B. UNE EXCELLENCE FRANÇAISE CONCURRENCÉE EN MATIÈRE DE PRODUCTION

1. À la conquête des studios, la concurrence entre pays

Si la France dispose d'un important vivier de personnels qualifiés, et peut compter sur d'excellentes écoles et formations dans un contexte de pénurie mondiale de main d'oeuvre, elle semble ne pas être insuffisamment équipée - notamment en termes de structures, mais aussi en termes humains - pour répondre à l'explosion de la demande d'oeuvres à horizon 2030, avec l'irruption massive des plateformes.

Dès lors, l'avantage reconnu à la France en matière de production pourrait dans un très proche avenir disparaitre face à la volonté de nombreux pays de développer, pour certains, de nouveau, une industrie cinématographique.

En termes de structures, la France aurait, faute d'investissements, pris du retard par rapport à ses voisins européens.

Au Royaume-Uni, il existe plusieurs dizaines de studios répartis sur l'ensemble du territoire. Cette offre variée s'accompagne de dispositifs fiscaux avantageux qui permettent d'attirer de nombreux tournages internationaux. Le Royaume-Uni bénéficie aujourd'hui d'un parc de 360 000 mètres carrés de studios, soit plus de 6 fois la capacité hexagonale, permettant aux grands studios de négocier avec les studios hollywoodiens ou les plates-formes - comme Netflix avec les studios de Shepperton - pour sécuriser leurs capacités de tournages.

Les studios Pinewood à Londres sont les plus grands en Europe - quatre fois plus que les studios de Paris à Saint-Denis et ne cessent de se développer, le groupe Pinewood ayant par ailleurs annoncé récemment un vaste plan d'expansion de ses studios afin de faire face à la demande croissante des services de vidéo à la demande.

Au-delà des plateaux disponibles, les studios anglais sont de véritables pôles audiovisuels regroupant une multitude d'entreprises spécialisées, de professionnels qualifiés, de matériel technique haute technologie et font ainsi figures de modèles pour faire face aux multiples exigences liées au tournage de productions internationales.

En Italie, la production sur le territoire italien connaît également une exceptionnelle progression, sous l'effet de mesures d'incitations fiscales comme les crédits d'impôt, et de politiques régionales accrues ; plus de 300 millions d'euros de fonds européens ont également permis la montée en puissance de la filière, avec la construction de cinq nouvelles scènes et l'agrandissement de huit plateaux depuis 2020.

Avec 156 000 mètres carrés de studio, l'Allemagne dispose également d'un parc plus de 2 fois plus grand que la France, parmi lesquels les studios Babelsberg, dotés de technologies « dernier cri ».

Dès lors, l'enjeu en la matière est à la fois économique - le secteur représentant près de 650 000 emplois et 91 milliards d'euros de chiffre d'affaires -, mais touche également à la souveraineté culturelle de la France, face à la concurrence de services gérés essentiellement par des géants américains.

Dans un rapport au CNC et à Film France paru en mai 2019, Serge Siritzky alertait déjà sur le sous-dimensionnement des outils de fabrication de films et de séries françaises et de leur capacité à répondre à l'importante demande à venir.

2. La fabrique de l'image

C'est pour répondre au risque de faire face à un goulot d'étranglement de nos capacités de production que le Gouvernement a annoncé fin 2021 le lancement de France 2030, un grand plan d'investissement et d'innovation qui doit permettre de rattraper le retard industriel français, d'investir massivement dans les technologies innovantes ou encore de soutenir la transition écologique dans de nombreux secteurs stratégiques.

Les industries de l'image en font pleinement partie : le plan prévoit au service de cette ambition un investissement public de 350 millions d'euros vers les studios de tournage, de production numérique (animation, jeu vidéo et post-production) et la formation, qui doivent faire levier sur des investissements privés et sur les autres financements publics pour assurer le maintien du volume de la production domestique, contenir la délocalisation des films et des séries amorcées depuis plusieurs décennies, et, surtout, attirer davantage les productions étrangères sur notre territoire.

C'est ainsi qu'a été conçu, sous l'égide du CNC, l'appel à projets « La Grande fabrique de l'image » qui vise à :

ü impulser une dynamique pour répondre à l'ambition artistique des créateurs français en leur donnant la possibilité de travailler avec les meilleurs outils et les meilleures équipes possibles en France, chez eux, pour tourner les films et histoires qu'ils désirent ;

ü assurer par là même notre indépendance culturelle, dans un contexte de très forte compétition sur la production d'oeuvres et les équipements de tournages. Face aux plateformes qui passent des contrats de plusieurs années avec des talents, des écoles, ou des studios de tournages, France 2030 vise donc à renforcer le modèle français d'indépendance et notre tradition artistique.

Pour y parvenir, il faut doubler la capacité de production en investissant massivement dans le développement des infrastructures, dans l'innovation au service de nouvelles techniques de production, dans la formation des talents techniques et artistiques. Ainsi, concrètement, le plan ambitionne :

ü d'intégrer à la filière un public très large en doublant le nombre annuel de diplômés de la filière, passant de 5 700 à 10 300 par an ;

ü de doubler le nombre d'emplois dans la filière de production en passant de 50 000 à 92 000 ;

ü de faire passer le poids de la filière de 4,2 millions d'euros à 7,6 millions d'euros, ce qui correspondrait en parallèle à un triplement de sa contribution au commerce extérieur ;

ü de réduire fortement l'empreinte carbone de la filière.

Cette phase d'appel à projets est désormais close depuis fin octobre. Près de 175 dossiers ont été déposés. Sur ces 175 dossiers, 72 concernent la formation, 65 des projets de studios numériques et 38 des projets de studios de tournage.

Par ailleurs, ces projets sont présents sur toutes les régions métropolitaines et 3 territoires d'outre-mer même si les trois territoires identifiés comme prioritaires - l'Île-de-France, le Nord et l'arc méditerranéen - en concentrent la majorité.

L'ambition est de retenir une dizaine de studios de tournage, entre 10 et 20 studios de production numérique (animation, post-production, VFX, jeux vidéo) et entre 20 et 30 projets de formations.

Le principal critère sera la manière dont chaque projet contribue à l'objectif de doublement de la capacité d'infrastructure et d'emploi dans la filière de production. Des critères de développement durable, ainsi que d'autres plus techniques, seront aussi pris en compte.

Provence Studios : une réussite à Martigues

Dans le cadre de ses travaux, la mission a effectué un déplacement le 13 avril 2023 à Martigues dans les locaux de la société « Provence Studios ». Cette entreprise illustre les ambitions, mais également les incertitudes, qui entourent cette filière française d'excellence.

Créé en 2010, Provence Studios est l'un des plus grands sites de tournage en Europe, avec plus de 15 plateaux répartis sur 26 000 m² de studios, sur une superficie totale de 22 hectares. La société emploie 1 500 personnes.

Avec le studio « Next Stage », Provence Studios dispose d'un plateau à la technologie d'exception, qui offre un décor virtuel sur un mur LED, identique à celui utilisé par Disney pour la série « The Mandalorian ». Le résultat à l'écran est effectivement exceptionnel.

Provence Studios accueille les tournages aussi bien de films français (Le temps des secrets de Christophe Barratier, Bac Nord de Cédrix Jimenez, Titane de Julia Ducournau, Palme d'Or à Cannes en 2020...) que de séries américaines à gros budget (Serpent Queen de Justine Haythe) ou encore de publicités.

Au-delà de la découverte des lieux et des conditions de travail, la mission a été sensibilisée à deux aspects.

D'une part, l'importance du crédit d'impôt international, qui, dans un contexte où les États luttent pour accueillir des tournages, constitue avec l'excellence des infrastructures et des techniciens, un argument souvent décisif.

D'autre part, les retombées économiques pour la ville et la région qui s'avèrent considérables. Ainsi, plus de deux millions d'euros ont été dépensés dans l'hôtellerie locale, dont 1,4 million dans un camping de Martigues. Le maire de la ville évalue à 28 millions d'euros les retombées annuelles pour sa ville.

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