C. LE CHEF D'oeUVRE INCONNU : LES LOIS DE PROGRAMMATION PLURIANNUELLES DES FINANCES PUBLIQUES
Les collectivités territoriales, et les communes en particulier, jouent un rôle essentiel dans la vie économique française. Outre les services essentiels qu'elles assurent quotidiennement au profit de leurs administrés, elles participent grandement à l'investissement. En effet, les collectivités territoriales sont à l'origine de 70 % de cet investissement, soit 65 milliards d'euros en 2021141(*). Le bloc communal est responsable de 38,5 milliards d'euros de ces investissements142(*), soit plus de la moitié.
Or pour investir, un opérateur, quel qu'il soit, a besoin de prévisibilité de ses ressources. Les communes n'échappent pas à cette règle.
Le constat sur l'état des finances locales est connu et unanime. Comme le souligne le Charles Guené, les collectivités « font face à un manque de visibilité et de prévisibilité qui résulte aussi bien de leur dépendance accrue aux financements étatiques que de l'illisibilité du système »143(*). Les réformes récentes de la fiscalité locale, dont la suppression de la taxe d'habitation, illustrent le défaut d'information préalable des collectivités territoriales qui sont pourtant directement concernées par ces changements. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, la commission des lois avait souligné le manque de concertation en amont des élus locaux, d'une part, et regretté le choix du Gouvernement de ne pas débattre de cette suppression dans un texte centré sur la fiscalité locale, d'autre part144(*).
En outre, selon le sénateur Agnès Canayer, le manque de lisibilité des finances locales est aussi dû à « l'émiettement des mesures budgétaires et fiscales ayant une incidence sur les ressources comme les dépenses des collectivités territoriales dans le projet de loi de finances »145(*). Elle souligne à cet égard que la mission « Relation avec les collectivités territoriales » (RCT) ne représente qu'une part résiduelle des transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales. Selon le projet de loi de finances initial pour 2023, la mission « RCT » portait sur 4 % de ces montants. Cela représente environ 4,4 milliards d'euros sur 107,6 milliards transférés par l'État aux collectivités.
Le débat parlementaire sur les finances publiques apparaît donc morcelé, empêchant toute vision d'ensemble. Pour le sénateur Charles Guené, « il n'existe pas de cadre législatif retraçant de manière globale les prévisions de recettes et de dépenses des collectivités territoriales pour l'année. Du fait de la bipartition des lois de finances, ces dispositions sont éclatées entre la première (prélèvements sur recettes, impôts locaux) et la seconde partie (répartition des concours financiers de l'État et des fonds de péréquation). »146(*)
L'introduction à l'article 34 de la Constitution des lois de programmation des finances publiques (LPFP) aurait pu changer la donne et offrir aux élus locaux une meilleure prévisibilité de l'évolution des dotations d'État.
Néanmoins, en pratique, l'expérience a plutôt été mitigée voire négative. En effet, comme le note le Charles Guené dans l'avis cité précédemment, « les dernières lois de programmation des finances publiques (LPFP) se sont attachées à contraindre l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement par la définition d'un objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel), ce qui revient à assumer la réduction drastique des marges de manoeuvres laissées aux collectivités territoriales dont les choix de gestion sont désormais particulièrement contraints »147(*).
Il poursuit en précisant qu'« en LPFP 2018-2022, le suivi de cet objectif a été assorti d'un mécanisme contractuel contraignant de surveillance et de sanction, les “contrats de Cahors”, portant une atteinte claire à la libre administration des collectivités territoriales ».148(*) La même problématique est apparue lors de l'examen, à l'automne 2022, du dernier projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. L'article 23 de ce texte prévoyait notamment un dispositif d'association des collectivités à l'objectif de redressement des dépenses publiques. Particulièrement décrié, il a été rejeté par les deux assemblées. Le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, a d'ailleurs qualifié ce mécanisme de « liberté surveillée », estimant qu'il s'agissait d'un dispositif très proche des anciens « contrats de Cahors »149(*).
Cependant, comme le relève Charles Guené, c'est moins l'outil en lui-même que « les choix politiques successifs opérés par l'État » qui ont conduit à cet échec150(*). Ceci le conduit à plaider pour faire « des LPFP de véritables outils de visibilité pour les collectivités territoriales, y compris en matière d'évolution des ressources de fiscalité partagée et d'évolution des compensations des transferts de compétences [...] et non des instruments de contrainte budgétaire comme ce fut le cas jusqu'ici »151(*).
Le rapporteur de la mission d'information estime que, dans ces conditions, cette idée, également formulée par le groupe de travail « Décentralisation » présidé par le Président du Sénat, Gérard Larcher, mérite d'être reprise pour apporter aux collectivités territoriales, et tout particulièrement aux communes, une plus grande prévisibilité dans l'évolution des dotations d'État.
Proposition n° 3 : Assurer aux communes les moyens financiers de leur liberté : pour des financements lisibles et prévisibles.
Sous-proposition n° 3 : Faire des lois de programmation des finances publiques de véritables outils conférant une visibilité sur l'évolution des ressources des collectivités territoriales.
* 141 Rapport d'information n° 1004 fait par Thomas Cazenave au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale sur l'accélération de l'investissement des collectivités territoriales dans la transition écologique.
* 142 Cour des comptes, Les finances publiques locales 2022, fascicule 1, rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements en 2021, juillet 2022.
* 143 Avis n° 468 (2022-2023) présenté par Charles Guené au nom de la commission des finances sur la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences.
* 144 Avis n° 146 (2019-2020) - Tome XII présenté par Loïc Hervé au nom de la commission des lois sur le projet de loi de finances pour 2020 (« Relations avec les collectivités territoriales »), déposé le 21 novembre 2019.
* 145 Rapport n° 471 (2022-2023) fait par Agnès Canayer au nom de la commission des lois sur la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences, déposé le 29 mars 2023.
* 146 Ibid, op. cit. note n° 1.
* 147 Avis n° 468 (2022-2023) présenté par Charles Guené, préc.
* 148 Ibid.
* 149 Rapport n° 86 (2022-2023) fait par Jean-François Husson au nom de la commission des finances sur le projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation des finances publiques pour les années 2023-2027, déposé le 27 octobre 2022.
* 150 Avis n° 468 (2022-2023) présenté par Charles Guené, préc.
* 151 Ibid.