B. L'ASSEMBLÉE DES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER : UNE ASSEMBLÉE CONSULTATIVE QUI N'A PAS TROUVÉ TOUTE SA PLACE

1. La loi de 2013 : le rôle consultatif de l'Assemblée des Français confirmé, sa composition homogénéisée, mais une articulation avec les conseils consulaires qui demeure complexe

Succédant en 2004107(*) au Conseil supérieur des Français de l'étranger108(*), l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) est l'assemblée représentative des Français établis hors de France. Elle a pour fonction de permettre aux Français de l'étranger de participer, malgré leur éloignement, à la vie politique nationale, de défendre leurs intérêts et de relayer leurs attentes au niveau central.

Composée de six commissions109(*), l'AFE se réunit au moins deux fois par an à Paris, à l'initiative de son président et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères110(*).

a) Un rôle consultatif confirmé

La loi n° 82-471 du 7 juin 1982 confiait à l'AFE la charge de « donner au Gouvernement des avis sur les questions et projets intéressant les Français établis hors de France et le développement de la présence française à l'étranger » et prévoyait que « dans les matières ressortissant directement à sa compétence, [elle pouvait] être consultée par le Gouvernement sur les projets de textes législatifs et réglementaires ». Elle pouvait également « donner son avis sur tout autre projet que lui soumet le Gouvernement [et] de sa propre initiative, adopter des avis, des voeux et des motions sur tout sujet concernant les Français établis hors de France et le développement de la présence française à l'étranger »111(*).

La loi du 22 juillet 2013 a confirmé le rôle consultatif de l'AFE. Celle-ci peut être consultée par le Gouvernement, ainsi que par le président de l'Assemblée nationale ou par le président du Sénat, « sur la situation des Français établis hors de France et sur toute question consulaire ou d'intérêt général, notamment culturel, éducatif, économique ou social les concernant »112(*).

L'AFE peut également se saisir d'office d'un sujet, pour « réaliser des études et adopter des avis, des résolutions et des motions »113(*). Comme rappelé par Jean-Yves Leconte dans son rapport sur le projet de loi de 2013, ces catégories terminologiques correspondent aux usages qui avaient déjà cours au sein de l'AFE avant la réforme : de façon précise, « les avis sont formulés pour répondre aux saisines du Gouvernement, les résolutions pour prendre position sur une question d'intérêt général et les motions pour évoquer une question d'intérêt local »114(*).

Chaque année, le Gouvernement présente devant l'AFE un rapport sur la situation des Français établis hors de France et les politiques conduites à leur égard, qui donne lieu à un débat en présence du Gouvernement, sur lequel l'Assemblée peut émettre un avis115(*). La liste des sujets sur lesquels le rapport du Gouvernement doit porter a été complétée en 2020116(*) afin d'y intégrer « les violences conjugales concernant les Français établis hors de France »117(*).

Le Gouvernement doit également informer l'AFE des dispositions contenues dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui concernent les Français établis hors de France118(*).

Enfin, chaque conseiller à l'AFE peut saisir les membres du Gouvernement de toute question consulaire ou d'intérêt général, notamment culturel, éducatif, économique et social, concernant les Français établis hors de France119(*).

b) Une assemblée composée désormais exclusivement d'élus

La loi du 22 juillet 2013 a uniformisé la composition de l'Assemblée des Français de l'étranger, en supprimant la présence des 23 députés et sénateurs ainsi que celle des 12 personnalités qualifiées désignées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Composition de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE)

 

Entre 2004 et 2012

Entre 2012 et 2014

Depuis 2014

Membres élus

155120(*)

(au suffrage universel direct)

155

(au suffrage universel direct)

90

(au suffrage universel indirect)

Parlementaires

12 sénateurs

12 sénateurs

11 députés

-

Personnalités qualifiées désignées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères121(*)

12

12

-

Total

179

190

90

Président

Ministre des Affaires étrangères

Conseiller à l'AFE élu par ses pairs

Source : commission des lois du Sénat

c) L'articulation entre les instances représentatives des Français de l'étranger demeure une source de complexité

Pour autant, l'articulation entre les deux niveaux de représentation que constituent les conseils consulaires et l'AFE reste complexe pour les Français établis hors de France.

Face à ce constat, le Gouvernement avait envisagé, au début de l'année 2018, une mesure de simplification institutionnelle visant à instaurer une catégorie unique de représentants ; selon ce schéma, qui reposerait donc sur une seule élection, l'ensemble des conseillers des Français de l'étranger siègeraient à l'AFE122(*).

Une telle mesure apparaît toutefois difficile à mettre en oeuvre à effectifs constants, tandis que la contrepartie qui avait été prévue par le Gouvernement - à savoir, réduire d'un tiers, voire de moitié, le nombre de conseillers des Français de l'étranger - n'est pas non plus souhaitable : elle remettrait en effet le lien de proximité entre les Français de l'étranger et leurs élus, qui était au coeur de la réforme de 2013.

En tout état de cause, cette piste n'a pu voir le jour avant les élections de 2021, et ne semble désormais plus d'actualité.

2. Pousser à son terme la logique de la réforme de 2013 : faire de l'Assemblée des Français de l'étranger une assemblée délibérative

Pour les rapporteurs, le manque de lisibilité du système aux yeux des Français expatriés tient moins au double degré de représentation qu'à l'absence de fonctions décisionnelles exercées par l'AFE.

Le rôle exclusivement consultatif qui lui a été dévolu par la loi du 22 juillet 2013 empêche en effet l'AFE de prendre sa place en tant qu'échelon intermédiaire entre la représentation locale - les conseils consulaires - et la représentation nationale - le Parlement.

Aussi les rapporteurs souhaitent-ils pousser à son terme la logique de la réforme de 2013 et faire de l'AFE une assemblée délibérative. Ils proposent ainsi de la doter par la loi de pouvoirs décisionnaires dans trois domaines : en matière de bourses scolaires, d'aides sociales, et de soutien au tissu associatif des Français à l'étranger.

Aujourd'hui, l'attribution des bourses scolaires123(*) est décidée par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), conformément à l'article L. 452-2 du code de l'éducation124(*).

L'AEFE décide des attributions après l'étude des dossiers par les conseils consulaires concernés et la consultation de la commission nationale des bourses. Les rapporteurs suggèrent qu'à l'avenir, l'AEFE décide de leur attribution conjointement avec l'AFE, et que les instructions relatives aux bourses scolaires soient adoptées après délibération par l'AFE.

S'agissant des aides sociales au bénéfice des Français en difficulté à l'étranger125(*), en particulier en faveur des personnes âgées et handicapées, les demandes de versement sont actuellement instruites par la commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étranger (CPPSFE), présidée par le ministre chargé des affaires étrangères126(*), après l'étude des dossiers par les conseils consulaires concernés. Les rapporteurs proposent d'inscrire dans la loi le principe de ces allocations et la compétence conjointe de l'AFE et du ministère des affaires étrangères sur la détermination des critères d'attribution et la décision d'attribution.

Enfin, de façon similaire, les rapporteurs proposent que l'AFE instruise, conjointement avec la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, les demandes de versement des aides de soutien au tissu associatif des Français à l'étranger127(*) (STAFE), dont le principe serait inscrit dans la loi.

Proposition : Faire de l'Assemblée des Français de l'étranger une assemblée délibérative : la doter, conjointement avec l'administration, de pouvoirs décisionnaires en matière de bourses scolaires, d'aides sociales, et de soutien au tissu associatif des Français à l'étranger, et inscrire ces compétences dans la loi.


* 107 Loi n° 2004-805 du 9 août 2004.

* 108 Instauré par la loi n° 82-471 du 7 juin 1982.

* 109 Finances et budget, commerce extérieur, développement durable et emploi ; enseignement, culture, audiovisuel extérieur et francophonie ; lois, règlements et affaires consulaires ; sécurité et protection des personnes et des biens ; affaires sociales et anciens combattants.

* 110 Article 9 de la loi du 22 juillet 2013.

* 111 Article 1 A de la loi n° 82-471 du 7 juin 1982.

* 112 Article 12 de la loi du 22 juillet 2013.

* 113 Article 12 de la loi du 22 juillet 2013.

* 114 Rapport n° 424 (2012-2013) fait par Jean-Yves Leconte au nom de la commission des lois du Sénat, p. 61.

* 115 Article 10 de la loi du 22 juillet 2013.

* 116 Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

* 117 Cet item devient le 4° d'une liste comprenant désormais 8 thématiques.

* 118 Article 11 de la loi du 22 juillet 2013.

* 119 Article 39 du décret n° 2014-144 du 18 février 2014.

* 120 Le nombre de conseillers à l'AFE élus est passé progressivement de 150 à 155 entre 2004 et 2009.

* 121 Ces personnalités qualifiées, désignées sur la base d'une liste préalablement arrêtée de fonctions, avaient seulement voix consultative.

* 122 Voir le rapport n° 251 (2018-2019) de Jacky Deromedi fait au nom de la commission des lois, p. 24.

* 123 Pour rappel, le montant des bourses scolaires s'est élevé à plus de 115 millions d'euros en 2021.

* 124 Qui prévoit que l'AEFE a pour objet, entre autres, « d'accorder des bourses aux enfants de nationalité française scolarisés dans les écoles et les établissements d'enseignement français à l'étranger dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de l'éducation, du ministre chargé des affaires étrangères et du ministre chargé de la coopération ».

* 125 Dont le montant s'est élevé à 15,4 millions d'euros en 2022.

* 126 Aux termes de l'article 5 du décret n° 92-437 du 19 mai 1992.

* 127 Le budget alloué au STAFE par la loi de finances pour 2023 s'est élevé à 2 millions d'euros.