B. MISSION DU 30 JUIN AU 8 JUILLET : LIBAN ET TERRITOIRES AUTONOMES PALESTINIENS
Le 13
octobre 1999,
sous la présidence de M. Jacques Oudin,
vice-président, la commission a entendu une communication de
M. Michel Charasse
, rapporteur spécial des crédits de la
coopération, sur la
mission de contrôle
, sur pièces
et sur place, qu'il a effectuée du 30 juin au 8 juillet 1999
au
Liban
et dans les
Territoires autonomes palestiniens
.
M. Michel Charasse
a expliqué que cette mission était
motivée par son souci de voir comment se mettaient en place les outils
de la réforme de la coopération dans deux nouveaux pays admis
dans la zone de solidarité prioritaire (ZSP). Il a dit qu'il avait
expliqué les conséquences de cette réforme aux
autorités locales, contrôlé les crédits
d'intervention de nos postes, fait le point sur l'utilisation des autres
crédits accordés au titre des protocoles financiers et de l'AFD
(l'Agence française de développement), et vérifié
si nos services étaient prêts pour la mise en place effective des
nouveaux instruments.
Sur le Liban, il a rappelé que ce pays sortait d'une guerre qui a
exacerbé ses fractures religieuses et géographiques. Il a
estimé qu'il cumulait presque tous les obstacles au retour de la
prospérité économique : occupation
israélienne, dépendance politique à la Syrie, état
délabré des finances publiques, démembrement de ce qui
reste de l'Etat, absence de confiance dans l'avenir. Il a exposé les
changements politiques qu'a connus le Liban en novembre 1998, avec
l'arrivée du président de la République le
général Lahoud et le premier ministre Sélim Hoss, qui ont
défini de nouvelles priorités donnant la première place
à la lutte contre le déficit budgétaire, la diminution de
la dette et l'action sociale. Il a indiqué que la croissance
économique avait fortement ralenti, laissant persister les
inégalités sociales et les problèmes budgétaires.
Dans un climat de relative incompréhension, l'intégration
à la ZSP constitue un signal fort envers le Liban. Il a expliqué
que sa mission avait été marquée par les bombardements
israéliens sur Beyrouth et le Liban sud, qui avaient détruit
plusieurs installations financées par la France. Il s'est réjoui
de l'accueil chaleureux des autorités libanaises et de
l'intérêt qu'elles ont montré aux nouvelles
procédures de coopération avec la France. Enfin, il a
précisé qu'il avait eu l'occasion de se rendre dans la zone de
Jezzin à peine libérée de l'occupation israélienne.
Il a fait part des récriminations des opérateurs français
envers la lenteur, la complexité, voire la vénalité de
l'administration libanaise, et l'instabilité fiscale et
réglementaire, tout en constatant les formidables opportunités
que recélait ce pays. Il a conclu cette présentation sur
l'état d'esprit curieux des Libanais qui possèdent 90 % des
créances de l'Etat, tout en éprouvant vis-à-vis de
l'institution étatique une vive indifférence.
Retraçant l'effort de coopération de notre pays, il a
expliqué que l'ambassade de France mettait en oeuvre plus de
42 millions de francs en 1999 de crédits d'intervention,
principalement dirigés vers la coopération scientifique et
universitaire et la francophonie. Il a formulé plusieurs remarques sur
l'utilisation de ces crédits : le poids trop important du personnel
récurrent rémunéré sur titre IV, le
fonctionnement pas complètement satisfaisant du programme de recherche,
et l'utilisation à ses yeux peu judicieuse des sommes consacrées
à la promotion de l'audiovisuel. Il a conclu en estimant un peu
routinière la coopération menée par l'ambassade.
Il a ensuite tiré un bilan de mise à disposition de plus d'un
milliard de francs de prêts mixés et de 65 millions de francs
de dons au titre des protocoles financiers, principalement affectés aux
secteurs de l'eau, de l'électricité, de l'aviation civile et de
l'enseignement. Il a vigoureusement déploré l'utilisation
à moins de 50 % de ces sommes. Il a indiqué par ailleurs
qu'un recensement exhaustif de chaque ligne lui avait permis de constater que
l'ambassade disposait encore de 2,8 millions de francs de dons. Il s'est
enfin réjoui de l'installation rapide de l'AFD et s'est demandé
s'il n'était pas possible de transférer à cette
dernière des possibilités de prêts encore non
utilisées.
S'agissant des territoires autonomes palestiniens,
M. Michel Charasse
a
rappelé qu'ils se trouvaient au moment de sa mission dans l'attente de
la formation du nouveau gouvernement israélien et de l'annonce de ses
intentions quant à la relance du processus de paix. Il a dit qu'il
s'était rendu compte du climat de tension extrême dans lequel
vivent les Palestiniens des territoires : espace morcelé à
l'infini, surveillance policière quasi inquisitoriale, présence
massive choisie et provocatrice d'implantations israélienne au coeur
même des villes palestiniennes. Il s'est félicité que les
Palestiniens se dotent des instruments de la souveraineté et d'une
administration dont les Français expatriés louent la
compétence, le sérieux, la relative absence de
vénalité, et l'exigence absolue quant aux prestations fournies.
Il a expliqué qu'ils avaient à gérer une situation
économique très délicate 5récession, crise sociale
massive, difficultés budgétaires considérables) . Il a vu
néanmoins un facteur d'espoir dans les liens étroits entre les
économies palestinienne et israélienne. Il a également
rapporté le souhait du président Arafat de la poursuite de l'aide
française et de l'implication des européens aux
côtés des Etats-Unis dans le cadre des négociations de
paix.
M. Michel Charasse
a ensuite exposé les grandes lignes de l'aide
française à l'Autorité nationale palestinienne, mise en
oeuvre par le consulat général de Jérusalem. Il a
détaillé les crédits d'intervention de ce dernier qui
s'élevaient à 18 millions de francs en 1999, principalement
consacrés aux actions culturelle set éducatives. Il s'est
félicité des francs succès obtenus par notre
coopération dans le domaine du droit et de la formation de professeurs
francophones. Il a formulé plusieurs observations sur l'utilisation des
crédits du poste, parmi lesquelles la part trop importante des
rémunérations permanentes financées sur titre IV,
l'affectation de 300.000 francs à l'Alliance française de
Jérusalem, virtuellement en faillite, et ne proposant ses
activités qu'aux Israéliens, et la présence d'un reliquat
élevé de sommes non utilisés qu'il conviendrait de
réaffecter. Par ailleurs, il a constaté sur place que notre poste
manquerait de personnel pour la mise en place de futurs projets de
coopération.
Puis il a expliqué que sur les 332,5 millions de francs de dons
accordés depuis 1993 sur protocoles financiers (principalement
affectés à l'eau et aux infrastructures publiques),
106 millions de francs restaient bloqués pour le financement du
port de Gaza. Il a constaté, après un recensement exhaustif de
ces protocoles, qui restaient par ailleurs à imputer près de
10 millions de francs, ce que semblaient ignorer nos services. Enfin, il a
félicité l'AFD de la rapidité de son installation et de
ses premières interventions dans le secteur de l'eau à Gaza, dans
la vieille ville de Hébron et pour l'électrification rurale du
nord de la Cisjordanie.
M. Michel Charasse
a formulé plusieurs conclusions sur ces deux
pays. Il s'est réjoui de la rapidité avec laquelle l'AFD
intervenait, alors que le quai d'Orsay ne semblait pas en mesure d'apporter le
moindre financement nouveau d'ici au milieu de l'année 2000. Il a
rapporté l'incompréhension des autorités libanaises et
palestiniennes aux yeux desquelles l'entrée dans la ZSP s'est traduite,
en 1999, par une année blanche du point de vue de la coopération.
Observant que le contrôle budgétaire n'avait
révélé aucune irrégularité, il a
regretté que trop souvent des crédits qui devraient relever du
titre III se trouvent affectés sur le titre IV, ce qui revient
à minorer nos opérations effectives, et que l'examen
précis de l'utilisation de chaque protocole ait montré
l'existence de marges de manoeuvre inconnues de nos services. Il a conclu que
cette mission pouvait illustrer à nouveau le paradoxe de la
réforme de la coopération : si la ZSP s'étend, les
pays qui bénéficient de cette expansion constatent une baisse des
crédits qui leur sont accordés, et, comme soeur Anne, ne voit en
rien venir.
M. Jacques Oudin
a remercié le rapporteur spécial pour
l'intérêt de son compte rendu qui montre, si besoin en
était, l'importance du contrôle parlementaire. Il a salué
la présence de Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis des
crédits de l'aide publique au développement.
Le rapporteur général
a demandé à
M. Michel Charasse
quelles étaient les masses du budget de
l'autorité nationale palestinienne et la nature de l'ordre juridique
qu'elle mettait en place.
Le rapporteur spécial a indiqué que l'autorité
palestinienne escomptait en 1999 750 millions de dollars d'aide
internationale et plus de 300 millions de dollars de recettes fiscales. Il
a fait remarquer que 160 millions de dollars échappaient cependant
au ministère des finances palestinien et servaient (hors budget)
à financer des projets ponctuels décidés par le
président Arafat et, probablement, le fonctionnement de l'Organisation
de libération de la Palestine. Il a dit son sentiment que cet argent
n'était pas gaspillé, ni les responsables palestiniens corrompus.
Il a indiqué que l'Institut de droit de Birzeit mettait en place deux
fichiers législatifs, l'un recensant l'ensemble du droit en vigueur,
depuis que le monde, est monde dans les territoires palestiniens, l'autre de
législation comparée. Il a rapporté l'opinion des
opérateurs français comme quoi en matière de droit
privé il n'y avait aucune remarque à faire de conflit juridique,
de mauvais fonctionnement de la justice ou de vénalité. Il a
constaté que les autorités palestiniennes mettaient tout en
oeuvre pour que les investissements étrangers soient nombreux et bien
traités.
M. François Trucy
s'est demandé si la diaspora libanaise
jouait un rôle pour la reconstruction du pays et si la reconstruction de
la résidence des pins pouvait être considérée comme
une réussite.
M. Michel Charasse
lui a fait part des liens distendus entre la diaspora
et le Liban. Il a d'ailleurs remarqué que si les meilleurs Palestiniens
revenaient chez eux, les meilleurs Libanais s'en gardaient bien. Il a
estimé par ailleurs merveilleuse la reconstruction de la
résidence des pins qui constitue un symbole brillant des relations
franco-libanaise. Il a rappelé l'attachement des Libanais à ce
lieu où fut proclamé par le général Gouraud l'Etat
libanais.
M. Maurice Blin
a expliqué l'incivisme financier libanais par
l'histoire et les occupations, et l'a qualifié de réflexe de
sauvetage. Il s'est demandé si les Iisraéliens comprenaient
vraiment que l'avenir de la Palestine conditionnait le leur. Partageant le
point de vue du rapporteur spécial sur la très bonne
réputation des Palestiniens, il lui a demandé quels investisseurs
privés ces derniers attendaient.
M. Michel Charasse
s'est dit d'accord sur l'analyse historique de
M. Maurice Blin. Il a estimé que le gouvernement israélien
de M. Netanyahu avait traité de façon indigne les
territoires palestiniens. Evoquant la présence policière, les
colonies et le poste frontière de Gaza, il a décrit les obstacles
mis au développement d'un peuple très compétent et
à la constitution d'un environnement national palestinien. Il a
indiqué qu'aux demandes fortes d'investissements d'équipements de
l'Etat, s'ajoutait aujourd'hui une forte demande sociale envers les entreprises
privées. Il a rapporté que les entrepreneurs français se
disaient prêts à y répondre mais que les conditions
actuelles de vie quotidienne limitaient sérieusement leur action.
Mme Paulette Brisepierre,
après avoir remercié la
commission des finances de l'avoir invitée à participer à
ses travaux
,
a indiqué qu'elle faisait la même analyse de
la situation au Liban et dans les territoires palestiniens que le rapporteur
spécial.
M. Jacques Oudin
s'est demandé si l'influence syrienne au Liban
n'était pas de nature à atténuer l'enthousiasme des
entreprises.
M. Michel Charasse
lui a répondu que ce qui se passait avec la
Syrie semblait indifférent aux yeux des chefs d'entreprise, plus
préoccupés par les carences de l'administration libanaise et
l'évolution du processus de paix dans l'ensemble de la région.