3. L'attrait des avantages comparatifs des pays émergents : peut-on parler de dumping fiscal, social ou environnemental ?
Il a été abondamment démontré que l'une des raisons essentielles expliquant les délocalisations « pures » était la différence des coûts de production entre les pays industriels et les pays émergents . Tous les Etats du Nord, qui jouissent de systèmes sociaux extrêmement développés, riches et protecteurs, sont confrontés à cette concurrence par les coûts des pays en développement, rendue possible par une main d'oeuvre abondante et peu qualifiée et un état général de la société reléguant au second plan des problématiques aussi vivaces en Occident que la protection sociale ou celle de l'environnement. Est-il pour autant légitime d'accuser les pays émergents de dumping fiscal, social ou environnemental sous prétexte qu'ils ne satisfont pas à nos propres standards de développement ?
Dans la plupart des cas, à l'évidence non (109 ( * )). Plusieurs éléments permettent de s'en convaincre.
a) Coût de la main d'oeuvre
En ce qui concerne le coût de la main d'oeuvre , il suffira de rappeler que, comme le firent en leur temps les pays occidentaux, nombre des PVD incriminés vivent actuellement leur transition industrielle , phénomène historique qui se caractérise par le transfert de l'abondante population active agricole vers le secteur industriel. Cette « armée de réserve du capitalisme », ainsi que furent qualifiés par Karl Marx les actifs ruraux européens du XIX ème siècle, est immense dans des pays comme la Chine (700 à 800 millions de personnes pour une population totale de 1,3 milliard d'habitants) ou l'Inde, et très majoritaire dans les autres pays en développement si on la rapporte à leur population totale. Cette offre durablement abondante de travail à bas prix explique évidemment que les salaires soient, pour toutes les activités non qualifiées, inélastiques à l'augmentation de la production . De ce fait, même la définition d'un salaire minimum , bien que souhaitable dans son principe, n'apporterait pas immédiatement de solution à cette situation puisque son montant ne pourrait pas être déconnecté du niveau de vie local, pour l'essentiel conditionné par celui de la population rurale.
En outre, comme l'a souligné M. Pierre-Noël Giraud lors de son audition par votre groupe de travail, cette pression sur les coûts salariaux s'exerce également sur la rémunération des salariés qualifiés puisqu'elle détermine globalement le pouvoir d'achat des habitants du pays : l'échelle des salaires peut être ainsi largement ouverte sans pour autant que l'échelon le plus élevé ne devienne comparable à celui observé dans les pays développés. En réalité, les coûts du travail ne s'approchent de ceux connus dans ces derniers pays que pour des emplois extrêmement particuliers , dont les viviers locaux sont trop réduits et pour lesquels la concurrence est par conséquent importante : c'est par exemple le cas des fonctions de manager, qui sont fortement recherchées.
* (109) Sous réserve des pratiques anti-concurrentielles consistant à vendre un bien à un prix inférieur à ses coûts de production afin de s'imposer sur un marché : ce dumping avéré est en effet un problème de nature strictement commerciale, très éloigné de la question des délocalisations.