CONCLUSION GÉNÉRALE
Ainsi que le résume Yann Lasnier, délégué général des Petits frères des pauvres, les élus locaux sont « les mieux placés pour disposer à la fois de la légitimité et de la capacité suffisante pour entraîner les forces vives de leur territoire »102(*) en faveur du bien vieillir.
Les élus du bloc communal, fidèles à leur réputation « d'inventeurs de solutions », rivalisent d'ingéniosité pour déployer des dispositifs permettant d'adapter leur territoire au vieillissement de la population. Ces enjeux intéressent l'ensemble des domaines de l'action communale et supposent le déploiement d'une véritable « politique à 360° », dans des domaines aussi variés que les mobilités, le logement, la voirie ou l'offre culturelle.
Cependant, les moyens des communes et des intercommunalités restent insuffisants face aux défis croissants, exacerbés par les lacunes des politiques nationales.
Comme le rappelait le Sénat lors des débats sur la proposition de loi dite « Bien vieillir », une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge reste incontournable pour faire du « bien vieillir » une « grande cause nationale », conformément aux valeurs de fraternité.
EXAMEN EN DÉLÉGATION
Lors de sa réunion du 8 octobre 2024, la délégation aux collectivités territoriales a autorisé la publication du présent rapport.
M. Rémy Pointereau, premier vice-président. - Mes chers collègues, l'ordre du jour de cette semaine est chargé. Nous discutons aujourd'hui d'un thème transversal, qui est au coeur des préoccupations des élus locaux et met à l'honneur le foisonnement de leurs initiatives, à savoir le vieillissement de la population.
Alors que nous venons de célébrer, le 1er octobre dernier, la Journée internationale des personnes âgées, la décennie 2020 est marquée par un phénomène saillant, auquel les maires sont confrontés : l'explosion du nombre de personnes âgées de 75 à 84 ans. D'ici à 2030, leur nombre aura augmenté de 49 % par rapport à 2020 ! Ce n'est pas rien.
Même si elle relève d'abord des
compétences départementales, l'adaptation au vieillissement est
donc tout à la fois un défi pour le bloc communal, à
l'heure où les politiques nationales et les moyens alloués
à la prévention sont insuffisants - au regard du contexte,
cela risque de le
rester -, et un appel à réinventer les
territoires et à renforcer l'inclusion des personnes âgées,
conformément au principe de fraternité inscrit sur le fronton de
nos mairies.
L'adaptation du bloc communal au vieillissement, enjeu éminemment transversal, suppose une « politique à 360 degrés », selon la formule utilisée par Luc Broussy dans son rapport interministériel sur l' « Adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires à la transition démographique » de mai 2021, qu'il s'agisse de repenser l'aménagement des espaces publics ou la voirie pour les rendre plus accessibles, d'adapter les logements pour permettre à nos concitoyens de vieillir dignement chez eux - certaines communes le font déjà -, de lutter contre l'isolement et la « mort sociale », tant en ville qu'à la campagne.
En bonne entente avec la commission des affaires sociales, dont nos collègues rapporteurs, Laurent Burgoa et Corinne Féret, sont d'ailleurs membres -, nous avons bien pris soin d'exclure de notre champ les aspects relatifs à la situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), puisqu'il s'agit de compétences nationales et départementales. Nous renvoyons sur ces points à l'excellent travail de la mission d'information sur la situation des Ehpad, présenté le 25 septembre 2024.
Vous en conviendrez aisément, toutefois, les sujets de discussion ne manqueront pas.
M. Laurent Burgoa, rapporteur. - Ce fut un grand plaisir de travailler avec Corinne Féret. Notre dynamique de travail a été victime de la dissolution de l'Assemblée nationale, puisque certains de nos déplacements comme certaines de nos auditions ont été annulés : notre travail n'a pu reprendre qu'il y a quelques jours.
Comme le président Rémy Pointereau vient de l'indiquer, l'adaptation du bloc communal au vieillissement de la population est devenue impérieuse.
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a confié à Corinne Féret et à moi-même une mission d'information qui nous a conduits à mener des auditions avec des acteurs très variés : chercheurs, élus locaux et intercommunaux, associations d'aides aux personnes âgées, représentants de centres communaux d'action sociale (CCAS) ou encore de caisses de sécurité sociale.
Comme le prédisait Luc Broussy dans son rapport interministériel, il apparaît bien que « les maires sont en passe de devenir les grands architectes de la transition démographique ». Nous pourrions ajouter que les maires sont en première ligne face à des besoins croissants, mais non compensés, et que leur rôle, pourtant crucial, reste insuffisamment reconnu.
Les politiques nationales trahissent bien un manque d'anticipation, voire une certaine impréparation. Nous ne reviendrons pas ici sur la situation financière préoccupante des Ehpad. Je vous renvoie à mon tour au récent rapport d'information de la commission des affaires sociales.
Prenons un autre sujet stratégique, celui de l'adaptation des logements. À l'heure où 85 % des Français souhaitent vieillir chez eux, le nouveau dispositif « MaPrimeAdapt' » est largement sous-dimensionné : la Cour des comptes relève ainsi que les objectifs de logements à adapter, fixés à 680 000 sur dix ans, ne couvrent pas le besoin estimé à 2 millions de ménages prioritaires.
Les communes jouent un rôle traditionnellement
important dans la prise en charge des aînés. Le champ de l'action
sociale est le domaine dans lequel elles s'investissent le plus. Ces actions
sont souvent coordonnées - en tout cas, dans les communes à
partir de 1 500 habitants - par les CCAS, qui proposent dans
96 % des cas des aides facultatives aux personnes
âgées : portage de repas, aide à domicile,
activités culturelles et sportives dédiées aux seniors.
Les intercommunalités ont plus récemment investi ce champ. La création des centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) est possible depuis 1986 et l'échelon intercommunal peut être pertinent pour définir une stratégie de soutien aux personnes âgées, pourvu que les acteurs communaux soient étroitement associés à cette démarche, par exemple au sein des commissions Cohésion ou Grand Âge de l'intercommunalité.
Face au vieillissement accéléré de la population, de récentes avancées législatives ont partiellement reconnu le rôle du bloc communal. Ainsi, la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, dite « ASV », prévoit que le programme local de l'habitat (PLH) - élaboré tous les six ans à l'échelle intercommunale - intègre désormais la problématique de l'adaptation de l'habitat au vieillissement. L'obligation pesant sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) est essentiellement une « obligation de réflexion », et non pas une obligation de résultat.
Mme
Corinne Féret, rapporteure. - Je
remercie à mon tour
Laurent Burgoa : nous avons en effet
dû réaliser ce travail intéressant selon un calendrier
particulier.
J'insisterai d'abord sur les apports, encore trop limités, de la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, dite « Bien Vieillir ». L'AMF, dont nous avons auditionné les représentants, a souligné que les difficultés de collecte de certaines données personnelles pouvaient constituer un obstacle dans les opérations de lutte contre l'isolement des personnes âgées assurées par le bloc communal.
La loi « Bien Vieillir » apporte une première réponse en élargissant les possibilités de collecte de données par les maires et de transmission aux organismes compétents concernant les personnes âgées vulnérables, sauf opposition de ces dernières. Les nouvelles dispositions inscrites dans le code de l'action sociale et des familles doivent permettre de mieux repérer les personnes isolées et de les orienter vers les services adaptés.
Nous serons particulièrement attentifs à la
publication rapide du décret d'application, attendu d'ici à la
fin 2024, qui doit apporter davantage de sécurité juridique
aux communes. L'enjeu est de lutter contre le fléau de l'isolement.
Selon l'association Petits frères des pauvres,
530 000 personnes âgées de plus de 60 ans sont
aujourd'hui en situation de « mort sociale ».
Cette solitude peut aboutir à des cas dramatiques, les
phénomènes de « mort
isolée », qu'il nous faut à tout prix
éviter.
La loi « Bien Vieillir » prévoit également le déploiement, dans chaque département, à compter du 1er janvier 2025, d'un SPDA, après une courte phase de préfiguration dans dix-huit départements. Pour renforcer la coordination entre les acteurs de la politique du grand âge, le SPDA devra éviter certains écueils. En particulier, plusieurs de nos interlocuteurs - AMF, Intercommunalités de France, France urbaine notamment - se sont inquiétés du risque de déstabilisation des mécanismes de coordination locaux préexistant au SPDA. Il ne s'agit pas de fragiliser l'existant et d'avoir à repartir de zéro.
Le risque serait ainsi qu'« une coordination chasse l'autre et que le travail de mise en réseau reparte de zéro », en fragilisant l'ingénierie contractuelle liant par exemple certains CCAS aux centres locaux d'information et de coordination (Clic) gérontologiques.
Par exemple, la ville de Caen contribue activement au fonctionnement du Clic de Caen et Couronne : cette coopération vise déjà à offrir un guichet unique pour faciliter l'accès aux droits et les actions de prévention.
Ensuite, comme le Sénat l'a proposé dans le cadre des débats sur la proposition de loi « Bien Vieillir » et comme l'ont confirmé plusieurs de nos interlocuteurs, la territorialisation du SPDA gagnerait à être renforcée, sans remettre en cause le rôle légitime de chef de filât du département. Cette territorialisation pourrait consister à permettre aux conseils départementaux et aux ARS de définir des « territoires de l'autonomie » à l'échelon infradépartemental, c'est-à-dire au niveau du bassin de vie, qui peut parfois constituer une échelle plus fine pour adapter l'offre de services aux réalités locales.
M. Laurent Burgoa, rapporteur. - D'un point de vue stratégique, l'adaptation du bloc communal au vieillissement touche à l'ensemble des dimensions de la vie quotidienne.
Elle implique donc de déployer une « politique à 360 degrés » et de poser un « oeil âgé » sur l'ensemble des domaines d'action de la commune, pour reprendre la formule de Yann Lasnier, délégué général des Petits frères des pauvres.
Il peut s'agir, par exemple, de nommer un « maire adjoint en charge des seniors », donnant à sa délégation un caractère global en matière de logement, de mobilités, d'accès à l'espace public ou à la culture, et favorisant l'engagement citoyen.
De ce point de vue, le RFVAA, affilié à l'OMS, propose un référentiel que nos interlocuteurs de l'i2ml ont qualifié d'« extrêmement pertinent ».
La participation au réseau, qui comprend à
ce jour 330 membres, est conditionnée à la mise en oeuvre
d'un plan d'action structuré autour de
huit axes thématiques,
dont trois concernent l'environnement bâti et cinq relèvent de
l'environnement social.
Pour être labellisées, à l'instar de la commune de Clamart dont nous avons rencontré les représentants, les communes doivent s'engager dans une démarche participative qui suppose de consulter les personnes âgées aux différentes phases de la construction des politiques publiques, par exemple au travers de la constitution d'un « Conseil des aînés » qui ne peut pas être une simple coquille vide, mais doit être associé à certaines décisions.
Le processus est exigeant et l'obtention du label suppose plusieurs années de travail, entre la mise en place du plan d'action transversal, son évaluation et la mise en oeuvre de la démarche participative. Dans le département de ma collègue Corinne Féret, par exemple, la commune de Caen a engagé cette démarche en 2021 et vise l'obtention du label « Ville amie des aînés » en 2025.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Je souhaite citer la commune de Trévières, commune rurale de mon département, qui a décidé de proposer, dès 2017, des actions de maintien du lien social et de lutte contre l'isolement des aînés.
Trévières, qui est en lice pour l'obtention du label « Ville amie des aînés », organise des ateliers intergénérationnels dont le succès ne se dément pas, avec pour objectif de prévenir la perte d'autonomie, via des activités physiques adaptées et des randonnées, ou, plus largement, d'incarner les valeurs de fraternité. Une réflexion a également été engagée sur le mobilier urbain, avec l'installation de bancs.
Ces actions ont été facilitées par un diagnostic des besoins, financé à hauteur de 10 000 euros par un fonds aussi méconnu que plébiscité lors de nos auditions, le « Fonds d'appui pour des territoires innovants seniors ».
Ce fonds de dimension modeste - 8 millions d'euros - a été expérimenté entre 2022 et 2023. Alimenté par la CNSA et animé par le réseau « Villes amies des aînés », il a permis de soutenir 152 projets très concrets de communes et d'intercommunalités, tels que des projets d'adaptation de la voirie ou du mobilier urbain.
Alors que le fonds est aujourd'hui épuisé et que sa reconduction n'est, à ce jour, toujours pas confirmée, nous estimons qu'il s'agit là d'un dispositif de soutien à l'ingénierie pertinent pour répondre aux besoins concrets des élus communaux et intercommunaux. Nous préconisons donc de le pérenniser, en assouplissant certaines conditions pour permettre, notamment, un soutien pluriannuel aux projets qui, comme l'animation d'ateliers, supposent des financements réguliers pour ne pas péricliter.
Ce financement s'inscrit dans une logique de prévention et doit permettre au bloc communal d'anticiper ce qu'il est parfois convenu d'appeler le « mur démographique » ; celui-ci se rapproche inexorablement.
La commune de Trévières a été labellisée et reconnue « Petites villes de demain ».
Aussi ingénieux que soient les élus locaux, et nous devons ici leur rendre hommage, l'adaptation de notre société au vieillissement dépendra également de financements adaptés à l'échelle nationale et de la coordination entre les différents acteurs, y compris les acteurs communaux et intercommunaux.
Voilà autant de sujets qui, nous l'espérons, animeront les débats dans notre hémicycle, dans le cadre d'une future loi pluriannuelle sur le grand âge, maintes fois annoncée, mais toujours - nous le regrettons - reportée.
M. Rémy Pointereau, premier vice-président. - Je vous remercie de votre travail. L'isolement est en effet un problème majeur dans la ruralité. Certaines communes ont mis en place des systèmes d'alerte par application sur smartphone. Mais tout le monde n'a pas forcément de téléphone portable... Avez-vous réfléchi aux moyens de mieux alerter les personnes âgées en cas, par exemple, de vague de froid ou de fortes chaleurs ?
Le président du groupe « La Poste » nous a indiqué souhaiter que les facteurs puissent aller régulièrement à la rencontre des personnes seules et prendre soin d'elles. Évoquez-vous ce point dans le rapport ? Et faites-vous référence aux aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - je ne sais pas si elles existent encore - à l'adaptation des logements ?
M. Laurent Burgoa, rapporteur. - Nos travaux ont été extrêmement condensés, ce qui ne nous a pas forcément permis d'aborder autant de sujets.
« La Poste » disposera-t-elle des financements pour maintenir sa présence sur l'ensemble des territoires ? Nous attendons de voir. J'ai un exemple dans le Gard : une initiative en ce sens devait être engagée, mais elle a malheureusement été abandonnée in fine, « La Poste » ne pouvant pas en assumer la charge financière.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Nous avons surtout axé le rapport sur les communes et les intercommunalités, même s'il y a évidemment d'autres acteurs.
Ce qui est actuellement proposé par « La Poste » est un contrat payant. Les missions des facteurs, qui sont de facto parfois les seuls à avoir un contact avec les personnes âgées, ont évolué ; on leur demande beaucoup plus, et dans des délais réduit. En l'occurrence, ils peuvent effectivement passer du temps auprès des personnes âgées isolées, mais c'est contre rémunération. D'ailleurs, je le regrette : cela fait perdre toute notion de relation humaine.
Les systèmes d'alerte par application, c'est très bien, mais encore faut-il que les personnes aient un smartphone, sachent s'en servir, n'habitent pas en zone blanche, etc.
Il y a également le lien personnel ; les démarches « d'aller vers » sont essentielles. Dans les petites communes, les maires connaissent tous les habitants. Dans les communes plus importantes, ce lien peut être assuré par des agents de services municipaux. Le registre institué par la loi « Bien Vieillir » pourrait être utilisé pour référencer et identifier toutes les personnes, même hors des périodes de crise sanitaire. Mais, encore une fois, nous pensons que rien ne vaut le lien humain.
M. Grégory Blanc. - Comment pourrait-on utiliser davantage les multiples fonds qui existent dans des actions plus importantes ?
L'organisation du médico-social dans nos territoires est un sujet majeur. Entre les ARS et les départements, il est toujours difficile de savoir qui a la responsabilité. Je crois qu'une clarification est nécessaire.
Le SPDA, c'est très bien. Mais j'ai le sentiment que l'on évacue systématiquement les acteurs du privé. Or nous avons besoin d'eux dans nos territoires.
Comment permettre au bloc communal d'avoir une place dans l'organisation médico-sociale ?
Avez-vous réfléchi à une remise
à plat de la loi « Borloo »
de 2004 ? La désectorisation avait été
décidée dans un contexte de chômage
important.
Même s'il ne serait pas forcément souhaitable de revenir à
ce qui existait avant 2004, je pense que des ajustements s'imposent.
Mme Céline Brulin. - Sur ce sujet comme sur d'autres, c'est toujours un peu le même constat : il existe des dispositifs, des fonds, mais nous avons devant nous un vaste chantier pour apporter un peu plus de cohérence et permettre aux élus locaux de se repérer dans les méandres de mesures dont ils n'ont pas forcément connaissance.
Dans mon département, deux petites communes qui cherchaient, comme beaucoup d'autres, à lancer de toutes petites opérations de logement pour permettre à des anciens de rester sur leur territoire ont rencontré des difficultés pour trouver des financements. Les bailleurs et autres acteurs du logement privilégient plutôt des opérations d'envergure, qui sont, certes, respectables, mais qui ne correspondent pas aux besoins. Il me semble que nous manquons d'accompagnement et d'appui financier.
M. Bernard Delcros. - N'avez-vous pas le sentiment qu'il est difficile de connaître les différentes aides à l'habitat, voire de les demander, d'autant que les procédures sont souvent dématérialisées ? Ne serait-il pas utile d'aller vers une simplification ? Aujourd'hui, des personnes n'accèdent pas à leurs droits.
L'important est évidemment la relation humaine ; je pense aux maires, mais aussi aux clubs du troisième âge. Il faut, je le crois, appuyer ce que fait « La Poste » et utiliser, même si le service est payant, le maillage que les facteurs assurent sur l'ensemble du territoire pour apporter du lien humain et du service dans les communes.
Pour les seniors, la question de la mobilité en milieu rural est centrale. Comment se déplacer ? Comment accéder aux services ? Nous devons intégrer cette problématique.
Mme Sonia de La Provôté. - Le « mur démographique » qu'évoquait Corinne Féret est une réalité, singulièrement dans les petites communes.
Le parcours résidentiel est désormais l'alpha et l'oméga des politiques publiques en matière de logement. Le maintien à domicile est un objectif. Mais rester là où l'on a vécu, c'est rester dans sa commune, dans son quartier, pas forcément dans le même logement. Nombre de communes réfléchissent à proposer aux personnes âgées des logements plus petits pour que des familles avec enfants puissent occuper les logements plus grands. L'important est que la personne puisse rester en proximité avec son écosystème, le déracinement étant - nous le savons - une des premières causes de perte de repères et de décrochage. Il faut donc faire en sorte que les promoteurs prévoient ce parcours résidentiel. Je sais que les maires sont très actifs à cet égard.
Nous l'avons constaté pendant la crise covid à Trévières, où la maire s'est battue pour éviter des fermetures à la hussarde de distributeurs automatiques de billets : l'accès aux espèces est un sujet prioritaire qui mérite une mobilisation communale.
En matière de mobilité, l'offre de « Blablacar » à destination des collectivités permet aux personnes âgées qui le souhaitent de se déplacer tout en étant accompagnées par des habitants de la commune. Plusieurs municipalités ont recours à ce service, qui manifestement répond à une demande : il y a une vie en dehors du déplacement sanitaire.
Enfin, j'alerte sur la mise en place de dépôts collectifs pour les ordures ménagères. Elle est certes intéressante du point de vue du développement durable, mais il est difficile pour les personnes âgées d'y déposer leurs déchets. En réponse aux initiatives de certaines intercommunalités, il y a eu la « bronca » de ceux qui ne veulent pas, mais il y a aussi la « bronca » de ceux qui ne peuvent pas, et qu'il faut accompagner.
M. Fabien Genet. - Le ramassage à domicile était finalement une bonne chose.
Mme Patricia Schillinger. - Dans le territoire que je représente, aux frontières de la France, de la Suisse et de l'Allemagne, de nombreux habitants n'ont pas accès aux services à la personne. Cela s'explique aussi par la fracture des salaires : faire des ménages en Suisse rapporte deux ou trois fois plus qu'en France.
En tant que maire puis Sénatrice, j'ai pu constater que dans certaines communes, l'activité du CCAS se limitait à l'organisation de rares sorties ou grands anniversaires. Les actions de solidarité ou d'aide aux familles sont souvent renvoyées à l'assistante sociale. Aller vers l'autre et tendre la main n'est pas naturel. J'ai été adjointe aux affaires sociales et nous bénéficiions à l'époque de deux jours de formation sur cette question. Ce n'est plus le cas aujourd'hui pour les adjoints et conseillers qui sont chargés des CCAS. Il est vrai que dans les territoires ruraux, certaines personnes seules ne veulent pas être aidées. La désertification médicale accentue le phénomène. Dans ce contexte, le rôle de la commune dépasse le simple habitat : il faut un lien plus étroit entre la mairie et le monde associatif, et prévoir des actions de formation.
M. Rémy Pointereau, premier vice-président. - Le modèle des maisons d'accueil et de résidence pour l'autonomie (Marpa), développé par la Mutualité sociale agricole (MSA), fonctionne bien. Ces résidences non médicalisées permettent le maintien des personnes âgées sur le territoire.
Mme Sonia de La Provôté. - Lorsqu'une aide-ménagère est nécessaire, il faut pouvoir mettre en commun une partie de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et cela n'est pas toujours simple.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Sur la question de la mobilisation des fonds, nous manquions jusqu'à présent d'une approche globale. L'un des objectifs de notre rapport est précisément de recenser l'existant et de pointer les faiblesses en matière d'information et de communication.
La question du financement est évidemment cruciale. Le dispositif « MaPrimeAdapt' » fonctionne bien, mais son montant est largement insuffisant. Quant au « Fonds d'appui pour des territoires innovants seniors », il est géré par la CNSA, qui en dispose et répond aux sollicitations de nos collectivités.
Si les communes labellisées « Petite Ville de demain » bénéficient du soutien d'un chargé de mission en ingénierie, encore faut-il être labellisé. Il y a donc un effort à faire, notamment dans le cadre du réseau « Villes amies des aînés », qui concerne aussi les petites communes. Le rôle de l'ANCT a également été évoqué : il faut renforcer l'information sur les possibilités dont disposent nos collectivités.
L'organisation du secteur médico-social ne relevait pas du périmètre proprement dit de notre rapport, mais le lien est évident, s'agissant de l'accompagnement du vieillissement de la population.
Je voudrais insister enfin sur la proposition que nous soutenons et qui consiste à créer la fonction d'adjoint au maire chargé des seniors. Il existe bien, dans la quasi-totalité des communes, un adjoint au maire chargé de la jeunesse. Pourquoi ne pas prévoir la même chose pour les personnes âgées, qui représentent parfois plus du quart de la population ? Cette personne aurait une approche globale et transversale. Il ne s'agirait pas seulement, loin de là, d'organiser une fois par an un repas des aînés. Comme plusieurs millions de nos concitoyens qui ont atteint cet âge, nous serons tous un jour concernés. C'est en amont qu'il faut prendre en considération leurs besoins. Ces personnes ont toute leur place dans nos communes.
À l'époque, nous avions mené avec la commission des affaires sociales une mission en Martinique. Ce département deviendra prochainement celui dans lequel la population sera la plus âgée. Le vieillissement de la population concerne tous nos territoires. Il y a nécessité d'agir.
M. Laurent Burgoa, rapporteur. - Nos agences techniques départementales pourraient offrir à nos communes rurales une aide en ingénierie. Je rejoins par ailleurs Grégory Blanc : au travers de partenariats public-privé, les entreprises privées peuvent contribuer au maintien des personnes âgées à domicile.
Dans le Gard, nous avons mis en place voilà quinze ans les « maisons en partage », des logements adaptés dans lesquels nos aînés disposent d'une salle commune et bénéficient d'un certain nombre d'animations. Nous avons pu ainsi libérer dans le centre-bourg de grandes maisons devenues inadaptées pour des personnes seules à mobilité réduite, tout en offrant à ces personnes la possibilité de continuer à vivre dans la commune. De plus, ces logements étant considérés comme sociaux, ils sont très intéressants pour les maires qui cherchent à pallier des carences dans l'application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, les crédits du « Fonds d'appui pour des territoires innovants seniors » sont déjà épuisés. De plus, alors que nous allons entamer la discussion budgétaire, je doute que la situation financière compliquée dans laquelle nous sommes permette un renouvellement de ce type de fonds ad vitam aeternam.
Enfin, certains d'entre vous ont suggéré la
création d'un élu
référent. Les conseils
municipaux des aînés, que certaines communes ont mis en place
à l'instar des conseils municipaux des jeunes, permettent non seulement
à cette population de s'impliquer davantage dans la vie de la commune,
mais aussi aux élus de connaître précisément ses
attentes. On pense volontiers au « City stade »
pour nos jeunes, mais on oublie parfois d'installer un banc à tel ou tel
endroit ou de surbaisser un trottoir pour faciliter la traversée d'une
rue. En renforçant ainsi la participation de nos aînés, il
est possible d'améliorer leur qualité de vie à moindres
frais. Mais j'y insiste : on peut avoir des idées, le
problème principal reste le financement.
Les recommandations sont adoptées.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
* 102 Yann Lasnier et Boris Venon, « Bien vieillir : 50 solutions pour les territoires » (op. cit.), p. 24.