EXAMEN PAR LA COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie, le jeudi 23 novembre 2017, pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet, président, et Franck Menonville, le débat suivant s'est engagé :
M. André Gattolin. - La question des investissements directs étrangers dans l'Union européenne est un sujet essentiel. La Commission européenne a fait montre d'une bonne réactivité, à la hauteur des enjeux mais la réponse n'est pas encore tout à fait calibrée à cette hauteur. La Commission va émettre des avis mais le pays concerné ne sera pas tenu de les suivre ! On peut s'inquiéter quand on voit que l'Irlande ne réclame pas aux GAFA les impôts qu'ils lui doivent.
Que définit-on comme des États étrangers ? Les États membres de l'Espace économique européen, qui investissement des sommes considérables dans l'Union européenne - 875 milliards d'euros, soit plus de 5 % du CAC 40 français - sont plutôt des partenaires que des États étrangers. Par ailleurs, quelle sera la situation des investissements réalisés par le Royaume-Uni après le Brexit ?
Cette question des investissements directs étrangers ne relève pas d'une démarche protectionniste mais d'une régulation fondée sur la réciprocité. Je rappelle que je m'étais élevé contre la reconnaissance du statut d'économie de marché à la Chine, position qui a d'abord été fortement critiquée avant d'être finalement retenue. Je me réjouis qu'on ne l'ait pas accordée quand je vois la crise de l'acier. J'attire également l'attention sur le détournement par la Chine du programme européen « Tout sauf les armes » qui a éliminé les contingents et droits de douane pour la totalité des produits importés des pays les plus pauvres et dont bénéficie par exemple le Cambodge. Les entreprises chinoises en profitent, avec une main-d'oeuvre moins chère, pour exporter vers l'Europe des quantités considérables de produits textiles - ceux-ci représentent 74 % des exportations du Cambodge - à travers des investissements massifs dans ce pays dont on peut douter que celui-ci tire un véritable bénéfice. Il est devenu impératif de se préoccuper de toutes ces pratiques qui sont très dommageables pour l'économie européenne.
Mme Colette Mélot. - Il faut mieux défendre nos intérêts. La marge de manoeuvre est étroite et il ne faut pas que ce soit au détriment de la croissance. Il faut également éviter que certains États européens - les plus libéraux - soient moins regardants, au détriment des autres qui ne bénéficieraient alors plus de ces investissements. La Commission européenne sera-t-elle en mesure de réguler les choses en la matière ?
M. Yannick Botrel. - L'Europe doit se protéger dans le domaine économique. Lors d'élections récentes, les opinions publiques ont manifesté leur défiance à l'égard d'une Europe passoire. Il est donc important de répondre à ce besoin de sécurité et d'avancer dans cette direction. D'autres pays, comme les États-Unis, sont infiniment moins naïfs : il suffit de voir le montant des amendes infligées. La situation actuelle est caractérisée par un déséquilibre résultant notamment de l'absence de réciprocité. Vous avez évoqué des domaines stratégiques, cela me paraît vital. Certaines entreprises ne présentent pas un caractère stratégique évident alors même que leur rachat emporte des délocalisations, voire leur disparition. L'Europe devrait aller au-delà pour répondre aux préoccupations des opinions publiques.
M. Jean-Yves Leconte. - La protection de la sécurité et de l'ordre public justifie les inquiétudes que soulèvent certains investissements. Le marché européen est très ouvert et doit le rester. Il faut que l'Union européenne puisse continuer à investir hors d'Europe pour assurer sa croissance.
La protection des innovations européennes est insuffisante. À cet égard, l'évolution de la pratique de l'Office européen des brevets (OEB) apparaît inquiétante : parce qu'elles assurent des rentrées financières plus élevées, les demandes d'enregistrement de brevets introduites par les grandes entreprises étrangères sont traitées par priorité par rapport à celles des entreprises européennes dont les inventions sont donc protégées avec retard. L'office privilégie ainsi son chiffre d'affaires à court terme plutôt que la protection de l'innovation européenne qui devrait être prioritaire.
Mme Laurence Harribey. - Les enjeux sont importants. Ce projet de règlement est révélateur de l'absence de stratégie européenne et d'une politique de concurrence qui s'est enfermée sur elle-même alors que priorité aurait dû être donnée à la création de champions européens. L'Union européenne fonctionne en la matière comme une maison dont les chambres ne communiquent pas entre elles mais qui laisse entrer comme elles veulent les souris venues de l'extérieur ! Le projet de règlement reste sur une vision très défensive et pas offensive. Il est dès lors d'autant plus urgent et pertinent de travailler sur la stratégie industrielle européenne.
M. René Danesi. - La proposition de résolution européenne rappelle dans son point 9 que l'Union européenne ne prend pas suffisamment en compte ses intérêts stratégiques en s'opposant à la création de géants européens en raison du risque de monopole sur le marché européen qui en résulterait, position qui a facilité la prise de contrôle d'entreprises européennes par des investisseurs étrangers.
M. Didier Marie. - La question est très sensible. Il faut favoriser une Union européenne ouverte mais pas à tous vents. Il est en outre crucial de lutter contre le protectionnisme des autres marchés et de multiplier les partenariats amicaux. Enfin il faut veiller aux intérêts stratégiques, voire au-delà. La définition de ces intérêts est trop limitative. Elle ne comprend par exemple pas l'acquisition de terres agricoles comme nous en connaissons en France : 9 000 hectares ont ainsi été achetés cette semaine par des investisseurs chinois dans l'Allier. Il en est de même en matière de nanotechnologies : il faut regarder les conséquences de l'acquisition de bases de données par des investisseurs étrangers. La proposition de règlement va permettre d'avancer mais il est urgent de définir une stratégie globale. L'Union européenne doit être ouverte mais prudente.
M. André Reichardt. - La définition des intérêts stratégique est délicate à réaliser. Je préside une agence de promotion des investissements étrangers en Alsace. Le métier de chasseur d'investissements étrangers a bien changé. Je prendrai l'exemple de l'Alsace qui est bien placée et qui apparaît très attractive mais sans que l'on sache toujours les raisons personnelles pour lesquelles un investisseur est intéressé par une entreprise. Certains cherchent parfois à s'approprier une innovation que nous n'avions pas identifiée et ont effectué à cet effet des recherches préalables sur l'ensemble du territoire, en particulier auprès de start-up que je découvre grâce à eux. Il faut donc à la fois être les meilleurs pour attirer les investissements étrangers dont nous avons besoin et savoir protéger l'innovation. Cette démarche exige une bonne définition des intérêts stratégiques. C'est ainsi que la parapharmacie concentre actuellement beaucoup d'intérêts.
M. Daniel Gremillet. - La politique court derrière la finance. Le texte proposé est a minima alors que le Brexit a déclenché une alarme : nos opinions publiques s'inquiètent de l'absence de politique industrielle européenne et de la timidité de l'Union européenne à l'égard du non-respect du principe de libre concurrence. Nous avons eu l'occasion de l'évoquer la semaine dernière lors de l'audition de Michel Barnier : quelle Europe, quelle économie voulons-nous, telle est la vraie question. J'ai le sentiment profond d'une vraie faiblesse politique dans l'approche européenne.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie pour la qualité de vos réactions. Ce rapport d'information arrive à point nommé. C'est l'image de l'Europe qui est en jeu. Il est essentiel que l'Union européenne ait une vision offensive face à la mondialisation et adopte une posture stratégique. Lors d'un entretien avec le président du Sénat auquel j'ai participé, Michel Barnier a insisté sur la position du secrétaire d'État américain au commerce qui invite le Royaume-Uni à se ranger aux normes américaines plutôt qu'à celles de l'Union européenne. C'est directement attaquer nos préférences collectives.
Construire une vision plus politique de l'Europe doit être la ligne de conduite de la refondation de l'Union européenne. Il faut promouvoir une Europe puissance plutôt qu'une Europe espace.
Quelques éléments de précision. L'évolution de la pratique de l'Office européen des brevets est préoccupante : il conviendrait que notre groupe de travail sur la propriété intellectuelle entende rapidement son président. Les États de l'Espace économique européen sont des pays tiers au regard des investissements directs étrangers. Ils ne doivent pas devenir des chevaux de Troie. La proposition de règlement apporte une réponse calibrée. Celui-ci s'appliquera directement à tous les États membres, sans qu'il soit besoin d'une transposition. La négociation préalable à son adoption va être difficile et je vais insister la semaine prochaine auprès de mon homologue bulgare de la COSAC pour que la Bulgarie en fasse une priorité de sa présidence. Quant à la définition des intérêts stratégiques, elle doit être précise et évolutive car il y a des domaines encore inconnus ou qui ne sont pour le moment pas matures.
M. Franck Menonville. - La proposition de règlement constitue une première étape et marque une prise de conscience de la part des pays européens. Il faut faire évoluer les contours de la définition des intérêts stratégiques.
Sur la situation particulière des investissements agricoles et fonciers, ce sont des questions essentielles qui sont en jeu, en particulier l'indépendance alimentaire et agroalimentaire qui doit être intégrée dans les intérêts stratégiques.
M. Jean Bizet, président. - Sur le foncier agricole, il faut savoir que la Chine a besoin de superficies considérables pour assurer la couverture de ses besoins alimentaires. Elle n'hésite d'ailleurs pas à acheter des terres en Afrique dont elle prélève la couche supérieure.
M. Didier Marie. - La proposition de résolution européenne pourrait évoquer la question de la définition des intérêts stratégiques.
M. Jean Bizet, président. - Je vous propose de compléter à cette fin le point 17 par les mots suivants : « souligne la nécessité d'une définition évolutive des intérêts stratégiques européens ».
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information et adopté la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne .
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