C. LA QUESTION DU SERVICE PUBLIC

Les métropoles et les grandes villes mises à part, la question du service public est celle qui aujourd'hui préoccupe toutes les collectivités.

À des degrés divers et pour des services différents - les villes moyennes étant surtout préoccupées par leur liaisons ferroviaires, aériennes, l'accès au haut débit numérique, et les communes rurales par l'urgence que représentent les services de proximité (écoles et établissements secondaires, poste, présence médicale, hôpitaux, etc.). (voir annexe 2 de cette partie)

Le grand déménagement des services publics a coïncidé avec la fin des années 1990 et la mise en fonctionnement de la zone euro. Entorse au règne de la concurrence libre et non faussée, d'abord tolérés durant une période de transition comme une concession à des idiosyncrasies locales, ils connaîtront un lent déclin, en phase avec celui du budget de l'État.

Le problème c'est que si dans les zones denses, des services marchands lucratifs ont pu remplacer le service public, ce n'est pas le cas dans les zones rurales, voire dans les petites villes.

L'un des meilleurs exemples est probablement celui de la téléphonie mobile où les opérateurs titulaires d'un droit d'utilisation du domaine public hertzien trainent les pieds pour équiper les territoires.

Si on ajoute l'idée saugrenue d'organiser la concurrence entre des entreprises devant utiliser un réseau commun (ferroviaire, électrique, téléphonique, hertzien dans les zones peu denses) on aura une idée assez bonne de la situation !

C'est dans ce contexte qu'on entend régler la question de l'accès au service public en zone rurale par des « maisons du service public » largement financées par les collectivités et par la dématérialisation.

L'accueil de la dématérialisation n'est déjà pas garanti lorsqu'on dispose d'un réseau de qualité, lorsqu'il fonctionne de manière aléatoire, il l'est encore moins.

Le déploiement du réseau de télévision en mode analogique puis le passage à la TNT, suivi de celui à la haute définition demandèrent d'ailleurs la contribution des collectivités pour supprimer les zones d'ombre.

On n'en finirait pas de décliner la liste des services publics en voie de dégradation.

S'agissant des services de proximité, les communes rurales sont évidemment les premières concernées.

Source : « 36 000 communes », mars 2019, d'après « Services publics et territoires » PUF 2017

Ce tableau montre l'évolution entre 1980 et 2013 de la présence réelle des principaux services publics dans les communes rurales.

À noter que depuis 2013, le mouvement, en particulier la fermeture des perceptions et des maternités, s'est accéléré.

Non seulement la présence de ces services s'est raréfiée mais leur qualité s'est dégradée.

La grande spécialité de La Poste, notamment, c'est de diminuer régulièrement les jours et les heures d'ouverture des bureaux, ou s'agissant des guichets automatiques de banque, quand ils existent, de les réparer avec retard pour mieux constater que leur fréquentation ne justifie plus leur présence.

Autre technique de La Poste et d'autres opérateurs : sous-traiter les services aux collectivités (agences postales) ou à des commerçants (points Poste). Ainsi, La Poste peut afficher n'avoir pas réduit le nombre de ses « points de contact ». C'est seulement le service qui est réduit ou assuré par d'autres en mode allégé.

Comme le montre la carte ci-dessous, toute la France rurale subit cette inégalité d'accès aux services publics qui, à mesure que l'État se désengage, va grandissant, les services marchands étant peu enclins à les remplacer.

Pire, la concentration de la distribution commerciale et la réorganisation des circuits, conjuguée au changement des habitudes alimentaires, font que même les petits commerces de détail (épiceries, boucheries) disparaissent.

À noter que les conditions de vie dégradées dans certaines zones de banlieue ont entraîné un retrait comparable des services publics et marchands.

À un autre niveau, le même problème est rencontré par les communes moyennes en matière de transports ferroviaires ou aériens.

Quand une gare existe, les trains, et plus encore les TGV, s'y arrêtent de plus en plus rarement ou sont simplement supprimés, comme beaucoup de trains express et de trains de nuit autrefois utilisés pour désenclaver les villes petites ou moyennes. Quand ils subsistent - cas du Briançon, Gap, Paris - c'est sous une forme dégradée.

Les cas d'Aurillac (voir annexe) ou de Montluçon, parmi tant d'autres, sont emblématiques.

Ainsi, la principale commune de l'Allier est située à 183 kilomètres à vol d'oiseau de Lyon, sa nouvelle capitale régionale mais à trois heures et demie par le train, avec un changement impératif.

Dans les années 1980, il y avait de six à huit liaisons quotidiennes directes entre Montluçon et Paris. Il n'y en a plus que deux 217 ( * ) .

Cette situation est d'autant plus regrettable que le maillage de la desserte aérienne des villes moyennes enclavées est très lâche (voir carte).

De plus, si les lignes aériennes doivent être financées par les collectivités, quand elles existent sur le papier, on n'est jamais sûr, notamment en hiver, que les avions partiront.

INSEE Première, janvier 2016

Manque à ce tableau édifiant l'évolution tout à fait paradoxale du système de santé en France.

Constatons d'abord qu'en la matière l'État, au nom de la sécurité, « donne le la » : entre 1996 et 2016, une maternité sur trois a été fermée. Entre 2013 et 2017, 95 hôpitaux publics de proximité l'ont été, soit une baisse du nombre de ces sites de 7 % en 4 ans. Les grèves récurrentes des hospitaliers sont le signe lancinant du malaise qui en résulte.

S'agissant des cliniques privées, la baisse se limite à 2 %.

Côté médecine libérale, malgré ce qu'on a pu dire des méfaits du numerus clausus , il n'y a jamais eu autant de médecins en France 218 ( * ) , jamais la consommation de soins et de bien médicaux n'a été aussi importante, ces dépenses font l'objet à 85 % d'une prise en charge collective et, les revenus des praticiens suivent le mouvement.

Parallèlement les files d'attentes pour accéder à certaines spécialités s'allongent, partout les urgences sont au bord de l'implosion et la démographie médicale de certains départements, des zones rurales et de certains secteurs urbains atteint la cote d'alerte.

La permanence des soins en zone rurale, y compris pour les EHPAD, n'y est plus assurée, même dans des départements - comme le Var - où la démographie médicale globalement se porte bien.

Et la dérive s'accélère. En 2017, 148 cantons, soit l'équivalent d'une région moyenne, ne disposaient pas d'un médecin généraliste contre 91 en 2010, 511 n'avaient pas de dentiste.

Au total, 3,9 millions de Français vivent dans des territoires dont la situation est alarmante (Le Monde, 31 mars 2017).

Sur la période 2007-2016, 86 départements ont vu leur densité médicale (spécialistes et généralistes confondus) baisser (-20,2 % pour le Gers).

Toutes les mesures incitatives (notamment financières) censées faciliter le remplacement des médecins partant à la retraite, la création de « maisons de santé » sont très loin d'avoir réglé le problème, lequel ne peut l'être qu'à deux conditions :

- que l'État cesse de fermer les hôpitaux et les maternités dits « de proximité », de réduire leurs moyens et leurs effectifs ;

- que la prise en charge par la collectivité de l'essentiel de la formation des praticiens - qui ailleurs, comme aux USA, est payante -, des médicaments et des soins s'accompagne d'une contrepartie de service public (gardes, possibilité d'installation) pour les praticiens qui en bénéficient.

Autant dire que ce n'est pas pour demain qu'un gouvernement libéral prendra ce risque politique.

Constatons enfin que la même disparité d'installation s'observe pour les pharmacies, ce qu'un récent conseil des ministres reconnaît en termes choisis :

« Malgré une bonne accessibilité, il existe actuellement des disparités sur le territoire, notamment entre les zones fortement urbanisées, où l'on observe une surdensité officinale, et les zones rurales ou isolées, où l'accès aux officines est moins aisé pour la population » (compte-rendu du conseil des ministres du 3 janvier 2018).

Mais là aussi, la solution n'est pas pour demain.

Comment s'étonner que « le bon peuple », se soit mis à douter de ses dirigeants et du système en place !


* 217 Le Monde diplomatique, mai 2018.

* 218 En 1979, la France comptait 112 066 médecins, 216 145 en 2011 et 285 840 en 2017 soit une multiplication par 2,6. Dans le même temps la population augmentait de 21,7 % seulement.

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