II. UN CONTRÔLE DES CONCESSIONS FORTEMENT RENFORCÉ GRÂCE À L'AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TRANSPORTS

Les rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence de 2013 et 2014 avaient tous les deux identifié la nécessité de créer une instance indépendante de régulation des concessions autoroutières afin de rééquilibrer les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA).

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dite « loi Macron » ) a été l'occasion pour le législateur de s'emparer de ce sujet en étendant au secteur autoroutier concédé, à compter du 1 er février 2016 , le champ d'intervention de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) 241 ( * ) , renommée Autorité de régulation des transports (ART) en 2019 242 ( * )

A. DES POUVOIRS DE RÉGULATION ÉCONOMIQUE DES CONCESSIONS AUTOROUTIÈRES TRÈS SIGNIFICATIFS

L'ART intervient dans trois des domaines dans lesquels tant la Cour des comptes que l'Autorité de la concurrence avaient pointé les faiblesses de l'État concédant :

- la régulation des tarifs de péage ;

- le contrôle des procédures de passation et d'exécution des marchés de travaux, fournitures et services des concessionnaires ;

- le contrôle des procédures de passation des contrats d'exploitation des installations annexes sur les aires de services (restauration, boutique, hôtellerie et distribution de carburants).

Si les interventions de l'ART demeurent perfectibles sur certains points, l'ensemble des acteurs interrogés par la commission d'enquête se sont accordés pour dire qu'il existait « un avant » et « un après » l'intervention de ce nouveau régulateur qui contraint les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) à devoir faire preuve de beaucoup plus de transparence .

1. Des avis en amont de la signature de nouveaux contrats de concession ou d'avenants

L'article L. 122-7 du code de la voirie routière prévoit désormais que l'ART veille au bon fonctionnement du régime des tarifs de péage autoroutier . Cette mission essentielle la conduit à se prononcer sur les nouveaux contrats de concessions autoroutières et sur les avenants aux contrats existants , mais également à mener des travaux d'analyse approfondis sur le modèle économique des concessions autoroutières afin de renforcer la transparence sur un secteur dont le modèle économique est mal compris et suscite beaucoup de suspicion .

a) Une analyse approfondie de l'équilibre économique des avenants et des nouveaux contrats de concession

En vertu de l'article L. 122-8 du code de la voirie routière, l'ART formule un avis simple au ministre chargé de la voirie routière nationale et au ministre chargé de l'économie sur les projets de contrats de concession et leurs avenants lorsque ces derniers ont une incidence sur les tarifs de péage ou sur la durée de la concession , qui sont les deux façons pour l'État d'assurer la rémunération du concessionnaire lorsqu'il lui demande des investissements supplémentaires.

Les avenants aux contrats de concession existants font l'objet de négociations entre l'État, représenté par la sous-direction de la gestion et du contrôle du réseau autoroutier concédé de la DGITM du ministère chargé des transports et le ministère chargé de l'économie, d'une part, et les sociétés concessionnaires, d'autre part. L'attribution des nouvelles concessions, à l'issue d'un appel d'offres, est pilotée par le département des partenariats public-privé.

(1) Un avis simple sur les projets d'avenants et les nouvelles concessions

Préalablement à la signature de tout avenant, l'ART rend un avis simple sur le projet négocié avec le concessionnaire, afin de s'assurer du caractère raisonnable et strictement limité à ce qui est nécessaire de l'augmentation des tarifs de péage envisagée.

De la même manière, l'ART émet un avis simple sur toute nouvelle concession autoroutière.

Dans la mesure où il s'agit d' avis simples et non pas d'avis conformes, l'administration et, au-delà, le Gouvernement, sont l ibres de les suivre ou pas . Ces avis ont toutefois un caractère public et interviennent avant la transmission des projets de contrats ou d'avenants au Conseil d'État. Celui-ci en prend connaissance avec beaucoup d'attention, ainsi que l'a confirmé Philippe Martin, président de la section des travaux publics, devant la commission d'enquête.

(2) Un contrôle du caractère nouveau des travaux, de leur nécessité et de leur utilité

Comme son Président l'a expliqué à la commission d'enquête, l'ART s'attache, en premier lieu, à vérifier que les opérations intégrées dans le projet d'avenant ne relèvent pas d'obligations déjà existantes au titre du contrat de concession ou de ses avenants successifs. Les dépenses qui relèvent des obligations ordinaires du concessionnaire ou qui sont déjà prévues au contrat de concession ne sauraient en effet être couvertes par une augmentation supplémentaire des tarifs de péage .

L'Autorité évalue ensuite dans quelle mesure les ouvrages et aménagements prévus sont strictement nécessaires ou utiles et revêtent un caractère accessoire par rapport à l'ouvrage principal 243 ( * ) . La définition de ces conditions vient d'être revue par la loi d'orientation des mobilités.

La nécessité et l'utilité des opérations autoroutières
avant et après la loi d'orientation des mobilités (LOM)

L'analyse de l'ART est fondée sur l'article L. 122-4 du code de la voirie routière, qui a été modifié par la loi d'orientation des mobilités (LOM) en 2019 244 ( * ) .

• Avant la LOM

Dans sa rédaction issue de l'article 20 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, cet article prévoyait que seul le financement d'ouvrages ou d'aménagements strictement nécessaires ou utiles avait vocation à être couvert en priorité par le produit du péage, sans préciser ce que recouvrait la notion d'utilité.

Or le péage, en tant que redevance pour service rendu, est la contrepartie de l'utilisation de l'autoroute et ne saurait donc couvrir le coût d'un service qui ne bénéficierait qu'à des tiers. Pour l'ART, la nécessité et l'utilité devaient donc s'apprécier du point de vue de l'exploitation de l'autoroute. Dans ce contexte, elle estimait qu'elle devait apprécier la condition stricte de nécessité ou d'utilité de chacune des opérations au regard :

- de la cohérence entre les finalités poursuivies par l'opération et les besoins de l'exploitation de l'autoroute concédée ;

- des effets prévisibles de l'opération et de son intérêt tant pour l'exploitation de l'autoroute concédée que pour ses usagers.

Elle considérait qu'une opération pouvait répondre à cette condition lorsqu'elle était de nature à entraîner une induction de trafic significative en raison de la plus forte attractivité de l'ouvrage pour l'usager de l'autoroute, ou à améliorer de manière sensible les conditions d'exploitation de l'autoroute concédée à travers, par exemple, un confort de circulation amélioré ou une valeur environnementale accrue du service (en particulier par la mise aux normes applicables aux nouvelles infrastructures).

Dans ce cadre, des opérations telles que la réalisation de diffuseurs visant à répondre à une demande de trafic supplémentaire ou à améliorer les conditions de circulation des usagers de l'autoroute pouvaient être regardées comme nécessaires ou utiles à l'exploitation de l'autoroute concédée.

• Depuis la LOM

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, la nouvelle rédaction de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière prévoit que trois critères cumulatifs doivent être satisfaits pour caractériser l'utilité d'un projet :

- une amélioration du service autoroutier sur le périmètre concédé ;

- une meilleure articulation avec les réseaux situés au droit de la concession afin de sécuriser et fluidifier les flux de trafic depuis et vers les réseaux adjacents à la concession ;

- une connexion renforcée avec les ouvrages permettant de desservir les territoires.

Avec cette rédaction, il est devenu plus facile de qualifier les nouveaux diffuseurs d' « utiles » quand bien même ils ne bénéficient pas directement à l'usager de l'autoroute mais permettent de décongestionner les périphériques urbains .

L'Autorité poursuit actuellement ses travaux d'analyse sur les conséquences qu'il convient de tirer de cette nouvelle rédaction, en particulier sur les opérations à caractère environnemental qui peuvent plus difficilement ou ne peuvent plus du tout être qualifiées d'utiles.

Source : Autorité de régulation des transports (ART)

L'ART vérifie, en troisième lieu, que les dépenses destinées à être compensées par des hausses des tarifs de péage se rattachent directement et exclusivement à l'opération considérée et que leur montant prévisionnel est strictement justifié , au regard notamment des coûts habituellement constatés , compte tenu de sa nature et de ses caractéristiques propres.

S'agissant des dépenses prévisionnelles, l'ART contre-expertise les montants arrêtés entre les parties dans le cadre de l'élaboration du projet d'avenant à partir de ses propres coûts de référence. Pour ce faire, elle considère des opérations comparables lorsque cela est possible ou bien procède à une reconstitution à partir de prix et de quantités qu'elle juge pertinents. La base de données des coûts de construction qu'elle est en train de constituer devrait lui faciliter la tâche.

(3) La vérification du caractère raisonnable des majorations tarifaires

S'agissant des recettes de péage prévisionnelles, la contre-expertise conduite par l'ART consiste à étudier les projections de trafic sur la durée résiduelle de la concession , dès lors que les recettes supplémentaires induites par l'avenant résultent de l'application des hausses additionnelles de tarif aux véhicules qui emprunteront l'autoroute sur cette période .

Enfin, l'ART détermine si l'augmentation des tarifs des péages est raisonnable et strictement limitée à ce qui est nécessaire afin de couvrir les dépenses qu'il convient de compenser.

Dans cette perspective, la question de savoir si la rémunération des capitaux investis qui découle de la hausse des tarifs des péages peut être considérée comme raisonnable et conforme aux conditions du marché à la date de conclusion de l'accord sur le projet d'avenant 245 ( * ) est particulièrement importante.

b) Une plus grande transparence des résultats économiques des concessions autoroutières

En cours d'exécution des concessions, le contrôle de la conformité des grilles tarifaires avec les dispositions légales et conventionnelles reste assuré par la DGITM et la DGCCRF 246 ( * ) . L'ART est toutefois chargée de suivre les résultats financiers des SCA.

(1) Un rapport de synthèse annuel des comptes des SCA

L'article L. 122-9 du code de la voirie routière a confié à l'ART le soin d'établir un rapport de synthèse annuel des comptes des SCA.

L'ART a d'ores et déjà publié cette synthèse pour les années 2016, 2017 et 2018. Ces rapports permettent de disposer non seulement d'une vision consolidée des principaux agrégats économiques du secteur (chiffres d'affaires, EBITDA, résultats nets, prélèvements obligatoires, évolution du trafic) mais également d'une fiche analytique pour chacune des sociétés concessionnaire d'autoroutes .

Ces rapports ont permis d'améliorer substantiellement la transparence sur les résultats financiers des SCA , et en particulier sur les évolutions des tarifs et des recettes de péages, ce qui constitue un réel facteur de progrès.

(2) Un rapport quinquennal sur l'économie des concessions autoroutières

Le même article L. 122-9 charge l'ART d'établir un rapport public sur l'économie des concessions autoroutières au moins tous les cinq ans.

Le premier rapport quinquennal a été publié le 30 juillet dernier. Il porte sur les exercices 2017 à 2019 et permet pour la première fois de disposer d'une évaluation du taux de rendement interne (TRI) des concessions pour cette période, même si votre rapporteur regrette que les travaux de l'Autorité ne soient pas remontés jusqu'à la date d'ouverture du capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes, c'est-à-dire jusqu'en 2002 247 ( * ) .

2. Des avis qui ont fortement contribué à rééquilibrer le rapport de force entre l'État et les sociétés concessionnaires

Depuis 2016, l'ART a rendu dix avis sur des projets d'avenants à des contrats de concession existants :

- sept avis concernant les SCA « historiques » (APRR, AREA, ASF, Escota, Cofiroute, Sanef et SAPN), dans le cadre du plan d'investissement autoroutier (PIA) en 2017 ;

- deux avis relatifs à la société publique ATMB 248 ( * ) , dont l'un, en 2018, concernait la compensation de la hausse du taux de la redevance domaniale ;

- un avis relatif à la société Atlandes à propos de la compensation de travaux de mise aux normes autoroutières des bretelles de Dax en 2020.

Elle a également rendu deux avis relatifs à des projets de nouveaux contrats de concession :

- un avis relatif au projet d'autoroute A45 entre Lyon et Saint-Etienne en 2016, projet qui a été abandonné depuis lors ;

- un avis relatif au projet de mise aux normes autoroutières de l'autoroute A79 entre Digoin et Sazeret en 2019.

L'analyse du processus de négociation qui a abouti à la conclusion du plan d'investissement autoroutier (PIA) a montré combien les avis de l'Autorité peuvent contribuer à améliorer la prise en compte de l'intérêt des usagers de l'autoroute lors de la conclusion d'avenants ou de nouveaux contrats de concession 249 ( * ) .

L'intervention de l'Autorité a ainsi permis le retrait du PIA de 27,2 millions d'euros d'opérations insuffisamment abouties et de 77 millions d'euros d'opérations relevant d'obligations contractuelles existantes, ainsi que le rappel de ces obligations.

Elle a également permis de justifier la diminution du taux de rémunération du capital investi, qui est passé de 6,5 % à 5,9 % lors des nouvelles négociations entre la DGITM et les SCA.

L' avis rendu par l'ART au début de l'année 2020 à propos du projet d'avenant au contrat de concession d'Atlandes constitue une autre illustration de l'importance des interventions du régulateur en la matière.

Alors que ce projet prévoyait une hausse additionnelle de 0,39 % des péages à partir du 1 er février 2021 en compensation de la mise aux normes autoroutières des bretelles d'un diffuseur, l'ART a constaté que le coût global de l'opération était surestimé.

Elle a également relevé que plus de 40 % de la hausse prévue dans le projet d'avenant couvrait des dépenses d'entretien et de maintenance du diffuseur et ne pouvaient donc , pour ce motif, être financées par une hausse additionnelle des tarifs de péage .

Dans un cas comme dans l'autre, l'intervention de l'ART a permis de mettre en lumière des insuffisances dans le contrôle de l'État et d' inciter l'État concédant à se montrer plus vigilant dans les négociations avec les SCA pour mieux protéger les intérêts des usagers.


* 241 Initialement créée par la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports pour réguler les transports ferroviaires en France sous la dénomination d'Araf.

* 242 Par l'ordonnance n° 2019-761 du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires, qui a étendu la compétence de l'Arafer au secteur aéroportuaire.

* 243 L'Autorité ne se prononce pas en revanche sur l'intérêt public ou sur l'utilité générale du projet d'ouvrage ou d'aménagement envisagé, qui est l'objet d'une procédure d'utilité publique distincte.

* 244 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

* 245 Cette analyse est étrangère à l'appréciation de l'équilibre existant de la convention. Ainsi, la seule circonstance selon laquelle la société concessionnaire dégagerait un bénéfice important sur les investissements déjà réalisés ne saurait interdire, par principe, la compensation de la réalisation de nouveaux investissements.

* 246 Voir supra .

* 247 Voir Deuxième partie.

* 248 Autoroute et tunnel du Mont Blanc.

* 249 Voir Deuxième partie.

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