V. LE GOÛT DU CINÉMA : LES PROPOSITIONS DE LA MISSION

Si le cinéma en France est une réussite majeure de politiques publiques menées avec constance depuis près de 80 ans, il est régulièrement attaqué sur son coût, sur le degré de contrainte qu'il fait peser sur les acteurs, mais également sur la compatibilité de ses objectifs entre eux : produire un cinéma populaire ou soutenir la création ?

Le milieu du cinéma est en général pleinement conscient de la place privilégiée qu'il occupe dans l'ensemble des politiques publiques de soutien à la culture, et qui ne manque pas parfois se susciter envie et incompréhension de la part de secteurs qui s'estiment moins bien traités.

Pour autant, la mission a cherché à identifier les pistes d'amélioration, avec comme boussole le maintien d'une dualité dans les objectifs de notre cinéma, qui en fait toute la richesse et la singularité. C'est tout à l'honneur de la France de donner sa chance aux talents émergents, à la créativité et à l'audace cinématographique, ce pari étant parfois largement plébiscité par les spectateurs. Il est dans le même temps nécessaire de conserver au cinéma sa vocation de grand loisir populaire, non seulement par des productions nationales grand public, mais aussi par la valorisation de l'implantation et du rôle de la salle.

La mission a donc souhaité proposer des évolutions pour chaque échelon de la chaîne du cinéma. Le degré élevé de soutien à la production, s'il peut être mieux régulé, doit également être soutenu par des mécanismes de diffusion des oeuvres au même niveau, sous peine de créer des oeuvres qui n'auraient aucune chance d'atteindre un public.

Dans ce contexte, la mission formule 14 recommandations qui forment un cadre cohérent et adapté pour préserver et amplifier la belle histoire du cinéma en France.

A. ADAPTER LES MÉCANISMES DE SOUTIEN POUR ASSURER DES PRODUCTIONS MIEUX FINANCÉES

La question d'une éventuelle « surproduction » n'est légitime que dans la mesure où le système de soutien public au sens large pousserait ou non à une production abondante, à tel point que sa qualité s'en ressente ou que le public ne puisse tout simplement pas l'absorber.

La détermination d'un « bon » nombre de films relève d'autant plus d'une illusion que les oeuvres proposées chaque année dans les salles dépendent d'une pluralité de facteurs, dont seule une minorité relève stricto sensu de la puissance publique. En effet, plus de la moitié des films projetés sont étrangers, et parmi les films français, une bonne partie est produite et diffusée sans agrément, donc, sans soutien public, essentiellement les budgets les plus réduits. Ces diffusions relèvent donc de choix économiques des seuls producteurs, distributeurs et exploitants.

Pour autant, l'analyse menée sur le succès des films français et l'évolution de la production appelle à la plus grande vigilance en montrant les failles possibles du système de soutien.

Ainsi, le constat de la plus grande difficulté des « films du milieu » à se financer, alors qu'ils constituent le « coeur » de notre cinéma, couplée à la diminution des devis, est un signal négatif dont il faut tenir compte. Il semble en effet exister, même si des exceptions peuvent advenir dans un sens ou dans l'autre, une corrélation entre le financement d'un film, en particulier lors de son développement, et son succès public.

Pas plus qu'il n'est pertinent de chercher à déterminer un « bon » nombre de films (en sous-entendant qu'il y en a trop), il n'est pertinent de se fixer comme objectif ou de communiquer sur une augmentation de la production. Tel a parfois pu être le cas dans le passé. Il parait plus adapté à la mission de se concentrer sur le financement de chaque film, soit une hausse des devis, notamment dans la phase de développement. Le CNC a entamé cette démarche, avec la division des commissions d'avance sur recettes en fonction du nombre de films déjà produits32(*). Comme cela a été dit, la mission a pu assister à une réunion et a été très sensible au degré de conseil assumé par les membres du jury, qui apparaissent moins comme des censeurs que des appuis, y compris pour les projets non sélectionnés.

Le CNC dispose de plusieurs leviers supplémentaires pour parvenir à remplir un objectif plus qualitatif. Parmi ceux-ci, deux paraissent pouvoir être mis en oeuvre assez rapidement. Ils visent en fait à mieux récompenser le succès des films, afin de donner au producteur et au distributeur plus de moyens pour investir dans les oeuvres suivantes.

Ø D'une part, en ce qui concerne les producteurs

Il s'agirait de profiler différemment le compte de soutien automatique, qui présente actuellement une évolution peu discriminante, puisqu'il commence à s'abaisser au-delà de 1,5 million d'entrées, ce qui n'a concerné que 9 films français sur 391 en 2019. Afin de le rendre plus incitatif, on pourrait par exemple créer un taux supplémentaire avantageux au-delà de 500 000 entrées, quitte à ne plus abonder le compte au-delà de 5 millions d'entrées, ce seuil étant au demeurant rarement atteint et marquant un succès conséquent qui pourrait dispenser d'un soutien minime supplémentaire.

L'impact de cette réforme devrait cependant être estimé par des simulations que la mission n'est pas en mesure de conduire, c'est pourquoi le choix du seuil et du taux devra être précisément fixé.

Recommandation n° 1 : Pour les films agréés, accorder plus d'attention à l'évolution du devis moyen de chaque film, en utilisant différents leviers, comme une modification de l'article 211-26 du Règlement général des aides du CNC sur le soutien automatique des producteurs pour créer un nouveau palier bonifié avant 1,5 million d'entrées.

Ø D'autre part, pour les distributeurs

Dans le même ordre d'idée, le soutien automatique défini à l'article 222-4 du Règlement général des aides est décroissant à partir de 50 000 entrées, et s'annule au-delà d'un million. Il pourrait être envisagé de le rendre plus incitatif, en prenant comme modèle celui des producteurs : croissant jusqu'à un certain stade, puis décroissant, et en déplafonnant son calcul au-delà d'un million d'entrées.

Là encore, des simulations précises devraient être réalisées pour ne pas aboutir à des effets contre-productifs par rapport à l'objectif recherché, qui est de favoriser le financement et le succès des films.

Recommandation n° 2 : Profiler différemment le soutien automatique des distributeurs par une modification de l'article 222-4 du Règlement général des aides en le rendant croissant dans les premières tranches et en supprimant son plafonnement au-delà d'un million d'entrées.


* 32 Voir partie II du présent rapport.

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