B. LA NOTATION, UN POINT DE PASSAGE MÉCANIQUE IMPOSÉ PAR LES POUVOIRS PUBLICS ET LES INVESTISSEURS SANS ALTERNATIVE CRÉDIBLE À COURT TERME

En réaction aux différentes crises du capitalisme depuis 1929, les États-Unis, puis les États européens, puis désormais la communauté internationale toute entière, à travers le G 20 et le Comité de Bâle, ont fait appel aux notations pour s'assurer de la solidité des actifs des banques et des sociétés d'assurance et mesurer la réalité des risques pris . La Banque centrale européenne les utilise pour accepter les garanties apportées par les banques en échange de ses refinancements, dans des proportions considérables.

Les notations sont devenues un outil essentiel, si ce n'est exclusif, utilisé par les investisseurs pour déterminer les risques qu'ils prennent et définir leurs règles de gestion. À bien des égards, on peut estimer qu'ils sont devenus « dépendants » des notations.

Dans ces conditions, la démarche américaine, reprise aujourd'hui par les instances européennes, de « désintoxication » des superviseurs bancaires ou d'assurance, tout comme des investisseurs, vis-à-vis des notations reste encore largement incantatoire . Les solutions proposées sont peu opérantes , même si les notations n'ont pas été conçues pour participer à la règlementation des banques et remplissent parfois mal cette fonction. Il y a encore peu d'alternatives crédibles à court terme pour « se débarrasser » des notations.

1. La responsabilité des États dans la dépendance réglementaire aux agences de notation
a) Les règlementations américaines incorporant les notations : une réponse aux crises du capitalisme

C'est en réponse à la crise de 1929 que les régulateurs américains ont entrepris d'incorporer formellement la référence aux notations dans les réglementations .

En 1931, « l'Office of the Comptroller of the Currency » chargé de la supervision des banques aux États-Unis a fait obligation aux banques nationales de passer une provision pour les obligations notées en dessous de BBB.

En 1936, une décision de l'Office a interdit aux banques d'investir dans des titres « spéculatifs ». La décision, qui fait référence aux manuels de notation reconnus pour évaluer la nature spéculative d'un investissement, a eu pour conséquence immédiate de diviser par deux le nombre d'obligations dans lesquelles les banques pouvaient investir.

La dépendance réglementaire aux notations s'est de nouveau renforcée considérablement à partir des années 1970. En 1970, la faillite de la « Penn Central Transportation Company » a mis à mal la confiance des investisseurs sur le marché des créances à court terme. La réponse a été similaire à celle mise en place dans les années 1930 .

La Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur boursier, a ainsi adopté en 1975 la « Uniform Net Capital Rule » qui impose aux courtiers des contraintes liées à la qualité des actifs détenus. La SEC a alors introduit les notations comme des références objectives permettant d'apprécier la qualité des actifs détenus . C'est ainsi que les agences de notation ont acquis un statut réglementaire sous le nom de « Nationally Recognised Statistical Rating Organizations » (NRSRO) ou « agences de notation nationalement reconnues » (sous-entendu par le régulateur). Il faudra néanmoins attendre plus de 35 ans pour qu'une loi sur les agences de notation (« Rating Agency Reform Act », 2006) prévoit des règles relatives aux conditions d'enregistrement des agences « NRSRO ».

À compter de cette période, les références aux notations de crédit externes se sont multipliées dans le corpus réglementaire et législatif américain. La référence aux notations de crédit des « NRSRO » est utilisée non seulement pour définir les contraintes en capital et les restrictions d'investissement de certaines institutions financières, mais aussi pour déterminer les obligations d'information sur les instruments financiers 60 ( * ) .

L'ampleur prise aux États-Unis par le mouvement de délégation d'une fonction règlementaire aux agences de notation rend difficile toute tentative de recensement exhaustif. En recherchant le nombre d'occurrences du terme « NRSRO » dans les bases de données Lexis-Nexis, le professeur Frank Partnoy, de l'Université de droit de San Diego, aurait relevé en 1999 plus de 1 000 références dans la règlementation relative aux marchés des titres financiers et près de 400 pour les banques .

b) Une fonction réglementaire relayée et amplifiée par le Comité de Bâle

L'évolution de la réglementation prudentielle des banques a constitué un axe central de propagation du recours aux agences de notations.

(1) La responsabilité historique du Comité de Bâle dans le recours aux notations pour réguler les banques

Le Comité de Bâle sur la Supervision Bancaire est une organisation internationale regroupant les représentants des régulateurs bancaires et des banques centrales de vingt-sept pays, dont les pays industrialisés. Il a pour principale mission de définir le cadre prudentiel applicable aux banques. Concrètement, il impose un niveau minimum de capital dans les banques en proportion des risques pris afin de garantir la solidité et la stabilité du système bancaire. La mesure adéquate du risque de chacun des instruments inscrits au bilan d'une banque est donc la phase la plus importante pour déterminer le capital nécessaire.

Le premier accord de Bâle en 1988 imposait aux banques internationales l'obligation de maintenir un montant minimum de capital correspondant à 8 % des actifs pondérés en fonction des risques pris.

À titre d'illustration, un portefeuille de crédits à l'export est garanti par les marchandises exportées, il n'est donc pas ou peu risqué puisque, en cas de défaut, la banque pourra saisir et revendre les marchandises. Il se voit attribuer par exemple une pondération de 15 %. Si le portefeuille vaut 10 millions d'euros, la pondération le ramènera à 1,5 million d'euros. Le montant des fonds propres à inscrire en face de ce portefeuille sera donc de 120 000 euros (8 % x 1,5 million). Autrement dit, la banque ne doit posséder que 120 000 euros de fonds propres pour un portefeuille de 10 millions d'euros.

Mais ce premier accord, dit de « Bâle I », était encore assez fruste dans la mesure de l'appréciation du risque. Par exemple, toutes les entreprises étaient considérées représenter le même niveau de risque, ce qui apparaît contraire au plus élémentaire bon sens .

Ce système de pondération des risques s'est révélé rapidement inadapté, les banques développant des stratégies d'arbitrage en privilégiant les prêts aux entreprises plus risqués et donc plus rémunérateurs, mais ne nécessitant pas de surcharge en capital.

En janvier 1996, le Comité de Bâle a publié un amendement aux règles de « Bâle I » incluant une prise en compte des risques de marché 61 ( * ) . Il est alors fait référence aux agences de notations.

Document n° 1 : la première intervention des notations
dans les règlementations bancaires du Comité de Bâle (1996)

« 6. Les emprunts qualifiés comprennent les titres de dette émis par les agents du secteur public et les banques multilatérales de développement ainsi que ceux qui sont :

« - notés de bonne qualité 1 par au moins deux agences de notation désignées par l'autorité de tutelle nationale ; ou

« - notés de bonne qualité par une agence de notation et de catégorie au moins égale par toute autre agence de notation désignée par l'autorité nationale (sous réserve d'un suivi prudentiel) ; ou

« - sous réserve de l'approbation de l'autorité, non notés, mais jugés de qualité comparable par la banque déclarante, et à condition que l'émetteur en ait obtenu la cotation sur un marché organisé reconnu.

« 1 C'est-à-dire au moins Baa par Moody's et au moins BBB par Standard and Poor's. »

Source : Comité de Bâle sur la Supervision Bancaire

Préalablement à la révision envisagée des accords de « Bâle I », le Comité de Bâle indiquait en 2000 que la presque totalité des pays du G 10 ainsi que quelques pays hors G 10 utilisaient les notations de crédit externes dans leur réglementation. Cette règlementation a été principalement établie sur le fondement des règles de Bâle sur les risques de marché .

En 2004, l'accord de « Bâle II » a proposé un système visant à être plus sensible aux risques réels. Il autorise les banques, pour déterminer leurs fonds propres réglementaires, à utiliser soit leur système interne d'évaluation, soit une méthode dite standard basée sur les notations émises par des « organismes externes d'évaluation de crédit », dits « OEEC » .

(2) Des superviseurs nationaux se reposant essentiellement, voire exclusivement, sur les agences de notation

Les recommandations de « Bâle II » ont été transposées en Europe par la directive du 14 juin 2006 sur les « fonds propres réglementaires », entrée en application en 2008. Cette directive prévoit que la reconnaissance « OEEC » est accordée par les superviseurs bancaires nationaux. Après l'entrée en vigueur du règlement du 16 septembre 2009 sur les agences de notation, certains superviseurs considèrent désormais que toutes les agences de notation enregistrées et certifiées dans l'Union européenne sont automatiquement « OEEC » .

En France, conformément à l'article L. 511-44 du code monétaire et financier, l'Autorité de contrôle prudentiel est chargée d'établir la liste des « OEEC » reconnus 62 ( * ) . Elle n'a pas retenu de lien automatique entre agences de notation enregistrées auprès de l'Autorité européenne des marchés financiers et reconnaissance de la qualité « d'OEEC » . La liste française inclut la Banque de France et la Coface qui ne sont pas des agences de notation et seules cinq agences sur les dix-sept enregistrées sont reconnues « OEEC » 63 ( * ) .

Dans la réglementation prudentielle, le but in fine de la mesure du risque est de parvenir à une pondération des différents éléments inscrits à l'actif de la banque et donc de déterminer la quantité de fonds propres que chacun d'entre eux requiert ( cf. supra (1) ).

Le recours aux « OEEC » permet de fixer une pondération en fonction de la note émise. Pour ce faire, il est néanmoins nécessaire de procéder à deux opérations de conversion de la note. Il faut tout d'abord, sur la base d'une analyse historique, identifier un taux de défaut correspondant à la note 64 ( * ) . Ensuite, ce taux de défaut doit être associé à une pondération.

Tableau n° 34 : taux de défaut cumulé sur trois ans de référence sur longue période

Standard and Poor's

AAA-AA

A

BBB

BB

B

Moody's

Aaa-Aa

A

Baa

Ba

B

Moyenne sur vingt ans du taux de défaut cumulé sur trois ans

0,10 %

0,25 %

1,00 %

7,50 %

20,00 %

Source : Comité de Bâle sur la Supervision Bancaire

En ce qui concerne, par exemple, les créances sur des entreprises, le Comité de Bâle propose la pondération ci-après :

Tableau n° 35 : pondération des créances sur les entreprises notées

Standard and Poor's

AAA-AA

A

BBB

BB

B

Pondération

20 %

50 %

100 %

100 %

150 %

Source : Comité de Bâle sur la Supervision Bancaire

Ce système permet la comparaison de toutes les notes, quelle que soit l'agence de notation. Ainsi, selon le Comité de Bâle, une notation d'une entreprise estimée à AAA/AA correspond à une probabilité de défaut de 0,10 % sur une période de trois ans et sera associée à une pondération de 20 %.

Concrètement, une banque achète pour 50 millions d'euros d'une émission obligataire notée AAA ; la pondération ramène ce portefeuille à 10 millions d'euros (50 millions d'euros x 20 %). Si les fonds propres doivent correspondre à 8 % des actifs (tel que c'est le cas sous Bâle II), alors la banque devra inscrire 800 000 euros en fonds propres (8 % x 10 millions d'euros). Dans ce cadre, pour une émission obligataire de même montant notée B, les fonds propres représenteront 6 millions d'euros.

Suite à la crise des subprimes et afin d'améliorer la couverture des risques spécifiques associés aux risques de marché, et notamment aux produits titrisés, les recommandations de « Bâle II » ont été complétées par l'accord dit de « Bâle 2,5 » qui fait également référence aux notations.

En France, l'Autorité de contrôle prudentiel, responsable de la supervision bancaire, applique cette réglementation et reprend donc les préconisations du Comité de Bâle. Elle s'appuie notamment sur les notes émises par les trois principales agences de notation pour calculer les risques pris par les banques françaises.

Ainsi, sous l'effet de la mise en place en Europe des règles de « Bâle II », l'usage réglementaire des agences de notation s'est mécaniquement étendu. Il conduit à une véritable institutionnalisation du rôle des agences de notation .

Le Conseil de stabilité financière, organe créé par le G 20 de Londres en avril 2009 65 ( * ) , a établi, avec l'appui du Comité de Bâle, une revue de l'utilisation des notations. Il est apparu que c'est la règlementation bancaire pour la détermination du capital réglementaire qui fait le plus appel aux notations.

c) Le rôle majeur des banques centrales

Dans le cadre de leurs opérations de politique monétaire, les banques centrales demandent des garanties, telles que des titres financiers. Comme pour tout investisseur avisé, elles exigent que ces garanties - appelées « collatéral » - soient de bonne qualité. Pour ce faire, elles ont également recours aux agences de notation.

(1) Un degré d'utilisation des notations très variable selon les banques centrales

Le degré d'utilisation des agences de notation est très variable selon les banques centrales et le type d'opérations considéré. Il est relativement faible pour des banques centrales comme la Réserve fédérale américaine, du fait du périmètre restreint des actifs éligibles en garantie pour la conduite de la politique monétaire.

En 2008, suite à la crise des subprimes , la Réserve fédérale américaine a lancé une initiative destinée à soutenir le marché de la titrisation, en particulier des prêts aux PME. En effet, le contexte était alors particulièrement défavorable à la titrisation alors que celle-ci était cruciale dans l'équilibre du marché des prêts aux PME. Dans ce cadre, dit Term Asset-Backed Securities Loan Facility (TALF), la banque centrale américaine a accepté en garantie des produits de titrisation de prêts aux PME. Toutefois, pour juger de leur bonne qualité, elle a eu recours aux agences de notation mais en l'assortissant d'une analyse de risque interne.

Le recours aux notations est en revanche plus significatif pour des banques centrales, comme la banque centrale suédoise, qui évaluent largement la qualité de crédit des actifs de marché sur la base des notations des agences. D'autres banques centrales, telles que la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon, en font ont un usage intermédiaire : elles exigent une notation externe minimale, qui n'est qu'un indicateur parmi d'autres pour décider de l'éligibilité des actifs acceptés en garantie des opérations de crédit.

(2) Au sein des banques centrales européennes, un recours important aux notes mais sans effet automatique

La Banque centrale européenne ainsi que le Système européen des banques centrales - l'ensemble formant l'Eurosystème - ont recours aux notations pour déterminer l'éligibilité des actifs acceptés en garantie. De même, le système de paiement intra-européen réservé aux gros montants, appelé Target, repose sur un système de garanties. Dans ce cadre, les banques centrales, gestionnaires du système, se réfèrent aux notations.

Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne fixe les règles d'éligibilité des actifs admis en garantie en fonction de plusieurs critères : qualité, échéance, liquidité, devise de libellé, etc. La qualité est déterminée au regard de la probabilité de défaut à un an de l'actif considéré de façon harmonisée pour l'ensemble de la zone euro. Tous les actifs sont notés d'une manière ou d'une autre.

Pour ce faire, le dispositif de l'Eurosystème d'évaluation de crédit reconnait quatre références : les agences de notation ou « organismes externes d'évaluation de crédit » (OEEC), les systèmes d'évaluation du crédit développés par les banques centrales (notamment le FIBEN pour la Banque de France), les modèles internes développés par les banques et les outils de notation développés par des opérateurs tiers.

Le recours aux agences de notation s'inscrit dans le cadre réglementaire relatif aux fonds propres des banques ( cf. supra b) ). Toutefois, la reconnaissance par un superviseur national en tant qu'« OEEC » est une condition nécessaire mais pas suffisante pour permettre l'accès à l'Eurosystème . Celui-ci impose en outre le respect d'un certain nombre de critères opérationnels. En particulier, un « OEEC » agréé est soumis à l'obligation de mettre à la disposition de l'Eurosystème les informations concernant ses évaluations. Il doit aussi donner les éléments permettant la comparaison des évaluations par rapport au seuil de qualité du crédit défini par l'Eurosystème. Il se réserve le droit de ne pas accepter les notes d'un « OEEC » s'il juge ses performances insuffisantes.

Ainsi, quatre agences « OEEC » enregistrées dans l'Union européenne sont actuellement acceptées par l'Eurosystème : Standard and Poor's, Moody's, Fitch et DBRS .

Depuis 2008, l'Eurosystème différencie trois paliers de défaut : le risque 1 correspond à une probabilité de défaut inférieure à 0,10 % et le risque 2 à une probabilité de défaut comprise entre 0,10 % et 0,40 %. Le risque 3 se situe au-delà de 0,40 %.

Les correspondances entre l'échelle de notations et les probabilités de défaut retenues par l'Eurosystème sont résumées ci-dessous.

Tableau n° 36 : correspondance entre les échelles de notation
et les probabilités de défaut retenue par l'Eurosystème

Classement de la qualité du crédit du point de vue de la Banque centrale européenne

Risque 1
(probabilité de défaut
de 0,1 %)

Risque 2
(probabilité de défaut entre
0,1 % et 0,4 %)

Risque 3
(probabilité de défaut au-delà de 0,4 %)

Long terme

DBRS

AAA/AAH/AA/AAL

AH/A/AL

BBBH/BBB

Fitch

AAA/AA+/AA/AA-

A+/A/A-

BBB+/BBB/BBB-

Moody's

Aaa/Aa1/Aa2/Aa3

A1/A2/A3

Baa1/Baa2/Baa3

Standard and Poor's

AAA/AA+/AA/AA-

A+/A/A-

BBB+/BBB/BBB-

Source : Banque de France

L'Eurosystème a fait évoluer sa réglementation interne non pas pour supprimer toute référence aux notations, mais pour limiter leur impact automatique . Ainsi, la Banque de France indiquait, en réponse au questionnaire adressé par le Sénat, que « jusqu'en octobre 2008, l'Eurosystème visait une probabilité de défaut inférieure à 0,1 % ; la crise a alors conduit à relever le plafond à 0,4 %. En début d'année 2012, des élargissements ont été autorisés de façon temporaire sur une base nationale et après validation par le Conseil des gouverneurs de la BCE : la Banque de France a ainsi intégré des actifs dont la probabilité de défaut à un an va jusqu'à 1 % ».

La Banque de France 66 ( * ) explique « aujourd'hui, nous allons jusqu'à des signatures équivalent à un double B, évidemment avec des décotes appropriées ». Concrètement, la Banque de France accepte des titres de moindre qualité, ce que, dans l'absolu, elle n'aurait pas fait avant la crise. En revanche, les banques centrales opèrent un ajustement sur la quantité : pour garantir la même opération, il est nécessaire d'apporter un plus grand nombre de titres notés BB que de titres notés AAA.

La Banque de France considère que « pour les titres négociables, les notations d'agences restent des références incontournables [...] . Mais cette dépendance est limitée par trois éléments : seule la meilleure notation des titres non adossés à des actifs est retenue par l'Eurosystème, ce qui rend l'éligibilité moins sensible aux éventuelles dégradations décidées par l'une ou l'autre des agences de notation .

« En second lieu, la notation n'est pas le seul critère retenu dans notre analyse. Ainsi, les ABS à structure complexe ne sont pas éligibles, quelles que soient les notations obtenues. A l'inverse, des titres souverains des pays sous programme sont restés éligibles alors que leur notation tombait en deçà des seuils de droit commun. Nous favorisons progressivement les produits dont les acteurs de marché sont à même de juger de la qualité, sans avoir besoin de recourir mécaniquement à la notation des agences ».

À la fin 2011, sur les 2 017 milliards d'euros de garanties déposées auprès de l'Eurosystème, 75 % étaient admis sur la base d'une notation émise par une agence. Les notations d'agences sont et restent encore aujourd'hui des références incontournables, d'abord pour des institutions telles que les banques centrales .

La Banque de France considère d'ailleurs « que la suppression totale pour les banques centrales du recours aux notations externes n'est pas une mesure souhaitable . Cela poserait en effet des difficultés majeures, d'ordre technique et politique. Compte tenu de la diversité des actifs éligibles [...], cela nécessiterait des investissements considérables (moyens humains, bases de données), afin de disposer d'une capacité d'analyse crédit équivalente à celles des agences externes sur l'ensemble des actifs susceptibles d'être remis en collatéral. Cela exposerait également les banques centrales à des risques de conflit d'intérêts, en particulier sur l'évaluation du risque de crédit des souverains de la zone euro ».

Néanmoins, l'Eurosystème a su faire évoluer ses procédures afin de conserver les notations tout en limitant leur impact automatique sur les garanties acceptées par lui.

d) Une délégation de fait de la fonction réglementaire, clé du fonctionnement de l'industrie de la notation

La référence mécanique aux notations dans le cadre réglementaire a institutionnalisé le rôle des agences de notation et assuré en grande partie leur développement .

Les États, en déléguant cette fonction réglementaire ont conforté la légitimité des agences. Ainsi, au principe de réputation fréquemment évoqué comme fondement de l'industrie de la notation, vient s'imposer celui de la « licence réglementaire » théorisée notamment par les travaux universitaires de Frank Partnoy 67 ( * ) . Selon cette analyse, une fois la référence aux notations inscrite durablement dans les réglementations, les agences de notation ne commercialisent non plus de simples opinions mais des droits d'accès réglementés c'est-à-dire des licences permettant à l'entité notée et aux investisseurs de bénéficier favorablement des règles en vigueur .

Face au diagnostic reconnu des risques liés à une dépendance mécanique aux notations, ainsi qu'à la montée des discours visant à une « désintoxication » des régulateurs, les principales agences de notation s'élèvent officiellement contre l'utilisation réglementaire faite de leurs notations.

Afin de se dégager de toute responsabilité, elles soulignent tout particulièrement dans leur communication que leurs notations ne visent pas à correspondre à un taux de défaut absolu et qu'elles n'ont pas été conçues à des fins d'utilisation réglementaire.

La communication des agences pour se dégager de toute responsabilité
sur l'utilisation de leurs notes

Les notations de crédit sont-elles un instrument de mesure absolu de la probabilité de défaut ? 68 ( * )

« Dans la mesure où il existera toujours des évènements imprévisibles, la notation de crédit ne peut être une science exacte. C'est pourquoi les notations émises par Standard and Poor's sont des opinions et ne sont pas conçues comme des garanties de la qualité de crédit ou de la mesure exacte de la probabilité qu'un émetteur particulier ou une émission de titres fasse défaut.

Au contraire, les notations expriment des opinions relatives sur la solvabilité d'un émetteur ou sur la qualité d'une émission de titres, de la plus forte à la plus faible, au sein du référentiel global du risque de crédit. La probabilité de défaut est l'élément primordial de notre analyse de solvabilité.

Ainsi, Standard and Poor's considère qu'une obligation notée AA possède une meilleure qualité de crédit qu'une obligation notée BBB. Pour autant, la notation AA ne garantit aucunement l'absence de défaut mais représente, seulement, sur le fondement de notre opinion, une moindre probabilité de défaut qu'une notation BBB. »

Source: site internet de Standard and Poor's

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Les limites à l'utilisation des notations 69 ( * )

« Bien que les notations puissent être utilisées par les autorités bancaires pour classer des actifs dans le cadre de la procédure d'évaluation bancaire, les notations de Moody's ne sont pas conçues avec ces procédures à l'esprit.

Le jugement de Moody's quant à l'opportunité pour une banque d'investir ou non dans une obligation n'est pas contenu dans les notations de Moody's. »

Source: site internet de Moody's ---------------------------------------------------------------------------

Comprendre les notations de crédit - Limites et précautions d'usage 70 ( * )

« Les notations sont des mesures relatives du risque ; par conséquent, le fait de noter des entités ou des obligations dans une même catégorie peut ne pas refléter les légères différences dans le degré de risque. La notation de crédit, en tant qu'opinion sur un classement relatif de probabilité de défaut, n'implique ni ne fournit un indicateur de la probabilité statistique de faire défaut, malgré les historiques de défaut publiés par l'agence qui peuvent être mesurés au regard des notations au moment du défaut. Les notations sont des opinions sur une qualité relative de crédit et non une mesure prédictive de la probabilité de défaut spécifique. »

Source: site internet de Fitch

La dépendance réglementaire aux agences de notation a eu une conséquence majeure pour l'ensemble des acteurs des marchés obligataires.

Les investisseurs ont été forcés de se référer aux notations, sous peine de se retrouver avec des titres délaissés et dont le potentiel boursier devenait très limité, voire perdait même toute attractivité. L'enquête 71 ( * ) réalisée par l'IFOP pour le Sénat auprès des investisseurs professionnels (français) sur la confiance portée aux agences de notation montre que 18 % d'entre eux sont obligés d'acheter des titres ayant reçu une certaine note par une règlementation externe .


* 60 Ainsi, à titre d'exemple, on peut citer :

- l'adoption en 1982 par la SEC d'une procédure d'enregistrement simplifiée pour les obligations notées au minimum BBB par une agence « NRSRO » ;

- la règle 2a-7 de l'Investment Company Act, adoptée en 1991, qui limite les investissements à court terme des fonds monétaires dans des instruments bénéficiant d'une notation supérieure à A1 octroyée par un NRSRO ;

- la règle 3a-7 de l'Investment Company Act, adoptée en 1992, qui accorde une exemption d'enregistrement pour les produits titrisés « Asset Backed Securities » (ABS) bénéficiant d'une notation supérieure à BBB.

* 61 Le risque de marché est le risque lié à la variation du prix des titres financiers sur le marché. Il peut s'agir de la chute d'un cours de Bourse ou encore d'une hausse des taux d'intérêts qui renchérit le coût des obligations.

* 62 La Banque de France, la Coface, DBRS, Fitch Ratings, Japan Credit Rating Agency, Moody's et Standard and Poor's.

* 63 Le règlement européen sur les fonds propres bancaires, transposant les normes de « Bâle III », en cours de discussion au premier semestre 2012, prévoit que, désormais, toutes les agences enregistrées dans l'Union européenne seront « OEEC ».

* 64 A cette fin, le Comité de Bâle a publié un guide méthodologique « de transposition », permettant d'apprécier, pour un « OEEC » donné le taux de défaut cumulé sur trois ans d'un ensemble d'émissions de même notation et de le comparer aux taux historiques de défauts agrégés pour les évaluations de crédit considérées comme de même niveau de risque.

* 65 Le Conseil de stabilité financière, succédant au Forum de stabilité financière, regroupe des représentants des banques centrales, des régulateurs boursiers ainsi que des Trésors des pays membres du G 20 et des principales places financières internationales (notamment Hong-Kong et Singapour). D'autres organisations internationales, telles que le Comité de Bâle, sont associés à ses travaux.

* 66 Audition devant la mission commune d'information du Sénat le 27 mars 2012.

* 67 Cf. « How and why Credit rating Agencies are not like other gatekeepers», mai 2006, Université de San Diego.

* 68 «Since there are future events and developments that cannot be foreseen, the assignment of credit ratings is not an exact science. For this reason, Standard and Poor's ratings opinions are not intended as guarantees of credit quality or as exact measures of the probability that a particular issuer or particular debt issue will default.Instead, ratings express relative opinions about the creditworthiness of an issuer or credit quality of an individual debt issue, from strongest to weakest, within a universe of credit risk. The likelihood of default is the single most important factor in our assessment of creditworthiness. For example, a corporate bond that is rated `AA' is viewed by Standard and Poor's as having a higher credit quality than a corporate bond with a `BBB' rating. But the `AA' rating isn't a guarantee that it will not default, only that, in our opinion, it is less likely to default than the `BBB' bond.»

* 69 «Though ratings may be used by the banking authorities to classify bonds in their bank examination procedure, Moody's ratings are not made with these bank regulations in mind. Moody's Investors Service's own judgement as to the desirability or non-desirability of a bond for bank investment purposes is not indicated by Moody's ratings.»

* 70 «Ratings are relative measures of risk; as a result, the assignment of ratings in the same category to entities and obligations may not fully reflect small differences in the degrees of risk. Credit ratings, as opinions on relative ranking of vulnerability to default, do not imply or convey a specific statistical probability of default, notwithstanding the agency's published default histories that may be measured against ratings at the time of default. Credit ratings are opinions on relative credit quality and not a predictive measure of specific default probability.»

* 71 Échantillon de 352 investisseurs professionnels, utilisant les agences de notation dans le cadre de leur activité, représentatif des entreprises du secteur financier et de l'assurance concernés par les notes des agences. Méthode des quotas.

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