IV. LA CONVICTION DE VOTRE COMMISSION : L'URGENCE DES RÉFORMES
A. LES DANGERS DE L'ATTENTISME
1. Le rapport Charpin : un diagnostic non partagé
La
mission confiée au Commissariat général du Plan visait
implicitement à faire prendre conscience aux partenaires sociaux de
l'ampleur des défis et à " tester " quelques voies de
réforme.
En réalité, le diagnostic s'avère très largement
contesté par les partenaires sociaux.
A l'issue du processus de concertation, il est en effet apparu que le contenu
du rapport, "
L'avenir de nos retraites
", faisait l'objet de
critiques sévères de la part des partenaires sociaux. Ces
critiques et remarques, qui figurent en annexe du rapport sous la rubrique
"
Avis des organisations
" et qui ont été
abondamment relayées par les médias, portent autant sur les
hypothèses et les résultats des projections que sur les pistes de
réformes envisagées par le rapport
14(
*
)
.
Au vu de ce bilan, on peut s'interroger sur l'utilité réelle
de cette concertation qui n'a abouti à aucun résultat tangible.
Il n'y a que le Premier ministre pour feindre de croire, dans l'entretien
accordé au
Parisien
le jeudi 29 avril 1999, que
" tout le
monde s'accorde désormais sur la réalité et l'ampleur des
difficultés que va rencontrer, si rien n'est fait, notre système
de retraites "
et que
" le diagnostic que fait le rapport
Charpin est partagé par tous ".
2. L'annonce d'une nouvelle concertation
Dans ces
conditions, on comprend mieux l'attitude prudente du Gouvernement qui n'a pas
voulu être prisonnier du rapport et a pris très tôt ses
distances à l'égard de ses conclusions.
Le dossier de presse du service d'information du Gouvernement, distribué
le 29 avril 1999 à l'occasion de la remise du rapport au Premier
ministre, précise ainsi :
" Ces propositions du
Commissariat général du Plan sont versées au débat
public. Elles n'engagent pas le Gouvernement. ".
Reconnaissant implicitement que l'objectif de concertation assigné
à la commission Charpin avait échoué, le communiqué
de presse de Matignon publié le même jour annonce la
méthode que compte suivre désormais le Gouvernement :
" Ce diagnostic constitue la première étape de la
démarche engagée par le Gouvernement.
"
Une nouvelle phase de concertation va désormais s'ouvrir. Elle
portera tant sur la méthode que sur les voies de réforme
possibles.
15(
*
)
Cette
concertation sera animée par Mme Martine Aubry, ministre de
l'Emploi et de la Solidarité, avec le concours des autres ministres
concernés, notamment M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de
l'Economie des Finances et de l'Industrie, M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement, et M. Emile
Zuccarelli, ministre de la Fonction publique, de la réforme de l'Etat et
de la Décentralisation. ".
" A la fin de cette année, le Gouvernement dégagera les
orientations générales de réforme des régimes de
retraite
.
" Trois principes guideront les choix du Gouvernement :
"
- Consolider les régimes de retraite par
répartition
. (...) Lorsque les orientations générales
auront été définies, chaque régime devra s'inscrire
dans cette démarche, en tenant compte de ses propres
spécificités. Les efforts nécessaires devront être
assurés par tous, de façon équitable.
"
- Reconstruire une société du plein emploi
.
Une croissance économique soutenue et le retour à un haut niveau
d'emploi seront de nature à retarder l'apparition des
déséquilibres financiers et ouvriront également de
nouvelles voies de financement pour faire face aux difficultés futures,
notamment par le développement du fonds de réserve
créé en 1998. (...)
"
- Réformer de manière progressive
. Le
Gouvernement proposera aux partenaires sociaux de réfléchir, dans
le cadre de la réforme, à la mise en place d'un dispositif
permanent de pilotage du système des retraites. "
Ces quelques lignes constituent véritablement le " corpus de
doctrine " du Gouvernement sur la réforme des retraites. En
réponse aux nombreuses questions qui lui sont posées sur la
réforme des retraites, Mme Martine Aubry répète ainsi
inlassablement :
" A la fin de cette année, le Gouvernement
dégagera les orientations générales de réforme des
régimes de retraite ".
Invité du Journal de TF1, le 13 janvier 1999, le Premier ministre avait
pourtant indiqué :
" nous nous orientons vers des
premières prises de décision (sur les retraites) dès la
fin de l'année 1999 ".
Trois mois plus tard, il n'est plus
désormais question que d'
" orientations ".
Le 27 septembre 1999, le Premier Ministre annonçait d'ailleurs aux
Journées parlementaires du groupe socialiste que ces
" orientations générales
" ne seraient
précisées qu'au "
début de l'année
2000
".
A mesure que l'obstacle s'approche, le Gouvernement cherche à se
dérober.
Après avoir répété que les décisions
étaient conditionnées aux résultats de la mission Charpin,
ce qui avait conduit votre rapporteur à intituler
" En attendant
Charpin... "
le titre d'une partie de son rapport sur le volet
vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 1999, le Gouvernement déclare désormais que les
réformes viendront après une nouvelle concertation !
Personne ne peut naturellement contester le souci de concertation sur un sujet
aussi sensible que les retraites ;
toutefois, la concertation ne doit
pas constituer un prétexte à l'inaction.
De concertation en concertation, le Gouvernement essaie avant tout de gagner du
temps.
S'agit-il de nier l'évidence ? D'une incapacité
à imposer la réforme à sa majorité plurielle ?
Ou d'un refus d'assumer les risques politiques de décisions difficiles
et pourtant indispensables ?
Les gouvernements de MM. Edouard Balladur et Alain Juppé avaient
engagé des réformes courageuses, celui de M. Lionel Jospin a
décidé d'attendre 2000 pour faire part de ses
" orientations ", fuyant ainsi ses responsabilités.
La nouvelle concertation, que Mme Martine Aubry est censée piloter,
semble d'ailleurs patiner quelque peu. A l'exception d'une rencontre entre la
Ministre et les principales confédérations syndicales et
patronales, rien de concret n'a été organisé. Les
gestionnaires de régimes de retraite que votre rapporteur a
auditionnés dans le cadre de la préparation de ce rapport ont
été unanimes à déclarer qu'ils n'avaient pas
été associés à cette nouvelle concertation et
qu'ils n'avaient d'ailleurs aucune information quant à la façon
dont cette concertation pouvait être effectivement menée.
Votre rapporteur est par conséquent conduit à s'interroger
fortement sur la réalité de ce nouveau processus de concertation.
L'année 1999 s'achèvera donc sans qu'aucune décision n'ait
été prise sur les retraites. Les véritables
réformes sont une fois encore différées et rien ne
garantit d'ailleurs qu'elles seront un jour effectivement engagées.
En effet, selon Le Monde daté du 23 juin, le Premier ministre a ainsi
évoqué en ces termes, devant le groupe socialiste de
l'Assemblée nationale, la question des retraites :
" A la fin de l'année, nous dégagerons les orientations
générales de la réforme. Mais qu'il n'y ait pas
d'ambiguïtés :
il n'y aura pas de grand soir des
retraites
. (...) Les discussions devront s'engager dans chaque
régime, pour tenir compte des spécificités de ces
régimes. (...) ".
On ne saurait être plus prudent... Faute de " grand soir ", il
est à craindre des lendemains difficiles.
3. L'attentisme du Gouvernement : une forme de choix
Peut-on
encore attendre pour prendre les mesures qui s'imposent ?
Votre commission considère pour sa part qu'il y a
urgence
.
Le Président de la République l'a lui-même solennellement
rappelé lors de la remise à l'Elysée, le 31 mai
dernier, de la Médaille de la Famille française :
" Il n'est pas de grand enjeu collectif qui n'ait aussi une dimension
démographique. Prenons par exemple
le problème des retraites,
qui préoccupe à juste titre tous les Français.
16(
*
)
Il n'est pas seulement financier,
il est d'abord (...) démographique.
La question du financement des
retraites, dont le traitement ne peut plus être différé
aujourd'hui
,
n'est qu'une des conséquences d'un
problème plus crucial encore, celui du renouvellement de notre
population. (...)
" Au-delà,
il importe que les réformes nécessaires
et maintenant urgentes qui devront être conduites pour sauvegarder nos
régimes de retraite
ne pénalisent pas les familles. "
Ces propos contrastent avec la relative insouciance du Premier ministre qui
déclarait au Parisien, le 29 avril dernier :
" La
précipitation serait une erreur : les problèmes financiers
ne se posent, je le répète, qu'à partir de 2005.
Nous
avons le temps.
"
Dans un entretien accordé au mensuel " Liaisons sociales " de
mai 1999, M. Jean-Michel Charpin met pourtant lui-même l'accent
" sur l'urgence de décisions à prendre ".
Comme le souligne très pertinemment M. Jean-Michel Charpin,
" si l'on décide de ponctionner les revenus des actifs pour
rééquilibrer financièrement le système, sans faire
de capitalisation, il n'y a aucune nécessité de le faire
aujourd'hui.
En clair, si l'on veut atteindre l'équilibre financier
par une hausse des cotisations, il suffit de commencer en 2005. ".
En revanche,
"
si l'on décide d'agir autrement, il faut
démarrer tout de suite.
Si l'on veut constituer un complément
au financement du régime par répartition, en accumulant du
capital dans un fonds de réserve, il faut prendre de l'avance par
rapport à la dégradation des comptes. Et si l'on veut jouer sur
l'âge de la retraite, il faut que l'ajustement soit étalé
sur une très longue période pour préserver
l'équité entre les générations. ".
Selon M. Jean-Michel Charpin,
"
Le principal danger serait
précisément de refuser d'affronter le problème en temps
utile
. On se placerait alors vers 2010 dans une situation où les
arbitrages seraient extrêmement douloureux à prendre. Faute de les
avoir anticipés, on risquerait justement de faire porter tout le poids
du rééquilibrage des retraites sur un nombre relativement faible
de générations qui pourraient alors refuser un effort
supplémentaire. ".
Votre commission ne peut que partager la teneur des propos du Commissaire
général du Plan.
En repoussant des décisions
indispensables, le Gouvernement fait en réalité un choix
implicite : celui de la hausse future des cotisations.