C. BIENTRAITANCE DES ANIMAUX
Ces travaux de recherche permettent également d'éclairer la relation des veneurs aux animaux, qui est perçue par certains comme empreinte de cruauté ou de violence. Charles Stépanoff parle à ce propos de « conflits d'éthiques environnementales », soulignant la diversité des approches. Les antispécistes parlent volontiers « d'animaux humains et non-humains » pour faire saisir la communauté d'être et de sensibilité entre hommes et bêtes en opposition au cartésianisme qui structure une vision séparée de l'homme et de la nature .
• La relation avec les chiens
Ces militants seraient sans doute surpris de constater que cette communauté et ces expressions trouvent une particulière illustration en vènerie où les chiens ne sont pas des « outils » mais les principaux acteurs de la chasse . Selon sa définition juridique même, « un équipage est composé d'une meute de chiens servis par des hommes » et non l'inverse. Charles Stépanoff a montré qu'à la chasse, hommes et chiens se parlaient, les hommes s'adressant aux chiens à travers des « huchements », c'est-à-dire modifiant leur intonation pour être compris ou usant d'expressions spécifiques. À l'inverse, le veneur écoute ses chiens. Seuls les chiens chassent et la venaison leur est partagée au même titre que les hommes, comme des commensaux. Les limiers assistent aux messes de Saint-Hubert et entrent dans les églises, ce qui est normalement interdit. Les chiens sont des individus en tant que tels. Un maître d'équipage dira volontiers qu'il n'a pas cent chiens, mais cent fois un chien. La vènerie transmet leur nom et la mémoire de leurs exploits. Le nom de l'équipage de l'actuel président de la Société de Vènerie, « Tempête », est celui d'un de ses premiers chiens remarquables. Il y a peu d'exemples d'organisations humaines ayant le nom d'un chien. Les chiens de vènerie sont à certains égards les ancêtres des animaux de compagnie, les premiers dont on ait conservé le nom et confié le portrait à de grands maîtres de la peinture (Oudry, Desportes...) au même titre que les hommes.
Polydore, chien de la meute de Louis XV, 1726 par JB
Oudry
(
Musée
de Fontainebleau
)
De ce fait, les veneurs prennent soin de leurs chiens qui sont nourris, notamment avant la chasse, et entraînés pour faire face de longues courses . Les chenils sont en conformité avec les normes en vigueur , notamment celles relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), avec des aires d'ébats en plein air et des zones préservées pour les mises bas . Le rapporteur a pu visiter celui du vautrait de Banassat dans l'Allier qui est un modèle du genre. Les ministères de l'agriculture et de la transition écologique comme l'OFB n'ont pas connaissance d'infraction ou de maltraitance dans les chenils de vènerie .
En plus des expositions canines et des visites de chenil, la Société de Vènerie a mis en place plusieurs formations, dont celle visant à l'obtention de l'Attestation de connaissances pour les animaux de compagnie d'espèces domestiques (ACACED) 33 ( * ) , ainsi que son module de mise à jour décennal . Ce diplôme est détenu dans près des deux tiers des équipages (240) . L'objectif est que l'ensemble des équipages disposent d'un référent formé d'ici 2025 . Il s'agit d'une démarche volontariste car ce diplôme n'est pas obligatoire . Elle est en cohérence avec la charte du veneur-éleveur 34 ( * ) qui a été publiée.
• La relation avec les chevaux
Le bien-être des chevaux fait partie des traditions de la vènerie au même titre que celui des chiens, ce dont témoignent plusieurs écuries classées aux monuments historiques, comme celle de Chantilly, et d'ailleurs de chenils .
Les accusations de maltraitance à l'égard des chevaux de chasse surprennent . Aucune administration interrogée n'a rapporté de plainte pour maltraitance ou relevé des infractions à ce sujet . L'essentiel des 7 000 chevaux de vènerie ont été déclarés inaptes à poursuivre une carrière en course hippique et étaient destinés à la boucherie s'ils n'avaient pas été rachetés par des chasseurs.
Beaucoup de cavaliers et cavalières viennent à la vènerie par le cheval. Les veneurs ont une formation classique en club. L'équipement de l'homme et du cheval est conforme à la pratique de l'équitation d'extérieur. Beaucoup sont licenciés auprès de la Fédération française d'équitation. Un championnat du cheval de chasse est organisé depuis 2003 par la FFE qui le reconnaît comme une discipline à part entière 35 ( * ) .
Dans ce domaine également, la Société de Vènerie a rédigé un guide de bonnes pratiques et une charte du cavalier-veneur 36 ( * ) . Elle a aussi mis en place des formations pour améliorer les compétences et le soin des chevaux, ainsi que pour transmettre certaines traditions comme la monte en amazone. Soucieuse du bien-être des équidés, elle incite à suivre le Certificat de compétence des conducteurs et des convoyeurs 37 ( * ) (CAPTAV) décerné par l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), qui n'est obligatoire que pour un déplacement à caractère commercial de plus de 65 km.
• La relation avec l'animal chassé
Les détracteurs de la vènerie soulignent la cruauté, c'est-à-dire la volonté de faire souffrir un animal pendant une longue poursuite. L'étude du Pr Bateson, réalisée en 1997 en Grande-Bretagne, a mis en évidence l'épuisement physiologique de cerfs pris à courre par rapport à des cerfs tués à tir. Les veneurs réfutent une telle intention et mettent au contraire en évidence le fait que la vènerie reproduit le mode de chasse du loup. L'animal chassé l'emporte le plus souvent sur la meute et les hommes, soit qu'il soit plus rusé, soit qu'il soit plus endurant. Les veneurs estiment respecter le caractère sauvage de l'animal. Un animal chassé et même gracié récupère rapidement et est parfois revu ou rechassé des semaines ou des années plus tard, créant parfois de véritables légendes autour de cerfs identifiés, nommés et imprenables, comme le raconte Maurice Genevoix dans La dernière harde (Flammarion, 1938).
Le veneur nourrit une admiration pour l'animal chassé même le plus petit. Sa mort doit être entourée de dignité. La coupe des jarrets évoquée par la pétition n'a jamais été d'usage. Elle n'est plus pratiquée depuis au moins un siècle et serait considérée aujourd'hui comme une infraction au règlement de la Société de Vènerie et au regard du respect dû à l'animal .
Comme le souligne Charles Stépanoff, à la différence de « l'animal matière » de l'industrie agroalimentaire anonyme et abattu avec des millions d'autres, l'animal chassé en vènerie est individualisé et même reconnu dans son être spirituel . La curée évoquée par la pétition comme macabre est une cérémonie d'ordre chamanique et animiste visant à permettre à l'esprit de l'animal de rejoindre, apaisé, les forces de la nature qui ont permis sa prise. Les circonstances de la journée de chasse sont rappelées par des fanfares sonnées à la trompe. Pendant ce temps, un membre de l'équipage rend vivante sa dépouille devant la meute tenue en respect avant de pouvoir manger la partie qui lui revient.
La venaison des grands animaux qui n'est pas donnée aux chiens (filets, gigues, gigots) est mangée et appréciée. Elle est habituellement donnée aux bénévoles de l'équipage, aux propriétaires qui laissent un « droit de suite » ou aux riverains. Par ailleurs, le chasseur, en conservant certaines parties de l'animal (bois, défenses, crocs, pied...) ou en partageant la venaison, s'inscrit dans des traditions très anciennes d'appropriation autant physique que symbolique. Il fait aussi perdurer la mémoire de l'animal. Le livre de chasse de l'équipage conservera par ailleurs un récit circonstancié de la journée que l'animal ait été pris ou non.
* 33 https://draaf.paca.agriculture.gouv.fr/acaced-attestation-de-connaissances-pour-les-animaux-de-compagnie-d-especes-r245.html
* 34 https://www.venerie.org/chiens-de-chasse-a-courre/documents/charte-de-l-eleveur-veneur.pdf
* 35 https://www.ffe.com/pratiquer/disciplines/cheval-de-chasse
* 36 https://www.venerie.org/cheval-de-chasse-tout-savoir/quels-sont-les-engagements-que-je-prends-en-tant-que-cavalier-veneur.html
* 37 https://www.ifce.fr/haras-nationaux/captav-qui-quoi-ou-comment/