c) « Le plafonnement du plafonnement » : une mesure très symbolique
Les régimes en vigueur dans d'autres pays européens ne sont guère comparables et se distinguent au niveau du montant des seuils d'imposition, du choix des taux (proportionnels ou progressifs) et des règles d'assiette. Les taux français sont cependant les plus élevés après ceux de l'Espagne.
D'abord, les seuils retenus pour le mécanisme du plafonnement par les autres États sont plus bas que le seuil français. Ainsi, le total constitué de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur la fortune ne peut excéder une fraction du revenu imposable égale à 60 % en Suède et à 70 % en Finlande et en Espagne, contre 85 % en France.
Par ailleurs, seules l'Espagne et la France ont instauré un plafonnement du plafonnement. L'avantage tiré du plafonnement du montant de l'impôt sur la fortune en fonction du revenu ne peut excéder 80% de la cotisation d'impôt sur la fortune avant plafonnement en Espagne contre 50 % de celle-ci en France.
Ainsi, la France apparaît comme le seul État ayant créé un ISF qui cumule le seuil le plus élevé de déclenchement de la règle du plafonnement (85 % du revenu imposable) avec le dispositif le plus rigoureux limitant cet avantage.
d) Des effets pervers sur l'initiative et l'expatriation des patrimoines
L'article 885 O bis du code général des impôts exonère d'ISF les biens dans deux cas de figure :
- soit, lorsque le redevable possède au moins 25 % du capital de la société ;
- soit, lorsque, tout en ne possédant pas 25 % du capital de la société, il exerce une fonction dirigeante et que les parts détenues correspondent à 75 % de ses biens imposables.
Nombre des personnes auditionnées par la mission ont souligné le caractère trop strict des règles d'exonération au titre des biens professionnels .
Ainsi, certaines sociétés n'ouvrent pas leur capital, parce que les actionnaires craignent, en cas de dilution du capital, de disposer de moins de 25 % des titres et, en conséquence, de devoir payer l'ISF sur ces derniers.
Les jeunes créateurs d'entreprise sont particulièrement pénalisés par ce seuil de détention minimum de 25 %. En effet, ils sont souvent obligés, pour financer leurs investissements, d'ouvrir le capital de leur société à divers investisseurs au risque de ne détenir qu'une participation minoritaire dans leur entreprise, en dessous du seuil requis.
Par ailleurs, les « business angels » sont peu nombreux en France car, pour pouvoir bénéficier du report des plus-values résultant de la cession des titres de leur entreprise, ils doivent investir dans une entreprise sans avoir de fonction dirigeante. En conséquence, le capital investi n'est pas considéré comme un bien professionnel et supporte donc l'ISF.
Un des paradoxes du régime actuel de l'ISF est qu'il finit par pénaliser l'initiative et favoriser, au moins relativement, les contribuables ayant des moyens importants . C'est ainsi qu'un créateur d'entreprise sans fortune personnelle, ayant, pour développer sa société, été obligé de diluer son capital, se verra imposer à l'ISF, dès lors qu'il cherchera à diversifier son patrimoine (en faisant passer la part de son outil de travail en-dessous du seuil de 75 %), ou qu'il voudra investir dans une nouvelle entreprise. En sens contraire, le créateur d'entreprise suffisamment fortuné pour ne pas faire appel aux capitaux extérieurs pourra diversifier son patrimoine sans être assujetti à l'ISF.
De même -et ceci est encore un exemple fourni par le rapport de M. Frédéric Lavenir- un chef d'entreprise ayant un patrimoine diversifié, n'est pas assujetti à l'ISF, dès lors qu'il verrouille son capital et reste dirigeant d'entreprise ; en revanche, le même chef d'entreprise qui décidera de se développer par appel des investisseurs extérieurs, au point de faire passer sa part dans le capital en-dessous du seuil de 25 %, sera assujetti.
Ces situations paradoxales sont encore accentuées, lorsque l'on combine impôt sur la fortune et droits de mutation.