D. PARFAIRE TECHNIQUEMENT LE PROJET DE LOI
En ce qui concerne les principales dispositions du projet de loi, votre commission souhaite poursuivre le dialogue, déjà fructueux, avec l'Assemblée nationale.
1. Réforme de la procédure criminelle
Après en avoir débattu, votre commission, outre
des
précisions et des améliorations rédactionnelles, a
apporté trois modifications importantes au texte proposé en ce
qui concerne le recours contre les décisions des cours d'assises :
- elle a décidé de permettre un
appel du ministère
public
, sauf en cas d'acquittement. Il lui est apparu que l'absence d'appel
du ministère public pouvait présenter des inconvénients
sérieux dans certaines situations. Ainsi, en cas de procès
impliquant plusieurs coaccusés, la cour d'assises statuant en appel ne
serait plus en mesure de connaître l'ensemble de l'affaire si certains
des coaccusés seulement faisaient appel. Par ailleurs, il n'est pas
exclu que les cour d'assises prononcent plus facilement des condamnations
élevées dès lors que la faculté d'appel
n'appartiendrait qu'à l'accusé ;
- votre commission a par ailleurs décidé de
ne pas
prévoir un nombre de jurés différent au sein de la cour
d'assises statuant en premier ressort et au sein de la cour d'assises statuant
en appel
. L'abaissement de neuf à sept du nombre de jurés en
première instance aurait pour effet de diminuer la proportion de
jurés par rapport au nombre de magistrats. En outre, la composition
actuelle des cours d'assises fonctionne de manière efficace et il
n'existe guère de raison décisive de la modifier. Afin que la
cour d'assises statuant en appel soit néanmoins une juridiction
supérieure à la cour d'assises ayant statué en premier
ressort, votre commission propose que la cour d'assises statuant en appel soit
obligatoirement présidée par un président de chambre
à la cour d'appel ;
- enfin, votre commission a estimé, après réflexion,
qu'il était
normal que la victime puisse faire appel quant à
ses intérêts civils
, sans que cette possibilité soit
subordonnée à un appel préalable de l'accusé. Elle
a décidé, dans un souci d'efficacité, qu'en cas d'appel
portant exclusivement sur les intérêts civils, cet appel serait
porté devant la chambre des appels correctionnels.
2. Garde à vue
Votre
commission estime tout à fait bienvenue la disposition imposant aux
enquêteurs de faire figurer sur le procès-verbal d'interrogatoire
les
heures auxquelles la personne gardée à vue a pu
s'alimenter
.
En revanche, votre commission considère que l'article 2 DA du
projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, qui
prévoit que les personnes gardées à vue doivent être
retenues dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité
humaine et interdit les fouilles portant atteinte à
l'intégrité physique, est beaucoup trop imprécis pour
avoir une portée normative. Elle vous propose donc sa suppression. Le
principe du respect de la dignité humaine sera en tout état de
cause inscrit dans le futur article préliminaire du code de
procédure pénale.
En ce qui concerne l'
enregistrement des interrogatoires de garde à
vue
, votre commission, après en avoir longuement débattu, a
estimé qu'une telle mesure pourrait présenter un
intérêt en cas de contestation du contenu du procès-verbal
d'interrogatoire.
A l'initiative du Sénat au cours de la première lecture, les
procès-verbaux d'interrogatoire devront être beaucoup plus
précis que par le passé puisqu'ils comprendront désormais
les questions posées à la personne interrogée.
Votre commission s'est demandé si l'enregistrement des interrogatoires
ne risquait pas d'avoir des conséquences défavorables à la
personne mise en garde à vue s'il était possible d'écouter
à tout moment de la procédure et sans réserves le document
sonore.
Elle propose donc que l'enregistrement des interrogatoires ne puisse être
écouté au cours de la procédure qu'en cas de contestation
par la personne gardée à vue du contenu du procès-verbal
d'interrogatoire. Par ailleurs, elle propose également que cet
enregistrement ne soit pas systématique, mais qu'il soit
réalisé à la demande de la personne, son avocat
préalablement consulté.
Ces propositions paraissent réaliser un équilibre satisfaisant
entre la nécessité d'éviter que l'enquête soit
entravée et la volonté de renforcer la protection de la
présomption d'innocence.
3. Autorité judiciaire et police judiciaire
Votre
commission propose d'insérer dans le projet de loi quelques dispositions
tendant à renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire
sur la police judiciaire. Il s'agirait notamment de permettre au procureur de
fixer un délai pour la durée des enquêtes
préliminaires.
Surtout, votre commission propose que les enquêtes concernant les
officiers et les agents de police judiciaire agissant en cette qualité
associent l'Inspection générale des services judiciaires au
service d'enquête compétent.
4. Détention provisoire
Votre
commission propose d'accepter la proposition de l'Assemblée nationale
prévoyant
l'impossibilité de mettre en détention
provisoire une personne encourant moins de cinq ans d'emprisonnement
pour
un délit prévu au livre III du code pénal (atteintes
contre les biens).
En revanche, votre commission ne peut accepter la
disparition de tous les
seuils de peine encourue
pour les personnes déjà
condamnées à une peine d'emprisonnement d'un an. Une telle
solution pourrait permettre le placement en détention provisoire d'une
personne qui n'encourrait qu'une peine d'amende, sous prétexte qu'elle
aurait déjà été condamnée.
En ce qui concerne les
durées maximales de la détention
provisoire
, votre commission accepte les durées maximales de deux
ans en matière correctionnelle et de quatre ans en matière
criminelle prévues par l'Assemblée nationale, mais persiste
à penser que pour certaines infractions très graves et complexes,
telles que le terrorisme ou le trafic de stupéfiants, il est
indispensable qu'une certaine souplesse soit possible. Elle propose donc que
dans ces domaines la chambre d'accusation, qu'elle propose de dénommer
chambre de l'instruction
, puisse, à titre exceptionnel, prolonger
la durée de la détention provisoire pour une durée
maximale supplémentaire d'un an.
Par ailleurs, votre commission ne peut accepter, malgré la
générosité des intentions qui ont animé les auteurs
de cet amendement, la disposition interdisant le
placement en
détention provisoire de parents de jeunes enfants
sauf en cas
d'infraction contre les enfants, de crime ou de non respect du contrôle
judiciaire. Une telle mesure porterait atteinte au principe
d'égalité devant la justice et paraît en outre inapplicable
telle qu'elle a été définie par l'Assemblée
nationale.
Enfin, votre commission accepte la proposition de
décentralisation
des décisions prises en matière d'indemnisation des
détentions provisoires
injustifiées
. Ces
indemnisations seraient donc accordées par le Premier président
de la cour d'appel dont les décisions pourraient faire l'objet d'un
appel devant la commission nationale d'indemnisation des détentions
provisoires placée auprès de la Cour de cassation.
5. Liberté de l'information et présomption d'innocence
Afin
d'améliorer l'équilibre entre présomption d'innocence et
liberté de la presse, votre commission vous propose, comme en
première lecture, d'élargir le champ d'application de l'article
9-1 du code civil, qui permet à toute personne mise en examen,
placée en garde à vue ou faisant l'objet d'un réquisitoire
du procureur de la République, de saisir le tribunal aux fins de faire
cesser une atteinte à la présomption d'innocence, lorsqu'elle est
présentée avant toute condamnation comme coupable de faits
faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction.
Votre commission estime paradoxal qu'une personne mise en examen puisse faire
cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, alors que ce
droit n'est pas reconnu à une personne présentée
publiquement comme coupable d'une infraction et qui ne fait elle-même
l'objet d'aucune poursuite judiciaire.
Elle vous propose que l'article 9-1
puisse être utilisé par toute personne présentée
comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une
instruction.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations, et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le présent projet de loi.