II. LA MÉCANIQUE DES CRISES FINANCIÈRES

Comme le corps humain ne peut vivre si la circulation du sang s'arrête, la nouvelle économie moderne ne peut fonctionner si le circuit financier des créances se bloque au niveau bancaire.

Autrement dit, si les banques ne peuvent plus faire face aux demandes de remboursement de leur passif (dépôts et dettes) , soit parce qu'elles manquent de fonds propres, soit parce qu'elles ne peuvent mobiliser (vendre) leurs actifs à temps ou à un prix suffisant, la défiance s'installe sur leur fiabilité et le circuit interbancaire reliant l'ensemble du système se bloque.

Pour l'éviter, il suffit de croire à l'impossibilité d'une telle situation. D'où l'importance de la transparence des opérations bancaires et des acteurs financiers avec lesquels elles sont en relations d'affaires.

Une crise 39 ( * ) commence par une crise de liquidité : l'impossibilité temporaire de transformer une partie suffisante des actifs en monnaie banque centrale pour faire face aux demandes de remboursement des engagements inscrits au passif. La fourniture de cette liquidité par la banque centrale en contrepartie de ces créances permet généralement de restaurer la confiance et de remettre en marche la « pompe à phynance » pour parler comme le père Ubu.

Quand cette impossibilité temporaire de faire face à ses engagements devient permanente, du fait de l'insuffisance de fonds propres, de la faible liquidité des actifs ou parce qu'ils sont invendables, la crise de liquidité devient crise de solvabilité .

Si la ou les banques ne sont pas recapitalisées (rachat par une autre banque ou nationalisation), elles font faillite (résolution), lésant les déposants et les autres créanciers.

C'est ce qui s'est passé en 2008, le krach débutant par une crise de liquidité pour s'achever en crise de solvabilité.

La crise de liquidité a alors été rapidement réglée par l'intervention massive des banques centrales (Fed, BCE, Banque d'Angleterre, etc.).

À noter, cependant ce point est généralement oublié, le rôle tout particulier de la Fed qui non seulement a fourni massivement du dollar aux USA mais aux autres banques centrales, pour permettre aux banques de leur ressort de faire face à leurs obligations considérables en dollar.

12 000 Md$ ont été ainsi fournis par la Fed aux autres banques centrales - dont 10 000 Md$ à la BCE - dans le cadre d'accords de lignes de crédit réciproques ( swap de devises).

Ainsi, ce qui n'est pas banal, relève Adam Tooze, « la Fed autorise un groupe de banques centrales triées sur le volet à créer des crédits en dollars à la demande... »

L'apport de liquidités de la Fed est spectaculaire, historique et d'une importance durable. Presque tous les spécialistes s'accordent à dire que les lignes de swap qui ont permis à la Fed d'injecter des dollars dans l'économie mondiale sont sans doute l'innovation décisive de la crise. Mais le grand public ignore pour ainsi dire leur existence » 40 ( * ) .

À noter qu'en 2018, les échanges (exportations plus importations) de la zone euro ont été réalisés à 45 % en dollars contre 41 % seulement en euros.

Si la lutte contre la crise de solvabilité sera rondement menée aux USA (et au Royaume-Uni) par le Gouvernement, la Fed (Banque d'Angleterre) et les autorités financières qui ont rapidement diagnostiqué le problème, elle interviendra d'abord en ordre dispersé, par chaque État, dans la zone euro, la BCE et Jean-Claude Trichet tardant à comprendre que l'on avait quitté la zone bien balisée de la crise de liquidité.


* 39 En fait, les choses peuvent, comme ce fut le cas en 2008, aller très vite et rapidement la crise de solvabilité se superposer à la crise de liquidité, laissant croire qu'il suffit d'injecter de la monnaie banque centrale pour régler le problème, alors qu'il faut aussi recapitaliser les banques concernées ou les vendre à une plus grosse, susceptible de faire face à son passif.

* 40 Adam Tooze, Crashed, Les belles lettres.

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