II. LA PROCÉDURE D'EXAMEN DES TEXTES EUROPÉENS

1. Les insuffisances actuelles

Sans doute n'est-il pas inutile de rappeler tout d'abord les objectifs visés par l'examen par le Sénat des projets de textes européens. J'en distinguerai trois qui sont complémentaires :

- d'abord un objectif d'information . La procédure de l'article 88-4 de la Constitution doit permettre de faire connaître les projets de textes européens, non seulement avant qu'ils ne soient adoptés, mais au moment même où le législateur européen - Parlement européen et Conseil - en prend connaissance. Et cette information doit bénéficier non seulement aux parlementaires, mais aussi aux groupes d'intérêt et à l'ensemble des citoyens ;

- ensuite un objectif de débat politique . La procédure doit permettre un débat public au cours duquel chacun pourra s'exprimer, des conclusions pourront être émises, des propositions pourront être formulées ;

- enfin, un objectif d'influence . Le parlement national a perdu une part de sa compétence de législateur en application des traités européens. Dans un certain nombre de domaines, c'est de ce fait le gouvernement qui devient législateur à sa place. Car les gouvernements des États membres jouent un rôle de législateur au sein du Conseil de l'Union. Dès lors, la procédure de l'article 88-4 doit permettre à l'Assemblée et au Sénat d'influer sur les positions que prendra le gouvernement français dans l'élaboration de la législation européenne par le Conseil. Ce pouvoir d'influence est un substitut au pouvoir législatif qui échappe désormais au parlement.

Que faudrait-il pour que la procédure de l'article 88-4 permette d'atteindre ces objectifs :

- il faudrait d'abord, que le Sénat intervienne rapidement. Nous devons être conscients que c'est tout à fait au début du processus législatif européen que nous pouvons intervenir utilement. De loin, on peut avoir l'impression d'avoir du temps, car il est rare que le Conseil se prononce rapidement de manière officielle. Mais, en réalité, dès que la Commission a présenté un texte, les groupes de travail du Conseil commencent à se réunir et, bien qu'on soit en principe à l'échelon administratif, en réalité sur un grand nombre d'aspects les négociations prennent tournure à ce stade. Si nous attendons que le Conseil soit sur le point de se prononcer pour intervenir, nous n'avons guère de chances d'avoir une influence, car à ce moment-là les jeux sont déjà faits sur la plupart des points et il est quasiment impossible d'amener les négociateurs français à revenir sur un point examiné antérieurement. Il faut donc aller vite.

- il faudrait ensuite, avoir un dialogue effectif avec le Gouvernement . Et cela pour trois raisons : d'abord, parce que cela permet de remettre de la politique dans les affaires européennes qui, en France, sont trop fréquemment traitées presque exclusivement par les administrations, sans interférence véritable du politique ; ensuite, parce que c'est le gouvernement qui va jouer le rôle de législateur à Bruxelles et qu'il est donc logique et normal qu'il entende directement l'expression des assemblées sur les décisions qu'il va prendre ; en troisième lieu, parce que l'existence d'un débat avec le gouvernement est un des moyens d'accroître l'intérêt des sénateurs et de lutter contre la passivité et l'ennui qui accompagnent des débats qui apparaissent souvent trop techniques et trop peu politiques ;

- enfin, il faudrait que la procédure de l'article 88-4 permette à tous les sénateurs de participer aux débats .

Or, à l'heure actuelle, ces conditions ne sont pas remplies.

Notre procédure est lente. Ainsi, en 2005, le délai moyen d'adoption définitive d'une résolution par la commission compétente a été supérieur à trois mois. Et cette moyenne ne tient pas compte, par définition, des propositions de résolution laissées « en attente ». Par exemple, cinq propositions de résolution déposées en 2005 n'ont pas encore été examinées.

Notre procédure ne permet pas non plus un dialogue avec le Gouvernement. Celui-ci n'est présent que si la proposition de résolution est examinée en séance plénière. Or, cette situation est très rare : au cours des quatre dernières années, seulement deux propositions de résolution ont été examinées en séance plénière.

Enfin, notre procédure ne permet pas d'impliquer l'ensemble des sénateurs . L'examen en séance plénière est rarissime et les résolutions sont généralement adoptées par les commissions ; de ce fait, seuls les membres de la délégation pour l'Union européenne dans un premier temps, puis ceux de la commission compétente dans un second temps, peuvent prendre part au débat.

En un mot, au regard de ces trois critères, nous sommes organisés en vue de l'inefficacité maximale.

2. Les solutions proposées

a) Le rapporteur des résolutions

Ce qui caractérise la procédure législative française, c'est l'importance du rôle du rapporteur. En France, « le rapporteur est le véritable pivot de la procédure législative » . Chez aucun de nos partenaires européens, le rapporteur n'occupe une telle place et ne joue un rôle aussi central et aussi important.

Le rôle du rapporteur dans la procédure législative française

« En France, beaucoup plus que dans la plupart des Parlements étrangers, le rapporteur est le véritable pivot de la procédure législative. Ce rapporteur est investi d'une double fonction.

D'une part, il est chargé d'étudier le projet pour son examen en commission. Il lui revient donc d'analyser la législation que le projet envisage de modifier et les aménagements qu'il y apporte ainsi que, le cas échéant, les solutions adoptées à l'étranger ; il lui appartient de procéder lui-même à des auditions de personnalités publiques, privées ou syndicales, ou de proposer à la commission d'entendre certaines de ces personnalités ; il lui incombe également - et c'est la part la plus délicate de sa mission - de faire des propositions d'amendements, d'une ampleur très variable en fonction du jugement politique et technique qu'il porte sur le texte, et d'exprimer son point de vue, favorable ou défavorable, sur les amendements proposés par ses collègues membres de la commission. »

(...)

« Une fois l'examen par la commission terminé, le rapporteur change de rôle : il devient l'interprète auprès de l'Assemblée des positions prises par la commission, positions qu'il doit défendre même dans le cas où elles ne coïncident pas, sur tel ou tel point particulier, avec ses options personnelles ».

Paul Cahoua : « Les commissions, lieu du travail législatif » (revue « Pouvoirs », n° 34).

Or, l'on sait que la procédure d'examen des résolutions européennes a été calquée sur la procédure d'examen des lois. De ce fait, le rapporteur y joue ce même rôle central. Mais, pour l'examen des propositions de résolution européennes, on a multiplié le nombre des rapporteurs.

Pour un texte de loi national, l'instruction est effectuée par le rapporteur entre le dépôt du projet et l'examen de ce projet par la commission compétente. S'il y a des commissions saisies pour avis, les instructions par les rapporteurs pour avis se déroulent concomitamment, sans exiger un délai supplémentaire. En revanche, lorsqu'un texte européen donne lieu à une proposition de résolution déposée par la délégation pour l'Union européenne, ce texte fait l'objet de deux instructions successives.

En effet, lorsque la délégation pour l'Union européenne conclut au dépôt d'une proposition de résolution, c'est à l'issue d'une procédure au cours de laquelle un sénateur membre de la délégation a été nommé rapporteur et a fait l'instruction du dossier. Et c'est en fonction de cette instruction et des explications techniques délivrées par le rapporteur que la délégation arrête le texte de sa proposition de résolution. Or, lorsque la commission compétente est saisie de cette proposition de résolution, elle refait complètement l'instruction du texte européen concerné comme si le Sénat venait seulement d'en être saisi. C'est une situation unique. La délégation est un organe du Sénat où tous les groupes sont représentés à la proportionnelle ; toutes les commissions y sont également représentées. Ses travaux ont donc une représentativité indiscutable. Reprendre de zéro l'instruction d'un texte déjà examiné par la délégation ne peut se justifier ni par des raisons techniques ni par des raisons politiques. De même que, en séance plénière, on ne refait pas le travail d'instruction effectué en commission, de même il n'est pas logique que la commission refasse le travail de la délégation.

Car ce cumul de deux instructions successives entraîne des délais considérables. Si l'on prend les sept résolutions que le Sénat a adoptées sur proposition de la délégation à propos de textes européens qui lui ont été soumis en 2005, on constate qu'il s'est écoulé en moyenne 30 jours entre le dépôt de la proposition de résolution par la délégation et la nomination du rapporteur par la commission compétente, auxquels s'ajoutent en moyenne 45 jours entre la nomination du rapporteur et la réunion de la commission. Il y a donc eu un délai moyen de 75 jours entre le dépôt de la proposition de résolution qui résulte de la délibération de la délégation pour l'Union européenne et l'examen de cette proposition de résolution par la commission compétente . On imagine aisément les progrès de la discussion au sein des groupes de travail du Conseil pendant ces 75 jours !

Il est donc temps de mettre fin à cette anomalie, en décidant que, de plein droit, le rapporteur de la délégation est également rapporteur devant la commission compétente , même s'il n'en est pas membre. La commission resterait l'organe de décision, elle resterait l'organe d'instruction pour les propositions de résolution émanant de sénateurs individuels ou de groupes, mais elle ne referait pas l'instruction des textes déjà examinés par la délégation. Cela permettrait de gagner un temps considérable, sans remettre en cause le pouvoir de décision de la commission compétente. Bien entendu, le rapporteur ne prendrait part au vote au sein de la commission que s'il était lui-même membre de celle-ci.

Première proposition : dans le cas d'une proposition de résolution déposée au nom de la délégation pour l'Union européenne, le rapporteur de la délégation est rapporteur devant la commission compétente.

b) Le délai d'examen des résolutions

Toujours dans l'idée de raccourcir les délais, nous devrions prévoir dans le Règlement du Sénat qu'une proposition de résolution déposée par la délégation doit être examinée par la commission compétente dans un délai maximum d'un mois . Cette suggestion n'a rien d'extravagant, puisqu'une telle règle a été introduite dans le règlement de l'Assemblée nationale il y a plusieurs années. On peut même penser que, dès lors qu'il n'est plus nécessaire de trouver un nouveau rapporteur et de lui laisser le temps d'appréhender le dossier, la réunion de la commission devrait avoir lieu très peu de temps après le dépôt de la proposition de résolution.

Deuxième proposition : toute proposition de résolution déposée au nom de la délégation pour l'Union européenne doit être examinée par la commission compétente dans le délai d'un mois suivant son dépôt.

c) L'association des sénateurs

Il nous faut également trouver une formule permettant d'associer l'ensemble des sénateurs. Il suffirait de décider, pour cela, que lorsque la commission compétente se prononce sur une proposition de résolution, elle est ouverte à tous les sénateurs. Tous les sénateurs pourraient intervenir dans le débat, soutenir éventuellement un amendement, mais naturellement seuls les membres de la Commission pourraient prendre part au vote. Dans le même esprit, il serait souhaitable que ce type particulier de réunion fasse l'objet d'un compte rendu intégral au Journal Officiel et qu'il soit ouvert au public. Il est clair que, si cette formule était adoptée, il ne serait plus nécessaire de prévoir la possibilité d'un examen en séance publique. Comme nous l'avons vu, l'examen en séance publique est extrêmement rare, mais sa possibilité contribue à allonger sensiblement les délais : actuellement, une résolution adoptée par une commission ne devient définitive qu'au bout de dix jours, qui est le délai durant lequel on peut demander un examen en séance publique. Ce serait autant de gagné.

Troisième proposition : tous les sénateurs peuvent participer aux réunions au cours desquelles une commission examine une proposition de résolution européenne. Cette réunion est ouverte au public et fait l'objet d'un compte rendu intégral publié au Journal officiel.

d) Le dialogue avec le Gouvernement

Enfin, il nous faut un dialogue effectif avec le Gouvernement. On peut faire à cet égard trois suggestions.

La première est que le Gouvernement devrait être présent lors de l'examen et de l'adoption d'une résolution par la commission compétente. C'est essentiel si nous voulons que les recommandations du Sénat soient prises en compte. Et cela paraît parfaitement possible : le nombre des résolutions (moins d'une dizaine par an) n'est pas tel que cela puisse poser un problème pratique.

Quatrième proposition : le Gouvernement participe aux réunions au cours desquelles une commission examine une proposition de résolution européenne.

e) L'information par le Gouvernement

Deuxième suggestion : pour chaque texte, le Gouvernement devrait transmettre très rapidement à l'Assemblée nationale et au Sénat une note préliminaire précisant l'analyse qu'il fait du texte et sa position en première analyse. Là également, c'est parfaitement possible. Au Royaume-Uni, le Gouvernement adresse aux deux Chambres une note de ce type dans un délai de dix jours pour tous les textes soumis aux assemblées. L'administration britannique n'a pas plus de moyens que la nôtre. Notre administration devrait donc être capable d'en faire autant. À l'heure actuelle, nous recevons des « fiches d'impact » sur 10 % des textes environ : il y a du chemin à faire !

Cinquième proposition : dans les trois semaines suivant la soumission d'un document européen à l'Assemblée nationale et au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution, le Gouvernement leur transmet une note précisant l'analyse qu'il fait de ce texte et sa position en première analyse.

f) Les suites données aux résolutions

Enfin, troisième suggestion : si nous voulons être influents, il faut que le Gouvernement soit amené à nous dire quelles suites il a données à nos résolutions . Il a le droit de s'en écarter, c'est entendu : encore faut-il qu'il s'en explique. Actuellement, il n'y a aucun suivi des résolutions. Quelle forme cela pourrait-il prendre ? Nous pourrions nous inspirer, là aussi, de l'exemple britannique, où le Gouvernement s'explique par écrit sur les suites données aux résolutions. On pourrait imaginer également qu'il y ait, de temps à autre, une réunion conjointe de la délégation et des commissions intéressées pour avoir un débat avec le Gouvernement sur les suites données aux résolutions.

Sixième proposition : le Gouvernement rend compte à l'Assemblée nationale et au Sénat des suites qu'il a données à leurs résolutions européennes.

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