d) Les actions à droit de vote multiple, dans le respect de la transparence, peuvent contribuer à stabiliser l'actionnariat
La nécessaire stabilité de l'actionnariat peut être facilitée par des actions à droit de vote multiple . Les deux logiques de proportionnalité et de vote plural devraient pouvoir cohabiter au sein de l'Union européenne. Il apparaît légitime de ne pas supprimer la possibilité d'offrir au marché des instruments innovants et variés comme les actions à droit de vote multiple, l'essentiel étant que la liberté contractuelle soit assortie d'une obligation de transparence et d'information des actionnaires sur le contenu des statuts.
Rien ne s'oppose, tant en droit communautaire qu'au regard de nos principes fondamentaux, à la réintroduction en droit français des sociétés cotées de cette exception au principe de proportionnalité, qui complèterait utilement les flexibilités déjà permises par le droit français en ce qui concerne la limitation du droit de vote 346 ( * ) ou sa suppression possible pour les actions de préférence 347 ( * ) dans la limite d'une quotité limitée du capital social.
Le mécanisme législatif pourrait prendre des formes variées comme en témoignent les exemples étrangers. Il pourrait être imaginé comme en droit finnois qu'un droit de vote multiple puisse être attribué dans la limite de vingt droits par action , ou comme en droit suédois 348 ( * ) dans la limite de dix droits par action. Il serait sans doute préférable de fixer un principe général en fixant une limitation du multiple (droit suédois par exemple) ou de la quotité de droit de vote à laquelle les actions à droit de vote multiple permettent d'accéder.
Le nouveau régime légal pourrait être très général et permettre aux sociétés soit de constituer des catégories d'actions à droit de vote multiple ( attachement du droit à l'action ), soit de donner accès à tous les actionnaires qui rempliraient certaines conditions objectives ( attachement du droit à l'actionnaire ). Ces deux voies présentent les avantages et inconvénients suivants.
(1) Attacher le droit à l'action
Le principal avantage de l'utilisation des catégories d'actions est de limiter la quotité d'actions affectées par les droits de vote multiples via une émission réservée. L'utilisation des catégories d'actions permettrait de jouir d'une grande flexibilité dans l'aménagement du droit de vote, et de le combiner avec des droits à dividende majoré ou réduit.
En revanche, l'existence de catégories d'actions nuirait à la liquidité de ces titres puisqu'il faudrait utiliser une seconde ligne de cotation pour pouvoir les négocier sur un marché boursier. Cet inconvénient doit toutefois être relativisé. Ainsi en Suède les actions de « catégorie A », qui donnent droit à un droit de vote multiple, sont souvent non cotées.
D'autres modifications corrélatives seraient souhaitables, comme la suppression du rapport des commissaires aux avantages particuliers en cas d'émission réservée dans les sociétés fermées, notamment pour faciliter les opérations de capital-investissement. Il pourrait à tout le moins être permis aux actionnaires d'y renoncer. Les textes actuels relatifs aux actions de préférence nécessiteraient également d'être aménagés pour permettre que leurs titulaires puissent souscrire, en cas d'augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription (DPS), à des actions de préférence ayant les mêmes caractéristiques.
A l'instar des dispositions relatives aux actions à dividende prioritaire sans droit de vote 349 ( * ) , un tel aménagement ne soulèverait pas de difficulté juridique, notamment au regard des dispositions de la deuxième directive européenne sur les sociétés 350 ( * ) , qui prévoit qu'un DPS est attaché aux titres de capital, mais n'exclut pas l'aménagement de ce droit.
L'existence d'une catégorie d'actions entraînera le respect des dispositions relatives à la protection des droits attribués aux catégories d'actions, en particulier l'autorisation de l'assemblée spéciale pour toute décision de l'assemblée générale tendant à modifier leurs droits 351 ( * ) .
Enfin, ces catégories d'actions à droit de vote multiple entreraient dans le champ d'application de la directive OPA . Toutefois, les dispositions prévues dans son article 11 352 ( * ) étant facultatives , les nouvelles dispositions législatives pourraient prévoir la même liberté que celle aménagée lors de la transposition française de cette directive en laissant les sociétés prévoir des clauses statutaires désactivant les droits de vote multiple dans certaines circonstances.
* 346 Article L. 225-125 du code de commerce.
* 347 Article L. 228-11 du code de commerce.
* 348 Les différentes catégories d'actions doivent figurer dans les statuts, qui peuvent stipuler soit qu'un certain nombre d'actions, soit qu'un certain pourcentage des actions, doit être d'une catégorie déterminée. En général, les différences concernent notamment le nombre de voix par action, le droit aux dividendes et de distribution lors de la liquidation de la société. Il arrive également que ces actions donnent un droit préférentiel de nommer un certain nombre d'administrateurs. La possibilité de créer des différences entre actions est limitée par la loi ; une action ne peut pas avoir une valeur de vote supérieure à dix fois la valeur de vote d'une autre action. Par ailleurs, il n'est pas possible de déposséder les actionnaires d'une certaines catégorie d'actions du droit de participer à l'assemblée générale ou du droit de désapprouver une décision de l'assemblée générale. En outre, des actions sans droit de vote ne peuvent pas être émises .
* 349 Article L. 228-35 du code de commerce.
* 350 Deuxième directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976 tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les Etats membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital.
* 351 Article L. 225-99 du code de commerce.
* 352 Qui prévoit que « les titres à droit de vote multiple ne donnent droit chacun qu'à une voix à l'assemblée générale des actionnaires qui arrête des mesures de défense, quelles qu'elles soient ».