C. GARANTIR UN PORTAGE BUDGÉTAIRE ET POLITIQUE DES QUESTIONS RELATIVES AUX FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER À LA HAUTEUR DES ATTENTES DES CITOYENS ET DES ÉLUS
1. Un rattachement administratif et budgétaire au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, un portage politique pas toujours à la hauteur
Depuis 2011, le portefeuille gouvernemental des Français de l'étranger relève d'un ministère délégué ou d'un secrétariat d'État, et non pas d'un ministère de plein exercice.
Titulaires du portefeuille gouvernemental des Français de l'étranger depuis 2011
Période |
Titulaire |
Portefeuille |
Juin 2011-septembre 2011 |
David Douillet |
Secrétaire d'État chargé des Français de l'étranger |
Septembre 2011-mai 2012 |
Édouard Courtial |
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Ministre déléguée aux Français de l'étranger et à la Francophonie |
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Ministre déléguée aux Français de l'étranger |
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Secrétaire d'État chargé du Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l'étranger |
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Secrétaire d'État chargé du Développement, de la Francophonie et des Français de l'étranger |
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Secrétaire d'État chargé du Tourisme, des Français de l'étranger et de la Francophonie |
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Juillet 2020-mai 2022 |
Ministre délégué chargé du Tourisme, des Français de l'étranger et de la Francophonie |
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Ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité et des Français de l'étranger |
Source : commission des lois du Sénat
Sous la tutelle du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le ministre délégué peut seulement disposer des services placés sous l'autorité de ce dernier128(*) : aujourd'hui, il n'a donc pas d'autorité hiérarchique directe sur la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire alors que c'est lui qui est au quotidien l'interlocuteur des élus des Français de l'étranger.
Cette situation singulière est jugée par les rapporteurs préjudiciable à la bonne mise en oeuvre des politiques publiques intéressant les Français de l'étranger ainsi qu'à la poursuite d'un dialogue sur un pied d'égalité avec l'AFE ; ils constatent que le ministre de tutelle, soit le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, « sous-traite » à son ministre délégué ou à son secrétaire d'État l'ensemble des politiques publiques concernant les Français établis hors de France, alors que celui-ci ne dispose pas de façon autonome de la capacité décisionnelle permettant de résoudre les problèmes qui lui sont soumis. De nombreuses difficultés, à l'image des réductions d'effectifs préoccupantes dans les consulats, s'aggravent ainsi, faute d'un interlocuteur gouvernemental décisionnaire.
C'est pourquoi les rapporteurs suggèrent de réserver le portefeuille des Français établis hors de France au ministre chargé des affaires étrangères lui-même. Ceci permettrait au ministre en charge des Français de l'étranger de disposer directement de l'administration centrale.
Proposition : Assurer des relations directes entre l'AFE et le ministère des affaires étrangères lui-même : réserver le portefeuille des Français établis hors de France au ministre des affaires étrangères.
Plus généralement, les rapporteurs déplorent que l'AFE se soit retrouvée prisonnière d'un dialogue exclusif avec le membre du Gouvernement dédié à la relation avec les Français de l'étranger.
Alors que la loi du 22 juillet 2013 visait, dans son esprit, à permettre un échange entre l'AFE et le ministre compétent pour chaque domaine considéré - ministre chargé du budget et des comptes publics ; ministre chargé des affaires sociales ; etc. -, en pratique, seul le ministre délégué aux Français de l'étranger se déplace devant l'AFE, quel que soit le thème abordé.
Les rapporteurs relèvent, du reste, que depuis la réforme de 2013, un seul Président de la République en exercice s'est rendu devant l'Assemblée des Français de l'étranger, et à une seule reprise129(*). Loin d'être anodin, ce constat témoigne du faible portage politique dont bénéficient les questions relatives aux Français de l'étranger et leur représentation.
De manière générale, les rapporteurs soulignent que les questions intéressant les Français établis hors de France ont une dimension intrinsèquement interministérielle, comme l'ont montré la crise liée à la covid-19 et la réforme des retraites.
Afin de garantir un portage budgétaire des crédits relatifs aux élus des Français de l'étranger cohérent avec cette dimension interministérielle, les rapporteurs proposent d'extraire ces derniers du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » les crédits relatifs à l'AFE130(*), pour les rattacher auprès du Premier ministre. Ils pourraient ainsi être affectés à la mission « direction de l'action du Gouvernement »131(*).
Proposition : Sortir les crédits relatifs à l'Assemblée des Français de l'étranger du programme budgétaire 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », rattaché au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour les affecter à la mission « Direction de l'action du Gouvernement », rattachée au Premier ministre.
Le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires »
Ce programme comprend trois actions (01-Offre d'un service public de qualité aux Français à l'étranger ; 02-Accès des élèves français au réseau AEFE ; 03-Instruction des demandes de visa), pour un montant de 390 millions d'euros environ en loi de finances pour 2023.
Au sein de l'action n°1, le pôle consacré à l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) est doté de 2 320 000 € en crédits de paiement dans la loi de finances initiale pour 2023. Il finance :
- le remboursement des frais de séjour et de déplacement des conseillers à l'AFE (240 000 €) : les conseillers à l'AFE perçoivent un remboursement de leurs frais de séjour et de déplacement lors de leur venue aux deux sessions annuelles de l'AFE (article 34 du décret n° 2014-144 du 18 février 2014).
- le budget de fonctionnement de l'AFE (180 000 €) : celui-ci intègre l'organisation de deux sessions annuelles à Paris pour les 90 conseillers à l'AFE ; l'hébergement du site internet de l'AFE et ses actualisations ; le financement des études demandées par les conseillers à l'AFE et des évènements ponctuels relatifs à la représentation politique des Français de l'étranger ; l'organisation matérielle et logistique des élections des sénateurs.
- les indemnités des conseillers des Français de l'étranger (1 900 000 €) : versement des deux indemnités semestrielles ; remboursement en cas de dépassement des frais de déplacement ; allocation d'assurance annuelle.
Source : commission des lois à partir du projet annuel de performance pour 2023
2. Garantir un dialogue régulier entre le Gouvernement et l'Assemblée des Français de l'étranger
En théorie, la loi du 22 juillet 2013 a prévu de nombreux instruments de dialogue entre le Gouvernement et l'Assemblée des Français de l'étranger, présentés plus haut ; en pratique, toutefois, leur utilisation depuis 2013 apparaît modeste.
a) La consultation de l'AFE par le Gouvernement sur les questions concernant les Français établis hors de France
Comme souligné par le ministre délégué Olivier Becht lors de son audition en commission le 27 juin 2023, les consultations effectuées à l'occasion de la session plénière de l'AFE de mars 2023 par le ministre des armées, d'une part, et le ministre délégué lui-même au sujet du « pass culture » et du « pass éducation », d'autre part, ont constitué la première application de l'article 12 de la loi du 22 juillet 2013, qui prévoit la possibilité, pour le Gouvernement, de consulter l'AFE sur les questions concernant les Français établis hors de France.
En 2013, lors de l'examen du projet de loi, la commission des lois s'était interrogée sur l'opportunité de prévoir une obligation de consultation de l'AFE sur les questions concernant les Français établis hors de France. Compte tenu du rythme des sessions de l'AFE, elle avait estimé qu' « un avis obligatoire de l'AFE sur tous les projets de loi, d'ordonnance ou de décret concernant les Français de l'étranger [...] ne serait guère envisageable à ce stade »132(*).
Au vu du bilan de l'application de l'article 12 de la loi du 22 juillet 2013, les rapporteurs estiment toutefois que la question mérite d'être reposée. D'une part, rendre obligatoire la consultation par le Gouvernement apparaît comme le moyen de rendre cette consultation effective ; d'autre part, il ne serait pas incohérent avec la volonté de valoriser le rôle de l'AFE de prévoir qu'elle puisse être sollicitée en dehors des sessions plénières. C'est pourquoi les rapporteurs proposent désormais de transformer la possibilité offerte au Gouvernement de consulter l'AFE sur les questions concernant les Français établis hors de France en une obligation.
Proposition : Transformer la possibilité offerte au Gouvernement de consulter l'AFE sur les questions concernant les Français établis hors de France en une obligation.
En outre, les rapporteurs considèrent que les enjeux spécifiques auxquels sont confrontés les Français établis hors de France devraient être davantage pris en compte par le Gouvernement lorsqu'il élabore la loi. Afin que l'incidence sur les Français vivant à l'étranger des textes législatifs d'initiative gouvernementale puisse être précisée et évaluée à chaque fois, ils proposent ainsi que les études d'impact comportent un volet consacré aux Français de l'étranger133(*).
Proposition : Prévoir que les études d'impact comportent un volet consacré aux Français de l'étranger.
S'agissant en particulier du projet de loi de finances, il apparaît souhaitable de renforcer la compétence consultative de l'AFE, et donc le dialogue entre l'AFE et le Gouvernement, à un double titre.
Tout d'abord, il semble que l'AFE ne se soit jusqu'à présent pas saisie réellement de la possibilité offerte par l'article 11 de la loi du 22 juillet 2013 de faire part de ses observations au Gouvernement sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Afin de valoriser le rôle de l'AFE et d'assurer auprès du Gouvernement et du Parlement une plus grande visibilité à ses travaux, les rapporteurs suggèrent de formaliser la procédure prévue à l'article 11 de la loi du 22 juillet 2013 : l'AFE émettrait ainsi un avis sur le projet de loi de finances dès le dépôt de celui-ci sur le bureau de l'Assemblée nationale. Cet avis serait adressé non seulement au ministre chargé des comptes publics, mais également aux commissions des finances des deux assemblées parlementaires.
Proposition : Prévoir que l'AFE émette un avis sur le projet de loi de finances adressé au ministre chargé des comptes publics, qui est également transmis aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Pour les rapporteurs, il serait par ailleurs opportun de donner à l'AFE la possibilité de se prononcer, en amont de l'élaboration du projet de loi de finances, sur les crédits qui lui sont alloués.
Proposition : Prévoir la consultation de l'AFE par le Gouvernement en amont de l'élaboration du projet de loi de finances sur les crédits alloués.
b) Le rapport annuel sur la situation des Français établis hors de France et les politiques conduites à leur égard
L'article 10 de la loi du 22 juillet 2013 prévoit la remise annuelle du rapport sur la situation des Français établis hors de France, sans toutefois préciser de date. En pratique, ce rapport est remis au mois d'octobre de l'année n, sur les éléments relatifs à l'année n-1134(*).
Les rapporteurs jugent que ce décalage temporel conséquent fait perdre à ce rapport une grande partie de son intérêt ; pour être pleinement utile aux conseillers à l'AFE, ils estiment ainsi qu'il conviendrait d'avancer la date de sa remise, au plus tard à la session plénière du mois de mars.
Proposition : Avancer le calendrier de remise par le Gouvernement du rapport annuel sur la situation des Français de l'étranger.
c) Les questions écrites des conseillers et les résolutions de de l'Assemblée
Si les conseillers à l'AFE disposent du droit de faire part de questions écrites aux membres du Gouvernement sur « toute question consulaire ou d'intérêt général, notamment culturel, éducatif, économique et social » concernant les Français de l'étranger135(*), le taux de réponse paraît perfectible : il s'élèverait à un peu plus de 50 % sur la mandature qui a commencé en 2021136(*).
Plus encore que le taux en lui-même, les rapporteurs regrettent l'absence d'outil de suivi. Ils s'étonnent ainsi que le taux de réponse lors de la mandature 2014-2021 ne soit pas connu de l'administration centrale.
Dans la lignée à la fois des outils mis en oeuvre par les assemblées parlementaires137(*) et de la proposition formulée à cet égard par la commission des lois de l'AFE dans son rapport d'octobre 2022138(*), les rapporteurs proposent de confier au secrétariat général de l'AFE la charge de tenir à jour un tableau de suivi des réponses aux questions écrites des conseillers. Ce tableau serait présenté à chaque début de session, devant le Gouvernement.
Proposition : Afin d'améliorer le taux de réponse du Gouvernement aux questions écrites des membres de l'AFE, instaurer un tableau de suivi, tenu par le secrétariat général et qui serait présenté à chaque début de session.
Par ailleurs, à la suite de la proposition formulée par la commission des lois de l'AFE dans son rapport d'octobre 2022139(*), une audition spéciale « sur les efforts entrepris par les parlementaires et les membres du Gouvernement lors des six derniers mois écoulés pour transposer les résolutions de l'AFE dans le droit » a eu lieu lors de la session de l'AFE de mars 2023.
Si le bilan de cette audition semble mitigé140(*), les rapporteurs n'en estiment pas moins nécessaire de renforcer la visibilité des travaux conduits par l'AFE de sa propre initiative. Aussi souhaitent-ils inviter le Gouvernement - et lui seul - à présenter le suivi des résolutions de l'AFE, étant entendu que toutes les résolutions n'ont pas la même vocation à devenir des dispositions législatives ou réglementaires. Par cohérence, cette présentation pourrait avoir lieu lors de la remise du rapport sur la situation des Français établis hors de France.
Proposition : Prévoir dans la loi que le Gouvernement, lors de la présentation du rapport sur la situation des Français établis hors de France, présente le suivi des résolutions de l'Assemblée des Français de l'étranger.
* 128 Conformément à l'article 3 du décret n° 2022-1068 du 29 juillet 2022 relatif aux attributions du ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, qui prévoit que « pour l'exercice de ses attributions, le ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, dispose des services placés sous l'autorité de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères ou dont elle dispose ».
*
129 Emmanuel Macron a tenu un discours le 2
octobre 2017 à l'occasion de la 27e session
plénière de l'Assemblée des Français de
l'étranger :
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/10/02/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-l-occasion-de-la-27-session-pleniere-de-l-assemblee-des-francais-de-l-etranger
* 130 En loi de finances initiale pour 2023, ils se sont élevés à 420 000 euros (dont 180 000 euros de budget de fonctionnement).
* 131 Qui comprend à l'heure actuelle deux programmes : le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » et le programme 308 « Protection des droits et libertés ».
* 132 Rapport n° 424 (2012-2013), p. 61.
* 133 En l'état du droit, l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 prévoit que les études d'impact doivent exposer avec précision, entre autres, « les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises » et « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées ».
* 134 Ainsi, le rapport portant sur l'année 2021 a été remis le 10 octobre 2022 ( https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/286743.pdf)
* 135 Conformément à l'article 39 du décret n° 2014-144 du 18 février 2014.
* 136 Source : direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire.
* 137 Le Sénat publiant par exemple les données relatives aux réponses des ministres, sous la forme de classement et de statistiques.
* 138 La proposition de résolution n° 4, intitulée « Suivi détaillé des questions des conseillers à l'AFE », prévoit ainsi qu' « à chaque session de l'AFE, le Secrétariat Général de l'AFE présentera devant l'Assemblée réunie en session plénière un compte rendu détaillé du nombre de questions écrites posées par les conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger depuis la dernière session, et du nombre de ces questions auxquelles une réponse a été apportée » (p. 24 du rapport précité).
* 139 Proposition de résolution n° 5 : « Audition consacrée aux comptes rendus des parlementaires représentant les Français établis hors de France des efforts de transposition dans le droit des résolutions de l'AFE », p. 25.
* 140 Dans la contribution transmise aux rapporteurs, le groupe Solidaires et Indépendants indique ainsi que « pratiquement aucun des parlementaires présents [...] n'avait compris l'exercice ».