EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 13 décembre 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Jean-François Rapin, le débat suivant s'est engagé :
M. Jean Bizet , président . - C'est un sujet complexe et touffu, sur lequel notre commission doit jouer le rôle de vigilance vis-à-vis de la sur-transposition qui lui a été confié par notre conférence des présidents.
M. René Danesi . - Merci pour ce travail, d'autant plus méritoire qu'il ne porte pas sur un sujet captivant pour le grand public : aucun journal n'y consacrera le moindre entrefilet...
Vous relevez à juste titre la généralisation des transpositions par voie d'ordonnance, sans contrôle véritable par le Parlement. L'article 38 de notre Constitution précise en effet que, lorsque le Gouvernement a reçu délégation de pouvoir législatif, il n'a qu'à déposer le projet de loi de ratification de l'ordonnance sur le bureau de l'une des deux chambres - et il le fait régulièrement sur le bureau du Sénat, qui est permanent. C'est ainsi que le Parlement reçoit chaque année une trentaine de textes de ce type, qui ne sont jamais inscrits à l'ordre du jour. Si l'on pense que le Parlement vote, chaque année, une cinquantaine de lois, on voit qu'on risque un jour de voir le nombre des ordonnances, non contrôlées par le Parlement, dépasser celui des lois. Aussi proposerai-je au Président du Sénat, si la révision constitutionnelle doit se faire, de modifier cet article 38 pour faire en sorte que les ordonnances soient effectivement discutées. Certes, les plus importantes sur le plan politique le sont. Mais celles qui sont techniques ne le sont pas, or ce sont souvent celles qui empoisonnent la vie des entreprises et des communes. D'ailleurs, au cours des semaines de contrôle, nous ne débattons jamais des ordonnances. Paradoxal. C'est comme si, à la fin de la construction d'une maison, on se contentait de vérifier la couleur des fenêtres !
Vous avez aussi relevé à juste titre que le Gouvernement n'a pas su résister à la tentation de faire un peu de sur-transposition, ou des transpositions a minima . On ne se débarrasse pas si vite de mauvaises habitudes, surtout lorsqu'elles sont vieilles de plusieurs dizaines d'années - sans compter qu'il y a des intérêts économiques qui font les couloirs des ministères. Allez-vous déposer des amendements ? Je les signerais les yeux fermés.
M. Pascal Allizard . - Merci pour ce rapport sur un sujet complexe, auquel je me suis attelé il y a quelque temps à la demande de notre président. Je partage les remarques qui viennent d'être faites.
Si la problématique de l'alignement des seuils de contrôle légal des comptes sur l'Allemagne pour les petites entreprises ne doit pas être négligée, celle des flux intra-groupe est extrêmement importante. Certains groupes ont mis en place des business models autour de management fees permettant de sortir des profits dans des entités de gestion situées dans des pays moins fiscalisés. Même si je suis contre la sur-transposition, il y a des intérêts stratégiques sur lesquels il faut être vigilant.
Le ministère de l'économie veille sur les activités stratégiques dans les domaines militaire et spatial. Mais la fiscalité européenne intégrée pour les sociétés n'existe pas et n'est pas prêt d'exister. Nous ne devons donc pas nous tirer une balle dans le pied : ce serait mauvais pour le budget du pays et ce ne serait pas compris par la population.
M. Cyril Pellevat . - En 2010, une mission parlementaire avait été menée sur la politique transfrontalière par Marie Thérèse Sanchez Schmid, députée européenne, Etienne Blanc, député français et notre collègue Fabienne Keller. Le rapport, intitulé « Les frontières, territoires de fractures, territoires de coutures... » donnait des chiffres : 3 000 kilomètres de frontières, 16 régions et 28 départements impactés. En Haute-Savoie, nous avions été très intéressés car nous avons 100 000 frontaliers, soit 25 % de la population active. Résultat : coût de la vie en hausse, difficulté de recrutement pour les entreprises, etc. Ce rapport avait formulé des préconisations, comme de créer des zones au statut différent, un peu comme les zones franches, où la fiscalité d'entreprise se rapprocherait de celle de la Suisse. Cela équilibrerait les flux. Notre commission pourrait-elle reprendre ces propositions à l'occasion de la loi Pacte ? Près de 10 millions de personnes habitent à proximité d'une frontière.
M. Jean-François Rapin , rapporteur . - Le projet de loi prévoit la ratification de plus de vingt ordonnances, dont dix sont liées à la transposition.
M. Jean Bizet , président . - Une ordonnance non ratifiée a valeur réglementaire, certes, mais peut être contestée devant la juridiction administrative. Il vaut donc mieux pour le Gouvernement que ses ordonnances fassent l'objet d'une ratification.
M. Jean-François Rapin , rapporteur . - En effet, certaines stratégies économiques de grands groupes ne sont pas toujours lisibles. Il faudra une vigilance renforcée sur ce sujet. Le projet de loi met en place un audit groupe qui s'impose dès lors que les effectifs, chiffres d'affaires et total de bilan consolidés excèdent les seuils d'audit.
Les questions liées aux transfrontaliers sont multiples et nécessitent une réflexion beaucoup plus profonde, sur la fiscalité des bâtiments industriels par exemple, car celle-ci pénalise les ateliers installés de notre côté de la frontière.
Enfin, je rappelle que la commission des affaires européennes n'a pas à déposer d'amendements sur ce texte, mais à formuler des observations à l'intention de la commission spéciale.
M. Jean Bizet , président . - Vos remarques lui seront transmises, et le débat aura lieu en séance fin janvier.
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À l'issue de ce débat, la commission a, à l'unanimité, autorisé la publication du rapport d'information et adopté les observations dans la rédaction suivante :