B. LES DÉBATS EN SÉANCE PLÉNIÈRE
Au cours de cette première partie de sa session ordinaire 2003, l'Assemblée a délibéré de plusieurs Rapports portant notamment sur l'évolution de l'Europe de la défense, le lien transatlantique et le renforcement des capacités (3 ( * )) .
1. La politique de sécurité d'une Europe élargie - Réponse au rapport annuel du Conseil et contribution à la Convention sur l'avenir de l'Europe.
Dans ce débat, M. Jean-Claude Mignon , Député, Président de la Délégation parlementaire française s'est exprimé en ces termes :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, le rapporteur, M. Nazaré Pereira, plaide à juste titre en faveur d'un engagement européen de défense constituant, en quelque sorte, un contrat de réassurance parallèle à l'engagement transatlantique. Je partage entièrement ce point de vue et félicite M. Nazaré Pereira pour les analyses pertinentes et argumentées qu'il vient de nous présenter. Cependant, son rapport écrit appelle deux observations.
« En premier lieu, M. Nazaré Pereira émet des doutes et des craintes quant à la proposition présentée le 29 avril 2003 par l'Allemagne, la France, la Belgique et le Luxembourg. Il redoute que la création d'une Union européenne de sécurité et de défense ne crée un nouveau clivage au sein de l'Union européenne. Or, s'il est certain que cette proposition donne matière à débat, il n'y a pas lieu, de mon point de vue, de nourrir des craintes excessives. Le but des auteurs de cette proposition n'est pas de diviser mais de rassembler. Je vous rappellerai qu'en son temps, le projet de créer une monnaie unique avait soulevé la même crainte, celle que seul un nombre limité d'États aient la volonté et les moyens de participer à l'Union économique et monétaire. Or, aujourd'hui, la monnaie unique rassemble douze Etats sur quinze. Pourquoi n'en serait-il pas de même dans le domaine de la défense ? Je comprends que les propositions relatives à une défense européenne commune puissent soulever des interrogations, mais n'oublions pas que le projet d'une union monétaire a longtemps paru chimérique. Il est aujourd'hui une réalité.
« En second lieu, le paragraphe 28 de l'exposé des motifs du rapport de M. Nazaré Pereira porte une appréciation qui mérite, à mon sens, d'être relevée. En effet, il y est dit « les divergences récentes entre les alliés sur la demande de planification d'une assistance à la Turquie au cas où celle-ci serait menacée par l'Irak ont laissé des traces qui laissent planer un doute non seulement sur la capacité des alliés américains et européens à se mettre d'accord sur l'utilisation de l'OTAN pour répondre à des situations de crise, mais aussi sur la crédibilité de cette dernière en tant que garante de la défense de tous les alliés ».
« Or, je ne crois pas qu'on puisse souscrire à cette analyse. Certains Etats, dont la France, se sont opposés aux propositions américaines s'agissant des mesures d'assistance à la Turquie, car elles leur paraissaient préjuger d'une décision du Conseil de sécurité. Et, pour cette seule raison, la France ne voulait pas qu'une décision de l'OTAN anticipe une décision du Conseil de sécurité. En revanche, la France a toujours affirmé sa solidarité avec la Turquie. Dans ce cas précis, a conclu M. Jean-Claude Mignon , on ne peut donc pas parler d'une crise de la solidarité atlantique ».
A l'issue du débat portant sur le Rapport 1818 , l'Assemblée a adopté, à l'unanimité, la Recommandation 721, la Résolution 115 et la Directive 118 ;
2. La défense européenne et la puissance maritime, le débat sur le Rapport 1813 se concluant par l'adoption de la Recommandation 722.
3. L'objectif global de l'Union européenne et la force de réaction de l'OTAN - Réponse au rapport annuel du Conseil.
Dans ce débat, M. Jean-Guy Branger , Sénateur, a pris la parole en ces termes :
« M. le Président, mes chers collègues, je félicite notre rapporteur ; son texte comporte d'excellentes choses.
« Qu'on ne s'y méprenne pas : l'Union européenne et les Etats-Unis partagent les mêmes valeurs, la démocratie et les droits de l'homme. Les bases de l'Alliance atlantique sont donc d'autant plus solides que cet idéal est désormais partagé par l'Europe élargie à l'Est, et je m'en réjouis. Je crois même pouvoir dire que le peuple russe aujourd'hui partage cet idéal.
« L'évolution même de la menace, depuis le 11 septembre, a encore resserré la solidarité entre la nation américaine et les nations européennes. C'est dans ce contexte que je voudrais évoquer le développement de l'Alliance atlantique.
« Le partenaire dominant de l'OTAN ne peut à la fois demander que les Européens prennent, ce qui est normal, leur part du fardeau, notamment budgétaire, du fonctionnement de l'Alliance et dénier tout partage réel des décisions politiques à l'égard des missions assumées. C'est l'intérêt même des Etats-Unis et de l'Alliance de s'appuyer sur un pilier européen solide. Nous en avons les moyens : l'addition des budgets militaires des Etats européens constitue la deuxième masse de crédits de défense au monde.
« Reste évidemment la capacité d'organiser la coordination politique et la chaîne de commandement opérationnel. C'est l'objet de la politique européenne de sécurité et de défense qui est l'un des enjeux de la future constitution européenne.
« Il est de notre devoir de convaincre nos amis américains qu'il est de l'intérêt commun de l'Alliance de partager effectivement le fardeau et de confier aux Européens la mise en oeuvre des missions de Petersberg sur le territoire européen et en particulier dans ce que d'aucuns désignent comme l'arrière-cour encore tourmentée par des conflits, y compris par des affrontements « ethniques ».
« Afin que la politique européenne de sécurité et de défense puisse être réellement mise en oeuvre avec des capacités de mobilisation et d'action pertinentes face aux crises, il convient de mettre en place une chaîne de commandement autonome comportant un état-major de commandement d'opération multinational, permanent et européen.
« Que nos partenaires d'Europe centrale soient sans crainte, ils sont appelés à décider en pleine souveraineté des missions de la politique européenne de défense et ils ne sont entraînés à aucune duplication de forces : il n'est pas question d'armée européenne mais de contingents qui peuvent, selon les cas, être mobilisés sous commandement OTAN ou sous commandement européen.
« Enfin, il est de l'intérêt de l'Alliance atlantique et des Etats-Unis eux-mêmes d'avoir à leurs côtés un partenaire crédible, partageant les mêmes valeurs. Il ne s'agit pas de concurrencer les Etats-Unis et je leur sais gré d'être aujourd'hui le parapluie sécuritaire du monde.
« L'engagement européen dans la lutte contre le terrorisme, en particulier l'engagement de la France, est là pour témoigner de l'utilité d'un partenariat actif, y compris au niveau du renseignement et de la mise hors d'état de nuire des réseaux. Faut-il rappeler que l'Europe a été aussi victime du terrorisme, qu'elle a, malheureusement, l'expérience de cette nouvelle forme de guerre et qu'elle peut enrichir la pensée stratégique de l'Alliance d'une expérience chèrement acquise ? » a conclu M. Jean-Guy Branger .
Au terme du débat sur le Rapport 1825 , l'Assemblée a adopté la Recommandation 723 ;
4. Le suivi parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense PESD. Débats et réponses aux gestions parlementaires dans les Etats de l'Union européenne.
5. Le développement d'une culture de sécurité et de défense dans le cadre de la PESD.
Les deux Rapports, respectivement 1816 et 1817, ont fait l'objet d'un débat commun qui donne lieu à l'adoption de la Recommandation 724 et de la Résolution 116.
6. L'Europe et la nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis d'Amérique et ses conséquences pour l'Europe de la défense . Ce thème fait l'objet d'un débat organisé sous la forme d'une réunion conjointe des membres de l'Assemblée de l'UEO et de membres du Parlement européen siégeant à la Commission des Affaires étrangères, des droits de l'Homme, de la sécurité commune et de la politique de défense.
Sont notamment intervenus dans ce débat, outre le Rapporteur, M. Lluis-Maria de Puig (Espagne - Soc.), M. Chris Patten , membre de la Commission européenne, chargé des relations extérieures, ainsi que des membres français du Parlement européen : le Général Philippe Morillon et Mme Catherine Lalumière .
M. Chris PATTEN , sur le point de quitter ses fonctions de Commissaire européen pour les relations extérieures, a présenté des observations sur la situation actuelle et notamment les divergences d'approche fragilisant le lien transatlantique, ainsi qu'un bilan dont il a dégagé les perspectives institutionnelles et politiques d'un renforcement de l'action extérieure de l'Union européenne :
« Je commencerai par trois propositions. Premièrement, c'est en partenariat avec les Etats-Unis que nous serons vraisemblablement le mieux à même de réaliser la presque totalité des aspirations de l'Europe. Dans un document stratégique américain paru il y a quelques mois, il est reconnu que la plupart des objectifs que souhaitent atteindre les Etats-Unis ont plus de chances de l'être s'ils sont capables de travailler en partenariat avec l'Union européenne . Il est vrai que les Etats-Unis sont la seule superpuissance dans le monde et qu'ils détiennent une puissance militaire colossale omniprésente. Ils peuvent pulvériser n'importe quel ennemi - tout pays représentant une menace pour eux et leurs intérêts mondiaux. Mais, pour être juste envers les Etats-Unis, ce pays n'a jamais été une civilisation ou une culture de la destruction. Il a toujours été constructif. Et il est plus facile de construire ou de créer en partenariat. Ceci est d'une importance fondamentale pour notre relation avec les Etats-Unis.
Deuxièmement, nous partageons en Europe un système de valeurs avec les Etats-Unis. Nous sommes nombreux à être d'accord avec Lord Dahrendorf, qui s'est toujours considéré comme européen et occidental, héritier des valeurs du siècle des lumières, comme par exemple la philosophie politique de Karl Popper et d'autres. Nous sommes nombreux à adhérer avec enthousiasme à cette position. Cependant, nous savons que nous avons beaucoup de choses en commun avec les Etats-Unis. Elles ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Les trois quarts des investissements directs effectués aux Etats-Unis sont européens. Les entreprises américaines réalisent plus de la moitié de leurs bénéfices mondiaux en Europe. Les investissements américains sont deux fois plus élevés aux Pays-Bas qu'au Mexique. L'Europe investit plus au Texas que les Etats-Unis au Japon. On pourrait poursuivre à l'infini avec ces données économiques qui illustrent l'intimité de nos relations économiques.
Au passage, il serait bon de noter que le jour même où j'ai lu dans le Financial Times que certains Américains pensaient qu'il serait judicieux de déverser du bon vin français dans le caniveau - idée que je ne partage pas - j'ai lu aussi l'annonce de l'achat de 100 Airbus par une des compagnies américaines de transport aérien à bas prix. Or, il faut un nombre impressionnant de bouteilles pour atteindre le prix de 100 Airbus. En conséquence, quand nous parlons de notre relation, nous ne devons pas perdre de vue ces intérêts économiques fondamentaux.
De même que César divisa la Gaule en trois, mon troisième point comportera trois parties. Nous devons affronter franchement certains des bouleversements géostratégiques qui se sont produits dans le monde. Sous ma première rubrique, j'aimerais évoquer un remarquable ouvrage historique paru récemment, écrit, comme par hasard, par un jeune historien américain qui s'appelle William Hitchcock. Dans ce livre, il observe que dans les années 1940 et au début des années 1950, les pays européens ont réclamé à cor et à cri un parapluie stratégique et de sécurité, quelque chose comme l'OTAN. Les Américains ont plaidé vigoureusement pour une intégration politique et économique de l'Europe parce qu'ils ne voulaient pas voir celle-ci se déchirer une fois de plus sous les pressions et tendances nationalistes et xénophobes. Nous vivons désormais dans un monde où le Mur de Berlin n'est plus et nous devons nous demander si sa chute a réellement changé la perception qu'ont les Etats-Unis du monde sur le plan géostratégique. Nous ne devons pas avoir peur. Après cette crise autour de l'Irak, nous voulons tous reconstruire avec les Etats-Unis la meilleure et la plus productive des relations. Cependant, est-il raisonnable d'agir en partant du postulat que nous vivons encore avec les idées prédominantes des années 1980, 1970 et même d'avant ? Ne vaudrait-il pas mieux regarder certaines réalités nouvelles ?
Devons-nous demander aujourd'hui aux Etats-Unis s'ils estiment toujours que l'intégration européenne est une bonne chose ou notre allié le plus important pense-t-il maintenant qu'il devrait désagréger l'Europe et ne pas traiter les pays sur un pied d'égalité ? Je pense que nous devons convaincre nos amis en Europe que cette dernière sera un partenaire plus efficace si elle coopère tant économiquement que politiquement.
Le deuxième groupe de questions que nous devons affronter ouvertement si nous voulons donner plus de substance à notre relation concerne notre manière de définir le multilatéralisme et la coopération multilatérale. Quel peut être l'apport de l'Europe quand nous discutons du multilatéralisme ? Autour de la table de négociations, nous pesons le même poids que les Etats-Unis sur les plans économique et commercial : le cycle de négociations de Doha, par exemple, n'aboutira pas si l'Europe et les Etats-Unis ne travaillent pas la main dans la main. Nous savons que nous fournissons les deux tiers environ de l'assistance au développement dans le monde. En termes de « soft power » (puissance agissant par la persuasion), nous sommes un protagoniste important. Cependant, nous devons reconnaître que le « hard power » (puissance agissant par la contrainte) compte également. Nous ne pouvons pas garantir l'ordre et la prééminence du droit partout dans le monde si nous ne sommes pas prêts à menacer de recourir à la force ou à l'utiliser pour soutenir cette prééminence. Il nous faut admettre que nous devons parfois nous préparer à envoyer nos jeunes, hommes et femmes, dans d'autres pays où ils risquent d'être tués ou de tuer pour défendre nos intérêts mondiaux et pour garantir la prééminence du droit. En Europe, nous n'avons pas toujours été préparés à affronter franchement cette réalité.
Bien que la Commission - je le dis rapidement, au cas où rôderaient dans les tribunes quelques comparses de l'empire médiatique de Lord Blake ou du Daily Mail - n'ait aucun rôle et n'aspire à en jouer aucun dans le domaine militaire, je constate, en tant qu'ancien homme politique éloigné maintenant de toute ambition, qu'en matière de sécurité, nous sommes plus prompts à faire de grands discours qu'à mettre la main au portefeuille. En Europe, nous devons suivre l'exemple de la France qui vient d'augmenter substantiellement ses dépenses militaires, si, du moins, nous voulons être à même de déployer notre « hard power » de temps à autre pour soutenir le « soft power » et les valeurs et options stratégiques que nous partageons avec les Etats-Unis. La Commission peut exercer une certaine influence sur ces initiatives. Récemment, nous avons élaboré des propositions qui pourraient, d'après nous, renforcer les industries d'équipements de défense de l'Union européenne. Nous avons fait des propositions visant à harmoniser les achats d'équipements de défense, à accroître la transparence des marchés, à élargir les programmes de recherche de défense, etc. Celles-ci contribueraient à une meilleure gestion des dépenses pour la sécurité - en d'autres termes nous en aurions beaucoup plus pour notre argent.
Le troisième point qui nous oblige à réexaminer notre relation et notre façon de la consolider est lié à la question suivante : l'Amérique a-t-elle radicalement changé à la suite des atrocités de septembre 2001 ? Presque tous les sondages effectués par exemple par le Pew Research Center semblent indiquer que tout en devant faire face à la désagréable conséquence de vivre dans un monde où l'Amérique est invincible, mais vulnérable, la plupart des Américains restent aussi réalistes et internationalistes sur les questions politiques qu'ils l'ont été pendant de longues années. En effet, un des résultats surprenants de ces enquêtes réalisées au cours des derniers mois - étonnants pour les uns, mais pas pour ceux d'entre nous qui ont passé beaucoup de temps aux Etats-Unis à prononcer des discours, faire des visites et discuter avec les gens - révèle la similitude entre l'attitude américaine envers les affaires internationales et celle de l'opinion publique européenne. Il y a des différences de position à l'égard d'Israël et du Proche-Orient qui s'expliquent par des raisons intéressantes et peu menaçantes. Cependant, les Américains semblent globalement toujours autant acquis à la coopération internationale, aux Nations unies et aux principes du multilatéralisme que par le passé. Quand nous étudions les moyens de renforcer la relation transatlantique, nous devons nous abstenir de le faire en supposant que les choses ont fondamentalement changé aux Etats-Unis.
Pour consolider la relation sur la toile de fond que je viens de décrire, je suggère cinq démarches pratiques. Tout d'abord, nous parlons beaucoup et croyons en ce que nous disons sur l'importance du multilatéralisme et sur la nécessité de renforcer les institutions de gouvernance mondiale, à la création desquelles, la chose mérite d'être rappelée, les Etats-Unis ont été les premiers à contribuer. Je suis même convaincu que ces institutions sont encore plus utiles et plus importantes à la seule superpuissance du monde qu'aux autres. Mais, une fois de plus, nos actes doivent être à la hauteur de nos paroles. Il me semble, pour un certain nombre de raisons, et en particulier pour faire la démonstration de notre engagement pratique envers le multilatéralisme, que nous devons faire en sorte que le cycle de Doha sur le développement soit un succès. L'enlisement de celui-ci serait une calamité. Il est essentiel que la réunion ministérielle de Cancun qui se tiendra cette année soit une réussite, et j'espère que l'Europe sera capable de jouer un rôle de chef de file en veillant à ce que les règles du commerce international soient, à l'issue des négociations, plus équitables envers les pays pauvres et que les marchés soient ouverts aussi bien à leurs produits qu'aux nôtres.
Deuxièmement, je répète que la Commission européenne n'a pas de responsabilité en matière de sécurité. Cependant, si nous voulons avoir une politique étrangère et de sécurité commune plus cohérente et plus efficace, il est impératif que les hommes politiques confrontent les contribuables aux conséquences de leurs ambitions politiques. Il est important que nous dépensions plus et mieux pour notre défense.
Troisièmement, je veux faire valoir un point institutionnel, ou plutôt anti-institutionnel. Nous sommes obsédés par l'architecture institutionnelle au sein de l'Union Européenne, et oublions parfois que pour rendre les politiques plus efficaces, il faut une volonté politique. Le premier des succès les plus significatifs dans la tentative de développer une politique étrangère et de sécurité commune et non pas individuelle, c'est l'élargissement de l'Union Européenne - j'espère que nos propositions politiques pour une Europe élargie, jusqu'à notre nouveau voisinage européen, connaîtront autant de réussite dans la stabilisation des régions qui nous entourent que nous en avons eu dans notre politique d'élargissement. Deuxièmement, notre politique dans les Balkans jouit d'un succès croissant. Il faut rappeler qu'il y a moins de dix ans, nous nous sommes tout aussi cruellement brouillés sur le dossier des Balkans que maintenant sur celui de l'Irak. Aujourd'hui, il est incontestable que des avancées considérables ont été obtenues dans les Balkans - où les pays concernés ont entamé un processus de réformes économiques et politiques, encouragés par la perspective de pouvoir à leur tour entrer dans la file d'attente des heureux candidats à l'adhésion à l'Union Européenne, à la condition de poursuivre jusqu'au bout sur la voie des réformes dans laquelle ils se sont engagés.
Je pense aussi que nous avons pu aider les Nations unies, la Fédération de Russie et essentiellement les Etats-Unis en élaborant la feuille de route que le Président Bush discute actuellement au Moyen-Orient avec les principaux protagonistes. Pour nous, le prochain défi est celui du traitement de la Turquie, et surtout de la candidature de ce pays à l'Union européenne, et notre façon de gérer cette question aura un impact considérable sur notre relation avec la totalité du monde islamique dans les années à venir. Mais nous devons nos succès dans ces domaines à la volonté d'aboutir et ne devrons pas l'oublier pendant nos interminables discussions institutionnelles dans les mois à venir.
Mon quatrième point est que devons et nous pouvons approfondir notre relation avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons déjà progressé en matière de partage de renseignements. J'espère qu'au sommet qui aura lieu d'ici quelques semaines, nous serons en mesure de signer des accords d'assistance juridique mutuelle et d'extradition, mais aussi d'intensifier notre coopération avec les Etats-Unis à un stade précoce du processus politique. Cela nous aiderait à régler des problèmes de sécurité maritime et aérienne sans avoir à subir les détériorations que nous avons connues ces derniers mois. Je redoute particulièrement les dissensions éventuelles sur un sujet comme le bioterrorisme, et la meilleure façon de traiter de telles questions est d'amorcer, au moins avec le ministère de l'intérieur, le processus de discussion.
J'ai mentionné le commerce et l'importance du cycle de négociations de Doha. J'espère aussi que nous pourrons développer plus efficacement le marché atlantique, grâce à des accords d'harmonisation des législations et des règlements dans un certain nombre de domaines dont l'importance ressort clairement des statistiques économiques que j'ai citées un peu plus tôt.
Enfin, j'espère que nous reconnaîtrons sur les deux rives de l'Atlantique qu'être partenaires ne signifie pas être rivaux. Nous sommes partenaires. J'espère que les Etats-Unis reconnaîtront que nous sommes des partenaires beaucoup plus efficaces en Europe quand nous sommes encouragés à travailler ensemble. J'espère qu'ils reconnaîtront aussi que des partenaires ont le droit d'avoir leurs propres opinions et qu'ici, en Europe, nous ne croyons pas devoir en référer systématiquement à Washington pour savoir ce que nous devons penser.
Nous pouvons avoir un partenariat dans lequel nous accordons à l'autre le bénéfice du doute, dans lequel nous ferons montre d'une générosité d'esprit plus grande que par le passé, et dans lequel, en cas de désaccord - comme, par exemple, sur le Tribunal pénal international ou sur le protocole de Kyoto - nous serons capables d'endiguer les dommages collatéraux résultant de ces dissensions.
Nous avons énormément à faire. Le travail de reconstruction et d'édification d'une nation en Afghanistan, - je suis désolé d'utiliser une expression aussi galvaudée - a à peine commencé, et je redoute parfois que nous nous retrouvions à un point de rupture d'équilibre, où la situation peut changer du tout au tout, pour le meilleur comme pour le pire. Nous savons que nous avons tout juste commencé à reconstruire et à bâtir une nation en Irak, et qu'il faudra pendant une longue période contracter des engagements politiques, militaires et financiers. Nous savons que notre tâche sera plus facile si nous travaillons ensemble, et nous savons aussi que la paix au Moyen-Orient a davantage de chance de se faire si nous continuons à coopérer comme nous l'avons fait pour l'élaboration de la feuille de route et à exercer des pressions sur les deux parties à ce vieux conflit».
Au sujet des relations avec la Russie, M. Chris PATTEN s'est félicité qu'un partenariat stratégique soit désormais possible avec la Russie, ce qui, ajoute-t-il dans un euphémisme, n'a pas toujours été le cas.
M. Chris Patten a poursuivi en soulignant qu'il n'avait jamais prétendu que l'Union européenne devait construire une politique unique en matière de sécurité et de politique étrangère. Alors que l'on crée une monnaie unique, il lui paraît déjà bien ambitieux de tenter de mettre en place une politique étrangère commune. Pourquoi seulement commune et pas unique ? Il se l'est déjà répété mille fois dans son sommeil : la politique étrangère est au coeur de l'Etat-nation, elle met en jeu des loyautés intimes, l'identité de chacun. Il décèle un intéressant paradoxe dans cette ambition communautaire qui se développe dans un continent qui n'a jamais connu autant d'Etats.
Quel que soit le parti que l'on prend entre Donald Rumsfeld et Joschka Fischer, il incite chacun à se demander si l'élaboration d'une position commune à propos de l'Irak aurait permis à l'Europe d'être plus influente. De même, l'Europe agirait-elle plus efficacement dans les Balkans aujourd'hui qu'elle ne l'a fait il y a dix ans, quand 280 000 personnes ont été assassinées en Bosnie-Herzégovine ?
S'agissant de l'Irak, des questions complexes sont en jeu. Il n'a pas été possible de dégager un point de vue unique sur la nécessité d'une intervention humanitaire et de l'anéantissement des armes de destruction massive comme ce fut le cas pour les Balkans. La situation de l'Europe aurait certes été confortée par une prise de position commune mais il faut se rendre à l'évidence : il ne sera pas toujours possible de parler d'une seule voix. L'influence du Royaume-Uni serait bien plus grande si le gouvernement s'exprimait au nom de l'Europe. Et c'est vrai pour chacun des pays d'Europe.
Comment aider les Etats-Unis à relever ce nouveau défi qu'est la vulnérabilité ? Certains membres de cette Assemblée ont dû faire face à la menace terroriste dans leur propre pays. La sécurité n'est qu'une partie de la réponse. Lorsqu'une guerre est menée contre un pays, il y a forcément une recherche de solution au conflit et une issue à celui-ci. Malheureusement, la guerre contre le crime organisé, le terrorisme ou les trafics en tous genres est beaucoup plus complexe. Le déploiement de mesures sécuritaires ne constitue qu'une des réponses possibles et exige une coopération internationale à un niveau sans précédent. La pauvreté et l'exclusion sociale ont une incidence considérable sur l'ampleur de la menace terroriste. Sans vouloir excuser la violence, on ne peut toutefois nier le lien avec la violence. Certes, des mesures militaires s'imposent parfois de façon impérative. Il faudra cependant convaincre les Etats-Unis que d'autres mesures peuvent se révéler plus efficaces et que les bombardements ne sont pas la meilleure façon d'affronter la vulnérabilité et la haine. Si l'Europe veut être un allié à part entière des Etats-Unis, elle doit être disposée à lui tenir ce discours.
M. Chris Patten a alors conclu son propos en ces termes :
« J'ai donc livré quelques idées et suggéré des moyens de développer et de consolider la relation transatlantique - une relation transatlantique nouvelle mais importante - en cessant de regarder les défis du passé mais en regardant les nouveaux défis qui sont devant nous, tout en respectant les opinions d'autrui et en acceptant que nous ne soyons pas toujours d'accord sur tout, mais en sachant que nous nous entendrons sans doute toujours sur l'essentiel ».
Après cette intervention de M. Chris Patten, Commissaire européen, c'est le Général Philippe Morillon , Député français au Parlement européen, qui s'est adressé aux parlementaires de l'Assemblée de l'UEO, réunis avec leurs collègues du Parlement européen :
« Monsieur le Président, on l'a dit ici et je partage entièrement l'avis du Commissaire Patten : l'Europe est affrontée au défi d'être valet d'armes des Etats-Unis et de contribuer, à sa place modeste, à la prise en charge des affaires de la paix, en laissant à nos amis américains le soin des affaires sérieuses, qui sont celles de la guerre. Il s'agit en fait de prolonger le choix qui a été le nôtre durant toutes les années de la guerre froide, où tous les gouvernements de l'Union Européenne n'avaient d'autre choix que de se placer sous le parapluie américain ou bien d'accepter - le commissaire et mes collègues l'ont dit - d'être non pas des rivaux ni des contrepoids, mais des partenaires.
Je crois tout simplement qu'il en va de l'avenir de l'Alliance atlantique. Je l'ai dit la semaine dernière à Prague et un certain nombre d'entre vous étaient présents. Je pense qu'effectivement l'Europe est attendue dans ce rôle.
Elle est attendue à l'intérieur de nos pays par l'opinion publique, depuis le drame des Balkans, depuis le Kosovo, l'Afghanistan et, bien entendu, après l'électrochoc qui vient de nous être infligé par le comportement de nos différents gouvernements pendant la crise irakienne. Aujourd'hui, 70 % des citoyens des quinze Etats membres de l'Union réclament que l'Europe existe.
Elle est attendue à l'extérieur aussi. Nous le savons bien, nous qui voyageons beaucoup. C'est vrai en tout cas pour nous, membres de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen. Elle est attendue au Proche-Orient où elle a certainement, je l'espère, un rôle très important à jouer dans les mois qui viennent. Elle est attendue, nous le savons bien, dans l'ensemble de l'Afrique. Elle est attendue ailleurs. N'oublions pas que Massoud, dans la détresse qui était la sienne, a fait appel, il y a un peu moins de trois ans, à l'Union Européenne. C'est au Parlement européen qu'il est venu crier sa détresse et son appel à l'aide face aux nids de frelons qui se développaient dans son propre pays. Elle est attendue à Pékin et, aussi à Dehli, non pas, je le répète, comme contrepoids, mais comme partenaire.
Or, l'Europe est en miettes. Elle n'a pas existé à l'occasion de la crise irakienne. Elle n'a même pas été en état de respecter les engagements qui lui viennent tout simplement du Traité de Maastricht, selon lequel les quatre représentants de l'Union Européenne au sein du Conseil de sécurité des Nations unies doivent s'exprimer d'une seule voix.
Il faut donc en tirer les conclusions. Nous l'avons dit dans le rapport qui vient d'être adopté par mes collègues - lequel n'est que le prolongement des propositions faites par notre collègue Catherine Lalumière, il y a trois ans - qui a fait l'objet de plus de 200 amendements. C'est dire que ce n'est plus du tout le « rapport Morillon » (4 ( * )), mais un texte qui a été adopté par plus des trois quarts des députés européens. Il appelle à la modification des institutions. Le Commissaire Patten n'y croit pas beaucoup, mais nous, nous voulons y croire. Nous avons demandé, entre autres, qu'au sein de la Troïka, deux « chapeaux » au moins soient joints : celui du Haut représentant et celui du Commissaire, afin d'avoir un élément de base de secrétaire d'Etat aux affaires extérieures de l'Union. C'est ce à quoi nous pensons.
Je ne sais pas si c'est l'oeuf qui fait la poule ou la poule qui fait l'oeuf. Le Premier ministre Verhofstadt, en venant défendre la proposition des Quatre, émise de Bruxelles, a dit qu'il fallait une défense pour avoir une politique étrangère commune. Nous, nous disons qu'il faut une politique étrangère commune parce que toute armée nécessite un chef pour lui donner sa mission et ses moyens. En fait, nous demandons la même chose.
Nous demandons également, bien entendu, que l'Europe choisisse délibérément, si elle veut être partenaire, de dépenser mieux et de dépenser plus. C'est relativement nouveau. Cela paraissait impensable. Quand je l'ai proposé à mes collègues, ils ont eu un peu de mal à l'accepter. Ils ont donc proposé un amendement à l'article correspondant visant à dépenser mieux en ayant une industrie européenne commune, un effort de recherche commun, tout en demandant des budgets adéquats. Je leur ai dit répondu que c'était parfaitement hypocrite de leur part, mais je l'ai accepté. C'est bien, en tout cas, le choix devant lequel nous sommes placés pour combler ce fossé des ambitions, qui a été à juste titre dénoncé par Lord Robertson. »
Enfin, Mme Catherine Lalumière, Députée française au Parlement européen, a brossé à partir de l'analyse des relations transatlantiques, ce que pourrait être une Politique européenne de la sécurité et de la défense :
« Monsieur le Président, chers collègues, je me réjouis qu'aujourd'hui, l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale et le Parlement européen se réunissent sur un sujet de haute actualité : la sécurité européenne et les relations transatlantiques. Si j'insiste lourdement sur le plaisir que j'ai à voir réunis dans un même hémicycle les représentants des deux Assemblées parlementaires européennes, c'est que je sais bien qu'il y a eu parfois quelques petits refroidissements entre les deux institutions. Mais maintenant, il est indispensable que nous travaillions ensemble sur les problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant, les uns et les autres, qu'Européens.
En effet, les défis sont nombreux depuis le 11 septembre 2001 et plus exactement depuis la chute du mur de Berlin. Les Etats-Unis ont eu, parmi beaucoup d'autres qualités, un grand mérite : ils ont vraiment réfléchi à ces changements et à la nouvelle donne internationale ainsi qu'à leurs nouveaux rôles dans le monde nouveau qui résulte de ces bouleversements. On peut être d'accord ou pas sur les conclusions qu'ils en ont tirées. Mais ils ont réfléchi, travaillé, élaboré une doctrine. Ils ont, à partir de cette doctrine, mis en oeuvre une politique.
Ce que je reproche aujourd'hui aux Européens - nous pouvons tous plaider coupables - c'est que nous avons un peu paresseusement continué à raisonner comme si le monde était identique à celui qui existait avant 1989, avant les attentats de septembre 2001. Nous avons une doctrine, les uns et les autres, en grande partie dépassée. Sans compter que nos moyens d'action, notamment militaires, sont tout à fait inadaptés, si tant est que nous voulons jouer un rôle sur la scène internationale.
Je vois donc aujourd'hui que, compte tenu des énormes changements, des énormes bouleversements, la question, pour nous, n'est pas de nous séparer des Etats-Unis, de nous contenter de critiquer parfois ce qu'ils font. Certaines de ces critiques me paraissent justes et j'ai moi-même critiqué certaines des orientations, des décisions prises par les Etats-Unis à propos de l'Irak.
Il ne suffit donc pas que nous ayons une attitude critique et négative. Il faut que nous retroussions nos manches et que nous définissions assez clairement ce que nous voulons faire sur le plan de la politique étrangère, mais aussi sur le plan de la politique européenne de sécurité et de défense. Il faut que nous précisions nos idées en ce qui concerne le rôle des organisations internationales, qu'il s'agisse de l'Organisation des Nations unies ou de l'OTAN. L'OTAN est elle-même en crise et s'interroge sur son avenir. Nous devons contribuer à cette réflexion et mener aussi une réflexion sur le rôle du droit international. Nous devons mettre à jour toute une série de concepts, appelons-les des concepts stratégiques, mais qui, pour l'instant, en Europe sont encore très flous. Nous devons aussi nous doter de moyens d'action, j'y reviens, à savoir des moyens militaires et également des moyens d'intervention économique s'il faut reconstruire des Etats dans des régions qui sont complètement chaotiques, par exemple l'Irak, l'Afghanistan et les pays des Balkans. Il faut que l'Union européenne ait des moyens d'action dans une palette d'instruments extrêmement variés.
Voilà donc ce que nous devons faire.
Le Parlement européen commence à s'atteler à la tâche mais je pense que mon collègue Philippe Morillon est bien d'accord sur le fait que nous n'en sommes qu'au début de cette réflexion. Nous avons fait des choses, mais ce n'est pas suffisant. La Commission travaille, mais ce n'est pas suffisant. Quant au Conseil des ministres, j'espère qu'il ne freinera pas trop l'élaboration de notre future Constitution et que lui aussi nous donnera les moyens d'agir efficacement. Nous avons donc amorcé un mouvement ; ce n'est qu'un début. Nous devons transformer l'essai, pour employer un langage sportif, pour que l'Union Européenne puisse jouer vraiment son rôle.
En conclusion, je m'adresse aux membres de l'Assemblée de l'UEO : nous autres, parlementaires européens, avons besoin du grand travail, de l'expérience, des documents, des informations qui ont été réunis au sein de l'UEO. C'est ensemble, en mêlant nos expériences, nos travaux, nos réflexions que l'on pourra agir efficacement. La réunion d'aujourd'hui est de bon augure mais il faut qu'il y ait des suites pour que nous ne nous contentions pas de paroles, pour que nous puissions agir sur le terrain ».
M. Jean-Pierre Masseret , Sénateur, Président délégué de la délégation parlementaire française , est intervenu, à son tour, dans le débat :
« Monsieur le Président, j'adresserai tout d'abord des mots de remerciements à l'adresse de nos rapporteurs pour la qualité de leurs analyses et la lucidité avec laquelle ils ont traduit le temps que nous venons de vivre, observations axées notamment sur le thème du lien transatlantique et de la défense européenne ; cette défense européenne qui fait couler beaucoup d'encre et de paroles et pour laquelle il manque souvent une véritable volonté politique.
« Il est finalement bien difficile d'expliquer aux Européens pourquoi il faut une défense européenne. Il s'agit, en fait, de défendre nos biens communs, la démocratie, les valeurs partagées. Nous voulons que l'Europe puisse tenir sa place dans le concert des nations en partenariat avec les Etats-Unis, et nous avons aussi des intérêts particuliers en Europe à faire prévaloir et à défendre correspondant à notre position économique, scientifique, technique, culturelle et démocratique. Il nous faut, par conséquent, une défense européenne autonome. Mais le mot « autonome » souvent fait peur. En vérité, il a été proclamé dès le Sommet de Cologne où il était déjà question d'une défense européenne autonome. Ce mot « autonome » fait peur parce qu'il est utilisé par certains pour affirmer que nous voulons une défense qui rompe le lien transatlantique, une défense qui s'oppose aux États-Unis. Il n'en est rien !
« Les Européens, tous autant qu'ils sont, rappellent sans arrêt avec loyauté et détermination qu'il n'est pas question de s'opposer aux Etats-Unis, pas question de rompre le lien transatlantique. Nous y sommes attachés, nous en connaissons le prix. Nous souhaitons tout simplement être traités en partenaires. Pour cela, encore faut-il que le partenaire que nous souhaiterions avoir nous accepte lui aussi comme partenaire.
« Or, aujourd'hui, l'interrogation que nous pouvons avoir est celle de la conception que les Etats-Unis ont de ce lien transatlantique. Pour notre part, nous revendiquons ce lien, mais on peut se demander si leur analyse ne les éloigne pas aujourd'hui de l'Europe. Leur vue ne porte-t-elle pas plus loin, en Asie ou ailleurs ? Pour eux, l'Europe n'est-elle pas un moyen de pré-positionnement de forces, leur permettant d'utiliser en tant que de besoin des armées européennes, qu'elles soient britannique, polonaise, allemande ou française, en fait une sorte de boite à outils dans laquelle ils pourraient se servir, puisque les armées européennes sont de réelles forces armées dotées d'une vraie capacité et d'un réel savoir-faire et qu'elles peuvent venir en appui à des décisions prises par les Etats-Unis.
« Cela m'amène à vous livrer deux réflexions.
« De la période vécue, il nous faut retenir un enseignement : une intervention militaire extérieure doit avoir une base juridique légitime.
« La légitimation d'une intervention ne peut être accordée que par une organisation internationale et, pour nous, l'Organisation des Nations unies. Sans légitimité juridique à une intervention, nous nous orienterions dans une période qui ouvrirait la voie à la primauté de la force sur le droit. Il faut donc sans cesse nous rappeler cette nécessité d'une décision légitime fondant toute intervention militaire extérieure.
« La deuxième réflexion a trait au devenir de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord, non pas l'organisation juridique en tant que telle. Mais que devient l'OTAN aujourd'hui ? Que devient l'Alliance ? Quel regard les Etats-Unis portent-ils sur cette alliance ?
« Se dessine depuis Prague une orientation ; il n'est plus question d'une alliance purement défensive, il n'est même plus question d'une alliance agissant à l'intérieur de frontières transatlantiques, mais on voit bien l'utilisation qui est faite de l'Alliance atlantique pour intervenir au-delà des frontières traditionnelles et pour lutter contre le terrorisme. Cela doit nous conduire à nous interroger sur cette proposition qui nous est faite aujourd'hui par les Etats-Unis. Nous sommes pleinement conscients de la nécessité de lutter contre le terrorisme en joignant nos forces. C'est une évolution, une modification qui résulte de l'élargissement de l'OTAN et c'est une excellente chose que l'ensemble du continent européen s'organise, se rassemble, s'accorde sur des principes démocratiques et se donne les moyens de les défendre et de les valoriser. Mais, pour nous, Européens, et pour la France en particulier, il s'agira de réfléchir à l'attitude que nous devons adopter au regard de l'OTAN.
« Les rapports qui nous sont présentés montrent bien qu'aujourd'hui coexistent deux conceptions légèrement différentes sur la sécurité internationale. L'approche des Etats-Unis est la conséquence de ses positionnements stratégiques ; l'approche européenne se fonde sur une conception plus large qu'une intervention de lutte contre le terrorisme, englobant les conditions économiques, sociales, politiques et culturelles ; donc, une connaissance de l'Histoire un peu différente.
« En tout cas, je remercie sincèrement nos rapporteurs qui, avec beaucoup de lucidité et de détermination, ont mis en lumière les enjeux de la période. Leurs rapports doivent venir nourrir la réflexion de nos dirigeants politiques qui sont, en la matière, bien plus frileux que les parlementaires que nous sommes.
« Un dernier mot sur le devenir de notre assemblée interparlementaire. Il faut que nous fassions écho à l'intervention du Premier ministre Eyskens et que nous agissions auprès de nos dirigeants respectifs pour que la Convention et la Conférence inter-gouvernementale prennent en compte la dimension interparlementaire. Nous notons aujourd'hui, dans les propositions de la Convention, l'affirmation de la possibilité de s'appuyer sur la COSAC et, en relation avec le Parlement européen, de prendre des initiatives de conférences interparlementaires. Cela n'est pas suffisant, cela ne traduit pas le besoin d'un débat démocratique qui prenne en compte véritablement la dimension interparlementaire. Ces questions sont également évoquées par nos rapporteurs et nous avons à agir dans un délai très bref pour que cette très importante question soit traitée par nos dirigeants et que nous continuions de tenir notre rôle de forum démocratique capable de discuter de questions essentielles.
« Bien des réalités, aujourd'hui concrétisées par les dirigeants, ont été imaginées, analysées, débattues par l'Assemblée parlementaire il y a dix ou quinze ans. Cela montre qu'il ne faut jamais baisser les bras et qu'en cette matière comme dans d'autres, tout est question de volonté politique ».
Lors de la discussion du projet de Recommandation , M. Jean-Pierre Masseret propose deux amendements .
Le premier vise à faire référence aux propositions faites au Touquet lors du Sommet franco-britannique ainsi qu'aux propositions des quatre pays qui se sont réunis récemment à Bruxelles pour promouvoir l'Europe de la défense : « Il n'est pas question de porter un jugement de valeur sur ces propositions mais de mentionner dans le projet de recommandation qu'elles ont été faites et qu'elles existent. C'est un élément de réflexion mais non un satisfecit donné à telle ou telle proposition » expose M. Jean-Pierre Masseret .
Le second invite, dans le même esprit, à débattre en même temps et de façon utile des propositions faites au sommet franco-britannique du Touquet ainsi que de celles présentées par les chefs d'État et de gouvernement de l'Allemagne, de la Belgique, de la France et du Luxembourg, qui reprennent celles constamment avancées par l'Assemblée de l'UEO. « Certes, souligne M. Jean-Pierre Masseret , cette fameuse réunion de quatre pays membres de l'Union, préparée de longue date, est venue à un moment un peu particulier qui a laissé penser à certains que sa tenue était maladroite. Mais au-delà de cet aspect de forme, il a été dit à Bruxelles des choses qui peuvent être utiles en matière de réflexion pour la défense européenne. Je ne voudrais donc pas qu'on se méprenne. Il s'agit de faire référence à des propositions avancées sans, j'insiste bien, porter de jugement de valeur ».
Ces deux amendements sont adoptés à l'unanimité, puis le projet de Recommandation contenu dans le Rapport 1819 , amendé, est à son tour adopté ; Recommandations 725 sur « l'Europe et la nouvelle stratégie de Sécurité nationale des Etats-Unis » , tandis que le Rapport 1824, portant sur « La stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis et ses conséquences pour l'Europe de la Défense » donne lieu à l' adoption de la Recommandation 726.
7. La coopération entre les industries aérospatiales européenne et russe.
M. Jean-Marie Le Guen, Député, rapporteur, présente ainsi l'exposé des motifs du Rapport 1821 à l'appui de la Recommandation qu'il propose à la délibération de l'Assemblée :
« L'importance stratégique de l'espace n'est plus à démontrer. C'est un lieu de déploiement de systèmes de télécommunications (télévision, liaisons téléphoniques), de renseignement (météorologie, observation de la terre) et de navigation, au profit des pouvoirs politique, économique et militaire. Pour l'Europe, le développement spatial peut constituer un outil lui permettant d'atteindre ses principaux objectifs en matière de sécurité et de défense (5 ( * )).
« Par ailleurs, la recherche spatiale acquiert une importance commerciale croissante pour l'industrie européenne. Elle peut permettre d'atteindre l'objectif décidé au sommet de Lisbonne le 24 mars 2000, qui est de passer à une économie fondée sur les connaissances, la plus dynamique et la plus compétitive du monde.
« Devenue un acteur majeur en matière spatiale aux côtés des Etats-Unis, de la Russie et du Japon, avec des investissements représentant moins d'un sixième du budget spatial américain, l'Europe témoigne d'un intérêt grandissant pour l'espace, comme le montre la Stratégie spatiale européenne (6 ( * )) (ESS), élaborée conjointement par la Commission et l'organe de direction de l'Agence spatiale européenne (ESA), en date du 16 novembre 2000.
« La Commission souhaite renforcer clairement son action en la matière et a retenu l'aéronautique et l'espace parmi les sept thèmes prioritaires du 6e Programme-cadre pour la recherche (6e PCRD). Elle cherche pour ce faire à intensifier ses relations avec l'Agence spatiale européenne (7 ( * )) et à développer la coopération internationale dans le domaine spatial. C'est dans ce contexte qu'il faut placer la question de la coopération avec la Russie ».
Adopté à l'unanimité de la Commission technique et aérospatiale, le projet de Recommandation 727 contenu dans le Rapport 1821 est adopté au terme du débat en séance plénière sans changement par l'Assemblée.
8. L'avenir des industries aéronautiques européennes de défense - Réponse au Rapport annuel du Conseil. Au terme du débat portant sur le Rapport 1823 l'Assemblée a adopté la Recommandation 728 .
9. Les activités spatiales européennes en matière de défense et le développement de l'autonomie dans le domaine des lanceurs . Rapport 1822 et Recommandation 729 .
10. L'avis sur les budgets des organes ministériels de l'UEO pour 2003, l'Assemblée adoptant, sur le Rapport 1827, la Recommandation 730.
11. Le projet de budget révisé de l'Assemblée pour 2003 (Rapport 1828) est à son tour adopté , l'Assemblée entendant marquer ainsi sa satisfaction d'une croissance propre à couvrir les dépenses de personnels, même si des préoccupations se font entendre encore quant au fonctionnement de l'Assemblée elle-même.
12. L'évolution de la situation dans l'Europe du Sud-Est . Plusieurs délégués des parlements d'États ayant le statut d'Associé partenaire ou d'observateur parlementaire à l'UEO (Roumanie, ex-République yougoslave de Macédoine et Croatie) ont pris part au débat sur le Rapport 1820 , l'Assemblée adoptant, à l'unanimité, au terme de ce débat, la Recommandation 731.
* (3) Les principaux textes adoptés au cours de cette première partie de la session 2003 sont reproduits en annexe du présent Rapport.
* (4) « La nouvelle architecture européenne de sécurité et de défense - priorités et lacunes » : Rapport de M. Philippe MORILLON au nom de la Commission des Affaires étrangères, des Droits de l'Homme, de la sécurité commune et de la politique de défense - Document du Parlement européen A5-0111/2003-27 mars 2003.
* (5) Cf. le rapport des «Trois sages » : Carl Bildt (ancien Premier ministre suédois représentant des Nations unies dans les Balkans), Jean Peyrelevade (Président du Crédit Lyonnais) et Lothar Späth (ancien Président du Land allemand de Bade-Wurtemberg), sur la politique spatiale européenne : pour l'Agence spatiale européenne, accessible sur le site : http://ravel.esrine.esa.it/docs/wisemen_report.pdf
* (6) Cf. « L'Europe et l'espace : ouvrir un nouveau chapitre », Document conjoint Commission-ESA sur une stratégie européenne pour l'espace, accessible sur le site : http://europa.eu.int/comm/space/space01/pdf/esa_fr.pdf
* (7) Une Task force (groupe de travail) ESA-Commission a été créée avec pour objectif d'examiner les conditions et les structures nécessaires à un rapprochement entre les deux organismes. Le partenariat entre la Commission européenne et l'Agence spatiale européenne devra permettre à l'ESA, parallèlement à sa mission d'agence intergouvernementale, d'agir comme agence spatiale de l'Union en conformité avec les règles de celle-ci.