées à assurer l'équilibre à
long terme de notre système de retraite.
La politique du Gouvernement en matière de retraites consiste
essentiellement à piloter à vue, en évitant les obstacles
que pourraient constituer les prochaines échéance
électorales.
•
Ce fonds de réserve doit avoir une mission claire et
définie de manière préalable : lisser la hausse des
cotisations ou constituer un patrimoine de rapport dont les produits financiers
compléteraient les ressources des régimes par
répartition.
Aucun objectif n'a encore été assigné au fonds
créé par la loi de financement de la sécurité
sociale pour 1999. Un décret paru au Journal officiel du 24 octobre
1999
12(
*
)
, a certes prévu
les modifications relatives au comité de surveillance du fonds. Mais la
finalité et les modalités de gestion du fonds de réserve
restent dans le flou le plus complet.
Il serait bon que le Gouvernement dise enfin quelle sera la finalité de
ce fonds. Ce préalable est indispensable dans la mesure où deux
cibles au moins doivent être explicitées pour calibrer la
programmation des taux de cotisation et l'évolution du fonds de
réserve :
- la longueur de période durant laquelle il est souhaitable de
lisser le taux de cotisation,
- le taux de cotisation qu'il serait souhaitable d'atteindre au terme de
la période de lissage ou alternativement le niveau du fonds de
réserve en fin de période de lissage.
La création du fonds de réserve en France semble retenir - de
manière inavouée - la fonction de lissage des taux de cotisation.
Comme l'a souligné M. Jean-Michel Charpin devant la commission des
Affaires sociales du Sénat (audition du 5 mai 1999), il est en
effet déjà trop tard pour envisager la création d'un fonds
permanent ;
seul un fonds de " lissage " apparaît
aujourd'hui réalisable.
•
Un fonds de lissage ne résout pas le problème
du financement futur des retraites : il ne peut que constituer une mesure
d'accompagnement de la réforme d'ensemble des retraites
Un fonds de lissage a pour objectif une évolution
régulière et programmée des taux de cotisation. Il ne fait
que réaménager le calendrier des hausses de taux de cotisation.
Cette opération de lissage des taux de cotisation ne constitue donc pas
et ne se substitue pas à une réforme des régimes de
retraite lorsque ceux-ci ne sont pas actuariellement équilibrés.
C'est une politique d'accompagnement destinée à atténuer
le choc de ruptures brutales qu'impliquerait le maintien de la
répartition pure.
L'examen des différents scénarios étudiés par
Laurent Vernière a montré que, en l'absence de réformes
destinées à maîtriser le coût des retraites, les
hausses de taux de cotisation nécessaires pour équilibrer les
comptes des régimes de retraite seront importantes (près de 11
points en 40 ans), ne laissant quasiment qu'une marge infime pour ajouter
une surcotisation temporaire.
Pour que le provisionnement partiel des engagements des régimes ait un
effet sensible sur le coût des retraites après 2020, il faut avoir
accumulé des réserves représentant au bout de 20 ans au
moins l'équivalent de 4 points de PIB.
Cet effort pourra être
d'autant mieux accompli et accepté si des réformes
allégeant le coût des retraite sont mises en oeuvre rapidement.
Cette situation vient en partie de la date tardive à laquelle la
décision a été prise de créer un fonds de
réserve. Il ne reste en effet que peu d'années avant
l'arrivée à l'âge de la retraite des premières
générations du baby-boom. Il en résulte que la
période de surcotisation s'étend au moins jusqu'en 2015. Les
pouvoirs publics sont en conséquence confrontés à un
arbitrage intergénérationnel s'ils souhaitent que le fonds de
réserve joue un rôle significatif dans le
réaménagement du calendrier des taux de cotisation. Il s'agit de
décider quelles générations supporteront le coût des
retraites après 2020.
•
La constitution d'un fonds de lissage exige des ressources
importantes et durables
Même si les sommes nécessaires sont nettement inférieures
à ce qu'exigerait un fonds permanent, la constitution d'un fonds de
lissage suppose néanmoins
l'accumulation de montants très
importants
: les simulations évoquées plus haut,
réalisées pour le seul régime général,
montrent que le fonds doit atteindre 400 à 500 milliards de francs
à l'horizon 2020. Des montants supérieurs seraient naturellement
nécessaires pour lisser les cotisations de l'ensemble des régimes.
La constitution d'un tel fonds suppose également des ressources
durables.
Près d'une année après sa création, le fonds de
réserve reste de ce point de vue parfaitement virtuel ; la seule trace
de son existence est une ligne sur les comptes du Fonds de solidarité
vieillesse (FSV), ligne qui n'est pas encore affectée
13(
*
)
.
Le fonds de réserve est
encore vide aujourd'hui.
Depuis cette date, le Gouvernement multiplie pourtant les effets d'annonce pour
tenter de donner un semblant d'existence à son fonds.
La piste de l'affectation des " excédents budgétaires "
a été mentionnée lors du débat surréaliste
de l'été 1999. C'était oublier un peu vite que le budget
de l'Etat connaît un déficit toujours très important, et
que des rentrées fiscales plus importantes que prévu n'ont jamais
constitué un " excédent budgétaire ".
L'article 10 du projet de loi prévoit quant à lui d'affecter les
excédents de la CNAVTS au fonds de réserve. En 2000, la somme de
2,9 milliards de francs serait ainsi versée au fonds, à
titre de provision pour l'excédent 1999.
Alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999
avait prévu que les excédents du FSV iraient alimenter le fonds
de réserve, le Gouvernement a finalement décidé d'amputer
sur les excédents du FSV en baissant ses recettes (partie des droits sur
les alcools) et de faire bénéficier le fonds de réserve
d'une fiscalité affectée, par l'intermédiaire de 49 % du
prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine et les
produits de placement, correspondant aux 5,5 milliards de francs que n'a pas
versé le régime général au financement des 35
heures.
Ce tour de passe-passe est véritablement inacceptable :
- il fait financer de manière directe le fonds de réserve
par toutes les branches de la sécurité sociale, y compris les
branches famille et maladie, au mépris du principe de séparation
des branches ;
- il prive ce faisant la CNAMTS d'une recette qui lui avait
été attribuée pour financer la CMU ;
- il contribue à faire financer de manière indirecte les
" 35 heures " par la sécurité sociale.
Cette affectation au fonds de réserve des ressources de la
sécurité sociale présente, pour votre rapporteur, le
caractère d'une surcotisation, surcotisation à laquelle le
Gouvernement était pourtant fermement opposé.
En effet, en prélevant de la sorte les excédents de la
sécurité sociale, le Gouvernement renonce à baisser les
cotisations et maintient les prélèvements sociaux à un
niveau plus élevé que ce qui était strictement
nécessaire pour assurer l'équilibre des différents
régimes.
Parallèlement, le Gouvernement racle " les fonds de tiroirs "
en mettant à contribution de manière ponctuelle les caisses
d'épargne ou la Caisse des dépôts.
L'article 26 de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999 relative à
l'épargne et à la sécurité financière a
ainsi prévu le reversement,
" avant le 31 décembre
de chaque année, de 2000 à 2003 inclus "
, d'un total
d'environ 18 milliards de francs issus de la cession des parts des caisses
d'épargne.
Enfin, la Caisse des dépôts et Consignations a annoncé le
28 octobre 1999 son intention de verser 3 milliards de francs au fonds de
réserve.
Ce " don " de fin d'année appelle deux observations.
Il conduit d'abord à s'interroger sur les conditions dans lesquelles la
Caisse des dépôts et consignations, établissement public
placé sous la surveillance toute particulière du Parlement, peut
disposer librement de ses excédents, comme s'il s'agissait d'une
" cassette " personnelle. La destination " vertueuse " de
ce don ne change rien à cette question de principe.
La seconde observation porte précisément sur le caractère
" vertueux " de ce don. Sachant que la Caisse des dépôts
et consignations est candidate à la gestion du fonds de réserve,
cette libéralité peut-elle être considérée
comme la première enchère pour obtenir le
" marché " de la gestion de ce fonds ?
Au total, fin 2000, le fonds pourrait disposer de près de 20 milliards
de francs :
en millions de francs
Origine |
Montant |
Excédents C3S (1999) |
2.000 |
Excédents CNAVTS (1999 et 2000) |
4.000 |
Partie du prélèvement social de 2 % |
5.500 |
Caisses d'épargne |
4.000 |
Caisse des dépôts |
3.000 |
TOTAL |
18.500 |
Cette
agitation un peu désordonnée, cette politique au coup par coup,
révèlent l'absence totale de plan de financement à moyen
ou long terme pour le fonds de réserve.
Le Gouvernement s'efforce
à l'évidence de masquer une terrible réalité :
il ne sait pas comment alimenter durablement ce fonds.
•
La constitution d'un fonds exige de définir de
manière préalable les conditions de gestion financière de
ce fonds
Les simulations montrent le rôle prépondérant joué
par le rendement financier du fonds de réserve et donc
l'intérêt d'une gestion financière active de ce fonds. La
gestion financière du fonds de réserve devient une composante
essentielle de la politique de retraite et les performances financières
du fonds un atout supplémentaire pour alléger le coût des
retraites.
Il est par conséquent nécessaire d'assurer une gestion
professionnelle de ces réserves. A l'instar des fonds de pension
américains, il paraît nécessaire de déléguer
la gestion de ces fonds à des professionnels de la gestion
financière, indépendants des organismes de retraite.
Il
faudrait au préalable déterminer les orientations
stratégiques de cette gestion : poids des actions, des obligations
et de l'immobilier, degré de diversification internationale. Une telle
délégation réduirait le risque de " socialisation de
l'économie " que peut toujours faire peser un tel fonds de
réserve : il s'agit en particulier d'éviter que les pouvoirs
publics ne soient tentés d'utiliser ces réserves pour
contrôler certaines entreprises, ou les secourir financièrement.
Par définition, si ce fonds de réserve doit rechercher une plus
forte rentabilité, il sera fortement investi en actions et
orienté en partie significative vers les PME, le capital-risque ou les
marchés seconds.
Les modalités de gestion du fonds de réserve
créé l'année dernière sont, à ce jour,
toujours inconnues.
L'article R. 135-21 du code de la
sécurité sociale, qui résulte du décret du 22
octobre 1999 précité, précise ainsi, de manière
très inquiétante, que
" les disponibilités du
fonds de réserve peuvent faire l'objet de placements dans des conditions
définies par le ministre chargé de l'économie et des
finances, après avis du conseil d'administration. Le produit des
placements est affecté au fonds de réserve ".
Votre rapporteur considère pour sa part que c'est au
législateur -et non au pouvoir réglementaire- de décider
des modalités de placement des sommes accumulées au sein du fonds
de réserve.
•
Aucune de ces conditions n'est aujourd'hui remplie :
le fonds de réserve n'est qu'un alibi à l'immobilisme
gouvernemental
Un an après la création du fonds de réserve, les exigences
formulées par votre commission restent tout à fait pertinentes.
Les conditions préalables à la constitution d'un tel fonds ne
sont toujours pas remplies mais le fonds de réserve continue de servir
en quelque sorte d'alibi : on ne saurait reprocher au Gouvernement de ne
rien faire puisqu'il alimente le fonds de réserve.
Il faut dire la vérité aux Français :
le fonds de
réserve n'est pas la solution au problème de financement futur de
notre système de retraite ; il ne peut constituer qu'une mesure
d'accompagnement d'une réforme plus globale.