L'ESSENTIEL
Il est temps d'en finir avec la politique de l'autruche concernant la complexité et le poids des normes pesant sur les entreprises. L'allégement de la charge administrative ou des coûts de conformité que les entreprises supportent de la part des différents acteurs publics (Union européenne, État, collectivités publiques, autorités indépendantes) est l'un des rares gisements de productivité que la France peut exploiter.
La simplification des normes applicables aux entreprises ne résultera pas d'un « grand soir » mais d'un effort de long terme, qui requiert une volonté politique constante portée au plus haut niveau de l'État. Tous les outils d'une politique publique efficace existent. Il manque la volonté politique de les activer. En effet, depuis 2017 plus aucun membre du gouvernement est en charge de la simplification. Les entreprises françaises doivent être davantage associées à la construction des normes les concernant. Le fardeau administratif qui entrave leur compétitivité doit être mieux identifié et davantage évalué pour être allégé.
A. UN FARDEAU NORMATIF CROISSANT QUI NUIT À LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES
44 millions de mots : des normes toujours trop nombreuses
Depuis 2018, le flux des normes étatiques (lois, ordonnances, décrets, arrêtés) est mesuré, même si le stock demeure toujours inconnu, comme l'est le nombre de procédures ou demandes d'information émanant des autres auteurs de la norme ou de l'Union européenne. Il fait apparaître une prolifération normative mettant toujours davantage la norme hors de portée des entreprises.
Source : Christophe Éoche-Duval, conseiller d'État
Les principaux codes utilisés par une entreprise se sont fortement épaissis en nombre d'articles depuis 2002 : le code l'environnement a cru de 653 %, le code de commerce de 364 % et le code de la consommation de 311 %.
Le coût macro-économique de la réglementation pesant sur les entreprises n'est pas connu avec certitude, variant du simple au double. Il est estimé a minima par le gouvernement à 3 % du PIB soit 60 milliards d'euros par an. Le classement du Forum économique mondial plaçait en 2019, la France au 65ème rang mondial pour la performance du secteur public en raison du « fardeau de la réglementation ».
La norme excessive créée une rente au détriment des entreprises, surtout des PME obligées de s'adresser aux professionnels de la complexité, elle réduit donc la concurrence et pénalise l'emploi. Une note de France Stratégie de novembre 2019 a ainsi souligné que « si la France n'avait pas révisé son environnement réglementaire depuis 1998, le taux de chômage serait aujourd'hui plus élevé d'environ 2 points de pourcentage et le PIB plus faible d'environ 2,5 points ».
À cet impôt papier s'ajoute une administration qui s'investit davantage dans le contrôle et la sanction que dans le conseil et l'accompagnement.
La normalisation volontaire est en revanche un facteur d'efficience économique permettant de réduire la complexité, en participant à son recentrage ou son alignement. Ce droit souple est plébiscité par les entreprises, qui participent à sa construction. Les entreprises qui utilisent ces normes volontaires connaissent une croissance de 23 % de leur chiffre d'affaires et de 20 % de leurs exportations.
Un fardeau évalué et dénoncé depuis trop longtemps
Depuis la célèbre apostrophe du Président Pompidou en 19662(*), nombreux ont été les Premiers ministres de la Ve République à dénoncer « la paperasse » et à engager des programmes de simplification des procédures et des normes soit pour « libérer l'initiative économique » soit pour « participer au renouveau du service public ». Depuis, de nombreux rapports ont dénoncé l'inflation normative et ont proposé des solutions qui ont été mises en oeuvre de façon trop timorées, ou ignorées.
Si la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 reconnaît que « la norme peut aussi être une contrainte pour la compétitivité des entreprises », le coût de la production règlementaire pour celle-ci n'est toujours pas évalué avec rigueur. Pourtant, ce fardeau pèse toujours davantage sur les entreprises. Ainsi, une enquête de CCI France en décembre 2022, relève que la majorité des dirigeants considère que les obligations liées à la gestion d'une entreprise se sont alourdies : 61 % jugent qu'elles sont plus compliquées à gérer, dont 36 % beaucoup plus compliquées.
Selon une consultation menée par le Sénat en avril 2023, les entreprises estiment que :
90 %
« pas adaptées à toutes les situations »
80 % des entreprises pensent que l'administration doit mieux les accompagner et conseiller
84 % des normes « pas faciles à comprendre »
82 % « pas accompagnées d'une information adéquate »
Pour les 783 entreprises qui se sont exprimées lors de cette consultation, l'impact organisationnel des normes s'apparente parfois une « furie administrative » créant toujours davantage de « complexité, coûteuse et inutile » provoquant une inévitable « anxiété permanente » en même temps qu'une « perte de chiffre d'affaires ». Parfois tout simplement « inapplicables », ces normes démontrent le « fossé présent entre l'administration et la réalité de la vie des entreprises ».
La parole des entreprises sur les normes :
76 %
« le nombre de normes a augmenté »
81 %
« leur complexité a augmenté »
82 %
« leur coût a augmenté »
B. DES EFFORTS POUR ALLÉGER LE FARDEAU NORMATIF
Une simplification qui fonctionne en Europe
Les leçons à retenir des efforts de simplification de nos voisins (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse et Union européenne) :
ü La simplification est une politique de long terme mais, pour réussir, elle ne doit pas être un enjeu partisan. Il faut donc établir un consensus partagé entre toutes les parties prenantes ;
ü La conception de la norme destinée à l'entreprise doit être constamment inspirée d'un principe simple : comment la PME va-t-elle pouvoir appliquer la norme que j'entends édicter ? La plupart de nos voisins recourent à un « test PME » obligatoire ;
ü La mesure du coût des normes, agrégée au niveau national, est un instrument de pilotage efficace d'une feuille de route de la simplification normative ;
ü L'étude d'impact crédible est celle qui est validée par une autorité indépendante. C'est la seule méthode pour contraindre l'auteur de la norme à justifier sa nécessité, à chiffrer son coût avec rigueur, et à expliquer le fait que le bénéfice attendu est supérieur à la charge de sa mise en oeuvre dans l'entreprise.
Une politique discontinue en France et sans résultat visible
La France a utilisé différentes méthodes : des ordonnances (1999-2004), des lois de simplification d'origine parlementaire (2007-2012), un Conseil de la simplification pour les entreprises (2014-2017) faisant intervenir pour la première fois des chefs d'entreprise mais qui n'a pas été pérennisé malgré la proposition de loi déposée à la suite du précédent rapport de la délégation aux Entreprises de 2017, des lois d'abrogation de normes obsolètes, d'origine parlementaire (2018 et 2022), la règle du deux pour un (2017), efficace mais limitée au pouvoir règlementaire autonome (concernant une cinquantaine de décrets seulement par an).
Depuis 2017, les mesures de simplification sont présentées au fil des textes. Certaines entreprises de taille intermédiaire (ETI) bénéficient d'un accompagnement privilégié de la part de l'État à condition qu'elles interviennent dans le numérique (French Tech) ou qu'elles exportent (Team France Export, stratégie Nation ETI). Certains secteurs économiques bénéficient d'un effort de simplification, comme les énergies renouvelables, le nucléaire, ou l'industrie « verte ». Hormis ces politiques sectorielles bénéficiant à certaines catégories d'entreprises, la complexité continue de progresser pour toutes les autres entreprises, faute de dispositif efficace et global d'endiguement.
Les études d'impact ne jouent en aucune façon un rôle d'endiguement de la norme mais servent plutôt sa justification a posteriori, tant l'action politique se résume désormais à la production normative. L'évaluation de la nécessité de la loi étant l'affaire du ministère qui porte la loi, il est peu probable qu'un ministère se déjuge en décidant, après un travail intense, qu'il n'y a pas lieu de légiférer.
Par ailleurs, l 'État ne s'est pas doté d'outils permettant d'expérimenter la simplification en faveur des entreprises. Le guichet unique est un exemple emblématique d'une administration qui n'associe pas suffisamment les entreprises à la simplification d'un outil indispensable. Ses dysfonctionnements doivent servir d'exemple pour l'avenir. L'État ne peut par ailleurs prétendre que tout numériser serait tout simplifier.
LES 7 RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION AUX ENTREPRISES
La simplification est un instrument du renforcement de la compétitivité de notre pays. Selon l'indice de compétitivité mondiale, la France occupait le 107ème rang sur 140 pays pour le fardeau administratif.
La politique de simplification doit connaître une révolution copernicienne : elle ne peut plus en effet être une démarche descendante, mais doit au contraire être une démarche ascendante qui part de « l'utilisateur » de la norme pour en faire un « bénéficiaire », que l'usager soit un particulier ou une entreprise. Le point de vue de l'usager n'est pas assez pris en compte. L'analyse de la complexité doit se fonder d'abord sur la prise en considération de l'effet cumulatif des normes, et leur dimension psychologique. Fondamentalement, l'administration doit faire confiance à ses usagers, particuliers comme entreprises. La sanction ne doit concerner que la fraude, et ne plus être considérée comme un objectif de réussite ou d'efficacité pour l'administration qui contrôle.
Recommandation n°1 : évaluer le poids des normes
Avant de lancer une politique de simplification, il convient au préalable de se doter d'une méthodologie rigoureuse et partagée entre toutes les parties prenantes de l'évaluation, pour, en priorité :
1. Identifier les « normes » applicables aux entreprises, aux « droits », « codes », « régimes », « règles », « dispositions », « dispositifs », auxquelles s'ajoutent les « conditions d'accès », « obligations », « procédures », « démarches », « formalités », « formulaires », « pièces justificatives », « contrôle administratif ».
2. En se plaçant du point de vue de l'entreprise, recenser le stock exact de normes actuellement applicables aux entreprises.
3. Construire un agrégat des normes applicables aux entreprises, permettant, à partir d'un « moment zéro », par exemple le 1er janvier 2025, de mesurer son évolution, facilitant les comparaisons européennes, afin de fixer un objectif d'allégement de leur poids.
Recommandation n°2 : engager une politique publique de long terme, associant tous les acteurs de la norme
1. Comme il existe une programmation pluriannuelle des finances publiques, il peut y avoir une programmation pluriannuelle de la simplification au bénéfice des entreprises, votée tous les 5 ans.
La politique de simplification doit être cyclique, avec des allers-retours permanents entre le programme d'action et son évaluation. Un maximum de normes doit être englobé par ce programme de simplification qui doit être le plus large possible en prenant en considération l'ensemble de la hiérarchie des normes. Les autorités indépendantes régulant des secteurs économiques doivent être invitées à présenter leurs propositions de simplification, y compris en matière de « droit souple ».
2. L'état d'avancement du programme de simplification doit être discuté tous les 6 mois en Conseil des ministres.
Ces points d'étape réguliers permettront d'impliquer le Président de la République et d'associer l'ensemble du gouvernement. L'exécutif pourra ainsi donner une impulsion politique forte au programme de simplification dans tous les départements ministériels et les administrations. Seul l'engagement constant du Président de la République et son attention continue sont les facteurs de réussite de cette politique de simplification qui doit s'inscrire dans le temps long.
Recommandation n°3 : conduire une politique de simplification au sein de l'administration d'État associant les entreprises
3. Un Conseil national de la simplification pour les entreprises indépendant et composé en majorité de représentants des entreprises, pour :
1. assurer le dialogue avec le monde économique et garantir sa participation à la conception et à la mise en oeuvre des mesures de simplification ;
2. proposer au gouvernement des axes prioritaires de simplification ;
3. suivre les réalisations du programme de simplification et évaluer ses résultats ;
4. contribuer à faire connaître les résultats obtenus ;
5. donner un avis, public, pour chaque projet de loi, d'ordonnance ou de décret créant une charge nouvelle significative pour les entreprises. En cas d'avis négatif, le gouvernement devra « transmettre un projet modifié ou des informations complémentaires en vue d'une seconde délibération ».
4. Un Haut-commissaire à la simplification, directement rattaché au Président de la République, et collaborant étroitement, d'une part, avec le Secrétaire général du Gouvernement et, d'autre part, avec le Secrétaire général pour les affaires européennes, pour la prévention des surtranspositions de directives européennes, il serait doté d'un correspondant dans chaque ministère, autorité indépendante ou agence de l'État.
5. Un service mutualisé, interministériel, doit appuyer les administrations centrales pour évaluer la charge des normes pour les entreprises, et mesurer leurs impacts.
Recommandation n°4 : renforcer l'association des entreprises aux normes les concernant et mieux différencier les normes selon la taille des entreprises
L'État doit davantage consulter les représentants des organisations patronales et syndicales sur les réformes et les normes d'une ampleur significative ayant un impact sur les entreprises.
La culture administrative doit évoluer profondément en acceptant de s'ouvrir davantage au monde économique afin de mieux tenir compte de ses contraintes. Il n'est plus possible de construire des politiques publiques, de proposer des réformes globales ou des mesures ponctuelles qui impacteront les millions d'entreprises sans consultation préalable de leurs représentants ou sans la constitution de panels représentatifs des différentes catégories d'entreprises.
La concertation doit être systématique, car le droit négocié est plus efficace dans le domaine économique qu'un droit imposé. Elle doit se réaliser au stade de l'élaboration même de la décision, au niveau global (aspect macroéconomique), de la branche d'activité (aspect sectoriel) et de l'entreprise (aspect microéconomique).
La norme doit être différenciée selon la taille de l'entreprise, en s'inspirant du droit à la différenciation reconnu aux collectivités territoriales par la loi « 3DS » n° 2022-217 du 21 février 2022.
Recommandation n°5 : expérimenter, tester et évaluer les normes applicables aux entreprises
Ex ante, l'expérimentation des normes économiques doit être développée pour lever une incertitude sur la pertinence, l'efficacité ou les modalités de mise en oeuvre d'une mesure.
L'étude d'impact doit pouvoir être discutée. Ce débat nécessite du temps. C'est pourquoi elle doit pouvoir être engagée dès l'annonce d'une norme ou d'une politique publique ayant un impact significatif sur la vie des entreprises. Elle doit également concerner les amendements du Gouvernement ayant un impact significatif sur les entreprises et être mise à jour au cours de la navette parlementaire.
Le recours au « test PME » doit être systématisé pour toutes les normes créant une charge importante pour les entreprises, dans l'objectif de confronter l'étude d'impact théorique de sa mise en oeuvre concrète avec une évaluation « grandeur nature » sur un panel de textes concernant directement les entreprises. Il faut construire la norme économique en l'adaptant à la taille de l'entreprise.
Ex post, une revue régulière du stock des normes pesant sur les entreprises doit être réalisée aux moments clés de leur cycle économique, et l'efficacité des normes les plus contraignantes doit être évaluée de façon indépendante.
Recommandation n°6 : simplifier le langage administratif et obliger l'administration à accompagner les entreprises
La pédagogie de la norme est un élément indissociable de son acceptabilité. L'administration doit produire moins de circulaires et éditer davantage d'informations sur la norme, dans un langage accessible et compréhensible. En effet, les coûts de mise en conformité avec les normes ont tendance à diminuer lorsque les PME se familiarisent avec leurs exigences. Par ailleurs, à de nombreuses occasions, les entreprises renoncent à demander une aide publique car elles ne comprennent pas le vocabulaire utilisé et/ou les procédures exigées par les administrations. Cette pédagogie doit accompagner systématiquement les réformes affectant la vie des entreprises avec la publication sur les sites internet des administrations d'une Foire aux questions (FAQ) permettant leur explication simple. Toute réforme impactant significativement la vie des entreprises doit être assortie d'un mode d'emploi sur les sites internet des acteurs concernés, en simplifiant le langage administratif.
L'administration doit avoir l'obligation d'accompagner et de conseiller les entreprises. La création d'indicateurs de performance est indispensable pour évaluer la mise en oeuvre de cette obligation de conseil.
Recommandation n°7 : mieux articuler norme et normalisation
Dans le domaine économique, le droit souple (la normalisation volontaire co-construite par les entreprises et la régulation économique) doit alléger le droit dur (les lois et décrets imposés aux entreprises). Le droit souple peut contribuer à enrayer la tendance au droit bavard s'il permet de recentrer le droit dur sur les dispositions qui doivent vraiment relever de lui.
Le droit souple ou la régulation garantissent :
- une association des entreprises et notamment des PME à l'élaboration de la norme qui la concerne ;
- la compétitivité des entreprises françaises, puisqu'elle est partagée au niveau international ;
- la pertinence de la norme puisqu'elle prévoit un mécanisme de péremption de la norme volontaire si elle n'est pas utilisée par les entreprises, car non pertinente ou obsolète.
L'option entre le droit dur et le droit souple doit donc être envisagée dès l'étude d'impact afin de choisir la procédure la plus pertinente entre la norme obligatoire et la normalisation volontaire.
* 2 « Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays »