III. DES INÉGALITÉS FACE À L'ALIMENTATION
A. L'ALIMENTATION RESTE UN PUISSANT MARQUEUR SOCIAL
1. Les différences sociales d'alimentation restent fortes
Après la guerre et jusqu'aux années 1980, la « moyennisation » de la société française, qui a affecté les modes de vie de façon générale, a conduit en particulier à une certaine homogénéisation des pratiques alimentaires. L'élévation du niveau de revenu des classes moyennes et populaires et la baisse du prix relatif des produits agricoles du fait des gains de productivité agricoles ont permis la diffusion de certains des traits du modèle alimentaire des classes sociales supérieures, notamment un régime fortement carné, l'accès de tous à une plus grande diversité de produits alimentaires ou encore l'augmentation de la part des produits transformés par l'industrie dans le panier alimentaire.
Bien que réel et mesurable, ce rapprochement des régimes alimentaires n'a pas empêché la persistance de fortes différences et même d'inégalités dans les comportements alimentaires. On observe une persistance de différences régionales en ce qui concerne la consommation de fruits, de légumes, de beurre ou de charcuteries - aliments faisant l'objet de recommandations nutritionnelles.
On observe également que certains produits alimentaires sont restés des marqueurs sociaux. Les fruits et légumes, ainsi que le poisson sont surconsommés par les classes supérieures. Dans les ménages du dernier quintile, la consommation individuelle de ces aliments est supérieure de, respectivement, +50 %, +30 % et +100 % par rapport à celle observée dans les ménages du premier quintile de revenu. Inversement, la consommation de pommes de terre, de féculents et de charcuteries reste plus marquée dans les classes populaires.
2. L'apparition de nouveaux marqueurs sociaux de l'alimentation
Nous l'avons déjà signalé : depuis une trentaine d'années, les classes sociales les plus aisées et les plus diplômées sont engagées dans un processus de redéfinition du bien manger qui intègre des préoccupations liées à la santé, à l'environnement, au bien-être animal, etc. Cela les conduit à privilégier de plus en plus des pratiques alimentaires axées sur les valeurs de modération et de contrôle (ne pas trop manger de façon générale, ne pas trop consommer de certains aliments comme les graisses, le sucre, la viande...), ainsi que de naturalité et de qualité (ce qui conduit à privilégier les produits labellisés, le bio, le peu ou pas transformé). Ces catégories sociales ont désormais une consommation de viande plus faible que celle des ouvriers. On constate aussi une inversion sociale pour les boissons sucrées (sirops, sodas), qui sont aujourd'hui privilégiées par les personnes de faible niveau de revenu, ainsi que pour les produits transformés : c'est désormais dans les ménages les plus modestes que leur part est la plus forte, la consommation de produits frais étant devenue le marqueur d'une position sociale plus élevée 49 ( * ) .
3. Des différences de régimes alimentaires aux lourdes conséquences en matière de santé
Les différences sociales en matière d'alimentation pourraient n'être que des différences de styles ou de cultures. Toutefois, elles ne sont pas neutres sur le plan nutritionnel. Les habitudes de consommation des ménages du haut de l'échelle sociale correspondent mieux aux recommandations. Inversement, les aliments déconseillés pour la santé, comme les viandes grasses ou les boissons sucrées sont surconsommés dans les milieux modestes. Les personnes des classes élevées ont également une alimentation moins calorique.
Ces différences expliquent l'existence d'un véritable « gradient social de l'obésité ». Le taux d'obésité est en effet fortement décroissant en fonction du niveau social, comme l'illustre le graphique suivant. Il est à noter que ces inégalités sociales face à l'obésité s'installent dès l'enfance : le taux d'obésité est par exemple quatre fois plus haut parmi les enfants d'ouvriers que parmi les enfants de cadres, selon l'enquête Esteban 2015.
* 49 Les différences sociales en matière d'alimentation, Centre d'étude prospective, n° 64, octobre 2013